« T’es un connard mais ce film est du génie. Ça s’équilibre. »

La poignée de popcorn vegan qu’elle prend du sac préparé chez elle et faufilé incognito sur place finit dans sa bouche du même geste. Harleen n’est pas du style à faire dans la rancune, elle pardonne aussi vite qu’elle s’enflamme. Depuis toute petite, elle s’amuse de voir le visage des gens en face d'elle réagir. Eux qui luttent avec incompréhension devant les insultes qu’elle a renvoyées comme munitions une seconde plus tôt, qui finissent par s'envoler dans un sourire aussi pacifique que véritable. Elle n’a pas l’énergie pour détester les gens et le patriarcat trop longtemps, Woody. Ce soir, en l’occurence, elle passe sa rage momentanée sur Ollie d’une remarque généralisée. Il l’a emmerdée quelques fois dans la journée, probablement d’autres depuis qu’ils se sont posés sur l’immense couverture tissée qu’elle a étendue dans l’angle parfait pour regarder ce film de génie au coucher de soleil. La routine.

Le truc, avec Ollie, c’est l’accumulation de souvenirs. Peu importe ce qu’il a bien pu faire sur l’instant qui l'enrage et lui donne envie de le quitter sur le champ, il y a toujours quelque chose qui lui rappellera leurs bons moments. Ils en ont tellement. La tête maintenant posée sur les cuisses du boxeur du dimanche, Honey laisse ses jambes voler au vent, chercher un tronc d’arbre non loin pour s’y appuyer. Du bout de ses orteils nus, elle danse sur les fissures de l’écorce, gratte, caresse, pense à voix haute. « On s’aime aujourd’hui, ou on se déteste? » la question est rhétorique, la réponse est toujours la même : un peu des deux. C’est leur recette, leur marque de commerce, leur cheval de bataille. Elle ne pourrait pas l’aimer autant qu’elle le fait si elle n’avait pas envie de lui exploser la tête, un jour sur deux. Ça aussi, c’est une forme d’équilibre. Un balancier entre le bon et le mal, entre des années à se pourchasser autant que se fuir. Juste là, maintenant, elle peut compter sur ses doigts tout ce que cet endroit lui rappelle, avec Ollie. Les nuits blanches à inventer des noms aux constellations qu’ils s'imaginaient voir, postés sous ce même arbre. Le décompte des butins de billets volés aux touristes qui rôdaient trop près d’un banc de parc où Honey grattait pour les passants des adaptations acoustiques de vieux classiques des 70’s pendant qu’Ollie leur vidait savamment les poches.

« Que je décide ce que je bois dans le lot. » une de ses jambes quitte le tronc d’arbre pour s’allonger vers leur sac à dos de fortune, tapissé d’écussons des villes et villages qu’ils ont visités, en Australie. Elle a tout amené, le truc pèse une tonne, de la tequila en passant par du rhum, un peu de bourbon, des bières, du vin. Chaque alcool a une signification bien précise, elle les appelle ses flacons d’émotions. Petite sorcière en devenir qui se redresse sur ses coudes pour embrasser Ollie à la volée, avant de plonger le nez dans son mini-bar pas si mini que ça. Comme si elle prévoyait avoir besoin de plusieurs gorgées pour les décrire, encore et toujours.

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lieu: cinéma en plein air, back to 74, oates park

« T’es un connard mais ce film est du génie. Ça s’équilibre. »
« T’es une chieuse, mais y’a rien qui équilibre. »

