ain't youth meant to be beautiful ?
Megan Williams & @Jo Carter ☆ crédit/ssoveiagifs

J’en veux toujours à Jo de m’avait abandonnée lors de l’enterrement de Charlie, surtout après m’avoir promis qu’elle serait à mes côtés du tout long et que je n’aurais pas à faire face aux proches de la blonde sans la chanteuse à mes côtés. Je lui en veux toujours, mais je tente de ne pas commettre l’erreur que j’ai commise avec la policière : rester fâchée avec les gens auxquels je tiens me terrorise à présent. S’il arrivait quelque chose à Jo alors que mes derniers mots à son égard ont été durs et méchants je ne me relèverais pas, pas cette fois. Le pardon n’est pas chose facile pour moi, mais le fait qu’il s’agisse de Jo aide : notre relation a souvent été faite de hauts et de bas. Et nous partageons un deuil et la douleur qu’il implique : je n’ai pas la force de lui tenir rigueur de quoi que ce soit et de lui faire la guerre sur cette base-là. J’ai trop besoin d’elle à mes côtés.

Je n’aurais pas dû proposer une activité normale, malgré tout. Je pensais que cela nous aiderait de nous balader entre les stands du marché artisanal de West End, mais j’avais tort. Les sourires de ceux qui n’ont pas perdu quelqu’un récemment m’agressent. Leur bonne humeur aussi. Le pire, c’est quand nous croisons des groupes d’amis : dans ces moments-là, mon cœur se serre. Pourtant je ne peux pas m’empêcher mon esprit de se diriger dans des directions douloureuses et dangereuses pour ma santé mentale. « Charlie aurait adoré ou détesté ces bracelets d’après toi ? » Je m’approche d’une étale et, du bout des doigts, je soupèse les breloques en perles accrochées à un présentoir. « Celui-là me fait penser à elle, ce sont ses couleurs. » J’hésite un instant, avant de relever les yeux vers la vieille vendeuse qui attend patiemment, sans nous mettre la pression pour que nous dépensions de l’argent sur son stand. Dans mon esprit, un fil disjoncte et je décroche le bracelet de son présentoir. « Je vais vous le prendre. » J’adresse un sourire dépourvu de chaleur à la vendeuse. Son attitude ou ses marchandises ne sont pas en cause : j’ai simplement du mal à sourire sincèrement et comme avant depuis la mort de notre amie. Damon dit que cela reviendra. Que j’ai besoin de temps pour faire mon deuil mais que j’arriverai à nouveau à être amusée, heureuse, excitée et légère comme je pouvais l’être avant. J’ai surmonté la mort de ma mère, certes, mais ce n’est pas vraiment la même chose à mes yeux. Perdre cette dernière m’a autant brisé le cœur que libérée, la faute aux sentiment ambivalents que je ressentais à son égard. « Je l’offrirai à sa mère. Ou je le garderai, je sais pas encore. » Je me sens obligée de me justifier auprès de Jo, alors que je jette un coup d’œil en biais dans sa direction tandis que la commerçante emballe soigneusement le petit bijou.

ain't youth meant to be beautiful?
@Megan Williams (crédit gif/sidearthgifs)

Megan lui en voulait toujours de l’avoir abandonnée lors des funérailles de Charlie, ce n’était pas bien difficile à deviner. Elle la voyait prendre sur elle, une décision très certainement portée par sa culpabilité suite à la manière dont elle avait géré son ultime dispute avec leur amie commune. Si Jo ne pouvait pas tout à fait se réjouir de rester à l’abri de la rancune de la jeune femme, elle était néanmoins reconnaissante qu’elle ne la bassine pas avec cet évènement douloureux. Elles avaient eu leur dose, un peu de répit ne leur ferait pas de mal. Jo avait été forcée de faire ce choix, il restait déchirant sur bien des points, elle n’avait pas envie de se justifier davantage à ce sujet, ayant fini par se convaincre qu’elle avait pris la bonne décision pour la famille de Charlie ; que sa certitude soit incitée par son besoin évident de ne pas culpabiliser davantage de son côté, ce n’était pas un détail aussi important que le reste. Ce qui l’était vraiment, c’était qu’elle avait fait ce qu’elle avait pu pour préserver l’intimité des proches de Charlie, et que cette dernière lui en aurait été reconnaissante sans minimiser à quel point ça avait été dur pour elle de renoncer à leur dernier au revoir.

L’optimisme n’était pas son fort, elle essayait pourtant de se raccrocher à l’espoir qu’elle finirait par s’en remettre, et que ce qui restait important, c’était les souvenirs qu’elle avait d’elle — elle connaissait la valeur réelle des souvenirs, là encore, elle se raccrochait à ça. Talonnant la blonde qui avait choisi leur activité du jour, Jo était relativement imperturbable, confrontée à la normalité d’un après-midi passé dans un endroit où elle ne s’était pas rendue seule depuis des mois maintenant. La sensation était étrange, elle ne se sentait pas tout à fait sereine, mais elle n’avait pas la foi d’en faire tout un plat, jetant des regards placides aux présentoirs sans s’y intéresser plus que ça, présente sans vraiment l’être, ses yeux dissimulés derrière des verres teintés qu’elle posa sur le bracelet que Megan était en train de lui montrer. La voix blanche, ses doigts venant eux aussi soupeser le bijou, elle lui dit en haussant les épaules "Ça fait cheap. Elle va adorer." Pas de pitié pour le travail de la pauvre vendeuse qui les regardaient échanger devant son étale et à qui Jo n’offrit pas l’ombre d’un regard, encore moins celui d’un sourire ; pas de pitié non plus pour Charlie dont elle parlait toujours comme si elles prévoyaient de la rejoindre dans une heure pour le lui donner, ce bracelet à la con. Megan se décida à l’acheter, Jo ne remit pas son geste en question, si ce n’est pour lui demander "Tu veux qu’elle en fasse quoi ?" Si elle choisissait d’en faire cadeau à la mère de Charlie ? Ça ne ferait que lui rappeler que sa fille ne le porterait jamais malgré le fait qu’il lui était destiné, et c’était un peu cruel, non ?

ain't youth meant to be beautiful ?
Megan Williams & @Jo Carter ☆ crédit/ssoveiagifs

