a coffee cup and a catch-up • min-kyung

a coffee cup and a catch-up

Once, I was seven years old, my mama told me "Go make yourself some friends, or you'll be lonely". Once, I was seven years old. It was a big, big world, but we thought we were bigger, pushing each other to the limits, we were learning quicker. By eleven, smoking herb and drinking burning liquor, never rich, so we were out to make that steady figure. • lukas graham | gifs: conjuring, rampld

Sid arrive le premier au Death Before Decaf. Un coup d’œil à l’horloge accrochée au mur lui apprend qu’il a un bon quart d’heure d’avance, ce qui ne le surprend pas vraiment. Il est parti bien trop tôt de chez lui, animé par une énergie nerveuse qu’il a décidé de canaliser en se rendant à pied au café. Des gens sont éparpillés un peu partout, enfoncés dans de gros fauteuils à l’air confortables ou perchés sur des tabourets, mais il reste quelques places malgré tout. Il repère une table pour deux légèrement à l’écart, juste à côté d’une énorme plante verte qui la camoufle au regard des autres clients. L’endroit parfait, en somme, pour discuter au calme. À peine a-t-il posé les fesses sur le siège qu’il sort son téléphone de sa poche, par habitude. Il jette un coup d’œil à sa conversation avec Min-Kyung. Ils n’ont échangé que quelques messages. Sid lui avait d’abord écrit pour lui donner des nouvelles de Mouse, qui a pris du mieux dès son retour à la maison. Puis, le lendemain de sa visite à la clinique, il lui avait proposé ce rendez-vous pour reprendre contact.

Il hésitait pourtant à lui envoyer ce texto, troublé par la possibilité d’ouvrir ainsi une porte sur son passé. N’avait-il pas, après tout, refusé pendant des années tout ce qui pouvait lui rappeler de près ou de loin les crises de son adolescence ? C’était devenu, à force, une habitude avec laquelle il était difficile de rompre. Du moins, jusqu’à son voyage à Melbourne avec Aisling où, en rendant visite à sa mère au cimetière, il avait enfin réussi à faire la paix avec cette part d’ombre. Il avait donc envoyé ce court message, une invitation comme une main tendue par amitié que Min avait acceptée.

Il a encore quelques minutes devant lui. Il range son téléphone dans sa poche et l’échange pour le menu. Il parcourt sans vraiment y porter attention la liste de cafés et de thés imprimés sur le rectangle de carton coloré. La nervosité lui colle au cœur, nourrie par la sensation étrange que c’est à la fois un inconnu et un ami qu’il s’apprête à rencontrer. Car il y a des années qu’ils se sont perdus de vue, assez longtemps pour être devenus de nouvelles personnes. D’ailleurs, lorsque leurs regards s’étaient croisés pour la première fois, par-dessus la table métallique où était étendu un Mouse anxieux, un flottement désagréable avait envahi la pièce. Heureusement, l’atmosphère s’était peu à peu détendue à mesure que le vétérinaire auscultait son chat. La conversation s’était mise à couler plus naturellement aussi, comme s’ils renouaient avec la dynamique qu’ils avaient autrefois.

Ça va, c’est rien qu’un café ! se raisonne-t-il en inspirant un grand coup. Au bout de deux ou trois exercices de respiration, il se sent mieux. Assez pour être presque zen lorsque, pile à l’heure, la porte du bistrot s’ouvre sur Min-Kyung. Il se lève, lui adresse un petit signe de la main pour attirer son attention, le salue d’une accolade chaleureuse quand il l’a rejoint. Ce n’est qu’une fois rassis dans son fauteuil, face à Min, qu’il prend la parole : « Ça me fait si bizarre que tu sois là devant moi. » Il sourit, observe un instant son ami. Il reconnait dans ses traits délicats le même Min qu’il a connu. Il a toujours sa silhouette d’athlète aussi, mais il repère tout de même quelques traces qui trahissent le passage des années. Le visage affiné, sur lequel il ne reste plus aucune bribe d’enfance. La tristesse dans le regard qui ne s’étiole jamais, même alors que Min lui renvoie son sourire. « Ça fait longtemps que tu es à Brisbane ? »

