Il avait mis un point d’honneur à revenir sur les visites régulières qu’il accordait à sa mère, non pas parce qu’il se sentait redevable mais parce que c’était un équilibre qu’il avait avant les récents événements. Casser sa routine pouvait être vivifiant, mais pour Diego, cela s’apparentait à un pas de plus le rapprochant d’un précipice et il préférait se raccrocher à des habitudes bien ancrées. Se raccrocher aux membres de sa famille qu’il n’avait pas peur d’affronter. Maritza n’était pas dupe et il le savait, elle pouvait voir au fond de ses yeux que quelque chose se tramait mais il n’était pas prêt à avouer quoique ce soit, ne sachant pas lui-même ce qui était en train de se passer. La seule chose dont il était sûr, c’était que l’idée d’avoir potentiellement tout gâché avec Mateo avait presque signé le point de non-retour pour lui et qu’il n’était pas certain de l’état dans lequel il aurait été s’ils n’avaient pas réussi à renouer le dialogue. Le sentiment était effrayant, mais il appréciait ce nouveau pilier dans sa vie même s’il n’était pas certain d’en avoir eu besoin d’un si conséquent s’il n’était pas revenu dans sa vie. Tout était paradoxal ces temps-ci et c’était sans réfléchir un seul instant qu’il s’était dirigé vers la porte d’entrée lorsque quelqu’un avait sonné à la porte. « Salut ? » Oh. « Hey... » C’était la première fois qu’il ressentait cela en se retrouvant face à Emery. Il était plus tendu encore que lors de cette fameuse discussion qui l’avait fait se positionner dans le pire rôle qui soit. Et il n’était pas étonné d’être aussi déstabilisé, parce que peu importe les agissements d’Emery, elle demeurait incroyablement importante à ses yeux. « Je venais pas te voir toi. Euhm… » Il avait levé les yeux au ciel devant l’évidence. « Oui, je me doutais un peu. » Son rire était nerveux alors qu’il indiquait qu’il savait pertinemment qu’elle était venu voir Cesar ou même Maritza. N’importe qui sauf lui, à qui elle n’avait plus donné signe de vie depuis des semaines entières maintenant. « T’es seul ? Parce que si oui, j’imagine qu’on pourrait parler ? » Dirigeant son bras vers la pièce pour lui indiquer d’entrer, Diego l’avait suivie jusque dans la cuisine. « Ouais, mamà est partie faire des courses et Cesar, est pas là je m’en suis assuré avant de venir. » Un premier élément indiquant à Emery que grâce à elle, il évitait son frère comme la peste. Il ne pouvait pas lui claquer la porte au nez, même si l’envie se faisait sentir, parce qu’il était vexé et surtout incroyablement inquiet de tout ce qui avait pu être dit derrière son dos. « Donc, t’es vivante. C'est sympa d'avoir la preuve devant moi, pas que les rumeurs. » avait-il lancé avec un sourire qui se voulait arrogant mais qui ne dissimulait qu’à peine sa nervosité. Cesar avait été le premier à confirmer qu'Emery avait parlé, et plus surprenant, Mateo le second. « Tu veux parler de quoi ? J’imagine que t’as eu ta vengeance ou un truc du genre. » Il la fixait, cherchant à comprendre à quel moment ils avaient tous basculé dans cette situation étrange que Diego aurait probablement pu venir arranger en étant simplement sincère. Il n’y arrivait pas et regrettait qu’Emery le soit à sa place, avec son frère et avec Mateo. Et s’il connaissait le fond de ces deux discussions, il préférait que la blonde prenne les devants, parce qu’il semblait qu’elle avait décidé de mener les choses de front sans jamais plus le consulter.