Bien sûr qu’il allait répondre. Elle le savait. Aucune surprise dans cet échange. Ce n’était que le juste milieu, la raison même de leur relation. Une insulte échangée contre une autre. Trois reproches pour un sourire. Une engueulade pour quelques baisers. Et des popcorns qui tombaient sur son pantalon, le forçant à lever les yeux au ciel, comme s’il se souciait réellement de l’état de ses fringues. Elle l’avait traîné jusqu’ici, il avait râlé tant qu’elle ne lui avait pas donné le titre du film. Depuis il rongeait son frein, réfrénant ses remarques sur les hippies bien-pensants qui les entouraient, il était venu apprécier le film. Ou juste passer une soirée avec sa brune sans que sa mini version ne leur cours dans les pattes. Le calme ne durait jamais entre eux. Elle lui tapait déjà sur le système à mâcher sa nourriture la bouche ouverte. Il prit une poignée de maïs soufflé juste pour la faire tomber dans les cheveux bruns qui s’étalaient sur ses cuisses. « On s’aime aujourd’hui, ou on se déteste? » La question se voulait rhétorique. La réponse changeait à chaque jour, voire chaque heure écoulée. Tout oscillait toujours entre le positif et le négatif. Parfois, il l’aimait trop. Souvent, il la détestait de lui tenir tête en permanence. Harleen restait néanmoins la seule constante dans sa vie. Celle qui n’était jamais réellement partie. La seule qui avait une quelconque importance. « Que je décide ce que je bois dans le lot. » Bien sûr qu’elle avait prévu le ravitaillement. Assez de fioles pour leur durer une partie de la nuit. Assez pour les amuser en tout cas. « J’allais dire qu’on oscillait vers la haine. » Juste pour l’emmerder, malgré le baiser qu’elle venait de déposer sur ses lèvres. Mais déjà sa main se faufilait dans la poche du blouson qu’il avait abandonné à côté de lui. Ses doigts s’enroulèrent autour d’une chaîne qu’il avait cachée là, juste la veille. Il tira dessus et vint faire balancer le collier sous les yeux de la brunette. « Pour ça, tu m’aimes ? » Elle lui avait montré, dans une boutique, une fois. Puis il l’avait reconnue ailleurs, ce l’était approprié d’une manière qu’il ne contera jamais. Le larcin était maigre, mais suffisant pour faire briller des étoiles dans les yeux de sa compagne, il en était certain. Et son sourire fier ne venait que souligner sa fierté d’avoir encore toutes les armes en poches pour obtenir ce qu’il souhaite de la vie et sans le moindre coût. « Sinon, je le reprends. » Il ne cessait jamais de jouer.

« T’es une chieuse, mais y’a rien qui équilibre. »
« C’est pas gentil ça, Oliver. »

Elle fronce des sourcils, pouffe de rire, lui bouffe le nez, l’embrasse à la volée. Harls est un coup de vent qui est partout sur son visage avant de l’ignorer dans les règles de l’art, les mains occupées à définir leur relation à partir d’une bouteille d’alcool ou d’une autre. Dans un monde où Posy n’existerait pas, Honey serait l’exemple même de l’adolescente qui n’a jamais vraiment grandi, qui continue de faire connerie sur connerie en évitant de toutes ses forces d’apprendre quoi que ce soit pouvant en ressortir. Avoir une gamine lui prouve un peu chaque jour qu’elle arrive à toucher un semblant de maturité, qu’elle est assez forte pour pouvoir prendre soin d’un autre être vivant sans la mettre constamment en danger avec la tête folle qu’on lui connaît bien. Ce soir, elle s'autorise à être en crise d'adolescence. Ces moments où Midas et Posy sont réunis, elle peut dormir sur ses deux oreilles en sachant sa fille entre les seules mains autres que les siennes qu’elle considère assez solides pour s’occuper de la gamine.

Les goulots sautent, elle s’amuse d’un coup d’oeil à valider si Ollie fait des rapprochements, s’il se souvient à quoi il peut s’attendre si elle boit de la tequila avant du rhum. Si elle investit la vodka plutôt que l’absinthe. Si elle préfère l’ouzo. Les bouteilles sont belles, financées par son allocation hebdomadaire d’ex de célébrité. Son argent de poche. « J’allais dire qu’on oscillait vers la haine. » elle fronce du nez avant de lui mordre - avec douceur, Harleen ne fait pas dans le cannibalisme, elle est vegan après tout - la lèvre inférieure. « La ligne est mince, mince, mince. » chaque mince est ponctué d’un baiser sur sa nuque. Qu’il la haïsse, juste pour voir à quel point elle sait se faire aimer.