J’aurais réussi à penser à Charlie – et au fait qu’elle n’est plus là – même si nous étions sorties traire des vaches, faire les boutiques et même si nous nous étions contentées de jouer à la console chez moi. Je vois Charlie partout, même dans les endroits où elle n’a jamais mis les pieds et n’a rien à faire. Je l’invite dans chaque conversation, même celles qui n’ont pas le moindre rapport avec la personne qu’elle était. C’est douloureux de parler d’elle au passé. Mais je crois que c’est encore plus douloureux d’entendre Jo parler d’elle au présent comme si elle allait ramener ses petites fesses plates au marché de créateurs de West End d’une minute à l’autre. « Ça fait cheap. Elle va adorer. » Je tique, et un soubresaut agite mes doigts qui caressent les perles du bracelet. Elle n’adorera plus rien, Charlie. Elle n’adorera plus les couleurs vives, les bijoux trop cheap, les endroits comme celui-ci où tout le monde parle fort mais pas pour s’engueuler et les cocktails trop sucrés. Elle est partie et, moi qui commence à peine à comprendre la vie, je dois à présent comprendre la mort aussi. J’ai perdu ma mère, mais sa vie était suspendue à un fil depuis des années. La mort de Charlie ne fait aucun sens pour moi. Elle était à peine plus âgée que moi, belle, solaire, vivante. « Elle aurait. » Je n'ai pas envie de faire mal au cœur à Jo, mais j’ai encore moins envie d’avoir mal au cœur moi. « On était déjà venues ici avec elle de toute façon. C’est pas comme si elle ratait quelque chose d’important. » Des étapes importantes, elle en ratera certainement des tonnes. Elle ratera le jour où Jo décidera de se jeter à l’eau et d’emménager avec son petit ami dont elle me parle à peine, comme si elle avait peur que je le lui vole, elle ratera le jour où Damon et moi apporteront de la compagnie à Bowie, que ce soit au travers d’un enfant ou d’un second chien, elle ratera le jour où Jo se laissera passer la corde au cou avant de se séparer de son mec, de se remettre avec lui et de se séparer à nouveau. Elle ratera la mort de ses parents, c’est déjà ça de pris. Mais elle ne ratera pas une journée lambda à flâner parmi les échoppes du West End Market, elle a eu son compte de ces dernières.

« Tu veux qu’elle en fasse quoi ? » D’un coup, alors que j’ai glissé un gros billet dans la main de la vieille artisane, Jo me fait douter. J’observe le ridicule petit bijou sous toutes ses coutures, pourtant persuadée il y a quelques secondes encore que je faisais un joli geste, quelque chose de gentil. « Elle pourra le mettre dans sa chambre. » Elle ne transformera pas la chambre de sa fille unique en débarras ou chambre d’amis. Je suis presque sûre que la pièce restera intacte, telle que Charlie l’a laissée la dernière fois qu’elle a rendu visite à ses parentes. « Elle en fera ce qu’elle veut. Mais elle verra que je suis là et que je continue à penser à elle. » J’étais là à son enterrement, moi. Et si je suis en partie motivée par ma culpabilité, j’aurais continué à accorder bon nombre de pensées à la blonde même sans ce désagréable sentiment. Elle était importante, alors elle aura son bracelet et des cadeaux d’anniversaire cette année, comme c’était prévu. « Son anniversaire approche en plus. Je me vois pas ne pas avoir d’attention pour elle, même si elle est plus là. »

ain't youth meant to be beautiful?
@Megan Williams (crédit gif/sidearthgifs)

Se faire reprendre sur l’emploi du présent par Megan, ça fit rouler des yeux sans rien dire à Jo. Elle aurait pu se défendre que c’était pareil pourtant, que ça ne changeait pas grand-chose de parler d’elle au présent ou au passé puisqu’elles s’appliquaient à la ramener dans toutes leurs conversations depuis qu’elle était morte. Elle trouvait ça ironique, que soudainement, elle était omniprésente alors qu’il y avait encore de ça quelques semaines, chacune faisait sa vie dans son coin sans juger bon être agglutinée l’une à l’autre. Elles avaient leurs petits moments, en duo ou en trio, mais elles n’étaient pas exagérément attroupée comme ces bécasses qui ne vivaient qu’au travers de l’opinion de leurs meilleures amies. Quand elle y pensait, ça avait le goût amer du proverbe qu’elle avait souvent entendu de loin : on ne se rend compte de l’importance des choses qu’après les avoir perdues. Ça s’appliquait à Charlie que Jo avait méprisé pendant des mois, mais à qui elle aurait été prête à donner un rein si ça avait assuré sa survie.

Elle ne ratait rien de particulier ici, c’est Megan qui le disait. Le temps était maussade, le chemin n’était rien de plus que celui qu’elles avaient déjà foulé ensemble à une époque, et le cadeau qui lui était réservé était à la hauteur d’un geste désintéressé pour marquer le coup d’une journée entre copines. Elle en avait des tas des bracelets comme ça dans ses tiroirs Charlie, elle n’en était pas moins heureuse quand on lui en offrait un nouveau, et y penser lui serra la gorge d’une façon suffisamment particulière pour qu’elle veuille pencher vers l’économie de mots. Jo n’avait pas envie de parler de toute façon, elle avait juste envie de faire plaisir à Megan dont les intentions étaient louables ; plus que ne l’était la réponse qu’elle lui accorda et qui suintait d’un double-sens qu’elle comprit aussitôt. Elle la regarda au travers de ses lunettes de soleil, faillit lui faire remarquer qu’elle n’avait pas appris sa leçon, et qu’alimenter des rancoeurs à l’encontre de ses amies, ça ne se terminait généralement jamais très bien, la preuve. Sentant qu’en soulignant grossièrement que son geste était destiné à montrer à la mère de Charlie qu’elle était toujours là et pensait à sa fille, elle lui faisait passer un message, Jo rongea son frein. Mais elle ressenti brusquement le besoin de s’écarter d’elle sans rien lui dire, parce qu’à son contraire, et aussi étrange que ça paraissait, elle, elle avait appris de ses dernières erreurs, et que le moment était mal choisi pour s’insurger à propos de quoi que ce soit.

Alors elle resta silencieuse encore un petit instant, arqua un sourcil en détournant son regard du profil de Megan pour se remettre à marcher. Disant à peine au revoir à l’artisane de l’autre côté de son échoppe, elle relativisa en sourdine l’idée que la blonde était à fleur de peau, et lui pardonna dans la foulée d’essayer encore et toujours de la faire culpabiliser de ne pas être allée à l’enterrement de Charlie "Tu veux organiser quelque chose ?" Pour l’anniversaire de Charlie qu’elle mentionnait soudainement "Je sais pas, un truc qu’elle aurait pu vouloir faire ce jour-là." Elle ne se demanda pas si c’était morbide, elle était persuadée que ça devait se faire, de célébrer la vie d’un proche défunt en faisant de sa journée d’anniversaire un hommage en petit comité "On pourrait partir quelque part où elle a toujours rêvé d’aller. C’est —" C’était, elle se corrigea elle-même dans le même temps "— bien le genre à faire des conneries de listes de choses à faire avant de mourir." Elle se laissa rattraper par ce qu’elle venait de dire, clignant des yeux, hébétée. Mais au lieu de s’y arrêter pour que ça prenne des proportions indésirables, elle avala la boule de tristesse qu’elle avait dans la gorge pour avouer à Megan "Je suis pas encore allée la voir."

