Le martèlement rapide de ses pas sur la terre humide soulève quelques grains de poussière à chaque foulée, et c’est seulement parce qu’il sent quelques gouttes de pluie s’échouer contre la surface bouclée de ses cheveux qu’il ralentit la cadence, levant le menton - et le nez qui va avec, vers le ciel ombragé en fronçant lentement ses sourcils. Quelque peu essoufflé après la montée qu’il vient d’effectuer, le pianiste secoue son menton de gauche à droite en sortant son téléphone pour changer la musique distribuée dans ses airpods, sans vraiment se formaliser de l’orage qui menace de gronder d’ici quelques minutes ; de toute façon, ce n’est pas comme s’il pouvait se téléporter près de sa voiture pour repartir sans attendre. Mais le petit moment de silence entre les deux musiques lui permet d’entendre le souffle rude d’un joggeur évoluant dans le même draille que lui mais, dans le fouillis végétal qui l’entoure, Izan ne discerne rien d’autre qu’un bruit rauque qui se rapproche, couplé aux semelles qui frappent le sol humide avec vigueur. ’’Qu’est-ce que…’’ il n’a guère le temps de retirer l’un de ses écouteurs que, percuté de plein fouet par un illustre inconnu, il fait quelques pas en avant en chancelant, les sourcils froncés et une expression totalement désorientée au visage ; qu’est-ce qu’il a, celui-là ? ‘’Je suis désolé ! J’ai perdu mon chien, et je…’’ oh putain l’aspect de sa figure se métamorphose et il prend une fine inspiration nasale en essayant de ne pas se laisser gagner par l’angoisse même s’il y a un putain de clébard en liberté dans les parages ’’Il ressemble à quoi votre machin ?’’ à ne pas s’y méprendre : il s’en moque royalement, il veut juste s’assurer que c’est un petit chien dans lequel il pourra donner un coup de pied sur besoin, et pas un monstre de cinquante kilos qui est l’oeuvre du diable ‘’Un berger allemand, il… Il s’appelle Chouquette…’’ - ’’Hein?’’ qui appelle son chien comme ça, sérieux ? mais le joggeur dont le visage est déformé par l’angoisse reprend sa course folle à travers les arbres verdoyants en hurlant des ‘’Chouquette !’’ qui laissent totalement perplexe celui qui reste stoïque pendant quelques secondes.

Ayant davantage peur du chien au nom ridicule que de l’orage qui vient d’éclater en faisant perler des gouttes épaisses sur le décor naturel, il reprend son chemin en espérant ne pas croiser l’horrible monstre mais, alors qu’il arrive près du pont qu’il doit traverser pour reprendre la route menant au parking, il s’interrompt soudainement, ses yeux remarquant sans mal la silhouette répugnante du chien allongé de toute sa masse sur les planches de bois, guère épargné par la pluie diluvienne mais point gêné par celle-ci, visiblement. ’’Eh merde.’’ qu’il marmonne entre ses dents, appuyant ses paumes contre ses hanches en soupirant aussi bien d’agacement que de désespoir. Il hésite un instant à lui jeter des cailloux pour le faire fuir (ben quoi ?) mais, n’ayant pas suffisamment de malignité en son coeur pour potentiellement blesser un animal qui n’a rien fait de mal sinon exister (c’est déjà beaucoup), il abandonne rapidement cette idée et décide plutôt de s’abriter plus ou moins sous la branche d’un arbre haut de plusieurs mètres, en espérant que le mauvais temps soit autant chassé que l’affreuse boule de poils qui roupille invariablement sur le pont. Au bout d’un temps indéterminé à ne voir personne mais à fixer Chouquette - il est presque sûr que c’est lui, il entend un ’’Hé salut, vous êtes blessé ? Vous avez besoin d'un coup de main ?’’ qui l’oblige à pivoter sur ses jambes pour découvrir un homme qui lève l’une de ses mains dans ce qui semble être un signe d’apaisement. ’’J’suis pas blessé, non.’’ dit-il premièrement en rentrant légèrement les épaules, se décalant de quelques degrés sous sa branche si l’homme veut s’y abriter également. ’’Le chemin est bloqué.’’ par l’horrible bête nommée Chouquette, qui se prélasse sous la pluie, et qui fait grimacer le pianiste sitôt qu’il repose les yeux sur lui… Mais si l’inconnu s’avance sur le pont, il fera fuir le canidé, non ? L’idée de s’en servir comme bouclier humain est tentante. ’’Il veut pas se pousser.’’ Pourtant il lui a demandé poliment et gentiment. De loin.