« Pour ça, tu m’aimes ? » ou bien c’est Ollie, justement, qui cherche l’admiration aujourd’hui? Woody hausse le sourcil, intéressée autant dans le geste que dans la cachette, que dans l’artefact qu’il lui montre. « Je considère. » la chainette est jolie, délicate, le pendentif la fait sourire. Elle l’aime depuis des mois, l’a oublié quinze fois depuis, s’en souvient comme si c’était d’hier, qu’elle avait pointé le collier à Ollie avec l’enthousiasme de Posy devant une nouvelle livraison de bracelets de l’amitié. « Sinon, je le reprends. » elle ne pourrait pas être plus rapide, Harleen, pour s’emparer du collier et déjà le passer autour de sa nuque. Clichée au possible et toute autant assumée, elle se place de manière à ce qu’Ollie puisse fermer le loquet pour elle. « Annie, 2021? » ses yeux se baladent, finissent par lire l’engravure sur le revers, sait bien que le bijou vient d’ailleurs que d’un présentoir, ne l’aime que plus. Ollie aussi. « J’espère qu’elle m’en voudra pas trop de lui voler son mec ce soir. » son sourire est immense, il tartine son visage et remonte jusqu’aux étincelles dans ses yeux. Elle a toujours l’impression de gagner, quand il la choisit, elle.

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« C’est pas gentil ça, Oliver. » Elle savait parfaitement à quel point il pouvait haïr l’emploi de son véritable prénom. Elle jouait avec ses nerfs, comme toujours. Trois baisers, pour souffler le chaud et le froid, n'y changeront rien. Il avait déjà envie de râler. Pour la forme, parce qu’elle l’avait traîné dans cet événement de hippie dégénéré, parce qu’elle allait lui demander de participer à mille autres choses par la suite. Il avait tant d’autres choses à faire – ce n’est pas vrai – mais c’est elle qui avait gagné pour le programme. Probablement à la déloyale. Ou alors il l’avait laissé gagner. Il n’était pas du genre à se faire pardonner, mais les derniers éclats de voix se voulaient de son fait. Ce n’était en rien des excuses, mais bien plus un intérêt personnel. Il n’avait aucunement envie de dormir dehors ce soir. Fin de l’histoire. « La ligne est mince, mince, mince. » Si son désir premier était de rester de marbre, l’effleurement de ses lèvres contre sa nuque lui provoqua une réaction épidermique. Trahi par son propre corps. L’effet imprima une once de colère sur ses traits tandis qu’Harleen riait de ce frisson qu’elle lui provoque. Agacé, il repoussa à nouveau son visage du plat de sa main. Détourner son attention pour mieux dérober l’une de ses fioles. Il en bu une gorgée avant de recracher. « Putain, c’est dégueulasse, Harls. » L’ouzo et son goût affreux d’anis. Il s’essuya les lèvres grossièrement, usant des pans de la jupe de sa compagne avant de verser le reste du contenu dans l’herbe. Elle lui faisait le coup à chaque fois.

Rien ne semblait aller. Il perdait patience. Mais il avait de quoi détourner l’attention, de quoi relancer le jeu. « Je considère. » Elle faisait la fine bouche. Il aurait pu le parier et en mettre sa main à couper. Tant pis, elle n’aurait droit à rien. Elle se voulait vive Harls, assez pour qu’il se fasse avoir et qu’elle lui présente sa nuque avec un fermoir. Un soupir et des doigts qui glissent sur l’or fin pour sécuriser le bijou autour de sa nuque. Un baiser qui se perd derrière son oreille et des doigts qui glissent sur sa peau. Un frisson contre un autre. Œil pour œil et tout le tralala. « Annie, 2021 ? » Il n’avait fait attention à rien. « Une identité supplémentaire. » Une de celles qu’elle pourra tisser sans fin quand ils en auront besoin. « J’espère qu’elle m’en voudra pas trop de lui voler son mec ce soir. » L’étincelle dans ses yeux ramenait l’image d’une Harleen bien plus jeune, celle qui venait le sortir de cette maison pour aller parcourir le quartier. Il allait jouer le jeu, haussant déjà des épaules, dans une nonchalance qu’elle finirait par lui reprocher. Ils s’étaient toujours autorisés à s’inventer mille et une vies. « Elle s’ennuyait de toute façon avec lui. » La femme à qui il avait dérobé la chaînette paraissait lasse de la vie, au point de ne même pas réaliser qu’il avait su mener son tour de passe-passe. « Ou c’est lui qui s’ennuyait, l’histoire est trouble. » Comme la leur d’histoire. « T’as pas autre chose à boire ? » Elle lui avait donné envie et il fallait qu’il rince ce goût affreux de sa bouche.

