Sortir des sentiers battus, vivre de nouvelles expériences et sortir de la routine. C’était tout ce que promettait ce moment qu’elle avait souhaité partager avec Kieran et elle savait que l’activité leur serait bénéfique à tous les deux. Pour ce qui était d’elle-même, elle en était sûre, mais pour Kieran, elle ne pouvait que se contenter d’espérer très fort. Lorsqu’il l’avait rejoint au parc, les lèvres de Greta s’étaient immédiatement retroussées en un sourire en apercevant sa silhouette longiligne qu’elle avait su reconnaître alors qu’il était encore à plusieurs mètres. Lorsqu’il était arrivé à son niveau, elle l’avait salué avec une brève accolade avant de commencer à marcher à ses côtés jusqu’à l’écran installé pour l’occasion. « T’es vraiment sûr de vouloir voir Hairspray ? » Le front plissé, un sourcil arqué, Greta prenait le choix du film extrêmement sérieusement, comme si la quantité de pop-corn et autres friandises ne suffisaient pas à les occuper si jamais ils ne réussissaient pas à se plonger dans l’intrigue. Debout à côté de Kieran, la blonde avait balayé l’endroit des yeux pour chercher une place qui leur permettrait de discuter sans s’attirer les foudres des autres spectateurs. « Je te propose qu’on se mette là-bas, parce que je compte bien avancer sur le projet en même temps. Mêler l’utile à l’agréable, tu vois ? » avait-elle ajouté en désignant de l’index une partie d’herbe un peu éloignée de l’écran et donc délaissée par les habitants de Brisbane. Kieran et elle avaient entamé les discussions concernant la bande-dessinée qu’elle écrirait et qu’il illustrerait et elle devait admettre que si ses idées fourmillaient, elle avait besoin de son binôme pour tenter de les articuler ensemble. Greta et lui avaient une méthode de travail bien différente, si elle s’éparpillait partout, Kieran était pragmatique et savait canaliser cette énergie débordante qu’avait l’écrivaine quand quelque chose la passionnait. Un sentiment agréable à retrouver, encore plus lorsqu’il se partageait avec un ami qu’elle avait négligé bien trop longtemps. Attrapant le plaid immense qu’elle avait fourré dans son sac, Greta l’avait étalé sur le sol, venant ensuite s’y asseoir en tailleurs en dispersant les sucreries un peu partout. Et en quelques instants, la pénombre relevée par de simples lumières tamisées l’avait replongé tout droit dans son enfance et ses pyjama party. « Je sais que t’es pas du genre à parler pendant les films, mais sait-on jamais, ça pourrait nous inspirer. » Ils avaient retrouvé assez de spontanéité dans leur amitié pour qu’elle s’autorise à lui adresser un léger coup de coude et un rire. Sachant combien Kieran pouvait être sérieux par moment et la façon dont ils tentaient encore de s'apprivoiser, la blonde avait jaugé sa réaction du coin de l'oeil avant de se détendre. Et pour se faire, n'avait pas tardé à plonger la main dans le sachet de bonbons qui ne durerait probablement pas tout le long du film.

La proposition de Greta est mieux tombée qu’il ne voulait bien l’admettre. Au cours des dernières semaines, Kieran s’est à nouveau refermé sur lui-même, sans réellement s’en expliquer la raison. Il ne va pas aussi mal qu’un an auparavant, et c’est sa seule victoire dans toute cette histoire, mais il ressent à nouveau une mélancolie mélangée à une certaine morosité qui l’angoisse suffisamment pour qu’il commence à s’en inquiéter. Pas assez pour justifier d’alarmer ses proches, mais assez pour qu’il se reprenne en main avant qu’il ne soit trop tard, aidé par les souvenirs d’un acte encore difficile à expliquer et ses répercussions encore bien présentes. En ce sens, l’invitation de Greta l’a véritablement ravi, d’autant plus en considérant le projet sur lequel ils ont entrepris de travailler, celui-là même grâce auquel il a retrouvé un élan de créativité bienvenu après des mois de page blanche. Et bien qu’il ait conscience que cette soirée vise avant tout à se retrouver entre amis et non pas entre collègues, il n’empêche que Kieran garde en tête tous les détails dont il voulait parler à Greta, mais pour lesquels il s’est abstenu de peur que sa passion devienne sérieusement étouffante – sous prétexte qu’il a besoin de se changer les idées, et que, plus que jamais, il ne vit que pour le travail.