’’On ne peut plus passer ?’’ dans la mesure où il vient de dire que le chemin est bloqué, c’est sans doute une reformulation aussi juste que possible et il lui faut convoquer toute sa bonne volonté pour pas lâcher un ‘’c’est ce que je viens de dire’’ laconique à l’attention du perroquet qui s’ignore, mais heureusement la phrase reste sagement à l’abri derrière ses lèvres closes et Izan se contente d’un regard entendu, qui n’exprime rien d’autre que ‘’tu comprends vite mais faut t’expliquer longtemps’’. Soupirant autant de nervosité que de fatigue - et un peu de froid il faut bien l’avouer -, il passe la pointe de sa langue sur ses dents du haut en considérant le chien d’un regard qu’on peut qualifier de farouche, même si on peut aisément amputer la responsabilité de cette expression mitigée à la pluie diluvienne qui s’abat inlassablement sur le décor boisé, obligeant les deux hommes à cohabiter sous une pauvre branche qui les protège à peine de l’intempérie. ’’Ouais ouais, j'ai vu, je réfléchis.’’ le pianiste hausse ses sourcils sans pour autant remettre en doute l’affirmation de son complice d’infortune : il ne le connaît pas assez pour le prétendre incapable d’un tel acte mais, dans les faits, la seule chose qui l’intéresse est que ce putain de clébard pouilleux déguerpisse le plus loin possible. Ô comme il regrette de ne pas avoir embarqué le maître éploré de tout à l’heure, il serait déjà au chaud dans sa voiture - voire dans son appartement. Mais le confort de son logement est bien loin, entravé par la présence du chien qui roupille sans être dérangé par les trombes d’eau qui lui tombe sur le museau, museau enfoui dans ses pattes recouvertes par la boue d’ailleurs. Un énième soupire se fraye un chemin dans le faible interstice de ses lippes finement dessinées, juste avant que son sourcil se arque d’incompréhension quand il voit l’autre s’agenouiller à côté de lui pour fouiller dans son sac ; est-ce qu’il se balade avec des croquettes ?! Ce serait drôlement utile, mais non. C’est une corde. Pour se pendre ? Vu l’horrible créature qui se prélasse sous le ciel gris, Izan est presque tenté ’’On va passer au-dessus. S'il bouge pas tant mieux, et s'il essaie de nous attaquer, on aura qu'à l'attraper pour éviter qu'il nous morde ou qu'il tombe.’’ la deuxième option est mieux, il a déjà donné pour la première ’’La corde supportera largement son poids mais s'il tombe faudra le rattraper assez vite pour pas qu'il suffoque. La hauteur sera pas suffisante pour qu'il se rompe le cou de toutes façons.’’ c’est censé être son problème ? Il n’est pas sûr de vouloir s’engager dans une édition spéciale et improvisée de Ninja Warrior, mais il a comme l’impression qu’il va crouler sous la pluie pendant des heures s’il reste là. Mourir héroïquement face à un chien monstrueux ou mourir d’hypothermie comme un malpropre : le choix est vite fait ’’Vous vous sentez capable de l'attraper ? Moi j'ai un mauvais feeling avec les chiens, ils sentent que je les aime pas.’’ un regard en biais vers la corde tendue, puis il fronce ses sourcils avant de secouer son menton de gauche à d droite, visiblement peu enclin à concéder ce sacrifice ’’Ben moi c’est eux qui m’aiment pas.’’ son mollet peut en témoigner, il y a donc des preuves irréfutables ! ’’Et c’est réciproque.’’ ils sont donc deux idiots prêts à faire une émission de survie en milieu hostile, en étant certains de ne pas passer la première épreuve : l’obstacle du chien ’’On peut pas essayer de le faire fuir ?’’ non pas que l’idée de lui jeter des cailloux lui revienne en tête, mais pas loin ’’Bon j’veux bien essayer mais… j’promets pas de le rattraper.’’ non, en fait, il est sûr, mais il est encore plus certain de vouloir se barrer d’ici.