« Putain, c’est dégueulasse, Harls. »
« Petite nature. »

Elle éclate de rire, lui pique la bouteille, en boit deux bonnes lampées rien que pour lui prouver qu’elle est plus forte, plus fière, plus grande et plus solide que lui. Elle le faisait du haut de ses cinq ans Harleen, quand Ollie n’était pas impressionné par qui que ce soit dans la cour de récré et qu’elle voulait ses yeux à lui rien que sur elle. Vingt ans plus tard, rien n’a changé et elle ne s’en cache pas le moindre du monde.

Et puis qu’il râle, elle l’aime bien grincheux. Ses lèvres se perdent sur la courbe de son cou, elle compte les carats d’une chaînette en or qu’il a volée fort probablement parce qu’il s’emmerdait aujourd'hui. Ils s’emmerdent beaucoup, ces jours-ci. « Une identité supplémentaire. » les méfaits sont loins, depuis que Posy est partie prenante de leur quotidien. Oh, Honey ne se gêne pas pour jouer la pickpocket dès que sa fille est dans les bras de son père. Elle ne pourrait tout simplement pas dire adieu à ce côté d’elle même si elle le voulait de toutes ses forces tellement il est ancré. Et puis, elle ne le veut pas, la question est réglée. Mais elles sont loin, les manifestations. Les causes à défendre, les nuits blanches à brûler la ville des yeux, la fougue des premières années à vivre à Brisbane comme des va-nu-pieds. « Elle s’ennuyait de toute façon avec lui. » comme d’habitude, les mots d’Ollie viennent de suite s’accrocher aux pensées de Woody. Ils ont grandi ensemble, ils se confondent trop souvent l’un à l’autre, elle se réveille terrifiée de cette complémentarité au moins une bonne nuit sur deux. Mais là tout de suite, être aussi pareille que l’amour de sa vie a de solides avantages. Ce sera la tequila ce soir, donc. « Ou c’est lui qui s’ennuyait, l’histoire est trouble. Va falloir clarifier ça. » pendant qu’Ollie s’assure que le collier est parfaitement en place autour de la nuque d’Harleen, elle se sert une bonne portion de l’alcool qui l’accompagne chaque fois qu’elle veut faire des mauvais coups.

« T’as pas autre chose à boire ? » elle roule des yeux, lui met le goulot de tequila sous les lèvres. S’il avait pris deux secondes pour remarquer à quoi elle s’abreuvait, il aurait de suite su ce qui allait venir. Ce qui les attendait pour le reste de la soirée. « J’ai envie de faire des conneries. » elle s’entend parler et reconnaît la Honey à peine sortie de l’adolescence qui lançait des briques dans la fenêtre des parents merdeux d’Ollie avant d’aller le cueillir fraîchement dans la ruelle à l'arrière de la maison familiale pour aller manger des glaces dans un stationnement en béton d’un supermarché bidon d’Alice Springs. « Je m’ennuie et tu t’ennuies aussi, non? » elle insiste sur les mots qu’Ollie a choisi, ceux qui catégorisent Annie et son gars, leurs rôles pour le moment. Même si ce n’était pas le cas, la suite serait la même. « Qu’est-ce qu’on casse? » des fenêtres, des voitures, des visages, des coeurs. Tout est une option, finalement.