@Sid Bauer

Évidemment, ce fut un choc pour Min de revoir Sid après toutes ces années. Il avait 18 ans la dernière fois qu’ils se sont adressé la parole. Sid avait alors fait une remarque innocente à propos d’embrasser un garçon. Sous l’effet de la panique, Min s’était énervé, ce qui ne lui ressemblait pas, avant de partir. Il ne lui avait plus adressé la parole, prétextant être trop pris par l’université pour lui accorder du temps. C’était un prétexte bidon, mais à l’époque, ça lui avait semblé être la meilleure chose à faire. Il avait honte et ne savait pas comment s’expliquer sans se compromettre. Éventuellement, les années avaient passé et il n’avait plus pensé à Sid. À l’époque, leur amitié était pourtant hautement improbable. Min était le garçon sérieux, excellant autant en cours qu’en sport. Quant à Sid, il était le rebelle de l’école avec ses cheveux colorés et les yeux fardés de noir. Surtout, Min était de deux ans son ainé, autant dire une éternité pour des adolescents. Ils ne se seraient probablement jamais adressé la parole si ça n’avait pas été du tutorat. En tant que premiers de classe, les professeurs demandaient régulièrement à Min d’aider les élèves en difficulté. Ça paraitrait bien à son dossier lorsqu’il s’inscrira à l’école de médecine. C’est ainsi qu’il se retrouva jumelé à Sid. En voyant ce gamin pour la première fois, Min eut quelques appréhensions, se disant qu’il lui fera surement perdre son temps. Pourtant, jamais les apparences ne furent autant trompeuses. Ils étaient devenus amis en dépit de leur différence d’âge et de leurs personnalités différentes. En vérité, Sid le fascinait. Personne ne lui disait quoi faire. Si Min était rentré à la maison un jour avec les cheveux colorés, sa mère lui aurait probablement rasé la tête de force. Il enviait sa liberté.

Min n’avait pas pensé à lui depuis des années et voilà qu’il était dans sa salle de consultation avec son chat malade. Le silence était tombé alors que les souvenirs remontaient à la surface, surtout celui de leur dernière conversation dont les échos persistaient encore aujourd’hui. Après tout, Min était vraiment gay. Heureusement que le chat était là. Car si la gêne était évidente, Min avait au moins quelque chose sur laquelle se concentrer. En examinant l’animal, la conversation était devenue plus normale. Même si aucun d’eux n’avait oublié, l’eau avait suffisamment coulé sous les ponts pour qu’ils soient heureux de se revoir. À la fin de la consultation, ils avaient échangé leurs numéros de téléphone. Min souhaitait avant tout surveiller l’état du chat qui souffrait d’un abcès à la gueule qui l’empêchait de se nourrir correctement, mais il espérait aussi pouvoir parler à Sid dans un autre contexte que celui de la clinique. Alors, lorsqu’il proposa d’aller prendre un café, il accepta.

Évidemment, Min eut beaucoup de mal à trouver le sommeil la nuit précédente. Ça le stressait de revoir Sid après toutes ces années. Autant il était curieux d’apprendre ce qu’il était advenu de lui, autant il espérait que Sid ne lui poserait pas trop de questions. Il voudra surement savoir comment il était passé de la médecine traditionnelle à la médecine vétérinaire, mais au-delà de ça… Peut-être qu’il pourra lui dire qu’à l’époque, il avait eu raison, que Min aurait aimé embrasser un garçon mignon.

Min passa la porte pile à l’heure. Sid l’attendait déjà. Il alla le rejoindre et les deux se firent une accolade. Sid a toujours été plus physique que lui. Min était plus du type « poignée de main » et ne touchait pas les gens s’il pouvait l’éviter. Il s’installa à la table en face de Sid. « Ça me fait si bizarre que tu sois là devant moi. » Min acquiesça d’un signe de tête. C’était bizarre. Le souvenir qu’il conservait de lui ne correspondait plus du tout à la réalité. Ça le frappait maintenant toutes ces années qui ont passé. Ils n’étaient que des adolescents à l’époque, une période où le moindre drame pouvait prendre des proportions démesurées. Pourtant, maintenant qu’il prenait le temps de le regarder, il le voyait encore à travers ses traits d’adultes et ses tatouages. Au moins, il n’avait plus cette mèche qui lui cachait la moitié du visage. « Ça fait presque 18 ans depuis la dernière fois qu’on s’est parlé. Sachant que j’avais 18 ans à l’époque, c’est une vie entière… » Il s’en était passé des choses depuis.