Arrivé sur les lieux à l’heure (un miracle, le connaissant), son sac à dos contenant autant des vivres que du matériel de travail, c’est avec un sourire sincère qu’il accueille l’accolade de la jeune femme, brève mais nécessaire. « T’es vraiment sûr de vouloir voir Hairspray ? » - « Excuse-moi, tu ne serais pas en train de douter de la qualité de cette œuvre d’exception ? » Ni plus, ni moins. Dans les faits, Kieran se contente de se baser sur l’aspect culte dudit film, alors qu’en réalité il ne sait pas à quoi s’attendre, Hairspray ne pouvant pas être plus éloigné de ses choix cinématographiques. Mais il reste bon public, capable d’apprécier un film seulement pour se détendre et pas uniquement pour se tourmenter l’esprit, et c’est ce à quoi il s’attend aujourd’hui. Suivant docilement les pas de Greta, il la laisse déterminer de l’emplacement qui sera le leur, étant toujours bien incapable de prendre la moindre décision – même la plus futile. « Je te propose qu’on se mette là-bas, parce que je compte bien avancer sur le projet en même temps. Mêler l’utile à l’agréable, tu vois ? » - « Je vois, je dirai pas que j’ai mon carnet à dessin dans mon sac, mais je dirai pas le contraire. » Il s’en amuse avec un léger rire, et il y a quelque chose d’apaisant à retrouver cette spontanéité avec Greta, alors que leurs retrouvailles avaient été quelque peu particulières et tendues. Donnant un coup de main à Greta afin d’étendre le plaid qu’elle a apporté, il ne tarde pas à l’imiter, s’asseyant à son tour tandis qu’il sort de son sac des chips et un léger choix de boissons de toutes sortes qu’il expose afin qu’elle fasse son choix. De son côté, c’est sur une brique de jus d’orange qu’il porte son choix, s’en fichant bien du caractère enfantin de la chose. Si ça boost sa créativité, il ne va pas se restreindre, croyez-le. « Je sais que t’es pas du genre à parler pendant les films, mais sait-on jamais, ça pourrait nous inspirer. » S’amusant du coup de coude autant que de la réflexion de Greta en arquant un sourcil, il rétorque (en chuchotant, comme s’il avait malgré tout peur de déranger les autres alors qu’il n’y a personne directement à côté d’eux) : « c’est parce que tu regardes pas assez de films avec moi, ça. » À l’exception de ces séances hebdomadaires du mardi au cinéma ; où il se tait principalement parce qu’il s’y rend seul, Kieran a bien du mal à rester silencieux alors qu’il a besoin de partager des anecdotes, demander l’avis des autres, discuter de la mise en scène ou du jeu d’acteur. Et un coup d’œil à l’écran lui fait comprendre qu’il aura beaucoup à dire sur Hairspray. « Bon, alors, dis-moi... » Il débute, s’emparant à son tour d’un bonbon qu’il vient rapidement croquer avant de poursuivre : « quelles sont ces avancées si importantes qu’elles t’empêchent de me laisser profiter du film ? » Il l’interroge, toujours d’un ton se prêtant à la confidence, un sourire amusé sur les lèvres pour lui faire comprendre qu’il profitera de sa soirée même s’il en vient à ignorer royalement l’écran devant eux.

