Il ne s'était jamais intéressé de manière démesurée aux années soixante-dix mais il devait admettre que s'il avait dû choisir une période, celle-ci aurait pu lui convenir. Il s'y serait peut-être senti plus en phase, sans qu'il ne s'explique pourquoi. Le fait était que cet événement lui donnait envie de sortir, de chercher les plus belles pièces vintage à la foire avec Mateo ou bien de trouver l'excuse parfaite pour inviter Shiloh. C'était la seconde fois que Brisbane lui servait une opportunité sur un plateau et il l'avait invitée, sans réaliser que le casque qu'il aurait sur les oreilles ne viendrait pas annuler ses pas de danse ridicule. Alors peut-être que ce cinéma en plein air où il avait invité Emery à venir - en choisissant le film qu'elle souhaitait - était une excuse pour évacuer le stress. Il ne savait pas trop, mais il devait simplement admettre que de petite fille agaçante qui imposait sa présence à Ollie et ses amis, Emery était devenue une amie avec qui il aimait passer du temps. « Je commence à te voir plus souvent qu'Ollie, ça craint. » avait-il lancé quand celle-ci s'était avancée jusqu'à lui. Emery était arrivée avec plusieurs minutes de retard, et il avait arqué un sourcil en réalisant qu'il avait été le premier sur les lieux. « T'as fait exprès d'arriver aussi tard ? » La dernière fois qu'ils s'étaient vus, il avait été en retard et il y avait fort à parier qu'Emery avait retenue la leçon. Il ne lui en tenait pas rigueur, bien sûr que non, et le film était de toute façon loin de démarrer. Les pubs allaient durer de longues minutes et les organisateurs s'assureraient sûrement que tout le monde soit installé avant de réduire la lumière - histoire que personne ne se retrouve à chercher le plaid posé sur l'herbe et à trébucher sur l'ensemble des participants. En résumé : ils avaient le temps. « Je te fais confiance pour le film, s'il est nul tu rentres à pieds Dawson. Je te paye un truc à boire ? » avait-il demandé en désignant le stand où se vendaient toutes sortes de friandises et de boissons. Il serait déjà difficile de se frayer un chemin parmi la foule éparse qui recouvrait presque totalement la zone réservée à la séance sur la pelouse du parc. Evidemment, les habitants de Brisbane avec un certain sens de la ponctualité étaient arrivés assez tôt pour s'assurer une bonne place. Lewis et Emery, eux, devraient se contenter d'une place assez loin de l'écran, ce qui permettrait à l'informaticien de faire toute autre chose que de se concentrer sur le film s'il le jugeait dénué d'intérêt. Après tout, il ne connaissait que très peu les goûts de la blonde, et la séance cinéma n'était jamais le meilleur endroit pour prendre le temps de discuter.

L’idée de sortie était étonnante mais puisqu’elle était motivée par les efforts de la ville de Brisbane pour toujours proposer divers événements, elle restait légitime. S’il avait été celui qui l’avait proposée à Emery, il n’avait pas pu s’empêcher de souligner combien ce geste sortait de l’ordinaire. « Je comprendrais si tu me préfères à lui. » Il avait secoué la tête avant de rire à sa remarque. « T’es sympa mais pas à ce point. » Il l’avait connu il y’a si longtemps, lorsque leur différence d’âge était un obstacle bien plus évident et l’obligeait à la taquiner gentiment parce qu’il la considérait comme une gamine alors il n’y avait rien d’étonnant à ce que la dynamique entre eux soit restée la même. « Non pourquoi ? J’aurais dû ? » avait-elle demandé avec un air faussement innocent, et il