« T’es un connard mais ce film est du génie. Ça s’équilibre. »

La poignée de popcorn vegan qu’elle prend du sac préparé chez elle et faufilé incognito sur place finit dans sa bouche du même geste. Harleen n’est pas du style à faire dans la rancune, elle pardonne aussi vite qu’elle s’enflamme. Depuis toute petite, elle s’amuse de voir le visage des gens en face d'elle réagir. Eux qui luttent avec incompréhension devant les insultes qu’elle a renvoyées comme munitions une seconde plus tôt, qui finissent par s'envoler dans un sourire aussi pacifique que véritable. Elle n’a pas l’énergie pour détester les gens et le patriarcat trop longtemps, Woody. Ce soir, en l’occurence, elle passe sa rage momentanée sur Ollie d’une remarque généralisée. Il l’a emmerdée quelques fois dans la journée, probablement d’autres depuis qu’ils se sont posés sur l’immense couverture tissée qu’elle a étendue dans l’angle parfait pour regarder ce film de génie au coucher de soleil. La routine.

Le truc, avec Ollie, c’est l’accumulation de souvenirs. Peu importe ce qu’il a bien pu faire sur l’instant qui l'enrage et lui donne envie de le quitter sur le champ, il y a toujours quelque chose qui lui rappellera leurs bons moments. Ils en ont tellement. La tête maintenant posée sur les cuisses du boxeur du dimanche, Honey laisse ses jambes voler au vent, chercher un tronc d’arbre non loin pour s’y appuyer. Du bout de ses orteils nus, elle danse sur les fissures de l’écorce, gratte, caresse, pense à voix haute. « On s’aime aujourd’hui, ou on se déteste? » la question est rhétorique, la réponse est toujours la même : un peu des deux. C’est leur recette, leur marque de commerce, leur cheval de bataille. Elle ne pourrait pas l’aimer autant qu’elle le fait si elle n’avait pas envie de lui exploser la tête, un jour sur deux. Ça aussi, c’est une forme d’équilibre. Un balancier entre le bon et le mal, entre des années à se pourchasser autant que se fuir. Juste là, maintenant, elle peut compter sur ses doigts tout ce que cet endroit lui rappelle, avec Ollie. Les nuits blanches à inventer des noms aux constellations qu’ils s'imaginaient voir, postés sous ce même arbre. Le décompte des butins de billets volés aux touristes qui rôdaient trop près d’un banc de parc où Honey grattait pour les passants des adaptations acoustiques de vieux classiques des 70’s pendant qu’Ollie leur vidait savamment les poches.

« Que je décide ce que je bois dans le lot. » une de ses jambes quitte le tronc d’arbre pour s’allonger vers leur sac à dos de fortune, tapissé d’écussons des villes et villages qu’ils ont visités, en Australie. Elle a tout amené, le truc pèse une tonne, de la tequila en passant par du rhum, un peu de bourbon, des bières, du vin. Chaque alcool a une signification bien précise, elle les appelle ses flacons d’émotions. Petite sorcière en devenir qui se redresse sur ses coudes pour embrasser Ollie à la volée, avant de plonger le nez dans son mini-bar pas si mini que ça. Comme si elle prévoyait avoir besoin de plusieurs gorgées pour les décrire, encore et toujours.

(c) nekaaaus

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@HARLEEN HONEYWOOD & OLLIE

lieu: cinéma en plein air, back to 74

« T’es un connard mais ce film est du génie. Ça s’équilibre. »
« T’es une chieuse, mais y’a rien qui équilibre. »

