(dimension bunyip) Sa cravate est parfaitement ajustée, comme l’est son costume dans son entièreté. Après tout, il s’agit de la soirée du capitaine, si bien que chacun doit se mettre sur son trente et un, surtout les invités de marques tels qu’eux : ils seront scrutés, analysés. Ils n’ont pas le droit à l’erreur, même alors qu’ils ne sont pas ceux qui feront un discours, contrairement à leur capitaine bien aimé qui mène à travers les flots le Narelle pour sa croisière anniversaire. C’est grâce à lui qu’ils ont tous eu la chance impossible de découvrir la vie sur un tel bâtiment, une telle splendeur d’architecture autant que de décoration. Ils sont bien chanceux, et Swann est bien le premier à l’avouer sans aucune retenu ni aucun mal : il le sait et il tente justement de rendre la pareille autant que possible, même si rien ne saurait être équivalent à une invitation d’une telle importance pour lui et son époux.

« Tu as perdu ta femme ? » Il avance vers Ezra en même temps qu’il lui tend une coupe de champagne. Elle était réservée à Rory mais puisqu’il l’a perdu de vue, il pense que l’autre homme en fera un bien meilleur usage dans l’immédiat. Un usage semblable à celui de l’anglais qui en boit déjà la moitié, ce qui équivaut à ni plus ni moins qu’une gorgée. « J’ai perdu mon mari aussi. » Il avoue, les deux hommes se retrouvant sans doute un bien perdu dans un tel navire. Après tout, Ezra est présent grâce à une invitation donnée à sa femme et Swann l’est grâce à une invitation donnée à Rory, si bien qu’ils sont tous deux les plus un des personnes dont ils partagent le nom autant qu’une alliance. « Première fois sur un bateau ? » Ce monde n’est pas le leur, à eux deux, mais Ezra pourrait toujours l’étonner sur n’importe quel sujet ; c’est ce qu’il a au moins appris à le côtoyer durant toutes ces années. « On dit du discours qu’il sera grandiose. » Ce qui rend Swann d’autant plus curieux, lui qui ne comprend pas comment un discours peut justement être qualifié de grandiose.

(dimension bunyip)

« Tu as perdu ta femme ? » Le regard autant que l’attention d’Ezra furent attirés par la voix qui semblait s’adresser à lui. Laissant la salle bondée d convives un instant, son regard se porta sur le jeune homme à ses côtés et la coupe de champagne qu’il lui adressait; il n’hésita pas un seul instant à l’attraper. « Merci. » Il ne disait effectivement pas non à une coup. « J’ai effectivement perdu ma femme oui, elle était partie saluer d’autres personnes qu’elle connait apparement, et avec la foule j’ai pas réussi à la suivre du regard. » Ce qu’il n’aimait pas trop, dans l’absolu, mais il n’avait pas le choix que de faire avec. « J’ai perdu mon mari aussi. » Il rétorqua dans un petit rire: « Il est peut-être avec ma femme du coup. » Ce qui était peu probable, mais passons.

« Première fois sur un bateau ? » Inspirant longuement, il finit par opiner du chef et par boire une longue gorgée de sa coupe de champagne. « Et dernière je crois. » Disons que l’expérience était… très mitigée, du côté d’Ezra. « J’ai le mal de mer depuis qu’on a levé l’ancre et c’est pas les remèdes que me donne ma femme qui font effet, alors je suis pas sur de remettre les pieds sur un navire de si tôt. » Boire du champagne n’allait pas aider, mais au moins il saurait pourquoi il serait malade. « On dit du discours qu’il sera grandiose. » Il plissa quelque peu le bout de son nez. « J’ai surtout entendu dire que le capitaine était en train de perdre la tête. » Il se pencha quelque peu en direction de Swann, pour ne pas que ses paroles puissent être entendues par d’autres. « Et que son discours va être grandiose justement parce-que ça risque d’être surtout n’importe quoi. »