« Ça fait longtemps que tu es à Brisbane? » Évidemment, c’était la première question qui lui venait à l’esprit. Ils s’étaient connus alors qu’ils vivaient à Melbourne et ils se retrouvaient des années plus tard très loin de la ville de leur enfance. Qu’est-ce qui les avait poussés à partir? « J’ai aménagé en juin de l’année dernière. J’adore Melbourne, mais j’avais envie de voir un peu de pays. » Il sourit. Min avait quand même laissé derrière lui un appartement de rêve et un travail bien payé pour s’exiler ici et tout recommencer de zéro, un geste nécessaire accompagné par son lot de difficultés. « Tu es ici depuis longtemps? Au fait, je voulais te demander. Mouse va bien? Il mange mieux? » Évidemment, il devait s’enquérir de son petit patient.

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Once, I was seven years old, my mama told me "Go make yourself some friends, or you'll be lonely". Once, I was seven years old. It was a big, big world, but we thought we were bigger, pushing each other to the limits, we were learning quicker. By eleven, smoking herb and drinking burning liquor, never rich, so we were out to make that steady figure. • lukas graham | gifs: conjuring, rampld

« Ça fait presque 18 ans depuis la dernière fois qu’on s’est parlé. Sachant que j’avais 18 ans à l’époque, c’est une vie entière… » De surprise, Sid écarquille un peu les yeux. Bien sûr, il savait que des années s’étaient écoulées, mais il ne s’était pas rendu compte qu’autant de temps était passé. Dix-huit ans, une petite éternité, depuis leur dernière conversation… Il n’aime pas y repenser, gêné par le souvenir de cet échange où il s’était mis les pieds dans les plats en suggérant que Min pouvait, lui aussi, avoir envie d’embrasser l’un des garçons mignons qui peuplaient leur école. Il a vite regretté de l’avoir fait, surtout qu’il a appris à la dure ce jour-là qu’il vaut mieux éviter de spéculer sur l'intimité des gens, même si on a de bonnes intentions. S’il la comprenait, la réaction de Min l’avait profondément blessé. Que son ami parte en claquant la porte sur le coup de l’émotion était une chose, mais qu’il refuse de lui reparler par la suite en était une autre. Il a longtemps conservé une certaine rancune envers Min, ne lui a jamais tout à fait pardonné d’avoir disparu du jour au lendemain de sa vie. Il avait si peu d’amis à cette époque qu’il pouvait les compter sur les doigts de la main, et cruellement besoin de soutien même s’il se gardait bien de le communiquer. Si aujourd’hui il ne lui en veut plus, les années ayant fini par adoucir sa peine, il ne peut s’empêcher de se demander pourquoi leur amitié s’est terminée ainsi. Sa remarque était certes maladroite, mais le châtiment lui avait toujours semblé bien plus grave que le crime.

Cependant, il n’a pas envie de s’attaquer directement à un sujet aussi délicat. Il se contente donc de poser une question plus simple, à laquelle Min répond sans hésiter. « J’ai aménagé en juin de l’année dernière. J’adore Melbourne, mais j’avais envie de voir un peu de pays. » Il acquiesce d’un hochement de tête entendu, même s’il ne le comprend qu’à moitié. C’est qu’en dépit de sa curiosité et de sa soif d’apprendre, il est plutôt casanier, du genre à ne pas trop vouloir s’éloigner de chez lui et à profiter de ses vacances sur son balcon. Il a quitté Melbourne parce que les rues de son enfance le suffoquaient, n’y est retourné que pour renouer avec son passé et le faire découvrir à son Aisling. Si un jour Brisbane lui devenait hostile, il lèverait sans doute les voiles vers d’autres horizons, mais pour l’instant, aucune envie d’ailleurs ne l’habite. « Tu es ici depuis longtemps ? Au fait, je voulais te demander. Mouse va bien ? Il mange mieux ? » Sid sourit, à la fois touché par l’intérêt sincère de Min pour son petit patient, mais aussi amusé de le voir se rabattre au plus vite sur le seul sujet véritablement sans risque qu’ils pourraient aborder. « Il va vraiment mieux, c’est le jour et la nuit. Il a recommencé à manger et à jouer. Les antibiotiques fonctionnent à merveille. » Bien sûr, les administrer n’est pas toujours une partie de plaisir. Comme tous les chats, Mouse est têtu. Heureusement, Sid a découvert que s’il camoufle la dose dans une gâterie, le félin consent à avaler le médicament sans trop se plaindre. Il ne lui reste plus qu’à espérer que la technique marche jusqu’à la fin du traitement.