’’Le faire fuir ?’’ outre le fait qu’il se demande pourquoi l’inconnu répète encore ce qu’il dit, Izan est tenté de lui donner la définition du mot « fuir » ; dans son langage concernant les chiens, cela donnerait probablement un « lui foutre des cailloux dans la tronche jusqu’à ce qu’il comprenne le message » mais, comme il craint d’être étiqueté pour mauvais traitements envers le canidé dégoutant, il s’abstient de parler et se contente d’un hochement du menton positif sans le regarder, bien qu’on sente qu’il est largement lassé de la situation et qu’il commence à se dire qu’il pourra peut-être trouver le moyen de jouer de son piano avec une seule main, dans l’éventualité où le chien décide de bouffer l’autre (si, c’est possible). Ce n’est pas aujourd’hui qu’il va vaincre sa phobie (jamais), mais il comprend bien que l’autre qui est armé d’une corde comme s’il s’apprêtait à grimper le Mont Blanc n’est guère plus avancé que lui : il a beau avoir des idées qu’il se plait à exposer, il les caresse du doigt mais ne s’avance pas outre mesure pour les réaliser alors, le pianiste prend les devants, étant visiblement le plus vaillant des deux. ’’S'il fait n'importe quoi, il va tomber. Il peut pas se rattraper avec ses petites mains..’’ la perspective de voir le chien tomber ne lui occasionne pas une franche compassion - puisque cela élimine le problème et libère le passage, si bien qu’il passe la pointe de sa langue sur sa lèvre inférieure en considérant l’inconnu d’un roulement d’iris, qui n’exprime rien d’autre que l’envie de bouger de cet endroit à la con. ’’De toute façon, il faut une solution. Allez-y, faites ce que vous pouvez. ’’ un regard sur la main qui s’est posée sur son épaule musclée puis il reporte toute son attention sur le clébard au milieu du pont, en plissant légèrement ses paupières sous la pluie qui dégouline le long de ses cils noirs. ’’Super.’’ l’ironie de sa rhétorique est marmonnée entre ses dents tandis qu’il lance un regard envers son complice qui, lâchement, croise ses bras contre son torse en le laissant faire le plus difficile ; courageux mais pas téméraire. ’’Vous allez y arriver.’’ est-ce possible de paraître plus condescendant quand on en branle pas une ? ’’C’est ça, ouais.’’ qui est prononcé alors qu’il s’éloigne avec sa corde dans les mains, étant de moins en moins sûr d’être volontaire au fur et à mesure qu’il se rapproche du pont, où roupille la menace ronflante ; il hésite un instant parce qu’il aimerait vriament faire demi-tour mais, entre perdre la vie et perdre sa dignité, le choix est vite fait : il a le sens des priorités, il choisit donc la deuxième. Ash sera veuf avant l’heure mais, au moins, l’honneur sera sain et sauf ’’Putain de clébard.’’ merde, c’est quoi son nom déjà ? ’’Qui appelle son chien Chouquette sérieux…’’ râler lui donne du courage et il en a désespérément besoin, mais même s’il a formulé cette phrase d’un ton à peine audible, le chien a entendu son nom et a redressé son cou dans un geste vif, qui fait sursauter celui qui s’avançait en sa direction, mais qui s’interrompt aussitôt ’’Oh, reste tranquille toi… Tu me regardes sur un autre ton, déjà.’’ permettez, c’est une conversation privée entre lui et Chouquette ’’J’vais être sympa même si j’te préférerais en tapis devant la cheminée… Tu dégages ou…’’ la suite ne vient pas parce que le chien, croyant peut-être apercevoir un animal sauvage à chasser, se hisse sur ses pattes boueuses en s’élançant à travers le pont pour revenir en direction des deux hommes à toute vitesse, obligeant le musicien à tenter de l’attraper avec la fameuse corde mais, l’animal est trop vif et continue sa course effrénée dans la terre humide, au moment même où son maître apparaît, tout aussi couvert de boue, le visage déformé par l’inquiétude et les bras levés vers le ciel en signe de panique. ‘’VOLEURS ! RENDEZ-MOI MON CHIEN ! CHOUQUETTE, VIENS ICI ! VOLEURS !’’ Une grimace d’incompréhension passant sur le visage du pianiste, il retrousse sa lèvre inférieure en reconnaissant l’homme croisé un peu plus tôt, qui se dirige droit sur eux avec une colère  rouge au visage ‘’Vous essayez de voler mon chien tous les deux ! Je vais appeler la police, je vous préviens !’’c’est de pire en pire, cette histoire…