ain't youth meant to be beautiful ?
Megan Williams & @Jo Carter ☆ crédit/ssoveiagifs

« Tu veux organiser quelque chose ? » Quelle drôle d’idée, pensé-je avant de songer qu’il n’y a rien de drôle dans tout ça et que le mot ne pourrait même pas être plus mal trouvé. Au prix d’une morsure appliquée contre l’intérieur de ma joue pour me museler, je me retiens de rétorquer à Jo qu’elle n’était pas venue la dernière fois que quelque chose a été organisé pour Charlie et que, dans ces conditions, j’ignore si je peux lui faire confiance pour ne pas me laisser tomber encore une fois. De toute façon, lorsque je parlais d’attention, je pensais à un cadeau, une babiole tout au plus, mais organiser une fête, une soirée ou une veillée – rayez la mention inutile – le jour de l’anniversaire de notre défunte amie est au-dessus de mes forces. Je voudrais que les choses soient différentes, pour Charlie et parce qu’elle aurait certainement détesté que tout le monde pleure sa mort plutôt que de danser de rire pour célébrer sa vie, mais je suis humaine et, par définition, faillible. « Je sais pas, un truc qu’elle aurait pu vouloir faire ce jour-là. » - « Quel genre de truc ? Tu penses à quelque chose en particulier ? » Je fronce les sourcils, soudain plus visiblement contractée et tendue qu’une seconde auparavant. "Ne proposes pas de veillée à la con, je t’en prie", la supplié-je en silence. « On pourrait partir quelque part où elle a toujours rêvé d’aller. C’est bien le genre à faire des conneries de listes de choses à faire avant de mourir. » Un peu trop tard pour ça, non ?

Charlie est morte, la tournure de phrase de Jo ne pourrait pas être plus maladroite et malheureuse, mais je me fais violence pour ne pas relever, m’énerver ou fondre en larmes, je ne sais pas trop. Je me concentre sur la proposition, le fond plutôt que la forme. « Je suis pas encore allée la voir. » Ma gorge se serre un peu plus. J’ai très envie de lui dire que Charlie n’ira de toute façon nulle part et qu’elle peut par conséquent continuer à prendre son temps pour faire ce qu’elle aurait dû faire le jour de l’enterrement de la blonde, mais j’use de mes dernières forces pour me rappeler que j’aime Jo de tout mon cœur, que l’amertume que je ressens n’est que le résultat de la détresse émotionnelle dans laquelle je suis depuis la date de mon anniversaire que je partage désormais à quelques heures près avec le décès de Charles. « Tu as le temps. » Ma douceur me surprend presque tant elle contraste avec tout ce que je ressens à l’intérieur depuis ces dernières semaines. « Elle t’en voudrais pas. Je crois que ça serait même pas important pour elle, l’endroit où tu décides d’aller lui dire au revoir. » Elle n’est plus que cendres dans une urne, Charlie, alors si Jo décide d’aller se recueillir au bord de la plage, dans une boîte de nuit ou en forêt plutôt qu’au cimetière, je doute qu’elle y accorde la moindre importance. Les enterrements sont pour les vivants et Jo a déjà fait faux bond à ces derniers. Cela me prend de me rappeler pourquoi elle a agi comme ça pour la rassurer et tenter d’apaiser son cœur endoloris de ces quelques mots. « Elle avait pas vraiment de bucket list. Dès qu’elle avait une lubie, elle la réalisait. » C’est en général le cas lorsqu’on a les moyens financiers pour réaliser le moindre de ses caprices. « Je crois que je voudrais juste qu’on passe la journée toutes les deux, toi et moi. Même si on a encore le temps de décider d’autre chose. » Pas de fête, pas d’hommage, pas de folie, simplement la promesse qu’elle sera là, cette fois.

« Je me sens pas très bien. » J’ai eu des crampes douloureuses toute la matinée, mais j’ai mis la douleur physique sous le coup de tout ce qui me torture l’esprit. « Tu veux bien qu’on s’assoie quelques minutes ? »

ain't youth meant to be beautiful?
@Megan Williams (crédit gif/sidearthgifs)

Jo haussa les épaules. Elle ne savait pas quel genre de plan mettre en place pour remplir la journée d’anniversaire d’une Charlie qui ne serait même pas vraiment là. Elle improvisait, elle n’avait pas le mode d’emploi pour ce genre de choses, si tant était qu’elle avait le mode d’emploi pour d’autres choses ; elle essayait simplement de faire ce qui lui semblait approprié pour vivre moins péniblement cette période qui s’étendait maintenant depuis des semaines, pesant sur son âme autant que sur celle de Megan qu’elle sentait triste, mais aussi tendue à cause du faux-bond qu’elle lui avait fait lors de l’enterrement de la blonde. Jo s’en voulait déjà assez pour ça, elle y pensait tous les jours. Elle n’avait pas besoin de sentir qu’on lui en tenait rigueur, qu’on la jugeait pour ça — c’était bel et bien là pourtant, et elle savait que dans une certaine mesure, ça briserait quelque chose entre elle et Megan de sentir que, si cette dernière en avait eu la force, elle lui aurait reproché d’avoir failli à sa promesse en ne se présentant pas à ses funérailles. C’était la première fois qu’elle l’avait trahie d’une certaine façon ; avant ça, elle avait pris soin de tous ses secrets, elle avait été là quand elle le lui avait demandé, quand on l’avait missionnée pour être à ses côtés, alors quoi ? N’avait-elle pas le droit à une marge d’erreur compte tenu des circonstances et de ce qui s’était passé sur le chemin de l’enterrement de Charlie ?

Elle se poserait la question plus tard, une autre lui traversant l’esprit alors que Megan tentait d’insuffler de la douceur aux paroles rassurantes qu’elle lui adressa après qu’elle lui eut avoué ne pas encore être allée visiter la tombe de Charlie. Elle ne put s’empêcher de trouver que ça sonnait faux "Tu le penses vraiment ?" Elle regretterait très certainement cette question. Seulement, même dans le deuil, Jo ne supportait pas l’hypocrisie. Elle était sûre de connaître un minimum le ressenti de Megan pour savoir que là, elle penchait pour ça, et ça ne lui plaisait pas, même si elle n’en ferait pas un scandale pour autant, trop asthénique, trop triste, pour vouloir se battre. La tête tournée de son côté, elle était soulagée de ne pas être forcée d’affronter de plein fouet son regard, le sien dissimulé derrière les verres de ses lunettes de soleil, méditant un instant sur les paroles de la jeune femme qu’elle ne releva pas à voix haute, occupée à chercher l’endroit le plus adéquat pour dire au revoir à Charlie qui, d’après Megan, se ficherait bien de tout ça. Elle resta silencieuse un moment, repensant à l’endroit où elles avaient fait une balade en sirotant des milk-shakes et appris un peu mieux à se connaître toutes les deux ; elle se dit que ce serait une occasion d’y retourner sans réussir à se convaincre que ça ne lui ferait pas de mal de le faire seule. Elle déglutit, sentant presque le goût de la vanille dans sa gorge, et puis elle se mordit l’intérieur de la joue en reprenant pieds auprès de Megan. Elle intercepta ses paroles dans la foulée "On a encore le temps de décider d’autre chose, ouais. Mais je serai là si c’est ce que tu veux." lui dit-elle, convaincue, mais comprenant d’emblée qu’elle aurait beau le lui jurer, Megan remettrait sa parole en doute parce que rien qu’une fois, elle avait dû faire un choix qui l’avait obligé à rompre celle qu’elle lui avait donnée d’elle-même.