avait simplement ri parce qu’il ne pouvait lui en vouloir d’avoir tenté d’éviter de longues minutes seule au milieu d’un terrain déjà bondé de monde. « C’est Woodstock. Un classique. Bien sûr que ce sera bien. » Lewis avait levé un sourcil, peu convaincu par l’argumentaire d’Emery. « … Non en fait, les seules images que j’ai pu voir de Woodstock, c’était dans Bohemian Rhapsody. » « C’est l’occasion de découvrir alors et même si t’es nulle pour convaincre ça a marché, un documentaire sur le festival ça me tente bien. » Mieux qu’un film au synopsis douteux qu’ils auraient du suivre avec intérêt pour ne pas perdre le fil, Woodstock allait proposer un retour sur ce qu’avait été ce festival. De quoi simplement leur donner l’envie d’écouter des musiques des artistes qui y étaient ou tout simplement d’aller eux mêmes en festival - dans tous les cas, ils auraient plus facilement la possibilité de discuter pendant la projection. « T’oserais jamais me faire rentrer à pied. » Il avait haussé les épaules, la menace n’en était effectivement pas vraiment une et malgré les plaisanteries, Ollie et Lewis avaient toujours mis un point d’honneur à prendre soin de cette gamine un peu encombrante, maintenant devenue une amie. « Je veux bien… une eau pétillante, s’il te plaît. » « Une eau pétillante ? » avait-il repris avec un sourcil arqué, s’étonnant de ce choix qui ne lui ressemblait pas. Il avait fini par hausser les épaules et se diriger vers le bar pour revenir avec une bière pour lui, une eau pétillante pour Emery et un énorme seau de pop corn. « Tu sais que tu rates une occasion super romantique là. Pourquoi m’avoir proposé à moi ? » avait-elle demandé alors qu’ils s’installaient et en jetant un coup d’œil autour de lui, Lewis avait pu constater que bon nombre des spectateurs autour étaient des couples lovés ensemble. « Parce que t’étais la seule personne dispo ? » avait-il répondu avant de faire mine d’éviter la riposte d’Emery, renfonçant son menton dans son cou. « Peut-être que je suis secrètement amoureux de toi et que tu viens de découvrir mon stratagème.  » S’il était assez à l’aise pour prononcer ces mots, alors il était évident qu’il s’agissait là d’une plaisanterie et c’était cette sensation agréable de ne pas avoir à surveiller ses propos qui les avait menés à éclater de rire ensemble. « Non je sais pas, je croyais qu’on était amis mais je note que faut forcément avoir besoin d’un service pour qu’on se voit, ça fait plaisir. » Il faisait référence à la dernière fois où ils s’étaient vus mais le ton de la discussion était donnée et loin d’être sérieux. « Tiens avant que le film commence, tu sais que je sais reconnaître les étoiles maintenant ? Genre là c’est l’étoile polaire et de ce côté t’as la grande Ours.  » Lewis pointait le ciel étoilé du doigt, parce qu’il avait passé quelques jours à utiliser le télescope qu’il s’était offert. Une façon ludique d’échapper un peu à son ordinateur, et de résoudre une autre énigme que ses lignes de codes. Aidé d’un manuel, il avait passé plusieurs heures à observer et à tenter d’identifier les constellations et il devait admettre s’y être assez intéressé pour que le ciel étoilé de ce soir lui donne envie de montrer son nouveau talent. Devant la mine déconfite d’Emery, cependant, il avait ajouté. « Merde ca fait vraiment truc romantique mais je t’assure que c’est juste une de mes nouvelles lubies. » Il s’était mis à rire avant de manger un peu de pop corn, curieux de savoir ce que le film montrerait réellement.

