Cela faisait quelques heures que j’étais arrivée au DBD et mon quota de patience avait déjà été atteint (certes le stock en question n’était déjà pas grand à mon arrivée, mais c’était un détail). Alors j’avais décidé de m’accorder 10 minutes de pause avant de balancer une tasse de café au visage de quelqu’un. Scrollant sans but sur mon téléphone, les 10 minutes avaient fini par se transformer en une heure. J’en étais bien consciente mais à ce stade là j’avais envie de mener une étude scientifique pour voir à quel moment les autres serveurs se décideraient à venir me chercher pour me remettre au travail. Mon hypothèse était la suivante : je leur faisais bien trop peur pour qu’ils osent me faire la moindre remarque. Et ça me convenait parfaitement.
Pas tant pour cause d’une quelconque culpabilité mais davantage parce que je commençais sérieusement à avoir vu tout ce qu’il y avait à voir pour aujourd’hui sur internet, j’avais finalement décidé de sortir de ma cachette pour retourner derrière le bar. C’est les sourcils froncés que j’accueillis l’arrivée d’une de mes collègues qui jugea bon de se pencher pour venir chuchoter à mon oreille. Mh. Je n’étais vraiment pas certaine d’apprécier cette proximité soudaine. Toutefois ce qu’elle vint me dire suffit à me faire oublier l’affront. Je tournais la tête en direction de la salle jusqu’à ce que mon regard se pose sur le visage que je cherchais. Un léger sourire vint étirer mes lèvres alors que je réalisais que ma journée allait finalement être bien moins morne et agaçante que prévue. Si j’avais un instant eu l’intention de faire bonne figure en sortant de ma cachette pour reprendre le travail, l’arrivée de Danaë avait très rapidement mis à mal cette bonne résolution. C’est donc tout naturellement qu’au lieu de m’armer d’un plateau de commandes à servir, je choisis de prolonger ma pause aux yeux de tous cette fois-ci. Je quittais l’arrière du bar pour me diriger d’un pas assuré vers la brune dont j’avais croisé le regard. Arrivée à sa hauteur et en lieu et place d’un bonjour, j’avais tiré la chaise située à côté d’elle pour m’y installer et lancer d’un ton nonchalant mais avec une pointe d’amusement : « Il parait que tu me cherches ? » Je n’étais pas certaine de pouvoir qualifier notre relation qui n’était faite que de rencontres fortuites et toujours en coup de vent, mais ce dont j’étais certaine c’est que je ne manquais jamais une occasion de la mettre gentiment en boîte. Je ne savais pas grand-chose d’elle si ce n’était qu’elle bossait pour Raelyn et que, bien loin de mon standard actuel d’homme quinquagénaire imbuvable, j’appréciais sa vue et sa compagnie. Il y avait une sorte d’aura mystérieuse qui l’entourait (et peut-être était-ce aussi pour cela que je ne lui posais jamais trop de questions ; pour conserver cette énigme qu’elle représentait) et qui grandissait à chacune de nos courtes entrevues. Tout le matériel qu’elle avait étalé autour d’elle sur la table contribuait un peu plus encore à cette image que je me construisais petit à petit d’elle. Si j’avais pour habitude de ne pas lui poser de questions, je dérogeais à cette règle aujourd’hui. Une expression curieuse sur le visage, mon index passa délicatement du dictionnaire aux textes anciens. « Tu m’expliques ? Je savais pas que tu déterrais des trésors pendant tes heures perdues ? » Je me permis de bouger certains des papiers disposés devant elle pour tenter de les décrypter (en vain, évidemment), révélant ainsi un dessin que je n’avais pas tout de suite aperçu. Non pas que me montrer trop intrusive soit vraiment un problème pour moi, je décidais pour l’instant de ne pas toucher davantage à ce qui ne me regardait pas et je reportais à nouveau mon attention sur elle avant de pousser un peu plus mon interrogatoire : « C’est toi qui as dessiné ça ? » Ma question était empreinte d’une sincère curiosité. Ce qui était à noter étant donné que j’avais tendance à ne jamais m’intéresser de près ou de loin à ce que les gens que je côtoyais pouvaient bien faire.