Il se redresse dans son fauteuil, pianote du bout des doigts sur l’accoudoir. « De mon côté, ça doit bien faire quinze ans que je suis ici. Un peu plus même. » Il se mord la joue, regrette vaguement de ne pas s’être concentré plus longtemps sur l’état de santé de Mouse. « Je suis parti de Melbourne après la mort de ma mère. » Il fronce légèrement les sourcils en songeant que Min n’a sans doute jamais rien su de ce qu’il vivait à la maison. Il y avait bien quelques signes, à commencer par ses parents qui n’étaient jamais là pour l’encadrer ou encore la fatigue qui lui alourdissait trop souvent les paupières pendant leurs séances de tutorat. Cependant, il s’est bien gardé de raconter les détails à qui que ce soit, pour protéger sa petite sœur, mais surtout parce qu’il avait honte de sa famille et de leur dynamique malsaine, si différente de celle des familles heureuses qu’il voyait autour de lui. Si Min se plaignait parfois de la pression que lui mettaient ses parents et de leur rigidité, Sid ne pouvait s’empêcher de l’envier.

« Elle est morte d’une overdose. Ça faisait des années qu’elle combattait des problèmes de consommation et ils ont fini par avoir raison d’elle. » Il s’éclaircit discrètement la gorge, tente de chasser l’émotion qui s’y est tapie comme un chat. « J’imagine que tu en avais peut-être entendu parler à l’époque. Il y avait des rumeurs qui couraient à l’école… » Les potins s’étaient mis à circuler sans qu’il ne sache qui les avait lancées. Il n’a jamais trop essayé de les combattre, conscient qu’il risquait surtout de jeter de l’huile sur le feu s’il niait trop. Du reste, il n’avait pas l’énergie de se concentrer sur l’opinion de ces adolescents dont il n’avait rien à faire. « J’ai quitté Melbourne juste après les funérailles. J’ai acheté un billet de bus pour une destination au hasard. J’ai abouti ici, à Brisbane, et j’y ai fait ma vie. »

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@Sid Bauer

Malgré les efforts pour détendre l’atmosphère, l’inconfort était palpable. Autour d’eux, les gens ne leur prêtaient pas attention. Il y avait des étudiants le nez collé à leur écran de portable, d’autres plongés dans un livre en sirotant leur énième tasse de la journée. Puis il y avait eux qui essayaient l’un et l’autre de reconnecter des souvenirs vieux de pratiquement vingt ans avec le visage sous leurs yeux, différents, mais aussi semblables. Et si le temps avait adouci bien des choses, il n’avait pas tout effacé et Min était surpris par la netteté avec laquelle lui revenait leur dernière conversation, tous les mots qu’il a pu dire et qu’il a pensés à son plus grand regret. La peur l’avait fait parler ce jour-là, faisant passer une simple blague pour une accusation. Rien d’étonnant à ce que la conversation avance à tâtons sur un terrain aussi neutre que possible. « Il va vraiment mieux, c’est le jour et la nuit. Il a recommencé à manger et à jouer. Les antibiotiques fonctionnent à merveille. » Min acquiesça, satisfait d’entendre ça. Administrer des médicaments à un chat était toujours difficile. Il existait des alternatives, des antibiotiques à administrer sous forme de vaccins dont les effets duraient jusqu’à quelques semaines avec une seule dose, mais parfois, les comprimés étaient inévitables. Min montrait à tous ses clients comment leur donner les médicaments le plus efficacement possible, mais les maîtres avaient souvent peur de blesser leur chat ou encore de les frustrer, s’attirant une vengeance de leur part. Min n’avait jamais cru qu’un chat puisse effectivement éprouver de la rancœur jusqu’au jour où Saja entra dans sa vie. « J’aime entendre ça » , dit-il un faible sourire sur les lèvres. « Même s’il va mieux, c’est important de lui donner les antibiotiques sur toute la durée prescrite. Et n’oublie pas de lui brosser les dents. Ça va t’éviter des problèmes plus tard. » Brosser les dents d’un chat était aussi difficile que de lui donner des médicaments. C’est pourquoi les propriétaires les négligeaient souvent jusqu’au jour où on leur annonçait qu’un détartrage était nécessaire, voire l’extraction des dents. Tout cela avait des coûts conséquents.