Bien sûr qu’il allait répondre. Elle le savait. Aucune surprise dans cet échange. Ce n’était que le juste milieu, la raison même de leur relation. Une insulte échangée contre une autre. Trois reproches pour un sourire. Une engueulade pour quelques baisers. Et des popcorns qui tombaient sur son pantalon, le forçant à lever les yeux au ciel, comme s’il se souciait réellement de l’état de ses fringues. Elle l’avait traîné jusqu’ici, il avait râlé tant qu’elle ne lui avait pas donné le titre du film. Depuis il rongeait son frein, réfrénant ses remarques sur les hippies bien-pensants qui les entouraient, il était venu apprécier le film. Ou juste passer une soirée avec sa brune sans que sa mini version ne leur cours dans les pattes. Le calme ne durait jamais entre eux. Elle lui tapait déjà sur le système à mâcher sa nourriture la bouche ouverte. Il prit une poignée de maïs soufflé juste pour la faire tomber dans les cheveux bruns qui s’étalaient sur ses cuisses. « On s’aime aujourd’hui, ou on se déteste? » La question se voulait rhétorique. La réponse changeait à chaque jour, voire chaque heure écoulée. Tout oscillait toujours entre le positif et le négatif. Parfois, il l’aimait trop. Souvent, il la détestait de lui tenir tête en permanence. Harleen restait néanmoins la seule constante dans sa vie. Celle qui n’était jamais réellement partie. La seule qui avait une quelconque importance. « Que je décide ce que je bois dans le lot. » Bien sûr qu’elle avait prévu le ravitaillement. Assez de fioles pour leur durer une partie de la nuit. Assez pour les amuser en tout cas. « J’allais dire qu’on oscillait vers la haine. » Juste pour l’emmerder, malgré le baiser qu’elle venait de déposer sur ses lèvres. Mais déjà sa main se faufilait dans la poche du blouson qu’il avait abandonné à côté de lui. Ses doigts s’enroulèrent autour d’une chaîne qu’il avait cachée là, juste la veille. Il tira dessus et vint faire balancer le collier sous les yeux de la brunette. « Pour ça, tu m’aimes ? » Elle lui avait montré, dans une boutique, une fois. Puis il l’avait reconnue ailleurs, ce l’était approprié d’une manière qu’il ne contera jamais. Le larcin était maigre, mais suffisant pour faire briller des étoiles dans les yeux de sa compagne, il en était certain. Et son sourire fier ne venait que souligner sa fierté d’avoir encore toutes les armes en poches pour obtenir ce qu’il souhaite de la vie et sans le moindre coût. « Sinon, je le reprends. » Il ne cessait jamais de jouer.  

« T’es une chieuse, mais y’a rien qui équilibre. »
« C’est pas gentil ça, Oliver. »

Elle fronce des sourcils, pouffe de rire, lui bouffe le nez, l’embrasse à la volée. Harls est un coup de vent qui est partout sur son visage avant de l’ignorer dans les règles de l’art, les mains occupées à définir leur relation à partir d’une bouteille d’alcool ou d’une autre. Dans un monde où Posy n’existerait pas, Honey serait l’exemple même de l’adolescente qui n’a jamais vraiment grandi, qui continue de faire connerie sur connerie en évitant de toutes ses forces d’apprendre quoi que ce soit pouvant en ressortir. Avoir une gamine lui prouve un peu chaque jour qu’elle arrive à toucher un semblant de maturité, qu’elle est assez forte pour pouvoir prendre soin d’un autre être vivant sans la mettre constamment en danger avec la tête folle qu’on lui connaît bien. Ce soir, elle s'autorise à être en crise d'adolescence. Ces moments où Midas et Posy sont réunis, elle peut dormir sur ses deux oreilles en sachant sa fille entre les seules mains autres que les siennes qu’elle considère assez solides pour s’occuper de la gamine.

Les goulots sautent, elle s’amuse d’un coup d’oeil à valider si Ollie fait des rapprochements, s’il se souvient à quoi il peut s’attendre si elle boit de la tequila avant du rhum. Si elle investit la vodka plutôt que l’absinthe. Si elle préfère l’ouzo. Les bouteilles sont belles, financées par son allocation hebdomadaire d’ex de célébrité. Son argent de poche. « J’allais dire qu’on oscillait vers la haine. » elle fronce du nez avant de lui mordre - avec douceur, Harleen ne fait pas dans le cannibalisme, elle est vegan après tout - la lèvre inférieure. « La ligne est mince, mince, mince. » chaque mince est ponctué d’un baiser sur sa nuque. Qu’il la haïsse, juste pour voir à quel point elle sait se faire aimer.