Elle fronça les sourcils "T’es sûre que ça va ? On peut rentrer, je crois qu’on a fait le tour pour aujourd’hui." proposa-t-elle en entendant Megan lui dire qu’elle ne se sentait pas bien, qu’elle avait besoin de s’asseoir. Jo jeta un oeil aux alentours, et puis elle remonta ses lunettes sur le sommet de son crâne en la suivant de près. Constatant l’étendue d’une tache rougeâtre à l’arrière du pantalon de la jeune femme, elle n’eut pas besoin de beaucoup y réfléchir pour comprendre ce qui était en train de se passer. Sa veste était oversize, comme souvent, et Megan était peut-être un peu plus grande qu’elle, elle pourrait tout de même dissimuler cet incident avec son ourlet. Ça arrivait après tout, elles étaient des femmes, personne n’en mourrait. Jo retira sa veste, secouant la tête pour rassurer Megan vers qui elle s’avança par derrière pour la lui poser sur les épaules et lui dire, délicate et douce "C’est rien, avance. Je te couvre." Et effectivement, elles rentreraient maintenant, c’était une évidence que Jo trouvait salutaire sur le moment, se sentant doucement décliner en énergie.

ain't youth meant to be beautiful ?
Megan Williams & @Jo Carter ☆ crédit/ssoveiagifs

 tw fausse couche

« Tu le penses vraiment ? » Je fronce les sourcils, surprise qu’elle me demande confirmation de quoi que ce soit : Jo se passe généralement de l’avis des autres sur ses choix ou, en tout cas, elle se passe généralement du mien. Je suis honnête avec elle, pourtant. Je pense sincèrement que Charlie se moquerait bien de tout ça et ce n’est que d’elle qu’il est question, pas de moi ou de la façon dont j’aurais voulu me sentir appuyée et soutenue le jour de l’enterrement de notre amie commune. Je pense que Charlie se foutrait bien de savoir si elle a été incinérée ou inhumée, de la couleur de son urne ou de l’endroit où sa famille choisira de disperser ses cendres. Et ce que j’ai affirmé à Jo ne concerne que la blonde, pas moi ou ce que j’ai pu ressentir en me sentant seule et abandonnée malgré la présence de Damon à mes côtés. Alors, je hausse les épaules et je l’affirme à nouveau. « Bien sûr. » Je ne prétendrai pas que je ne mens jamais, tout comme je ne ferai pas mine d’être outrée qu’elle me sous-entendre capable de faux-semblant. Nous savons toutes les deux que je le suis, parfaitement capable de raconter des boniments. « Tu crois vraiment que ce genre de détail aurait été important à ses yeux ? » Elle la connaissait mieux que moi, après tout. Peut-être que la pousser à répondre à cette question elle-même finira de la convaincre de ma sincérité.

« On a encore le temps de décider d’autre chose, ouais. Mais je serai là si c’est ce que tu veux. » Je hoche la tête avec sourire triste aux lèvres. Je ne lui fais pas l’outrage de lui demande si cette fois elle fera ce qu’elle me dit qu’elle a l’intention de faire, si cette fois elle sera là ou pas. Mais je ne fais pas non plus de plans dans ma tête pour autant. Je me dis qu’on verra, que si Jo répond présente j’en serais sincèrement heureuse mais qu’il vaut malgré tout que je ne nourrisse pas trop d’espoir pour ne pas être déçue si une horde de paparazzi se frayait à nouveau un chemin entre elle et sa promesse. Je suppose que cela va de paire avec la vie qu’elle s’est choisie, ce genre de contretemps, mais je suis trop fatiguée et endeuillée pour choisir de me montrer vindicative à ce sujet.

Fatiguée, je le suis depuis ce matin et malgré une nuit de sommeil complète. En me levant, je me suis dit que mon sentiment de rester un peu ensuquée tenait certainement dans le fait d’avoir des heures de sommeil à rattraper à cause des cours et de l’université. C’est logique après tout, les crampes à l’estomac n’ont été jusque là qu’un désagrément à côté de mon état psychologique. « T’es sûre que ça va ? On peut rentrer, je crois qu’on a fait le tour pour aujourd’hui » - « Oui oui, je me suis levée fatiguée, c’est à cause des cours je pense, et je dors mal en ce moment. » Je secoue la tête et, lorsque Jo passe ses bras autour de mes épaules pour y déposer sa veste, je m’arrête, interloquée par son geste, et je fronce les sourcils. « Je… » - « C’est rien, avance. Je te couvre. » - « J’ai pas… » Je tourne la tête, à la recherche d’une tâche sur mon pantalon – il ne faut pas sortir d’Harvard pour comprendre son geste, pas quand on est une femme – mais sa veste fait l’affaire : je ne vois pas grand-chose. « J’ai pas mes règles. » Et je ne suis pas supposée les avoir tout de suite non plus.

Je me dirige vers un muret en brique sur lequel je m’assieds, grimaçant au moment ou mon corps se plie en deux. Je porte instinctivement une main sur mon abdomen et, assise, je jette un coup d’œil rapide entre mes cuisses pour constater que, oui, mon pantalon est en train de se tâcher de sang. Sauf qu’il se tâche vite, il se tâche beaucoup et si je n’arrive pas à formaliser la moindre pensée cohérente, je sais malgré tout que quelque chose ne va pas, que ce qu’il se passe n’est pas normal. « C’est beaucoup, non ? » Beaucoup de sang sur mon jean. « Je veux pas tâcher ta veste. » C’est à ça que je pense avant d’avoir une pense plus rationnelle. « J’ai super mal au ventre, t’as quelque chose à me filer ? » Un médicament, un calmant, n’importe quoi. Mon ventre se serre : la panique, certainement.

ain't youth meant to be beautiful?
@Megan Williams (crédit gif/sidearthgifs)

Les haussements permanents d’épaules de Jo étaient une extension de ce qu’elle ressentait en ce moment : tout, et pas grand-chose à la fois. De ce fait, ils étaient nombreux, réponse-type à tout et son contraire, n’ayant pas assez de mots pour expliquer quoi que ce soit tandis qu’elle n’avait aucunes vraie réponse à ses propres questions. C’est ce qu’elle offrit à Megan en échange de la sienne un nouveau haussement d’épaules. Elle ne savait pas ce que Charlie penserait de tout ça, elle ne savait pas ce qu’elle aurait voulu au fond et ça la torturait autant que le reste.