‘’Vous essayez de voler mon chien tous les deux ! Je vais appeler la police, je vous préviens !’’ la situation - déjà précaire - dégénère trop rapidement pour qu’il puisse l’anticiper, et c’est avec un cran de retard (comme d’habitude, dirons les mauvaises langues) qu’il voit l’altercation qui se joue devant ses yeux plissés, si bien qu’il retrousse les côtés de sa lèvre supérieure dans une grimace stupéfaite, peinant à comprendre pourquoi les deux hommes en viennent aux mains puisque, tout ceci, une pure mascarade vraiment ridicule, n’est qu’un odieux malentendu ; jamais, pas même une seule seconde, ils n’ont eu l’intention de voler le chien qui ressemble à une serpillère qui a passé une mauvaise journée. Sur l’instant, Izan pense naïvement que le propriétaire du clébard - TOUJOURS EN PUTAIN DE LIBERTÉ - a dit un mot de travers et que son acolyte d’infortune tente de pas lui faire ravaler ses paroles déplacées et, commençant à faire quelques pas pour les rejoindre avec l’ingénue volonté d’apaiser les choses, quand bien même se sait-il piètre négociateur, le pianiste se heurte à la violence des coups soudainement portés à l’encontre du propriétaire ; une salve de poings qui s’enfoncent dans le visage brouillé par la douleur et le sang qui commence à couler du nez heurté, le liquide vermeille dégoulinant sur la bouche, le menton et le cou de l’homme, emporté par le sillage de la pluie qui s’abat toujours sur eux. ’’Eh eh eh eh !’’ faute de mieux à dire pour l’instant - faut dire qu’il ne s’attendait pas à jouer les gendarmes -, il se crispe en contournant le chien (toujours en liberté bis) pour retenir de justesse un énième coup qui allait s’abattre sur l’homme qui tente dérisoirement de se protéger avec ses bras, en obligeant l’assaillant à reculer de quelques pas, même s’il semble être porté par une rage folle, le MacGyver de la corde, et que sa force paraît être décuplée par la colère. Mais qu’est-ce qu’il s’est passé entre les deux ?! ’’Tout le monde se calme !’’ il le tonne en s’interposant entre les deux, tâchant de les tenir à bonne distance l’un de l’autre, en ne comprenant vraisemblablement pas comment les choses ont pu tourner ainsi. ‘’IL EST FOU ! COMPLÈTEMENT FOU !’’ se retournant machinalement vers le propriétaire qui se tient le nez - ou ce qu’il en reste, Izan effleure les contours d’une nouvelle grimace en marmonnant ’’Il vous a pas loupé, hein…’’ puis se retournant vers Bran ’’Tu fais de la boxe ?’’ mais si l’interessé répond, il n’a pas le loisir de l’entendre puisque le grand blessé se met à geindre de douleur en pointant Bran d’un index accusateur, en ayant les yeux presque révulsés ‘’Je vais porter plainte contre lui ! Vous êtes témoin, il m’a frappé !’’ comme il a bien mieux à faire et qu’il n’a pas perdu de vue le chien qui rode encore et toujours, il le désigne d’une main aplatie dans le vide en demandant ’’Vous voulez pas le rattacher ? Non parce qu’il se promène comme si le terrain était à son père’’ et de ce qu’il voit, c’est pas le cas ’’Après, vous pressez pas hein. Tout de suite ou maintenant, c’est comme vous voulez.’’ mais le plus rapide sera le mieux. Mais comme le propriétaire ne semble pas comprendre pourquoi on lui formule cette demande, il fronce les sourcils en marmonnant des choses incompréhensibles dans sa barbe invisible, pendant que le pianiste se retourne vers son acolyte pour lui demander ’’Ça va ?’’ - ‘’C’est moi qui suis blessé et c’est à lui que vous demandez si ça va ?!’’ il a rattaché le chien, ou pas ?