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Ils se comprennent en un clin d’œil. C’est qui l’avait toujours poussé à rester, cette connexion inexplicable qui le liait à Harleen. Rien ne se voulait forcer entre eux, ils sont capables de se comprendre sans jamais avoir besoin de se lancer dans de grands discours. Qu’importe les prises de têtes, les explosions de voix et les quelques crises de jalousie. Quand tout allait bien, lorsque les planètes se voulaient aligner dans leur sens, ils devenaient le duo le plus létal du coin. Elle ne lui avait rien demandé, mais il avait dérobé le bijou avec l’idée bien précise de relancer la machine. Il n’avait rien à se faire pardonner, Ollie ne faisait jamais rien de mal. Tout ce qu’il aimait, c’est voir les sourcils d’Harleen se froncer alors qu’elle réfléchissait ardemment à la prochaine connerie qu’ils pourraient entamer. Elle lui tend une fiole de tequila dont il s’abreuve avec le sourire. « J’ai envie de faire des conneries. » Elle venait de prononcer la phrase magique. Il vint chercher ses lèvres dans un baiser brusque, mais qui reflétait son approbation. « Je m’ennuie et tu t’ennuies aussi, non? » Il hoche la tête, refusant de nier. « Ils ne vont pas apprécier. » Les gens qui les entourent. « Que l’on s’ennuie à deux. » Ils ne s’ennuyaient jamais vraiment ensemble, mais le sous-entendu était leur code de conduite. Ne jamais les laisser sans rien avoir à faire, cela pouvait s’avérer mortel. Pour les autres, la plupart du temps. « Qu’est-ce qu’on casse? » Il était étonné qu’elle n’est pas déjà deviné la cible idéale. Il l’avait vu, lorgner sur le groupe de filles en contrebas. Harls aimait les séduire avant de chiper dans leurs sacs à mains, des produits de beauté, des portefeuilles et le numéro de leur mec par la même occasion. Il ne compte plus le nombre de messages qu’elle lui a fait laisser sur des répondeurs avec une voix suave et la promesse d’un rendez-vous sexy. Ils pouvaient en rire pendant des heures, mais ce soir Ollie rêvait de grandeur. Avec délicatesse, ses doigts vinrent emprisonner la mâchoire d’Harleen pour mieux faire tourner son regard sur la cible qu’il avait en tête depuis l’instant où elle l’avait forcé à s’asseoir sur cette couverture qui gratte. Une vieille Ford Impala garer à quelques mètres de là. La même que possède son cher père. « On fait un tour ? » Comme au bon vieux temps ? Lorsqu’il dérobait la caisse de son père, embarquait Harleen faire des drifts dans le parking à la sortie de la ville avant de s’étaler sur la banquette arrière pour quelques instants qui feraient rougir son pieu de paternel. « Je sais encore la démarrer sans clé celle-là. » C’était l’avantage des vieux modèles. « Juste un emprunt, on lui rendra… Sur des moellons. » Sans les quatre roues ou juste avec deux, il n’avait pas vraiment décidé encore. « Tu fais diversion ? » Elle excellait dans ce rôle là et lui adorait voir à quel point elle se renouvelait dans l’exercice.

« Ils ne vont pas apprécier. Que l’on s’ennuie à deux. »
« Rien à battre d’eux. »

Harleen est une gamine à Noël, devant laquelle on vient de poser une avalanche de cadeaux, un arbre de sept pieds illuminé jusqu’au plafond et des collines enneigées à perte de vue. Le baiser qu’elle rend à Ollie aurait très bien pu, à lui seul, déranger leur public s’ils avaient eu envie de s’arrêter là. La tequila des bons jours, l’alcool qui assure à Honey qu’elle range ses crises improvisées sous l’oreiller au moins jusqu’à demain.