« De mon côté, ça doit bien faire quinze ans que je suis ici. Un peu plus même. Je suis parti de Melbourne après la mort de ma mère. » Min-Kyung regarda Sid, surpris par la nouvelle. Quinze ans… Donc pas si longtemps après leur dernière conversation. Min n’a jamais connu sa mère. Et l’inverse aussi, il n’avait jamais invité Sid chez lui, sachant que ses parents ne l’auraient pas apprécié. À l’époque, si Min pouvait s’éviter des crises inutiles, il le faisait, surtout quand ça concernait ses parents. Seule sa sœur Doo-na savait pour Sid, mais uniquement parce qu’ils étaient du même âge, donc dans les mêmes classes. « Je suis désolé » , souffla Min en réalisant que le silence s’étirait depuis un peu trop longtemps. « Mes condoléances… » Il était quinze ans en retard, mais ça lui semblait être la bonne chose à dire. « Elle est morte d’une overdose. Ça faisait des années qu’elle combattait des problèmes de consommation et ils ont fini par avoir raison d’elle. » À ça, Min ouvrit la bouche, mais aucun mot n’en sortit. C’était un sujet encore sensible comme le trahissait la note d’émotion dans la voix de Sid. Quoi dire à ça? Sid ne lui avait jamais parlé de ses problèmes à la maison. Il savait que c’était compliqué, mais pratiquement tous les adolescents ont des relations compliquées avec leur famille. Évidemment, il y avait des rumeurs. Lorsqu’un jeune sort du lot comme Sid à l’époque, elles sont inévitables. Min ne prêtait pas attention aux rumeurs sauf si elles parlaient de lui. Il était tellement obsédé à l’idée que les gens puissent découvrir qu’il était attiré par les garçons. « J’imagine que tu en avais peut-être entendu parler à l’époque. Il y avait des rumeurs qui couraient à l’école… »

Min cligna des yeux. « J’ai entendu des histoires » , confirma-t-il en pinçant les lèvres. « Pas mal de choses ont été dites sur toi, mais je te connaissais suffisamment pour savoir qu’au moins la moitié était fausse. Je n’y accordais donc pas trop d’importance. Je croyais que si les choses allaient aussi mal, tu m’en parlerais. Cela dit, je ne sais pas ce que j’aurais pu faire pour t’aider si tu t’étais confié à moi. Nous n’étions que des adolescents à l’époque. Je suis désolé que tu aies traversé tout ça. Je suppose que je n’étais pas un très bon ami… » Avec ce qu’il lui avait dit lors de leur dernière conversation, il ne l’était certainement pas.

« J’ai quitté Melbourne juste après les funérailles. J’ai acheté un billet de bus pour une destination au hasard. J’ai abouti ici, à Brisbane, et j’y ai fait ma vie. » Min se mordit la lèvre. « Je comprends le sentiment, l’envie de partir sur un coup de tête. Un mois avant mon déménagement à Brisbane, je ne savais pas que j’allais atterrir ici. » Il sourit tristement en repensant au moment où il avait pris sa décision. « Tu as l’air en pleine forme en tout cas. Je suis content de te revoir et j’espère que tout va bien maintenant. »

Le silence tomba une fois de plus. Min s’agita sur sa chaise, inconfortable. Ils avaient atteint un point de leur conversation où il était impossible d’aller plus loin sans adresser ce qui était arrivé dix-huit ans plus tôt. Il pourrait parler des tatouages de Sid. Il n’en avait pas à l’époque et ça piquait sa curiosité, mais ça serait évident pour tout le monde qu’il ne cherchait qu’à gagner du temps. Min lui devait une explication, même si elle était douloureuse et que ça ne changerait rien à ce qui était arrivé. Il avait juré qu’il ne se cacherait plus.

« Je crois que je te dois des excuses. » Min but une gorgée de café, profitant de ce moment pour rassembler son courage. « Ce que j’ai dit… Je n’aurais pas dû dire ça. Le truc… » Il inspira profondément. « Tu avais raison, j’aurais aimé embrasser les beaux garçons de l’école... » Peu importe le nombre de fois qu’il le disait, ça ne devenait jamais plus facile. Pire encore, le dire à Sid le ramenait dix-huit ans en arrière et aussi terrifié qu’à l’époque. Sauf qu'à ce moment-là, il n'aurait jamais pu le dire. Alors oui, c'était un peu mieux.