Il n’admet que rarement qu’il a tort, Izan, pour ne pas dire « jamais », mais en cet instant, il est pratiquement sûr qu’il s’est fourvoyé : ce n’est pas le chien qui est enragé. Est-ce qu’il faut aussi piquer les humains, dans ces cas-là ? Comme il n’a pas le matériel nécessaire, sur l’instant, il se contente de le tenir à bonne distance, tâchant de garder les deux hommes loin l’un de l’autre pour éviter de nouvelles blessures à celui qui est déjà bien amoché, puisqu’il ne s’inquiète pas trop du sort du deuxième. Mais entre le nerveux révolté et le pleureur ensanglanté (sans oublier le chien qui rode toujours), difficile de savoir combien de temps cette accalmie va durer. Putain, il aurait dû rester chez lui. ‘’C’est moi qui suis blessé et c’est à lui que vous demandez si ça va ?!’’ sur l’instant, Izan a un petit froncement de sourcils qui signifie presque « je ne vois pas le rapport », mais en appuyant ses deux mains sur ses côtes, il n’a pas le temps de formuler une seule syllabe en guise de réponse, puisque Bran s’en charge avec, toujours, son agressivité mise à vif par les accusations portées ’'Blessé ? Blessé ?? Mais il va pas arrêter de geindre comme une gonzesse celui-là ?’’ le pianiste a presque le réflexe de vérifier autour d’eux qu’aucune féministe ne sort des bosquets pour venir lui remonter les bretelles, sans trop savoir si ça vaut le coup de lui faire remarquer que c’est un commentaire fort misogyne, quand même ’'Trois coups de fil et ton clébard qui était errant dans le parc, il finit à la fourrière ! Alors t'arrêtes de casser les couilles, tu prends ta saloperie, là, et tu dégages ! COMPRIS ?’’ il est d’accord avec le fond mais pas avec la forme, Izan, alors il fait rouler ses lèvres l’une contre l’autre en donnant l’impression d’être dépassé par les évènements, parce que tout mauvais caractère qu’il a, Izan n’a jamais trempé dans la violence physique contre les autres ; la seule qu’il propage est envers lui-même. ‘’Vous pensez que c’est cassé ?’’ pour lui permettre de mieux constater les dégâts, l’homme éloigne sa main de son nez et Izan se penche légèrement en avant, plissant ses paupières en même temps qu’il fronce les sourcils car, même s’il n’est pas médecin - Helen aurait été davantage utile dans cette situation -, il voit bien que le nez part trop vers la gauche. ’’J’espère que vous avez une bonne assurance…’’ ça ne sert à rien de lui mentir : le type va bien voir que son nez est orienté plein sud ’’…Mais avec un bon coup de bistouri, ça ira !’’ il se montre encourageant (ou pas) en se targuant même d’un sourire appuyé, hochant son menton de haut en bas avant de perdre rapidement son rictus quand il voit l’homme tourner de l’oeil et s’effondrer sur le sol boueux dans un râle pitoyable, sans que le pianiste n’ait le temps de le rattraper. Il n’y a même pas pensé, en fait. ’’Merde il s’est évanoui’’ constate-t-il en se penchant légèrement au-dessus de lui, agitant sa main devant ses yeux vitreux comme pour s’assurer qu’il ne fait pas semblant - sait-on jamais ’’Attends, on va pas le laisser là quand même…’’ il veut bien l’aider mais pas au point d’affronter le clébard qui vient renifler son maître tombé comme une poupée de chiffon, si bien qu’il recule en disant, finalement plus très sûr de vouloir jouer les héros ’’Après, une petite sieste sous la pluie ça peut pas lui faire trop de mal…’’ est-ce que Lincoln dirait que c’est non-assistance à personne en danger ?

