(twelve happy spectators) Les enfants sont devant un dessin animé et j’anticipe que Sloan demandera ma présence d’ici cinq minutes à peine, mais ce sont au moins autant de secondes que je peux passer en tête à tête avec ma petite soeur sans avoir à me demander quelle tournure de phrase avoir pour qu’elle soit kid friendly. En leur absence, de telles pensées n’existent pas, et cela permet au moins aux cousins de passer du temps ensemble, surtout alors qu’ils n’ont pas réellement l’occasion de se voir le reste du temps. Il faut dire que je ne vois même pas Savannah moi-même, alors le reste coule de source sans que je n’aie à forcer le trait. « T’as lu toi aussi ? » Et de toute évidence, je ne parle pas du dernier livre à la mode, ni même de l’article de Dieu sait quel tabloïd soulignant la maladie de Kate Middleton. Cela n’a aucune importance pour moi et je pense que cela en a tout aussi peur pour ma sœur.

Nous n’avons pas le même avis sur beaucoup de choses mais, en cet instant, ce n’est pas même ce dont il est question. « Tu le savais ? » Est-ce qu’elle a appris la mort de Saül comme nous tous ? Est-ce qu’elle a appris la mort de notre putain de frère dans un putain d’article de journal, comme si personne en ce monde n’aurait pu nous en parler avant ? Comme si, lui le premier, n’aurait pas pu envoyer un simple message en disant au revoir de façon définitive ? Il a été lâche au point de se suicider, Saül, alors maintenant il n’y a plus rien venant de lui qui pourrait m’étonner. Il a été capable de bien d’autres choses avant ça que je ne peux pas cautionner d’aucune manière, et pourtant je ne l’ai jamais désavoué pour autant. Il est resté mon frère toutes ces années, après toutes ces fautes, après toutes les miennes aussi et nos disputes avec. Maintenant, il n’existe même plus.

Autour de nous, les personnes prennent place à droite et à gauche dans les différentes salles de cinéma, choisissant tantôt entre un film de science-fiction et tantôt le dernier film d’horreur à la mode. Savannah et moi avons nos billets pour des chiens qui sauvent le monde extraterrestre, ou quelque chose du genre - autant dire que je n’ai pas prêté une grande attention au synopsis donné. Ce n’était pas ma priorité en venant ici, et le choix du lieu se résume simplement à une question de confort pour nos deux fils. « Tu lui as parlé quand pour la dernière fois ? » Ca remonte à trop longtemps de mon côté, et je me déteste sincèrement pour cette raison. Pour ne pas avoir été capable de garder le contact avec lui, et pour ne pas avoir su anticiper la suite des événements et surtout la fin de ces derniers. J’aurais dû comprendre. J’ai toujours su comprendre plus ou moins ce qui se passait dans son esprit, mais pas aujourd’hui. Plus jamais, à partir de maintenant.