@Greta Moore encore désolée pour cet oubli  

Greta s’était habituée à ce que cette amitié-là nécessite bien plus d’efforts que les autres, assez pour ne plus considérer la façon dont elle réfléchissait à ses mots et encore plus à ses actes comme quelque chose de simplement logique. Parler d’effort pour cultiver le lien avec Kieran la dérangeait, il n’était pas un fardeau, ayant bien plus d’impact sur les autres que eux ne pourraient jamais en avoir sur lui. Ce n’était pas difficile de le lui prouver ces derniers temps alors qu’une certaine frénésie s’était installée entre eux : elle écrivait, il dessinait, et ces brouillons associés ensemble commençaient à ressembler à quelque chose de concret. C’était le début d’une excitation nouvelle, celle d’une écrivaine et d’un illustrateur qui, une fois partagées, semblaient pouvoir atteindre des sommets. Pour preuve, Kieran était à l’heure et son sourire ne semblait ni forcé ni crispé, et c’était une première victoire pour une Greta encore peu sûre d’elle, toujours tiraillée par une culpabilité tenace. A celle de ne pas avoir été présente s’ajoutaient maintenant l’impression de devoir se justifier de vouloir travailler avec lui, elle le savait au fond d’elle, que Kieran pourrait finir par mal interpréter son enthousiasme pourtant sincère. Mais pour le moment, le duo fonctionnait, et à l’instar de son comportement avec Arthur, Greta chassait chacune des pensées intrusives par toujours un peu plus d’engouement concernant leur projet commun. « Excuse-moi, tu ne serais pas en train de douter de la qualité de cette œuvre d’exception ? » Plissant les lèvres et secouant la tête avec vivacité, elle avait prolongé son non pour souligner à quel point elle était ironique. Ce n’était pas le film qui l'intéressait le plus, même si tout devenait une source d’inspiration, Kieran le savait, et il l’avait confirmé. « Je vois, je dirai pas que j’ai mon carnet à dessin dans mon sac, mais je dirai pas le contraire. » « Le contraire m’aurait étonnée, voire déçue. » Elle ne se défaisait pas de son sourire, ses doutes se dissipant alors qu’elle retrouvait un Kieran positif, enclin à aller de l’avant. Naïvement, elle s’était attendue à ce qu’il soit assidu et ne souhaite pas interrompre le film. « c’est parce que tu regardes pas assez de films avec moi, ça. » Greta était impressionnée, encore plus lorsqu’il avait sorti tout un tas de boissons qu’elle avait du mal à s’imaginer porter elle-même. Ouvrant un soda et s’installant confortablement, l’écrivaine avait fait mine de commencer à regarder le film et les traits de son visage s’étaient illuminés quand il avait lui-même lancé le sujet. « Bon, alors, dis-moi... » Son visage s’était tourné vers lui mais ses yeux restaient tout de même accrochés à un écran qui affichait les premières images d’un film qui, par ses couleurs et sa bande originale, l’attirait bien plus qu’elle ne l’avait admis au début. « quelles sont ces avancées si importantes qu’elles t’empêchent de me laisser profiter du film ? » Cette fois-ci, c’était bien vers lui que ses yeux s’étaient levés au ciel avant qu’elle ne finisse par rire - probablement trop fort pour un Kieran restant sur ses gardes, son visage scrutant les environs comme s’ils allaient se faire réprimander à tout moment. Alors, dans une envie de toujours s’adapter, Greta avait baissé le ton de sa voix pour répondre. « Je sais pas, on a commencé avec quelques-uns de tes dessins et je me dis qu’on pourrait lancer une bande-dessinée, ça te paraîtrait fou ? » C’était encore un nouveau style d’écriture pour la blonde, mais pourquoi s’imposer des limites lorsqu’elle avait réussi dans deux genres ? Lorsque Brisbane lui ouvrait de nouvelles portes et de nouvelles connaissances avec qui collaborer ? « J’aime vraiment cette héroïne que t’as dessiné et qu’on a commencé à peaufiner, je m’imagine une sorte d’histoire avec une protagoniste aux super-pouvoirs mais qui reste totalement paumée. Une sorte de Super Bridget Jones ?  » avait-elle terminé dans un énième rire qu’elle avait étouffé avec ses mains. C’était les sucreries ou bien son cerveau en ébullition qui l’amenait à proposer tout et rien, à rêver à l’impossible. « Promis elle chantera pas. Ou alors elle chantera mal, comme moi. » avait-elle terminé en désignant l’écran de l’index.

Kieran sait qu’il marche encore sur des œufs avec la plupart de ses proches, raison pour laquelle il a longuement évité leur présence, se trouvant toujours des excuses, les plantant parfois à la dernière minute, afin de ne pas se confronter à cette tension qui semble désormais l’accompagner au quotidien. Il sait aussi qu’avec Greta, les choses ne se sont pas totalement résolues, que leur amitié n’est pas aussi spontanée qu’elle l’était autrefois, mais le seul fait qu’elle pense encore à lui, qu’elle s’obstine à vouloir croire que les choses puissent revenir à la normale – plus qu’il n’y croit lui-même et ce, avec qui que ce soit – lui donne envie de s’y essayer à son tour. D’autant qu’elle n’aurait pas pu mieux tomber ; un passionné de cinéma comme lui ne peut décemment refuser une telle invitation, encore plus quand elle se lie à un autre de ses intérêts, celui-là même qui a dirigé sa carrière. Peu importe les non-dits qui peuvent exister encore entre eux, le temps d’un soir Kieran a envie de les mettre de côté, d’oublier ces derniers mois, de revenir en arrière, de redevenir celui qu’il était avant tout ça, qui luttait silencieusement, mais qui, au moins, d’aspirait pas la pitié aux gens autour de lui. Peu enclin à croire au Destin, il se dit pourtant que la vie trouve toujours son chemin, et ce soir, le sien l’a amené jusqu’à Greta, pour lui réchauffer le cœur quand il en a le plus besoin.