Elle passa son tour pour verbaliser quoi que ce soit, prenant le chemin d’un départ précipité par les crampes abdominales de Megan qui lui avouait être fatiguée. Elle s’en doutait, elle aussi l’était, et elle ne trouva rien à ajouter à ça si ce n’est un autre froncement de sourcils qui la mena à la toiser pour mieux se rendre compte de ce qui était en train de se passer… ou du moins, de ce qu’elle croyait qui était en train de se passer. La succession de gestes à faire était facile à appréhender, ainsi sans attendre, elle couvrit la jeune femme pour qu’aucun autre regard ne se porte sur l’étendue de sang qui imbibait le tissu de son pantalon qu’elle dissimula avec sa propre veste. Megan sembla contrite, Jo sut qu’elle devait garder la tête froide — ça lui arrivait de réussir "Je dirais pas comme toi. Mais c’est rien. Ça arrive avec le stress, tu sais." D’avoir de l’avance, d’avoir du retard. Le côté rationnel de Jo voulait trouver une logique implacable aux certitudes de la jeune femme qu’elle tenait par les épaules sans que ça ne lui attribue la moindre forme de réconfort, même quand elle se risqua à poser brièvement sa tête contre la sienne pour espérer la soulager de quelque chose, partageant sa douleur pour faire partie de la même équipe et savoir qu’une fois par mois, c’était une plaie, d’être une femme.

Mais c’était plus alarmant que ça sur le moment, elle le réalisa lorsque Megan eut besoin de s’asseoir et que ce simple geste sembla lui demander beaucoup d’effort. Jo baissa les yeux sur l’étendue des dégâts. Très subtilement, ils s’écarquillèrent lorsqu’il ne virent sur du rouge sombre, le pastel de la tenue de Megan rendant la scène presque horrifique au milieu de l’allée ensoleillée qu’elles remontaient péniblement. Jo le savait : tout ça n’avait rien à voir avec des règles abondantes et Megan elle-même s’en apercevait. Une barre de souci s’installa sur le front de Jo qui pêcha son téléphone portable dans la poche de la robe qu’elle portait. Remontant son sac sur son épaule, retirant ses lunettes de soleil de sa tête pour les fourrer résolument à l’intérieur, elle se mit à pianoter sur son écran "Tu peux pas conduire dans cet état. Je vais nous commander un taxi, d’accord ?" Elle lui posait la question dans l’espoir que la douceur qu’elle instilla dans le son de sa voix ne la fasse pas paniquer alors que de son côté, elle tachait de rester aussi maîtresse d’elle-même, son instinct lui disant que la meilleure solution, c’était de se rendre à l’hôpital ; elle ne lui en ferait pas la surprise, aussi après avoir passé son appel, regrettée pour la énième fois de sa vie de n’avoir jamais pris le temps de passer son permis de conduire en pensant que ça lui serait inutile, elle s’approcha d’elle. S’agenouillant juste devant ses genoux sur lesquels elle posa ses deux mains, elle chercha ses yeux, ne les lâcha pas quand elle lui dit doucement "On va aller à l’hôpital. Juste pour vérifier. C’est peut-être rien du tout." Mais c’est beaucoup, oui, se retint-elle se dire ne quittant pas ses yeux en espérant que ce qu’elle soupçonnait ne soit pas décelable dans le fond de ses iris "Tu peux te lever ?" finit-elle par lui demander, refusant sans lui dire de lui donner quoi que ce soit pour atténuer sa douleur, pas certaine du diagnostique — ne voulant pas faire pire que mieux, surtout "Je vais te nouer la veste autour de la taille, on y verra que du feu — j'en ai d'autres, elle me manquera pas." Mensonge commode, puisque ce n’était pas seulement l’arrière de son pantalon qui était tâché désormais, mais aussi le haut de ses cuisses, rendant le tableau aussi impressionnant que, dans un sourire qui se voulait rassurant, tenant la jeune femme d’abord par les épaules pour poser ensuite ses mains sur ses joues, emprisonnant quelques cheveux dans la manoeuvre, non sans que ce ne soit avec douceur, elle lui assura avec une conviction galvaudée par ce qu’elle redoutait, ce qu’elle avait compris "Ça va aller. Je reste avec toi." Et sans se laisser déborder par aucune autre émotion que son envie de ne pas abandonner sa copine cette fois, elle lui lâcha le visage pour nouer sa veste autour de sa taille.

ain't youth meant to be beautiful ?
Megan Williams & @Jo Carter ☆ crédit/ssoveiagifs

 tw fausse couche

« Je dirais pas comme toi. Mais c’est rien. Ça arrive avec le stress, tu sais. » Je veux bien la croire. Dans les faits, ça m’est même souvent arrivé et, si les choses ne s’étaient pas enchaînée si rapidement je n’aurais pas fait état de tout ça. Assez soumise aux dogmes de la société, je me serais empressée de cacher toute trace de menstruation, mais assez confiante en moi pour autant, je n’aurais pas rougi de voir m’arriver le genre de chose qui arrive à toutes les femmes à certainement beaucoup trop de reprise dans leur vie. Je ne me serais pas vraiment émue d’avoir tâché un jean quasi neuf – mes vêtements le sont souvent, pour être honnête – et j’aurais ris jaune avec Jo à propos de sa veste.