« J’ai effectivement perdu ma femme oui, elle était partie saluer d’autres personnes qu’elle connait apparement, et avec la foule j’ai pas réussi à la suivre du regard. » Compatissant comme à son habitude, Swann hoche la tête au fur et à mesure qu’il écoute le récit de l’homme face à lui, quoique bref. Il n’a pas besoin de plus amples explications, après tout. L’avantage d’être sur un bateau est qu’ils sont certains d’arriver à tous se retrouver au bout d’un moment. « Il est peut-être avec ma femme du coup. » L’homme face à lui en rigole mais toute la politesse de l’anglais n’est pas suffisante pour lui tirer une réaction semblable, surtout alors qu’il n’est pas certain qu’il n’est pas en train de faire une blague graveleuse. Il se contente donc d’un sourire poli et d’un nouveau regard sur la foule face à eux, à la recherche du seul visage qui arrive naturellement à le faire sourire sans qu’il n’ait besoin de faire d’efforts.

« Et dernière je crois. » - « La traversée est rapide. » Il tente de se montrer aussi rassurant que possible, bien conscient que l’agitation des flots est parfois difficile à supporter pour le corps humain. « Je suis médecin, je peux peut-être aider. On peut aller voir ensemble ce que j’ai dans mon sac ? » Il propose qu’ils y aillent ensemble simplement pour ne pas ajouter leurs noms à la liste de toutes les personnes qui se sont déjà perdues de vue - sinon, il connaît évidemment le chemin jusqu’à sa cabine, tout comme il n’existe aucune sorte de sous-entendu dans ses mots. « J’ai surtout entendu dire que le capitaine était en train de perdre la tête. » - « Vraiment ? Comment ça ? » Il questionne, sérieusement interloqué par le sujet qui se trouve être soulevé par Ezra. Pour lui, le capitaine est une figure emblématique d’un navire, alors il ne peut décemment pas se retrouver dans une mauvaise passe comme semble le dire l’homme à ses côtés. « Qui est ce on ? » S’il s’agit d’un membre d’équipage ayant reçu pour ordre de débarquer dès leur prochain arrêt, alors cela ferait soudainement beaucoup de sens.

Bien sur qu’Ezra allait user, même s’il était un peu gras, d’humour dans cette situation tant il n’était pas à l’aise avec cette traversée en bateau; ce dernier bougeait de trop et sa femme y semblait elle trop à l’aise. « La traversée est rapide. » - « J’ai l’impression qu’on est partis depuis mille ans pourtant. » Il était quelque peu dramatique. « Je suis médecin, je peux peut-être aider. On peut aller voir ensemble ce que j’ai dans mon sac ? » Là où par défaut il aurait refusé, ne voulant pas se faire réprimer par sa femme par la suite, il finit finalement par étirer un petit sourire: elle n’avait qu’à rester à ses côtés si elle voulait surveiller. « Avec plaisir si ça vous dérange pas. »

« Vraiment ? Comment ça ? » Sur le chemin, Ezra lui fait part des rumeurs qui circulent depuis plusieurs heures au moins. « Qu’il entendrait des voix, et se mettrait à agir bizarrement. » Malheureusement, le capitaine du bateau était celui qui était supposé les garder tous dans le droit chemin: que se passerait-il s’il n’était plus apte à agir de cette sorte ? « Qui est ce on ? » Ezra plissa le bout du nez. « C’est ça le problème: un peu tout le monde. » Il attrapa avec fermeté le bras du jeune homme, l’attirant dans un recoin de la salle pour ne pas que d’autres entendent ses mots: il y avait déjà assez de rumeurs. « Certains mentionnent même une malédiction, et un monstre marin. J’ai pas envie de les croire parce-que ça a pas l’air joyeux, mais… » Etirant son cou pour être sur de pas être entendu, il reporta son regard sur Swann ensuite. « Et si c’était vrai ? Qu’est-ce qu’on fait si c’est vrai, hein ? »

« Et si c’était vrai ? Qu’est-ce qu’on fait si c’est vrai, hein ? » Swann sent la tension monter. La peur dans les yeux d'Ezra est palpable, mais il sait qu'ils doivent garder leur sang-froid. Ils n'ont pas le choix. « Peut-être qu’on pourrait essayer de parler au capitaine directement ? Ou vérifier ce qu’il se passe réellement ? » propose Swann. Mais il sait que ce n’est qu’une partie de la solution et que ce n’est qu’une façon pour temporiser toute cette situation à laquelle ils ne comprennent finalement pas grand chose.