« Arrête, je suis vachement plus fun ! » Emery avait souvent eu la sensation d’avoir deux grands frères un peu trop protecteurs à ses côtés depuis son plus jeune âge et Lewis s’était amusé à grossir le trait lorsqu’il la voyait en présence d’Ollie. Ils étaient tous les deux bien plus similaires que lui ne l’était avec Emery, alors il appréciait également de la voir sans lui pour obtenir des points de vue différents et s’assurer de sortir un peu de sa zone de confort. Pourtant ce soir, il n’avait fait aucun effort pour s’autoriser à s’éloigner du droit chemin : si le cinéma en plein air était original, il ne s’agissait là de rien de plus qu’un seau de pop corn dévoré devant un film. . « Écoute, dans le pire des cas, on aura appris quelque chose et on pourra briller en société. » « Ce qui t’arrive que trop rarement, j’en conviens. » Il ne pouvait pas faire sans la taquiner, et il aimait assez cette dynamique. « Loulou, contrairement à toi, je dois faire attention à ma ligne. » « Pour tes futurs contrats ? Tu sais que tu devrais pas avoir besoin de te soucier de ta ligne pour ça, hin ? »  Si Lewis se voulait être un homme moderne, il récitait surtout des bribes des discussions qu’il avait eu avec son amie styliste qui s'indignait souvent sur les diktats de la mode. Si elle s’étonnait d’avoir été son premier choix pour participer à cette activité, il savait aussi que l’attention lui plairait même si elle ne le dirait pas tout haut alors il s’était gardé de lui indiquer qu’inviter Shiloh qu’il avait déjà conviée à la silent disco aurait semblé redondant. Il était de toute façon toujours un brin mystérieux lorsqu’il s’agissait de la jeune femme, sa simple évocation ayant le pouvoir de lui faire monter le rose aux joues et donc, de trahir ses réelles sentiments à son sujet. Mais puisque l’occasion était trop belle, Lewis avait retrouvé sa répartie pour inventer une autre excuse. « Outch. » Il avait haussé les épaules, livrant une autre version. « Donc l’ambiance des années 80, c’est pour me séduire et nous enfuir sous le soleil à la fin ? Ok, je préviens Cesar. » « J’espère que Cesar sait se battre… » avait-il continué sur le ton de la plaisanterie en fermant ses poings. Un léger rire et il était redevenu sérieux, reprenant ce rôle de grand frère que Ollie aimait qu’il ait avec Emery lorsqu’il n’était pas assez présent pour le faire. « Comment ça va avec lui ? » avait-il finalement demandé, laissant le sérieux prendre un peu de place dans la conversation avant de venir piquer à nouveau Emery. « T’es bête. » Il lui avait répondu par un sourire, Emery n’avait pas besoin de se justifier et c’était la raison pour laquelle elle ne l’avait pas fait. Trouvant une opportunité de lever les yeux vers le ciel, Lewis s’était attardé sur les étoiles durant un temps assez long pour que lui ait le sentiment de devoir se justifier. « Oh wow. Et tu connais les constellations aussi ? » « Je connais leurs noms, mais les reconnaître dans le ciel, ça… » Et ils n’avaient pas de télescope à proximité. « Je préfère mille fois cette lubie à la fois où tu avais trouvé comment programmer ton mini robot, là. Comment tu l’avais nommé déjà ? Rob Bott ? » C’était tout Emery, sortir l’ensemble des anecdotes les plus gênantes à son propos et finalement, lui restait très fier de ce robot dont il avait confirmé le nom d’un mouvement vif de la tête. « Ok c’est pas très années 80 mais imaginons. Si tu pouvais programmer un robot pour qu’il fasse quelque chose, n’importe quoi, qu’est-ce que ce serait ? » « T’as des drôles de questions quand même. Me servir des bières, clairement. » Aucune once d’hésitation pour Lewis qui pouvait passer des heures devant l’ordinateur sans se lasser et qui trouvait toujours très ennuyant de devoir se lever pour se servir à boire ou à manger. « Ah ça commence ! On voit rien, c’est ta faute ça ! » avait-il lancé en bougeant dans tous les sens pour essayer de trouver une position lui permettant de voir l’écran. « Si ça parle de musique, ça va forcément me plaire. Quoi chut ? » Les spectateurs étaient déjà bien trop impliqués dans le générique du début au point de leur demander de se taire. « Si on peut pas commenter ou se raconter nos potins ça va être long, nan ? T’es sûr que tu veux rien boire ? » Parce que sa bière à lui était déjà presque terminée et que les premières images du film n’étaient pas très engageantes, peu importe ce que semblaient en penser les autres spectateurs.