Sauf qu’une fois assise, je constate que Jo n’a pas rêvé et que la tâche rouge, en plus d’être bel et bien présente, s’étend rapidement. Trop rapidement pour que mon cœur ne rate pas un battement. Trop rapidement pour que je ne me vois pas menacer de tourner de l’œil, impressionnable que je suis. Trop rapidement pour que les contrariétés que je gardais avec moi jusqu’à il y a quelques minutes s’envolent d’un coup de baguette magique, remplacée par une véritable angoisse. « Tu peux pas conduire dans cet état. Je vais nous commander un taxi, d’accord ? » "Je vais tâcher la banquette du taxi, aucun chauffeur ne voudra de nous" est la première pensée qui me traverse l’esprit et je la trouve douloureusement ridicule. « Oui, je… Mais ma voiture, faudra que quelqu’un vienne la chercher. » Me soucier de ce genre de détail aussi, c’est ridicule. J’ose à peine baisser les yeux sur mon entrejambe et je n’ose certainement pas approcher mes doigts de mon jean ou de mes jambes : je les garde éloignés de mon corps comme si je risquais de m’électrocuter au contact du tissu de mon pantalon. « On va aller à l’hôpital. Juste pour vérifier. C’est peut-être rien du tout. » - « Tu crois vraiment qu’on a besoin d’aller à l’hôpital ? » Si ce sont des règles abondantes, je vais passer pour une idiote. Mais en moi, quelque chose sait que ce n’est pas ce dont il s’agit, la tâche s’agrandit beaucoup trop vite. « Je vais aller aux toilettes. Il doit bien y en avoir des publics par ici. » Ne devrais-je pas connaître par cœur la carte de la ville où j’ai toujours vécu ? « Je vais te nouer la veste autour de la taille, on y verra que du feu — j'en ai d'autres, elle me manquera pas. » - « Tu es su… » C’est une autre contracture douloureuse de mon bas ventre qui m’interrompt. Elle me fait contracter la mâchoire, avant de prendre une grande inspiration tandis que Jo pose ses mains de part et d’autre de mon visage, certainement pour me rassurer. « Ça va aller. Je reste avec toi. » - « C’est ridicule je… » Je fais rouler mes épaules pour me décontracter et me calmer.

« On devrait peut-être juste rentrer chez moi non ? Je pourrais prendre une douche et rester allongée, y’a des chances que ça finisse par passer tout seul. » Je n’y crois de toute évidence pas tout à fait, et une part de moi s’inquiète, l’autre voudrait être avec Damon pour qu’il prenne la décision pour moi. « C’est pas… Enfin, je suis probablement pas la première femme à qui ce genre de chose arrive, j’ai pas envie qu’on me reproche d’être allée aux urgences pour une broutille. » Une broutille qui, comme Jo l’a fait remarquer en me guidant vers le parapet où nous sommes installées, est certainement le résultat du stress et, si j’ose dire, de la détresse psychologique dans laquelle je suis depuis la mort de notre amie.

ain't youth meant to be beautiful?
@Megan Williams (crédit gif/sidearthgifs)

Certainement pour détourner son attention de ce qui était en train de se passer, Megan s’inquiétait de détails que Jo, elle, ignorait sans aucune culpabilité. Elle se foutait de la voiture de la jeune femme comme elle se foutait qu’on la juge d’envisager le pire alors qu’elle voyait du sang s’étendre sur le pantalon de son amie qui gardait bonne composition malgré tout. La brune ferait la même chose, elle n’était pas impressionnable. Elle avait peur pourtant, elle craignait que quelque chose qu’elle ne voulait pas voir arriver était en train de se passer, seulement elle garderait la tête sur les épaules et ferait ce qui n’était rien de moins que sa spécialité : prendre les choses en main, quoi que ça impliquait "Peut-être pas, peut-être que c’est pas nécessaire. Mais on va y aller quand même. Juste par précaution, ça coûte rien." lui répéta-t-elle, entendant Megan s’inquiéter cette fois de paraître ridicule de débarquer aux urgences pour des histoires de règles abondantes. Peut-être était-ce l’instinct féminin, peut-être était-ce l’éventualité que quelque chose de grave arrive à nouveau à l’une de ses amies qui la torturait sur l’instant en dépit de la bonne figure qu’elle tachait de garder, restant aussi neutre que possible en prenant soin de ne pas brusquer la jeune femme qu’elle voulait protéger, mais elle ne voulait prendre aucun risque, et tant pis si, d’une certaine façon, elle suréagissait.

Elle s’était occupée de sa grand-mère pendant de nombreuses années Jo, des virées à l’improviste à l’hôpital, elle en avait fait quelques-unes sans jamais avoir regretté d’avoir cédé à l’appel du doute ; et elle saignait tellement Megan, qu’elle savait au plus profond d’elle que là encore, elle ne regretterait pas d’avoir balayé l’éventualité d’un rien du tout. Ça ne pouvait pas être rien du tout, elle le sentait dans chaque cellule de son corps, dans les battements effrénés de son coeur qui manqua un battement lorsqu’elle remarqua que Megan contractait la mâchoire de douleur. Elle la rassura sans délai "Le taxi sera là dans quelques minutes, appuie-toi sur moi si tu veux, si ça t’aide." lui fit-elle après avoir noué sa veste autour de sa taille, pas convaincue par le rendu du tombé qui ne dissimulait pas grand-chose en vérité, mais c’était encore la seule solution qu’elle avait. Elle lâcha le visage de Megan après avoir replacé ses cheveux derrière ses oreilles, et puis elle jeta un regard furtif à son téléphone portable pour consulter rapidement l’heure en priant pour que cette putain de voiture arrive au plus vite. Elle regarda aux alentours, sans panique, mais consultant aussitôt ses options en terme de transports si jamais elle jugeait nécessaire de ne pas attendre qu’on vienne les chercher. Elle n’imposerait pas à Megan de se balader dans cet état dans toute la ville pour rejoindre l’hôpital, mais aurait-elle vraiment d’autres choix ? Elle pourrait appeler Marcus. Elle n’y pensa que bien plus tard, quand elles seraient déjà à l’hôpital ; à ce moment-là, elle n’y pensait même pas — elle était dans un autre monde, dans celui où elle n’était pas une privilégiée qui pouvait aspirer à se faire conduire là où elle le voulait d’un claquement de doigts, oubliant même que dans ce cas de figure-là, elle aurait eu tous les droits de faire un caprice dont elle seule avait le secret. Elle se concentra de nouveau sur Megan, secoua la tête de droite à gauche en lui disant "Hé, personne te reprochera quoi que ce soit, je suis avec toi." L’assurance dans sa voix refaisant résolument son apparition, elle réussit à se souvenir qu’elle était la plus à même d’exiger qu’on s’occupe une femme en détresse, peu importait que ce soit grave ou pas. Enfin, une voiture s’arrêta à leur portée. Jo en ouvrit la première portière arrière à la volée "Monte, ça ira avec la veste. Elle est épaisse, t’inquiète pas pour ça." Elle anticipa que Megan s’inquiète de souiller les sièges "Comment tu te sens, t’as mal quelque part ailleurs ?" lui demanda-t-elle en montant à sa suite et après avoir donné sa destination au chauffeur qu’elle interdit de s’offusquer d’un regard menaçant. Elle tourna la tête vers Megan, se rendit compte qu’elle-même lui tenait fermement la main ; beaucoup trop peut-être, ses jointures blanchies par la pression de ses doigts glissés dans la paume de sa main. Elle lui demanda "Tu veux que je prévienne Damon ?" Que lui dirait-elle exactement, si tel était son souhait ? Jo n’en savait rien. En revanche, elle savait que Megan n’aimerait que personne d’autre que lui soit à ses côtés, qu’importait ce qui se passait vraiment.