En se dirigeant vers la cabine du capitaine, Swann s’assure qu’ils restent discrets. Il frappe doucement à la porte, puis plus fort lorsque personne ne répond. En ouvrant la porte, il voit le capitaine assis à son bureau, les yeux fixes, marmonnant des paroles incompréhensibles. L’anglais s’approche prudemment. « Capitaine ? » Ledit capitaine lève les yeux, et Swann peut voir une lueur étrange dans son regard. Une lueur qui n’a rien de naturel, et encore moins de normal. « Capitaine, pouvez-vous nous dire ce qui se passe ? » Il répète, tente, essaye de rester calme. Le capitaine cligne des yeux plusieurs fois, comme s’il luttait contre une force invisible.

« Le Bunyip…  Il est là… dans l’eau… il me parle… il nous veut… »

Le regard alarmé de Swann se déporte sur Ezra. Le Bunyip est une créature légendaire, un monstre aquatique redouté pour ses attaques violentes et sa capacité à semer la terreur ; des histoires qu’on raconte aux enfants difficiles. Des histoires pour les enfants, justement, et rien de véridique. « Il faut qu’on fasse quelque chose, » dit Swann fermement. « Si c’est vraiment le Bunyip, il faut le chasser avant qu’il ne fasse plus de dégâts. » Ils doivent s'armer de tout ce qu’ils peuvent trouver : harpons, couteaux de cuisine, bâtons de fer. N’importe quoi. Pour cela, ils ont besoin de toutes les forces à leur disposition, et pour cela il a donc besoin du soutien d’Ezra maintenant plus que jamais.

Il savait bien que de discuter de cette manière des on dit n’était qu’une autre façon de colporter les ragots; mais ces derniers étaient assez inquiétants pour être partagés, à ses yeux: et si le capitaine commençait réellement à perdre la tête ? Qu’allaient-ils faire ? « Peut-être qu’on pourrait essayer de parler au capitaine directement ? Ou vérifier ce qu’il se passe réellement ? » Pinçant ses lèvres un instant, Ezra finit par opiner du chef: ils se devaient de faire quelque chose dans tous les cas, et s’assurer si cette rumeur était vraie ou non pouvait être un bon début.

La cabine du capitaine n’était plus si loin que ça, mais lorsqu’ils arrivèrent devant personne ne répondit à la porte. Ils échangèrent un regard, avant que Swann n’ouvre la porte. « Capitaine ? Capitaine, pouvez-vous nous dire ce qui se passe ? » Le regard qu’il releva vers eux donna la chair de poule à Ezra: quelque-chose n’était pas normal, et quelque-chose surtout semblait se passer dans la tête du capitaine. « Le Bunyip…  Il est là… dans l’eau… il me parle… il nous veut… » Lentement, Ezra se mit à secouer sa tête de gauche à droite: les rumeurs seront donc en partie vraies, mais surtout elles seraient fondées sur quelque-chose de bien plus grave. Le regard que lui accorda le jeune homme à ses côtés lui indiqua qu’il n’était pas le seul à penser de cette manière. « Il faut qu’on fasse quelque chose. Si c’est vraiment le Bunyip, il faut le chasser avant qu’il ne fasse plus de dégâts. » - « Je sais. » Ils avaient tous entendu les mêmes histoires avant d’embarquer, malheureusement.

Jetant son regard aux alentours dans la cabine du capitaine, les yeux d’Ezra se posèrent sur un énorme bouton rouge. Il ne savait pas ce qu’il pouvait bien faire exactement, mais il se dit que son instinct ne pouvait avoir tort à ce point là si ce n’était pas ce pour quoi il semblait être destiné. « Il faut sonner l’alarme et avertir les passagers, que tout le monde se mette en sécurité. » Où, il ne savait pas tant ils étiage tous coincés sur le bateau, mais au moins ils pourraient tous rejoindre leur cabine pour commencer. Alors en faisant quelques pas pour l’atteindre, Ezra assena un coup contre le bouton, puis tira sur la corde qui descendit du plafond: n’importe quoi d’autre serait moins pire que de ne pas voir la menace venir, de toute manière.