(#)Mar 3 Sep 2024 - 3:08

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« J’ai entendu des histoires. » Sid se retient de grimacer, pas surpris par la confirmation de Min. S’il essayait d’éviter les rumeurs à son sujet, il y en avait tellement qui circulaient au sujet des autres qu’il aurait été bien naïf de s’imaginer à l’abri. « Pas mal de choses ont été dites sur toi, mais je te connaissais suffisamment pour savoir qu’au moins la moitié était fausse. Je n’y accordais donc pas trop d’importance. » Cette preuve d’amitié le touche plus qu’il ne voudrait l’admettre. Il laisse toutefois un sourire discret s’étirer au coin de ses lèvres, qui s’efface pourtant rapidement lorsque Min ajoute : « Je croyais que si les choses allaient aussi mal, tu m’en parlerais. » Se confier à autrui, ça n’a jamais été sa force. Son enfance lui a fait comprendre qu’il ne pouvait compter que sur lui-même. Encore aujourd’hui, il réapprend à interagir avec les autres et à accepter que, s’il demande de l’aide, des gens seront prêts à lui tendre la main. C’est loin d’être parfait. Il a toujours tendance à se replier un peu trop sur lui-même ou à essayer de tout régler de son côté, mais il a tout de même l’impression d’avoir fait des progrès, surtout depuis qu’Aisling est dans sa vie. « Cela dit, je ne sais pas ce que j’aurais pu faire pour t’aider si tu t’étais confié à moi. Nous n’étions que des adolescents à l’époque. Je suis désolé que tu aies traversé tout ça. Je suppose que je n’étais pas un très bon ami… » Il s’empresse de secouer la tête, le cœur serré. « Ne dis pas ça. Si tu n’en as jamais rien su, c’est parce que je ne voulais pas en parler. Tu ne pouvais pas savoir… » Et, du reste, Min avait ses propres problèmes, comme tous les adolescents. Même si Sid lui avait tout raconté, ça n’aurait rien changé à la tournure des événements.

Alors il passe à un nouveau sujet, résume en quelques mots son arrivée à Brisbane et comme il a choisi d’y rester. « Je comprends le sentiment, l’envie de partir sur un coup de tête. Un mois avant mon déménagement à Brisbane, je ne savais pas que j’allais atterrir ici. » Il n’en faut pas plus pour piquer la curiosité de Sid, qui se demande ce qui a provoqué son départ. Un événement en particulier, comme ça avait été le cas pour lui, ou une accumulation de petites choses qui, à force, lui ont donné envie de voguer vers d’autres horizons ? Ou alors peut-être n’était-ce qu’une soif d’aventure à laquelle il a enfin cédé. « Tu as l’air en pleine forme en tout cas. Je suis content de te revoir et j’espère que tout va bien maintenant. » Il acquiesce d’un hochement de tête. « Ça n’a pas toujours été facile, mais je vais bien. J’suis heureux surtout, plus que je ne l’avais été depuis des années. » Bien sûr, Aisling n’est pas étrangère à ce bonheur. Après des années à courailler à gauche et à droite, à accumuler les coups d’un soir ou les histoires sans lendemain, il découvre le plaisir d’aimer et d’être aimé, d’enfin laisser quelqu’un traverser les barrières qu’il avait dressées autour de son cœur pour se protéger.

Le silence retombe. Sid en profite pour tremper les lèvres dans son café et savourer les notes amères du breuvage, qu’il boit noir pour mieux apprécier toutes ses subtilités. Il pourrait relancer la conversation, demander à Min-Kyung pourquoi il a décidé de quitter Melbourne ou, pour faire écho à ses propres pensées, s’il a lui aussi le bonheur de partager sa vie avec quelqu’un. Mais avant qu’il n’ait eu le temps de reprendre la parole, c’est son ami qui le fait. « Je crois que je te dois des excuses. » Il n’a pas à s’interroger sur la raison de ces excuses. L’estomac noué tout à coup, il remercie néanmoins Min d’avoir eu le courage d’abord le sujet qu’ils évitaient tous les deux depuis que leurs regards se sont croisés dans la salle de la clinique vétérinaire. « Ce que j’ai dit… Je n’aurais pas dû dire ça. » Il découvre avec stupeur qu’en dépit des années qui se sont écoulées depuis la conversation fatidique, il avait besoin de ces excuses, comme si elles venaient à retardement mettre un baume sur la blessure qu’il a trop longtemps traînée avec lui. « Le truc… » Sur les traits fins de Min se peint un soupçon d’hésitation, comme s’il se préparait à avouer un secret qu’il aurait préféré ne pas révéler. Sid s’efforce en retour de garder une posture et un visage ouverts, comme pour l’encourager silencieusement. « Tu avais raison, j’aurais aimé embrasser les beaux garçons de l’école… » La confidence le surprend moins qu’elle ne le devrait. Principalement parce qu’au fil des années, à force de réfléchir à ce qui s’était passé entre eux, il avait fini par conclure qu’il n’y avait que deux possibilités pour expliquer la réaction de Min. Ou il s’était fâché parce que la remarque de Sid était vraie et qu’il n’était pas encore prêt à l’assumer, ou il s’était fâché parce que le commentaire était faux et que l’idée qu’on puisse lui prêter une assurance pour les hommes l’avait insulté. Or, il n’avait jamais fait le moindre commentaire désobligeant sur le sujet devant lui. C’est tout juste s’il semblait mal à l’aise lorsque Sid mentionnait son dernier coup de cœur masculin. La logique voulait donc que la première possibilité soit la plus plausible. Une théorie qu’il n’avait bien sûr jamais eu l’occasion de prouver… avant aujourd’hui.