« Fais pas comme si j’étais la personne que tu avais envie de voir. » Lui qui pensait naïvement qu’ils avaient touché le fond des années auparavant réalisait à quel point cette amitié basée sur des fondements extrêmement fragiles avait été une erreur. Il acceptait, toujours, de la voir montrer une certaine animosité parce qu’il ne pouvait qu’admettre la violence de sa trahison, mais cette fois-ci, le sujet abordé était bien trop complexe. Alors si elle était quelqu’un de cher à ses yeux, la voir était effectivement devenu une réelle corvée et il n’avait réalisé l’intensité de sa colère qu’une fois qu’elle s’était tenue devant lui. Il n’avait pas répondu, son visage parlant à sa place, et l’avait laissée prendre possession des lieux en essayant de retracer mentalement l’intégralité des récents événements. « De la vengeance ? Sérieux, tu penses vraiment que tout ce qui s’est passé, c’est juste une vendetta personnelle ? » Il était clair qu’elle restait encore profondément blessée par la façon dont leur relation s’était terminée, et il n’aurait pas pensé que son point de vue lui apparaisse comme une telle surprise. « Je cesserai jamais de t’en vouloir pour cette soirée-là. C’est vrai. Parce que s’il y a une personne au monde que je n’imaginais pas me trahir un jour, c’était toi. » Adossé au comptoir de la cuisine, les bras croisés, Diego avait levé le menton pour s’assurer de garder la face quand ces mots-là avaient eu l’effet d’un couteau pénétrant au plus profond de sa chair. Des mots qui lui rappelaient sa plus grande faute et la façon dont il n’aurait jamais voulu en arriver là avec elle. « Je pensais honnêtement pas que tu me mettais sur un tel piédestal. » Ce n’était pas une question d’égo, mais l’idée qu’elle ait pu penser qu’il ne pourrait jamais la trahir l’étonnait. « Maintenant… c’est pas grave. J’veux dire, on sait tous les deux que notre couple était déjà sur la corde raide. C’était qu’une question de temps avant qu’on rompe, et je préfère qu’on soit resté amis. » C’était un point auquel il s'accrochait pour redorer son image, un argument qu’il n’utilisait que pour lui-même car lui aussi n’aurait pas pensé en arriver là un jour. Ce n’était qu’un baiser, échangé alors que leur couple avait volé en éclat. La rupture n’avait pas été prononcée mais étaient-ils encore ensemble ?  « C’est juste qu’après tout ça, je pensais avoir mérité ton honnêteté. Pas tes histoires, ton déni, ou tes grands chevaux. J’aurais pas dû réagir comme ça en public, c’est vrai. Mais essaye de te mettre à ma place deux minutes. » Il avait arqué un sourcil, peu sûr de comprendre où elle souhaitait en venir. Comment aurait-il pu lui annoncer une vérité qu’il ne connaissait même pas lui-même ? Et comment cela aurait-il pu arranger la situation quand Emery semblait avoir placé Mateo en tête de liste de ses ennemis tout en continuant de minimiser l’impact de ce soir-là ? S'il avait fauté, il n'en demeurait pas moins autorisé à choisir ce qu'il voulait lui confier ou non et le choix était d'autant plus sélectif considérant la rancoeur que possédait encore Emery envers lui. « J’me suis pas vengée Diego. J’ai pas donné des explications à Cesar pour le plaisir de te jeter sous les roues. Mais je refuse de lui mentir et de le prendre pour un con. »  « Je sais pas quoi te dire, Em.  » Ses yeux plongés dans les siens, tout un tas de sentiments étaient en train de le submerger au point d’en oublier sa répartie, celle qui laissait ressortir toute son amertume face à la situation. « Je veux bien me mettre à ta place et c’est pour ça que je parlais de vengeance. J’ai été maladroit, mais le résultat est le même, tu m’en veux toujours et je sais honnêtement plus quoi faire pour qu’on tire un trait sur ça pour de bon. » Il était évident que ce n’était pas un détail mais plutôt le fil conducteur de leur relation qui ne serait jamais stable s’ils ne passaient pas à autre chose. Et, au fond de lui, il savait pourtant pertinemment qu’il refuserait d’y mettre un terme et c'était probablement la raison qui l'avait poussé à adoucir le ton de sa voix. « Maintenant, mets-toi à la mienne. J’ai l’impression de plus rien contrôler alors que c’est de ma vie dont on parle. » Rien de tout ce qu’il vivait avec Mateo n’avait de sens à ses yeux, il avait été sur le point de tout gâcher et Emery faisait malheureusement partie de l’équation qui l’y avait presque obligé. « On parle de mon petit frère, celui que j’ai déjà déçu et que je continue à décevoir pour une histoire qui n’a absolument aucun sens. Et tu sais ce que c’est le pire dans tout ça ? Que lui aussi, m’a déçu. » S’il savait les points de vue de sa famille, la façon dont Rudy avait eu un impact négatif sur Cesar, il n’avait pas anticipé la façon dont il lui cracherait sa haine au visage. S'il doutait de l'image qu'avait Cesar de lui, la façon dont il avait tiré des conclusions sans le consulter l'avait blessé et lui laissait le sentiment de ne pas pouvoir se défendre. Il était accusé pour son passé et restait terrifié de ce qu'il subirait pour le présent. « Crois-moi quand je te dis que ce mec a refait irruption dans nos vies par hasard. » Parce que sur ce point là, il ne mentait absolument pas et il en était le premier surpris.