ain't youth meant to be beautiful ?
Megan Williams & @Jo Carter ☆ crédit/ssoveiagifs

 tw fausse couche

« Peut-être pas, peut-être que c’est pas nécessaire. Mais on va y aller quand même. Juste par précaution, ça coûte rien. » J’acquiesce, étrangement bien plus docile maintenant que je commence à être gagnée par la panique, même si je tente de le dissimuler du mieux que je peux. Aller à l’hôpital me fait peur mais, même si je tente encore de marchander – je n’arrive pas à encore à me discipliner et à accepter entièrement l’idée que quelque chose ne va pas, que c’est certain – je réalise doucement que j’ai plus peur encore de ne pas y aller. Mes saignements n’ont jamais été aussi importants. Mes saignements n’ont jamais été à moitié aussi importants. Je ne suis pas de ceux qui ont besoin de se soucier du montant des dépense allouées à la santé et je suis avec Jo, je ne suis pas seule, alors je tente de rester rationnelle, de me dire qu’il n’y a rien de terrifiant à l’idée d’aller consulter un médecin, juste pour être sure. « Le taxi sera là dans quelques minutes, appuie-toi sur moi si tu veux, si ça t’aide. » Jo noue sa veste autour de ma taille et, une main sur mon abdomen, je me redresse lentement. J’ai le sentiment d’être pliée en deux par un coup de poing permanent, un poids sur mon abdomen qui ne veut pas se lever. Toutefois, je mets un point d’honneur à tenir debout seule : je ne m’appuie pas sur Jo, je me contente de refermer mes doigts autour de son avant-bras pour chercher un peu de soutien et d’équilibre. « Hé, personne te reprochera quoi que ce soit, je suis avec toi. » Jo est assez féroce pour que cela soit plus qu’une phrase en l’air et, au contraire, que cela soit suffisant pour réellement me rassurer. Même un chauffeur de taxi ne résistera pas à sa détermination ; elle serait capable de tenir tête au premier ministre, pour ce que j’en sais. Alors, je tente d’esquisser un sourire, même s’il est un peu déformé par la douleur lancinante. « Le taxi t’a dit combien de temps il lui faudrait ? » Pour venir nous chercher.

J’ai l’impression d’attendre une éternité et, au-delà de la douleur, je me sens terriblement mal à l’aise dans mon jean poisseux. Mais la voiture finit par arriver et Jo ouvre la porte sans attendre une quelconque confirmation de la part du chauffeur, ou une autorisation de sa part. « Monte, ça ira avec la veste. Elle est épaisse, t’inquiète pas pour ça. » Je me rationnalise en me disant que j’ai l’argent pour dédommager le pauvre homme, au cas où il devrait avoir à faire nettoyer sa voiture après notre course. Damon signera la facture de nettoyer sans ciller ; encore une fois, l’argent n’est pas un problème. Non, le problème, c’est que j’ai terriblement honte. « Comment tu te sens, t’as mal quelque part ailleurs ? » - « Non, vraiment qu’au ventre. » Je chuchote, peu désireuse de partager quelque chose qui relève de ce genre de domaine là avec les oreilles de l’inconnu. « Tu veux que je prévienne Damon ? » Je secoue la tête sans avoir réfléchi à la question. Non, je veux Damon à mes côtés, mais je ne veux pas l’inquiéter pour rien. Il va se ronger les sangs et, si j’en crois ma dernière visite aux urgences, il se rongera les sangs pendant assez de temps pour que je désire le lui éviter. « Je le préviendrai quand je serais vue par un médecin. Je veux pas qu’il s’inquiète pendant des heures. » Je le lui éviterai tant que je ne présente aucun risque de souffrir de quelque chose d’une gravité exceptionnelle.

***

Aux urgences, je suis d’abord installée sur un brancard. Comme je le craignais, il va s’écouler un peu de temps avant qu’un médecin puisse me voir, mais un interne – ou ce qui doit être un interne puisqu’il semble ne pas être bien plus vieux que moi – vient me poser des questions, m’examiner brièvement et se prononce sur ce qu’il m’arrive, ce qui ne lui semble d’ailleurs pas si grave que ça, pas assez pour que je devienne une priorité aux yeux du personnel médical. Après m’avoir informée qu’un médecin gynécologue viendrait me voir le plus rapidement possible, il tire le rideau derrière lequel attend une Jo visiblement inquiète, avant de prendre congé. Je fais signe à la brune d’avancer d’un signe de la tête, l’air un peu hagard. « Tu peux tirer le rideau derrière toi ? » Il n’y a pas grand-chose à voir, mais je me sens vulnérable exposée aux yeux du reste des patients et du personnel médical. « Un médecin du service gynécologie va passer me voir quand il aura un peu de temps. Ça va être long je pense, t’es pas obligée de rester tout du long. » Je ne le lui glisse que par politesse : je n’ai aucune envie qu’elle parte. Je suis même terrifiée à l’idée qu’elle parte. « C’est une fausse couche. Le médecin doit confirmer mais… Il avait pas l’air d’avoir trop de doute. » Peut-être qu’il s’est avancé, peut-être pas : je ne suis pas médecin et suis uniquement capable de restituer ce qui m’a été dit tel que je l’ai compris. « Je fais une fausse couche. » Je le répète, atterrée et bouleversé par la banalité qui se dégageait de l’attitude de l’interne qui a posé ce semblant de diagnostic.  

ain't youth meant to be beautiful?
@Megan Williams (crédit gif/sidearthgifs)

Jo ne préviendrait pas Damon, elle respecterait la volonté de Megan dont elle ne lâcha pas la main jusqu’à ce qu’elles arrivèrent aux urgences. Elle régla leur course en taxi sans vérifier le montant, se positionna en porte-parole auprès de la responsable des admissions aux urgences qui, d’un regard, se figura de l’étendue des dégâts sur le bas de la silhouette de la blonde. Jo dut la lâcher en désespoir de cause, mais pas avant qu’elle soit bien installée sur un brancard qui fila avant même qu’elle ne s’en rende compte, ayant à peine le temps de lui assurer que tout irait bien, qu’elle l’attendait ; elle se retrouva là, comme la dernière des connes, avec sa veste souillée de sang sur les bras, ne sut pas quoi en faire, tout comme elle ne sut pas quoi faire de la succession d’évènements qui venaient de se dérouler. Elle savait juste que quelque chose de grave était en train de se passer, et parce qu’il n’y avait pas beaucoup d’options à envisager sur la question, elle s’attarda sur celle qu’elle soupçonnait en ressentant un pincement au coeur si violent qu’elle se sentit vaciller sur sa hauteur de talons ; avant de se sommer de ne pas se comporter comme une putain de gosse incapable de gérer ses émotions, consciente qu’elle n’avait pas à être plus atteinte que Megan qui était au coeur de quelque chose qu’elle n’avait visiblement pas venue venir. Elle se redressa immédiatement, presque trop brusquement, resta debout un instant dans le sas des urgences à ne pas savoir quoi faire, et fut rappelée à l’ordre par un membre du personnel qui lui demanda de dégager le passage au bout de quelques minutes. Elle obtempéra sans rechigner, puis elle demanda où se trouvait les toilettes, et ce davantage pour se donner un objectif à atteindre — les trouver — que de rester plantée là à traiter avec son impatience notoire pendant de longues minutes, pendant de longues heures.