« C'est une rumeur qui court.. J'me demande qui en est l'origine. » Une collègue dont je n’avais strictement rien à foutre mais qui avait le mérite de m’avoir annoncé une bonne nouvelle puisque la présence de Danaë m’offrait une échappatoire tout trouvé à l’ennui d’une énième journée de boulot. La coïncidence n’en était certainement pas une si elle me cherchait, mais jamais je ne cracherai sur un peu plus d’attention (amplement méritée, évidemment). Et le sourire que j’affichais était un bon indicateur du sincère plaisir que j’avais à la voir. Une sorte de plaisir coupable de me laisser à penser qu’elle pouvait, malgré ses quelques années de moins, s’intéresser à moi. Tout cela mêlé à cette curiosité et ce mystère qui entouraient toujours nos échanges. J’avais l’impression de la connaître un peu, sans jamais parvenir à la cerner pour autant. Et il ne m’en fallait pas plus pour me captiver. « Il y a un paquet de trucs que tu ignores… » Mon sourire s’étira un peu plus alors que je lui jetais un coup d’œil en coin avant de reporter mon attention sur tout le bazar qu’elle avait étalé sur la table et qui semblait bien plus attrayant que tout ce que j’avais pu faire dans mes études ou…dans ma vie de manière générale je le craignais. « J’ai hâte de les découvrir dans ce cas ? » Si j’avais déclaré cela sur une forme interrogative, il n’était pas difficile de comprendre (surtout lorsqu’on me connaissait un minimum) qu’il s’agissait plutôt là d’une franche affirmation. J’arrivais bien souvent à mes fins quand je voulais obtenir des informations, que mon interlocuteur ne le veuille ou non. Heureusement dans cette situation précise, j’étais sûre à 100% que Danaë serait plutôt disposée et consentante à me les donner. Parce que notre jeu était un teasing permanent pour apprendre à se découvrir mutuellement. « Ici.. Presque les plus anciennes traces d'écriture. Ce sont les formules qui doivent permettre au pharaon de passer du statut de "dieu sur Terre" à littéralement "une étoile impérissable" dans le ciel. C'est raide à déchiffrer, mais ça s'fait. » Je regardais les différents documents au regard de ses explications, avant de finir par reporter mon attention sur elle quand elle se mit à parler du choix pour son exposé. Elle était à la fois captivée et captivante quand elle s’exprimait. Il m’arrivait rarement d’écouter quelqu’un d’aussi passionné : son attrait pour ce qu’elle étudiant et ce sur quoi elle travaillait transpirait dans chacun de ses mots et j’avais bien du mal à m’en détacher. Je buvais ses paroles, pas nécessairement concentrée sur le sens qu’elle avait que sur les micro-expressions de son visage et sur son langage corporel. Pas étonnant qu’elle m’intrigue autant, on ne croisait clairement pas ce genre de personnalité à tous les coins de rue et j’étais ravie de pouvoir avoir une petite place au sein de son univers. « On sent que t’aimes ce que tu fais. C’est pas donné à tout le monde et je dois reconnaître que je suis un peu envieuse. » Fait suffisamment rare pour être noté. Si ce n’était quand il s’agissait d’être jalouse des personnes qui avaient plus d’argent que moi (c’est-à-dire beaucoup de monde actuellement), être envieuse ne faisait pas vraiment partie de mes attributions. « Tu avais ou tu as un métier en tête que t’aimerais exercer à terme ? » Parce qu’on savait l’une comme l’autre que ce qu’on voulait n’était pas nécessairement ce qu’on obtenait, mais ça n’empêchait en rien d’y penser pour autant. Mais pour ma part je n’avais pas l’impression d’avoir jamais trouvé une véritable passion qui aurait pu m’habiter comme elle et me guider vers des projets ambitieux. J’imagine que c’était triste quelque part. Mais je faisais avec. Danser le madison en cachette ne rentrait certainement pas dans la catégorie passion.
Mes investigations avaient fini par m’amener à découvrir un portrait enfoui sous les papiers. « J'avais un super modèle à proximité. » Je me permis de découvrir un peu plus le dessin pour mieux l’observer. Encore une compétence qu’elle maitrisait mieux que moi et mes cours de dessin pour débutants. Mais difficile de m’offusquer quand elle me mettait à nouveau au centre de son attention au point de bien vouloir reproduire mes traits sur une feuille de papier. « J'dois encore travailler le regard.. Ça passe énormément par les yeux. » Je secouais la tête de gauche à droite avant de répliquer : « Moi je le trouve déjà impressionnant comme ça. Je veux dire, évidemment tu avais un modèle exceptionnel à ta disposition… » Je souris, toujours partante pour m’envoyer des fleurs même sous forme de boutade ou pour les recevoir. « …mais ton coup de crayon est vraiment incroyable. Surtout dans les conditions dans lesquelles tu l’as réalisé. » J’imaginais qu’elle s’y était prise en plusieurs fois lorsqu’elle m’apercevait à l’Octopus. Elle n’avait pas dû faire ça de tête car mon visage hantait ses pensées. Encore que cette idée était bien loin de me déplaire. Je reportais mon attention sur elle, laissant quelques secondes de silence s’écouler pour ajouter un peu plus d’intensité à la situation avant de confirmer : « Je suis d’accord. Le regard c’est important. » Et le sien était tout aussi captivant que son discours. « Quand est-ce que tu termines ton service ? » Je jetais un coup d’œil en direction du bar et de mes collègues. « Mh… » Puis je posais à nouveau mon regard dans le sien avant d’ajouter, dans un sourire : « C’est pas comme si j’avais vraiment été utile aujourd’hui de toutes façons donc…quand tu veux j’imagine ? Tu avais un programme en tête peut-être ? » Un jour Lily finirait par me faire regretter mon manque de sérieux. Mais tant que cela n’arriverait pas pour de vrai, je continuerais à ne pas me comporter en employée modèle. Et puis ils étaient assez nombreux pour gérer les 10 abrutis et leurs bières présents dans le bar de toute manière. J’avais (nous avions) mieux à faire.  