Elle est devant l’embarras du choix, la boutique de bonbons s’étale à leurs pieds. Ollie amène son regard là où il pose déjà le sien. Woody observe, joue distraitement avec son nouveau bijou préféré. Ce collier qu’elle détestera avec ferveur à la seconde où Ollie sera trop amoureux, trop attentionné, trop attentif. Pour l’instant, il s’en sort bien en la distrayant autant qu’elle en a besoin. « On fait un tour ? » la Ford Impala la ramène à toutes ces soirées à se faire des confidences de con allongés sur le capot, à dire des mensonges, à se regarder dans les yeux, à se jurer de s’haïr aussi fort le plus longtemps possible. Le plan l’emballe déjà. « Je sais encore la démarrer sans clé celle-là. » « Terrifiant. » elle se moque, lui pince la joue, veut plus, toujours plus. Elle veut qu’ils se fassent remarquer, que les gens tournent la tête, elle veut qu’on les regarde partir, qu’ils créent une commotion, que l’adrénaline les guide dans les ruelles de la ville, qu’ils y cachent la voiture et la laisse aux bons soins des sdf une fois leur méfait accompli. Évidemment, Ollie le comprendra, le coup d’oeil qu’elle lui renvoie est sans équivoque. « Juste un emprunt, on lui rendra… Sur des moellons. » et elle pouffe de rire, Harls, déjà le sac sur l’épaule et les cheveux emmêlés à la perfection pour lui donner l’air de la parfaite petite pacifiste en herbe. « Tu fais diversion ? » « Je t’aime. » sa déclaration vient avec une langue tirée et un majeur bien haut. Il sait, Ollie, qu’Honey n’est jamais vraiment capable de tout donner d’un coup. Le romantisme lui fait défaut, elle n’est aimante et adorablement douce qu’avec Posy.

Un groupe de jeunes se tient en bordure de la voiture, elle appartient sûrement à l’un d’entre eux. Innocente au possible, ses grands yeux bleus la précèdent comme à leur habitude lorsqu’elle se joint aux inconnus avec la bouche en coeur. Le film est déjà commencé, elle chuchote à l’oreille de l’un pour savoir s’il a du feu. Sa cigarette de sûreté entre les doigts, Harleen le regarde sortir son briquet le plus docilement du monde. C’est leur code, à Ollie et à elle. Si elle fume une bouffée, il a la voix libre, si elle prend son temps et tire trois lattes, c’est qu’il doit rôder sans faire de geste brusque. Au bout de la troisième inspiration, elle a réussi à creuser un peu les membres du groupe. L’un aime énormément parler, l’autre aime énormément le décolleté qu’elle a décidé de porter pour afficher fièrement à quel point elle est une femme libre et libérée. Parfait. Nouvelle inspiration unique, Ollie a le champ libre. Le film lui est d’une grande aide, lorsque Harls éclate de son rire cristallin, attirant les coups d’oeil charmés des idiots qui l’entourent. Sans effort, elle glisse une mèche derrière sa nuque, exhibe la courbe de sa gorge, triture sa lèvre avec son index.

« C’était facile, les gars. » un coup d’oeil par-dessus son épaule lui confirme qu'Ollie est bel et bien derrière le siège conducteur. Harleen envoie un baiser soufflé à la bande de Cro-Magnons qu’elle largue dans son ombre, avant de piquer un sprint vers la voiture et Ollie, hilare, heureuse, divertie.

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Il a repéré la bagnole en un coup d’œil. Souvenir d’antan qui remonte à la surface, des heures passés à voguer au travers des rues vides de la moindre âme dans ce bled paumé qui leur a tant coûter. Ses années de rébellion toquent à la porte, avide de regagner les sensations en multipliant le risque des inconnus. « Je t’aime. » Une déclaration qu’il prends à la légère, incapable de réciprocité. Ce n’est pas le genre de mots qu’il prononce et elle n’a pas besoin de les entendre. Un baiser scelle le pacte diabolique qui se met en place. Et un échange de majeur levé, juste pour la forme. « Dépêche. » Comme s’ils n’allaient pas prendre le temps de savourer. 