Ils ne pouvaient pas ignorer leur relation passée lorsqu’ils se retrouvaient, même si celle-ci n’avait plus la même signification à l’heure actuelle. Elle avait existé, elle avait importé, et elle restait quelque chose qui pesait lourd dans l’amitié qu’ils cherchaient à construire. S’il avait pour habitude d’afficher une certaine confiance en lui, celle-ci se retrouvait au second plan lorsqu’il se retrouvait face à Emery parce qu’elle avait vu la pire facette de sa personnalité. « Tu me connais pas tant que ça. » S’il culpabilisait déjà, malgré la colère qu’il ressentait à cause des agissements d’Emery, le sentiment venait d’être décuplé. Il n’était pas sûr de si son ex petite-amie utilisait cette phrase dans ce but ou si elle était réellement sincère, blessée à l’idée que l’image qu’avait Diego d’elle n’était pas celle qu’elle pensait. La vérité était qu’il s’imaginait simplement difficilement qu’Emery puisse garder une image positive de lui, alors que lui-même vivait difficilement avec ce souvenir. Pourtant, même s’il avait conscience de la grave erreur commise, il ne pouvait que regretter qu’elle vienne définir leur relation présente. « Ca me fait pas plaisir de t’en vouloir. » Il avait haussé les épaules, parce qu’il n’y avait pratiquement plus rien à dire. S’il avait pu faire un retour en arrière, il aurait probablement fait en sorte que les choses se passent autrement. Mais dans chaque scénario, et malgré le chaos que cela avait semé dans sa vie, il aurait gardé sa rencontre avec Mateo. « J’ai pas eu vraiment le choix. Mais je pense pas que Cesar dira quoique ce soit. » Diego n’avait absolument aucune idée de la façon dont pourrait réagir son frère, alors qu’il avait pourtant eu la triste confirmation qu’il le connaissait plutôt bien. S’il devait rester optimiste, il compterait sur le déni dans lequel était inévitablement entré Cesar, le même que celui dans lequel s’était longtemps plongé son grand frère. S’ils n’en parlaient plus, le problème n’existait plus, et c’était sûrement mieux ainsi. « J’aimerais te dire que tu te trompes. La vérité, c’est que j’en sais rien, parce qu’il m’a déçue aussi. » « Faut pas lui en vouloir, avec Rudy pour modèle… » Il prenait sa défense, sans réellement savoir pourquoi. Il savait que son petit frère n’avait pas un mauvais fond, qu’il avait juste baigné dans un environnement bien peu tolérant dont il pâtissait également lui-même. Ses yeux s’étaient levés vers elle après avoir fini de parler, la fixant un instant, et son estomac s’était noué parce qu’il avait l’impression qu’elle pouvait parfaitement lire en lui à ce moment précis. « Je veux pas savoir comment et pourquoi il a refait irruption. Juste s’il se passe un truc entre vous. » Le visage de Mateo apparaissait clairement dans son esprit, et la simple idée de le nier, de faire de lui un secret d’état, le mettait profondément mal à l’aise. Il savait qu’il méritait mieux mais était également conscient de l’impasse dans laquelle ils se trouvaient. Si Diego connaissait la vérité, il trouvait inutile de la révéler alors que ce qu’ils créaient était voué à l’échec. « T’as rien à perdre à être honnête avec moi. Et puis c’est pas comme si j’allais te juger d’aller vers l’autre bord, j’ai aussi eu des relations avec des femmes. » Tout semblait si simple pour tout le monde, sauf pour lui, et s’il avait souvent tenté de dédramatiser les choses, l’intolérance le frappait toujours plus fort. « J'ai l'impression qu'on me force à avouer quelque chose, comme si vous vous étiez déjà convaincus de cette vérité. » Sa mauvaise foi était évidente, pourtant, il était persuadé qu'il serait dans la même impasse si ce baiser n'était resté que ça. Dans un soupir, il s'était tourné pour ne plus voir le visage d'Emery, la discussion était toujours plus simple de cette façon. « Et si c’était le cas, tu réagirais comment ? » avait-il fini par lancer, comme s’il décidait soudainement de rejeter en bloc toute cette toxicité pour se concentrer sur ce qu’il ressentait. Il avait rapidement regretté, avait secoué la tête, sa phrase s’apparentant à d’énormes aveux alors qu’elle cachait tout un tas de vérité. Son malaise quant à sa famille, son désarroi face à la réaction de Cesar, tant de choses qu’il n’aurait pas ressenti s’il ne ressentait rien pour Mateo. « Même s'il y avait quoique ce soit, tu vois bien que ça peut pas le faire dans un tel contexte. » Il n'était pas prêt à décevoir sa famille une nouvelle fois, et s'il chassait ces doutes lorsqu'il se retrouvait seul avec lui dans son appartement, auprès de ses proches, la vérité était toute autre. Et peut-être qu'il cherchait simplement à obtenir le point de vue d'Emery, maintenant qu'il semblait presque inutile de tenter de lui mentir. « Figure toi que c’est presque encore plus difficile de te dire quoique ce soit sur tout ça à toi. Parce que non seulement ça me met en danger mais en plus ça remue le passé. » Et cela allait amener Emery à imaginer que Mateo avait de suite compté pour lui, qu’il l’avait directement remplacée par lui, et que ses agissements de ce soir-là avaient été calculés. Et assumer la vérité face à elle n'était pas insurmontable, ce qui l'était était l'idée de détruire un peu plus sa dignité et l'imagine qu'elle avait de lui. D'un point de vue de leur égo, Emery et Diego avaient toujours été extrêmement complémentaires.