Il s’est posé la question en même temps que la réponse est apparue nettement dans son esprit : bien sûr que Lincoln dirait que c’est non-assistance à personne en danger, mais est-ce que le clébard en liberté est suffisamment un argument de poids pour qu’on le considère lui-même en danger ? Il posera la question à son avocat et ami la prochaine fois qu’il le verra. En attendant, le propriétaire du chien est étendu de toute sa masse dans la boue qui lézarde la veste jaune cirée qu’il porte, se mélangeant à son sang emporté par la pluie qui ne cesse de se déverser sur eux, en accentuant davantage la misère de toute cette situation déjà pénible. Passant sa main sur son visage pour dégager sa vue brouillée, Izan redresse ses épaules en soupirant avec une lassitude déjà lourde, n’ayant pas suffisamment de bonté d’âme pour jouer aux infirmiers dans pareille situation ; son humeur est davantage à emprunter le pont tant que le satané chien n’a pas repris possession de sa place au milieu de ce dernier mais, le boxeur devenu miraculeusement charitable intercepte son attention en lui faisant hausser les sourcils ’'Pas bouger ! On peut le porter jusqu'au parking...’’  après l’avoir foutu dans le coltard, il veut jouer les super-héros, celui-là ’'Monsieur ? Oh, vous m'entendez ?’’ - ’’Vous l’appelez poliment monsieur après lui avoir fracassé le nez ?’’ comme c’est une vraie question, il arque l’un de ses sourcils en semblant désorienté par ce changement de comportement, qui lui fait dire que le type est une éolienne qui modifie d’attitude au gré du vent : en l’occurence, actuellement, c’est la peur d’avoir commis une énorme connerie sur un illustre inconnu. ’'Vous pouviez pas le retenir, bordel ?’’ soutenant son regard sans en paraître grandement effleuré, puisque le cure-dent nerveux ne l’effraye pas vraiment, il rétorque aussitôt, laconique ’’Vous ne pouviez pas retenir vos poings, bordel ?’’ avoir une grande gueule et se sentir merdeux quand on mord, c’est pas ce qui lui inspire le plus d’admiration, au pianiste qui soupire de nouveau en le regardant faire, se disant qu’il est drôlement optimiste d’attendre une réponse de la part d’un mec totalement inconscient. ’’Bon….’’ non pas que la situation commence à l’emmerder mais presque, et il n’a pas prévu de planter la tente au milieu du chemin ’’Prenez les jambes, je prends les épaules.’’ il attend que le boxeur récupère son sac avant de s’agenouiller pour glisser ses mains sous les aisselles de l’inconscient, commençant déjà à le soulever pour entamer une marche en direction du parking, même si le terrain est glissant et qu’avec la pluie qui ruisselle le long de ses cils, il n’est pas dit qu’ils arrivent à bon port sans une nouvelle galère qui leur tombe dessus… À moins que la chute soit pour eux ? Qui sait.