Sans surprise, son sac contient autant de cochonneries à engloutir devant le film que le matériel nécessaire pour dessiner quelques esquisses – que ce soit celles de leur projet commun ou simplement lié au film projeté sur ce gigantesque écran. Après tout, la création est un acte de pure volonté, volonté qui peut surgir à tout moment. « Le contraire m’aurait étonnée, voire déçue. » Le sourire de Kieran est sincère ; écho à celui d’une Greta plus à l’aise, qui déteint sur lui. Ce sont des moments de répit qu’il a trop souvent délaissé avant tout ça, et aujourd’hui il y a au moins un aspect sur lequel il semble intransigeant : il doit apprendre à s’autoriser à être heureux ; et il a compris que cette aspiration se cachait aussi dans de petites choses du quotidien, comme le seul fait de passer du temps avec une amie. Les yeux encore accaparés par l’écran sur lequel le film commence, il n’arrive pas à résister très longtemps avant de se tourner vers Greta, rentrant sa tête dans ses épaules autant qu’abaissant la voix dans une tentative de se faire invisible. Bien qu’ils soient stratégiquement éloignés des groupes qui se sont formés sur ce terrain, ce n’est pas une raison pour prendre le risque de les déranger, ce qui perturberait fortement Kieran. Alors, forcément, quand le rire de Greta résonne, ce rire qu’il est pourtant content d’entendre, il ne peut s’empêcher d’écarquiller les yeux, regardant rapidement tout autour de lui pour s’assurer que personne n’est outré par cette attitude. Lorsqu’il constate qu’ils sont saufs, il reporte son attention sur Greta, néanmoins plus sur ses gardes que quelques instants auparavant, la remerciant silencieusement de se plier à la règle du chuchotement par la suite : « Je sais pas, on a commencé avec quelques-uns de tes dessins et je me dis qu’on pourrait lancer une bande-dessinée, ça te paraîtrait fou ? » La surprise qui se lit sur son visage n’a rien à voir avec le mot qui s’impose dans son esprit, une négation dont il a l’habitude, d’ordinaire pour se dénigrer, et jamais pour s’autoriser à rêver. Non. Non, ce ne serait pas fou, pas alors qu’il s’agit-là d’un de ses plus grands rêves, auquel il ne s’est jamais autorisé à croire, justement. Bien sûr, tout ceci relève d’idées qui ne deviendront peut-être jamais assez conséquentes pour former un projet, mais ce sera un tracas pour plus tard. « J’aime vraiment cette héroïne que t’as dessiné et qu’on a commencé à peaufiner, je m’imagine une sorte d’histoire avec une protagoniste aux super-pouvoirs mais qui reste totalement paumée. Une sorte de Super Bridget Jones ? » L’idée le fait rire, une fraction de secondes, avant qu’il s’interdise de faire le moindre bruit, toujours dans la crainte de déranger qui que ce soit. « Promis elle chantera pas. Ou alors elle chantera mal, comme moi. » - « Heureusement que les bandes-dessinées n’en sont pas encore au support auditif pour pousser l’expérience jusqu’au bout. » Là où le cinéma n’a pas hésité à instaurer la 4D, d’autres sens se mêlant ainsi à la vue, l’art littéraire reste relativement classique et c’est tant mieux pour les oreilles des lecteurs, dans ce cas précis. « Et si c’était d’être paumée, son pouvoir ? » Il reprend, plus sérieusement, l’idée se frayant un chemin dans son esprit à mesure qu’il en parle. « J’veux dire, imagine, elle est paumée, donc on peut supposer qu’en termes de choix, c’est plutôt la catastrophe, non ? Parce qu’elle arrive pas à en faire ou parce qu’elle fait les mauvais. » Oh well. « Et si, un jour, à force d’être perdue dans sa vie, elle se met à voir toutes les options qui s’offrent à elle ? Comme si elle était capable de passer d’un univers à l’autre, des univers où elle a fait des choix différents, pour découvrir de quoi serait faite sa vie dans ces circonstances-là et changer son présent de la manière dont elle le souhaite, en fonction de ce qu’elle a pu voir d’elle dans d’autres réalités ? » Une sorte de time-traveler égoïste, mais pas détestable ; évidemment qu’il leur faut une héroïne dans laquelle peuvent se reconnaître les lecteurs. « Tu saurais l’écrire pour la rendre attachante, à tel point que ça dérangerait personne qu’on se focus sur sa vie à elle, sans qu’elle soit une héroïne au sens propre du terme. Ou, alors, elle pourrait être amenée à l’être en sauvant certaines personnes de leurs destinées, par exemple en les touchant ? Une sorte de Rogue minus le facteur mort instantanée, quoi. Hm, non en fait, on va peut-être se prendre un procès pour plagiat au cul, et je suis pas riche à millions. » Il dit, ne réalisant pas que sa voix s’est élevée à mesure qu’il s’est perdu dans ses idées, engagé et motivé, avant qu’un raclement de gorge ne se fasse entendre par un vendeur ambulant passant près d’eux, au regard qui laisse soupçonner un agacement. Pour peu, il pourrait presque dire que ‘’j’en ai marre d’avoir toujours raison’’ ; il savait qu’il finirait par déranger tôt ou tard.

@Greta Moore