« J'suis un peu née dedans, si on veut. Aujourd'hui, ça m'donne surtout un air très pompeux.. Mais j'vais pas m'en plaindre. » Une remarque qui étire la commissure de mes lèvres : « Y a que ça de vrai les airs pompeux. » et mon ton laisse sous-entendre que cette croyance est mi une plaisanterie, mi une vérité. « Je suis pas sûre qu’on puisse s’en sortir dans la vie sans maîtriser cette expression. [/color]» Qu’elle soit 100% sincère ou totalement feinte, j’ai grandi et évolué dans un milieu où ladite expression régnait en maître, et j’avais donc rapidement appris à la maîtriser à mon tour. Si maintenant cela pouvait donner à (franchement) rire quand on voyait où j’en étais aujourd’hui, cela ne m’empêchait en rien de continuer à faire preuve de beaucoup trop de hauteur face à des gens qui me paraissaient trop insipides. « Disons que j'fais pas tout ça pour rester hôtesse de l'Octopus.. On se comprend. » Je hochais mécaniquement la tête face à une telle affirmation. Oh que oui on se comprenait. Et je me plaisais à découvrir à chaque nouvelle rencontre qu’on était bien plus similaires (et oserais-je dire complémentaires ?) que ce que j’imaginais. Je balayais le café d’un regard las, ajoutant un soupir exaspéré et quelque peu dramatique à ma contemplation avant de reposer mon regard dans le sien et venir appuyer : « Je confirme. On se comprend. Et si tu trouves le plan parfait je compte sur toi pour me le partager ? Et vice versa bien évidemment. » Si ses recherches pouvaient être plus fructueuses que les miennes, cela m’arrangerait grandement. J’avais l’impression que je n’allais nulle part et je me sentais de plus en plus acculée dans une vie que je n’avais jamais demandée et dans laquelle on m’avait parachutée sans mon consentement.
« Le tout, c'est de prendre son temps. Ça peut prendre des semaines pour réaliser un visage.. Un vrai jeu de patience. » Mon regard est-il aussi inquisiteur que celui qu’elle pose sur moi ? Et pourquoi est-ce que cela ne me dérange pas exactement ? Difficile de ne pas avoir envie de répliquer et de jouer avec ce magnétisme qu’elle parvenait à exercer sur moi. « Le portrait me semble déjà bien abouti pour les courtes fois où on est parvenues à se croiser. Est-ce que je dois m’inquiéter et surveiller les fenêtres de chez moi ? Non parce que tu sais que si tu demandes, je te laisserai rentrer avec plaisir. » Les sous-entendus (peu subtiles en ce qui me concernait) et la chasse préalable étaient tellement plus séduisants et addictifs que la concrétisation de la conquête (à laquelle je ne disais jamais non pour autant bien entendu). Et ce jeu là était particulièrement plaisant avec Danaë. Ne deviendrait-elle pas mon nouveau plaisir coupable préféré ? « J'peux jouer la guide au musée, ou.. On peut aller voir le coucher de soleil sur la plage en sirotant un cocktail, éventuellement. » Pourquoi est-ce que ses propositions prenaient instantanément une notion d’interdit dans mon esprit ? Je l’imaginais jouer la guide au beau milieu de la nuit bien après les heures de fermeture, ou boire un verre de trop pour regarder ledit coucher de soleil. « Tu voudras la version finale ? » Mon esprit cesse de vagabonder pour se focaliser à nouveau sur le portrait. Je réfléchis quelques secondes avant de lui répondre dans un demi-sourire provocateur : « Volontiers. Sauf si tu comptes l’accroche chez toi pour toujours m’avoir à portée de mains. Ou plutôt de regard j’imagine ? » Je n’étais pas contre un objet qui me permettrait de la rappeler à mon esprit occasionnellement, tout en rendant certainement mon miteux appartement un peu plus supportable. « Si t'as une autre idée de programme, j'te suis. Tant que ça me permet d'en apprendre plus sur la fameuse CeCe... » Je laissais un rire m’échapper face à tant de considération. Elle risquait d’être déçue par l’histoire de la fameuse CeCe : si la descente aux enfers avait de quoi captiver les foules, la fin restait grandement à désirer malheureusement. Pas de plot twist ou de happy end digne de ce nom. Mais finalement…on préférait tous les drames, non ? « J’ai peur que mes secrets et mon passé ne fassent pas le poids face à l’idée que tu as pu t’en faire…mais je suis prête à te délivrer quelques informations si tu en fais de même. Donc j’imagine que le cocktail et le coucher de soleil se prêteront parfaitement à ce genre de confidences ? » Je penchais légèrement la tête sur le côté tout en l’observant, attendant de voir si elle allait aller au bout de son invitation. Mais vu son attitude, je doutais qu’elle fasse marche arrière. Son aplomb était subtil et déconcertant à la fois, et c’était bien ça qui me plaisait chez elle. Entre autres.