’'Oh ça va hein, ça va ! C'est une patate dans le nez, je l'ai pas tabassé non-plus !’’ il hausse ses sourcils en ayant l’air de se demander si son interlocuteur est sérieux ou non, mais les mains appuyées sur ses genoux et le dos cavalier, il finit par répondre un simple ’’On lui demandera son avis quand il se réveillera.’’ puisqu’il ne compte pas vraiment débattre de la définition du mot « tabasser » dans ces conditions, même si, de son point de vue, Bran s’est illustré avec brio dans cette catégorie. La seule chose qui compte, aux yeux du pianiste, c’est de décamper avant qu’un nouveau malheur leur tombe sur les bras, et vu que sa poisse semble être doublée à celle de Bran, il vaut mieux anticiper la possible débandade : attrapant l’inconscient sous les aisselles, il n’attend pas davantage avant d’entamer une petite marche vers le pont, bien que la solidité du bois ne l’aide pas à maintenir son équilibre tant le sol est détrempé, traversé par des ruissellements de terre et d’eau mélangés, qui forme une boue impraticable sur laquelle ses chaussures s’enlisent un peu. ’’Oh putain…’’ qu’il râle en ayant les cils qui dégoulinent des trombes d’eau, rendant sa visibilité vraiment pénible, si bien qu’il marmonne des paroles en espagnol dans sa barbe inexistante, pour le simple plaisir de se défouler un peu. ’’Ça va ?’’ qu’il demande après que le plus jeune ait lâché les jambes de leur belle-au-bois-dormant, profitant de cette mini-pause improvisée pour essuyer son visage d’un revers de la main. ’'Désolé...’’ il souffle le chaud et le froid, l’inconnu, semblant tour à tour comme un animal sauvage prêt à mordre puis un chat pris dans les phares d’une voiture, si bien que le pianiste le toise avec un brin de décontenance, ne sachant pas bien sur quel pied danser avec lui. ’’On va régler ça.’’ qu’il tente de rassurer en se disant que, s’il n’a pas d’excès de colère qui se traduit par de la violence physique, ses élans furieux se font entendre par sa voix et, ne s’estimant guère mieux que Bran, il est très mal placé pour porter un quelconque jugement. ’'Vous pensez vraiment que c'est cassé ? Vous êtes médecin ?’’ - ’’Non, je ne suis pas médecin…’’ avoue-t-il en soufflant à cause de l’effort et de la lassitude liée à l’ensemble de la situation, manquant de tomber en trébuchant sur un caillou, se rattrapant de justesse pour conserver sa dignité - et l’état plus ou moins préservé du type qui tape sa meilleure sieste ’’…Mais disons que j’me souviens pas que son nez embrassait sa joue. Partant de là…’’ on peut aisément en déduire qu’il est cassé, ouais ’'Vous pensez pas qu'on peut le... remettre en place disons, d'un coup sec ?’’ ses sourcils se froncent en ayant l’air de dire « tu collectionnes les idées de merde, toi » mais, quelques secondes après l’avoir entendu, cette idée de merde, il se dit que finalement c’est pas si con ’’Bah euh… Vous l’avez déjà fait ? Parce que moi non…’’ mais il a déjà vu des séries sur le milieu hospitalier, alors peut-être que ça se tente, non ? ’’On est presque au parking… Faudrait récupérer ses clefs, on pourra retrouver sa voiture si on la déverrouille à distance, non ?’’ en espérant qu’elle soit suffisamment moderne pour avoir cette disposition, sinon, pour changer, ils auront une nouvelle galère sur les bras : avoir l’air de trimballer un cadavre au milieu des randonneurs qui courent vers leurs véhicules pour y trouver abri. ’’On le pose là, dans l’abri-bus’’ et sans attendre l’accord de son acolyte, il s’y dirige pour allonger l’homme sur le banc, en remarquant alors qu’ils ont semé Chouquette en chemin. Bon, c’est pas si grave, si ?