Min paraît troublé, les doigts crispés autour de sa tasse. Touché, Sid se penche vers lui et recouvre sa main de la sienne, la presse affectueusement. Il sait bien que son ami n’a jamais été aussi tactile que lui, mais c’est plus fort que lui, il a toujours aimé transmettre son amitié de cette façon. « Merci de me l’avoir dit, » confie-t-il en se redressant. Il inspire à son tour. Tant qu’à aborder le sujet, autant le creuser à fond jusqu’à ce qu’il ne reste plus de zones d’ombre. « Je te dois des excuses aussi. » Il cherche un instant ses mots en faisant tourner la bague en forme de crâne qu’il porte à l’index. « Pour moi, c’était… simple. J’aimais les filles et les garçons, c’est tout. C’est un truc que je savais depuis très longtemps et qui ne m’a jamais dérangé. » C’est qu’il a toujours eu l’âme d’un rebelle contestataire et, lorsqu’il a compris que sa bisexualité le différenciait de la population générale, il l’a acceptée sans jamais se poser d’autres questions. D’ailleurs, ses parents ont accueilli la nouvelle avec une impassibilité impressionnante. Adele s’était contentée de lui sourire en lui tapotant la joue, à moitié dans les vapes. Randy, lui, aussi motard et vieux jeu soit-il, avait semblé bien plus offensé par le vernis à ongles et la teinture à cheveux noire qui tachaient l’évier de la salle de bain que par la possibilité que son fils ramène un jour un homme à la maison. « La dernière chose que je voulais, c’était te brusquer ou te blesser. Je n’avais juste pas compris que ça pouvait être difficile à vivre pour d’autres personnes. » Plus léger à présent qu’il a eu l’occasion de s’expliquer, il hausse un sourcil complice. « Alors, tu as trouvé de beaux garçons à embrasser depuis ? » Il espère ainsi encourager son ami à se confier si le cœur lui en dit, maintenant que plus aucun secret ne les sépare.

@Ho Min-Kyung a coffee cup and a catch-up • min-kyung 1949770018

(#)Mer 4 Sep 2024 - 2:35

@Sid Bauer

Min-Kyung était heureux d’apprendre que Sid allait bien. Malgré toutes les difficultés sur son chemin, il avait réussi à passer au travers et à trouver le bonheur qu’il méritait amplement. Sid avait toujours été le garçon différent des autres. Évidemment, ça lui attirait bon nombre de moqueries de ses camarades. Pourtant, il était toujours resté fidèle à lui-même avec son regard pétillant et son sourire facile. Min comprenait aujourd’hui que c’était une façon pour lui de dissimuler ses problèmes et empêcher les autres d’être trop curieux. Min aurait aimé pouvoir l’aider, mais, effectivement, il combattait ses propres démons à l’époque, et les choses qui tourmentaient Sid dépassaient largement les compétences d’un adolescent, même avec une grande volonté. Il n’aurait pas su trouver les mots justes si Sid s’était confié à lui. Min ne croyait pas au destin, mais il restait convaincu que rien n’arrivait sans raison. Il ne saurait pas dire quelles forces obscures ont poussé Sid sur sa route dix-huit ans après leur dernière conversation, mais il en était heureux. Certes, ça le ramenait à l’adolescent terrifié qu’il était, mais c’était peut-être l’occasion de faire la paix avec lui-même en faisant la paix avec Sid. En plus, si quelqu’un pouvait le comprendre, ça serait lui. Ainsi, il s’excusa et si rien ne pouvait justifier son comportement, il lui donna la véritable raison derrière sa réaction explosive. Min attendit la réaction de Sid, le regard sur sa tasse. Une main se posa alors sur la sienne. Son premier réflexe fut de vouloir la retirer, il n’aimait pas qu’on le touche sans sa permission, mais il se contenta de fixer la main réchauffée par le café. Sa peur s’évapora à la manière des volutes de vapeur qui s’élevaient des tasses et il sourit faiblement. « Merci de me l’avoir dit. » « J’aurais dû te le dire plus tôt, mais j’avais l’impression qu’il était déjà trop tard et puis les années ont passé… » Les années ont passé et il avait cessé d’y penser. Ou plutôt, il avait rangé ça dans un coin de sa tête avec toutes les autres histoires désagréables auxquelles il préférait éviter de penser. « Je te dois des excuses aussi. » Min secoua la tête. Sid n’avait rien fait de mal. On ne devrait jamais attaquer quelqu’un pour une simple blague. « Pour moi, c’était… simple. J’aimais les filles et les garçons, c’est tout. C’est un truc que je savais depuis très longtemps et qui ne m’a jamais dérangé. » Et en ça, il admirait énormément Sid. La façon dont il avait embrassé sa différence était admirable. Min enviait son courage. Il aurait aimé pouvoir faire la même chose et ne pas se soucier du regard des autres. « Je t’ai toujours admiré Sid. Cette façon de t’assumer pleinement… J’aurais aimé être comme toi, être brave. J’étais terrifié à l’époque. Tu n’as pas idée à quel point ça me faisait peur. Pour moi, c’était impensable d’être gay. Sur ce point, tu es dans une meilleure position que moi, les filles t’attirent. Dans mon cas, pour en avoir fréquenté dans l’espoir que ça déclenche quelque chose en moi… J’étais incapable d’être affectueux spontanément. C’était toujours un effort… Je ne pouvais pas simplement me trouver une gentille fille et oublier l’autre aspect de mon désir. » Min pinça les lèvres, peu fière de cet aveu.