Lorsqu’elle poussa la porte qu’on lui indiqua, elle remarqua que sa veste était effectivement plus que tachée de sang et qu’en la tenant contre elle, ça s’était transféré sur le corsage de sa robe qu’elle observa dans le reflet du miroir qu’elle avait devant elle. Elle ne supporta pas de regarder plus que quelques instants, et rageusement, elle fourra sa veste dans la poubelle. Elle se lava méticuleusement les mains en réalisant qu’au bout d’une quinzaine de fois, ça commençait à devenir obsessionnel, alors elle sortit de là après avoir péché son téléphone portable dans son sac pour envoyer un message à Charlie qui resterait sans réponse : Meg est en train de pisser le sang, ça lui a pas suffit de jouer dans le biopic d’un sportif raté, elle fait son attention whore en visant le remake de Carrie maintenant. Elle pressa la commande envoyer et se laissa tomber sur une chaise en fixant la porte qui faisait la liaison entre la salle d’attente des urgences et les boxes de consultations en se demandant comment elle ferait putain, pour gérer ce qui arriverait après ; et ce  après dura des heures. Ça ne loupa pas. Elle avait les jambes qui tressautaient d’impatience, le bout de ses ongles tapotant en cadence sur l’écran éteint de son téléphone qu’elle venait de mettre en veille après des échanges de messages avec Midas. Elle s’extirpa de sa chaise d’une poussée énergique, se dirigea vers le comptoir d’accueil avec les sourcils froncés, fort "Hé, je peux avoir des nouvelles ? Megan Williams ?" A quel point ça la ferait passer pour une salope de jouer de son statut de célébrité pour avoir un passe-droit et rejoindre sa copine de l’autre côté ? Elle se le demanda quand ses yeux bruns croisèrent ceux de la jeune femme à qui elle confirma d’un léger signe de tête et d’un murmure exagéré lorsqu’elle crut lire dans son regard qu’elle était sûre de la connaître, mais que ça restait à débattre — elle ne lui en laissa pas le temps : elle déverrouilla l’écran de son téléphone, fit en sorte de bien mettre en évidence la photo d’elle et de Midas qu’elle avait en guise de fond d’écran et ne ressentit aucune forme de honte quand, dans un silence relativement lourd, elle finit par se faire conduire auprès de Megan seulement quelques minutes après avoir accepté un selfie comme monnaie d’échange en exigeant que la tache de sang qu’elle avait sur son corsage ne soit pas visible sur le cliché, surtout si elle comptait la diffuser sur les réseaux sociaux.

"Bien sûr." Elle n’avait pas attendu que Megan lui dise de tirer le rideau derrière elle en vérité, elle l’avait fait aussi vite qu’elle s’était avancée à ses côtés pour écouter ce qu’elle avait à lui dire. Elle tairait les raisons derrière le privilège évident qu’elle avait de pouvoir être présente pour elle de ce côté des urgences, et secoua précipitamment la tête lorsque la blonde lui intima que ce serait encore long, qu’elle n’était pas obligée de rester. Jo posa son sac au bout de son lit "Je resterais même s’ils veulent me foutre dehors." Et ils ne le feraient pas, elle en était persuadée. Elle passa le visage de Megan au crible, soumit sa silhouette au même examen visuel, et remarqua qu’elle ne portait plus son jean mais une blouse dégueulasse qui elle avait avait fini par se tacher par endroit, tout comme l’alèse qu’il y avait sur son lit. Ça lui tordit le ventre tout autant que le diagnostique qu’elle partagea avec elle et qui collait au sens logique de Jo. Elle opina, pas de gaieté de coeur "Je sais." lui fit-elle seulement sans savoir quoi dire de plus que ça. Elle ne lui ferait pas l’affront de lui dire que ce n’était rien, que ça arrivait tout le temps, ne voulant pas être ce genre de personnes, qui défonçaient des portes ouvertes. Elle pouvait lui dire qu’elle était désolée, mais elle devait avouer que sur l’instant, ça se coinça dans le fond de sa gorge pour être remplacé par une émotion rentrée dont elle fit une force pour mieux s’approcher plus près du lit sur lequel Megan était installée et l’étreindre de côté, ses deux mains se joignant sur l’épaule du côté opposé à celle où elle avait posé sa tête. Elle ne dit rien quelques instants de plus, et puis se redressant doucement, elle dégagea les cheveux blonds de Megan de sa joue, et tint à lui dire avec une conviction brute "C’est pas ta faute, j’espère que tu le sais ?" Megan se sentait responsable de bien trop de choses en ce moment pour qu’elle se fustige en plus que tout ça était de son fait ; ça ne l’était pas, et bien qu’elle refusait de le lui dire, c’était pourtant un fait : ça arrivait. Jo la regarda avec beaucoup de tristesse, gênée de ne pas trouver d’autres mots que ça pour l’apaiser, gênée aussi de voir des questions apparaître dans son esprit telles que tu savais que t’étais enceinte ? Elle ne lui poserait pas, préférant la lâcher d’abord, s’asseoir au bord de son lit ensuite. Elle lui prit la main en lui proposant "Si tu veux vraiment que je reste, je reste. On peut en parler, ou on peut ne pas en parler. Si c’est ce que tu préfères, je te raconterais comment je viens de soudoyer la meuf de l’accueil pour avoir le droit d’être là." Elle ne sourit pas, ses yeux concentrés sur Megan à qui elle s’adressait avec plus de douceur qu’autre chose, déterminée à la faire se sentir en sécurité dans un endroit qui la traitait comme le bas de la chaîne alimentaire en terme d’urgences à s’occuper ; au bout d’une heure, Jo irait de toute façon rappeler le principe de dignité à l’équipe de jour qu’elle trouverait en train de rire dans leur salle de pause, pas encline à laisser sa meilleure amie dans cet état. Elle reprit, sans lâcher sa main, continuant à lui dérouler son panel d’options "Si tu veux que je te laisse un peu seule, je te laisserais tranquille et je prendrais de tes nouvelles que quand tu te sentiras capable de m'en donner." termina-t-elle, pas pressée d’entendre ce qu’elle préférait, lui laissant le temps de consulter ses alternatives et de les lui faire partager si elle le voulait.