« Pour ça, tu m’aimes ? » ou bien c’est Ollie, justement, qui cherche l’admiration aujourd’hui? Woody hausse le sourcil, intéressée autant dans le geste que dans la cachette, que dans l’artefact qu’il lui montre. « Je considère. » la chainette est jolie, délicate, le pendentif la fait sourire. Elle l’aime depuis des mois, l’a oublié quinze fois depuis, s’en souvient comme si c’était d’hier, qu’elle avait pointé le collier à Ollie avec l’enthousiasme de Posy devant une nouvelle livraison de bracelets de l’amitié. « Sinon, je le reprends. » elle ne pourrait pas être plus rapide, Harleen, pour s’emparer du collier et déjà le passer autour de sa nuque. Clichée au possible et toute autant assumée, elle se place de manière à ce qu’Ollie puisse fermer le loquet pour elle. « Annie, 2021? » ses yeux se baladent, finissent par lire l’engravure sur le revers, sait bien que le bijou vient d’ailleurs que d’un présentoir, ne l’aime que plus. Ollie aussi. « J’espère qu’elle m’en voudra pas trop de lui voler son mec ce soir. » son sourire est immense, il tartine son visage et remonte jusqu’aux étincelles dans ses yeux. Elle a toujours l’impression de gagner, quand il la choisit, elle.

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« C’est pas gentil ça, Oliver. » Elle savait parfaitement à quel point il pouvait haïr l’emploi de son véritable prénom. Elle jouait avec ses nerfs, comme toujours. Trois baisers, pour souffler le chaud et le froid, n'y changeront rien. Il avait déjà envie de râler. Pour la forme, parce qu’elle l’avait traîné dans cet événement de hippie dégénéré, parce qu’elle allait lui demander de participer à mille autres choses par la suite. Il avait tant d’autres choses à faire – ce n’est pas vrai – mais c’est elle qui avait gagné pour le programme. Probablement à la déloyale. Ou alors il l’avait laissé gagner. Il n’était pas du genre à se faire pardonner, mais les derniers éclats de voix se voulaient de son fait. Ce n’était en rien des excuses, mais bien plus un intérêt personnel. Il n’avait aucunement envie de dormir dehors ce soir. Fin de l’histoire. « La ligne est mince, mince, mince. » Si son désir premier était de rester de marbre, l’effleurement de ses lèvres contre sa nuque lui provoqua une réaction épidermique. Trahi par son propre corps. L’effet imprima une once de colère sur ses traits tandis qu’Harleen riait de ce frisson qu’elle lui provoque. Agacé, il repoussa à nouveau son visage du plat de sa main. Détourner son attention pour mieux dérober l’une de ses fioles. Il en bu une gorgée avant de recracher. « Putain, c’est dégueulasse, Harls. » L’ouzo et son goût affreux d’anis. Il s’essuya les lèvres grossièrement, usant des pans de la jupe de sa compagne avant de verser le reste du contenu dans l’herbe. Elle lui faisait le coup à chaque fois.

Rien ne semblait aller. Il perdait patience. Mais il avait de quoi détourner l’attention, de quoi relancer le jeu. « Je considère. » Elle faisait la fine bouche. Il aurait pu le parier et en mettre sa main à couper. Tant pis, elle n’aurait droit à rien. Elle se voulait vive Harls, assez pour qu’il se fasse avoir et qu’elle lui présente sa nuque avec un fermoir. Un soupir et des doigts qui glissent sur l’or fin pour sécuriser le bijou autour de sa nuque. Un baiser qui se perd derrière son oreille et des doigts qui glissent sur sa peau. Un frisson contre un autre. Œil pour œil et tout le tralala. « Annie, 2021 ? » Il n’avait fait attention à rien. « Une identité supplémentaire. » Une de celles qu’elle pourra tisser sans fin quand ils en auront besoin. « J’espère qu’elle m’en voudra pas trop de lui voler son mec ce soir. » L’étincelle dans ses yeux ramenait l’image d’une Harleen bien plus jeune, celle qui venait le sortir de cette maison pour aller parcourir le quartier. Il allait jouer le jeu, haussant déjà des épaules, dans une nonchalance qu’elle finirait par lui reprocher. Ils s’étaient toujours autorisés à s’inventer mille et une vies. « Elle s’ennuyait de toute façon avec lui. » La femme à qui il avait dérobé la chaînette paraissait lasse de la vie, au point de ne même pas réaliser qu’il avait su mener son tour de passe-passe. « Ou c’est lui qui s’ennuyait, l’histoire est trouble. » Comme la leur d’histoire. « T’as pas autre chose à boire ? » Elle lui avait donné envie et il fallait qu’il rince ce goût affreux de sa bouche.