« La dernière chose que je voulais, c’était te brusquer ou te blesser. Je n’avais juste pas compris que ça pouvait être difficile à vivre pour d’autres personnes. » Min sourit faiblement. « J’ai tout fait pour que ça ne se voie pas. Je me cachais dans mes livres. Ça me donnait un prétexte pour refuser les invitations. » Il en recevait à l’époque bien qu’il fut un adolescent maigrichon loin de l’adulte d’aujourd’hui qui fréquentait les salles de gym. Il était particulièrement populaire chez les filles d’origine asiatique de leur école. « Quand tu as fait cette blague, j’ai paniqué. J’ai cru que tu avais deviné mon secret, alors j’ai réagi de la pire façon possible en te sautant à la gorge. L’adulte que je suis aujourd’hui comprend que j’aurais dû balayer la blague du revers de la main en répliquant avec une remarque du même genre… La peur fait faire des choses stupides. » Il but une autre gorgée de son café qui commençait à refroidir. Il se sentait un peu plus léger après avoir parlé, lui faisant réaliser que cette dispute l’avait affecté bien plus qu’il ne l’aurait imaginé, comme bien des choses dans sa vie. Malgré leurs différences flagrantes, Sid avait été son meilleur ami, une bouffée d’oxygène dans sa vie. Le perdre avait été difficile, surtout pour une histoire aussi puérile. « Alors, tu as trouvé de beaux garçons à embrasser depuis? » Le ton de Sid le fit rire. Il fini par acquiescer d’un signe de tête, rougissant légèrement. « À l’université… avec l’aide de beaucoup d’alcool. La première fois… Je n’ai qu’un vague souvenir du gars. Cela étant, toutes les histoires que j’ai eues sont restées cachées. Il n’y a jamais rien eu de sérieux, que des coups d’un soir. Ce n’est que tout récemment que j’ai eu enfin le courage de m’assumer. Quand je suis déménagé à Brisbane, je n’allais pas très bien. J’avais besoin de m’éloigner de ma famille. À trente-cinq ans, ne pas être marié, mes parents ne trouvaient pas ça normal. Du coup ils me présentaient un tas de filles au point que s’en était ridicule. Ici, j’ai rencontré ce mec… Disons que notre première rencontre ne laissait rien présager de ce qui allait arriver, mais c’est amusant comme la vie fait les choses parfois. Il est mon petit ami depuis quelques mois maintenant. Tout allait bien… jusqu’à ce que je décide de faire mon coming out à ma famille. » Min tourna la tête pour regarder les passants à l’extérieur. Il resta silencieux pendant un moment avant de reprendre d’une voix si douce qu’il donnait plutôt l’impression de se parler à lui-même. « Je sais que je ne devrais pas regretter, mais une part de moi préfèrerait ne pas l’avoir fait. Il y avait une raison pour laquelle j’avais si peur quand j’ai réalisé mon attirance pour les garçons… » Il ferma les yeux et inspira profondément avant de regarder Sid de nouveau. « Ça va aller. Les choses ne peuvent pas être pires de toute façon. »

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