Du coin de l’œil, il observe celle qui rythme sa vie, jouer de ses cheveux et de ses sourires. Elle drague sans conviction, mais les abrutit, tombant tête la première dans ce genre de numéro. Ils ne font plus attention à rien et lui s’amuse de leur naïveté. Le signal est lancé. Le jeu est parfaitement huilé, le duo plus affreux que jamais dès qu’il s’agit de commettre un vol. Entre eux, ils parlent d’emprunt. Après tout, ils ne conservent jamais un aussi gros larcin. Ce qu’ils cherchent, c’est l’adrénaline, celle qui fourmille dans ses jambes alors qu’il s’installe derrière le volant de la Mustang. Ses doigts connaissent encore le moindre emplacement, tirent sur le boîtier, arrachent un fil puis deux, sans les faire se toucher d’abord. La voiture démarre sans attendre et il enfonce l’accélérateur pour la frime. Les regards se tournent alors qu’Harleen cours, sa jupe volant sur ses cuisses. « Merci pour la caisse, les nazes. » Il lève un majeur bien droit avant d’accélérer comme un fou.

Elle triture la radio tandis qu’il accélère sans cesse, grillant un feu rouge puis deux. Juste pour le plaisir. Il s’éloigne du centre-ville pour rejoindre un quartier mal famé ou personne ne tournera la tête vers eux. « J’ai une idée. » Ce n’est jamais bon signe venant de lui. Mais elle va aimer, il le sait. Alors qu’elle chante à tue-tête, il s’engage dans une ruelle sans vie. « On leur redécore ? » Ils l’avaient fait à l’époque. Avec la voiture de son père. À déchirer les sièges en cuir, éclater le pare-brise et rayer la carrosserie. Du fond de sa poche, il sort son Opinel. « Tu fais les honneurs ? » Elle avait pas oublié son sac, il en voit l’une des bouteilles qui dépasse. « Non, attends. » Il attrape la première fiole qu’il voit, puis la seconde. Ils ont le temps de trinquer, personne va les suivre. « Faut qu’on se casse, Harls. » Pas de cette caisse, mais de cette ville. Ollie s’ennuie et ce n’est jamais bon. « On emmène la mioche à Cairns ? » Pour apprendre à surfer ou pour n’importe quoi en vrai.

« Dépêche. » elle avait envie d’être amoureuse aujourd’hui. Ollie lui coupe l’herbe sous le pied comme le salaud qu’il est quand il décide de l’être. Harleen jure de se venger dès qu’elle en aura l’occasion. Ses “je t’aime” sont précieux, elle les lui donne juste quand elle le ressent pour vrai, de toutes ses forces. Qu’il n’y réponde pas le plus volontairement du monde la fait grincer des dents. Ça ira. Elle sait quoi faire pour le rattraper au tournant.

Évidemment, charmer un paquet d’inconnus ne fait pas partie de son plan élaboré de vengeance. Trop facile. Mais elle s’amuse le temps de recevoir l’attention et les regards intéressés d’un paquet de gars qui même s’ils cochaient toutes ses cases n’arriveraient jamais à la cheville de cet imbécile d’Ollie. Elle ricane un peu plus fort sur la fin, signe qu’elle les a dans sa poche, et le « Merci pour la caisse, les nazes. » arrive juste au moment où elle commençait à s’emmerder d’arriver si aisément à ses fins. Ses longues jambes bronzées se précipitent vers Ollie, elle grimpe à bord de la voiture, savoure la brise des fenêtres ouvertes dans ses cheveux emmêlés. Pendant une fraction de seconde, Harls est heureuse à nouveau. La chanson qui joue à la radio lui plaît, le quartier vers lequel Ollie file à toute allure lui rappelle d’où ils viennent, Honey se laisse faire. Un temps.

« J’ai une idée. » elle chante par-dessus lui pour s’épargner sa voix de merdeux le temps de quelques kilomètres, mais entend très bien ses manigances. Curieuse, Honey jette un coup d’oeil à Ollie avant de lui pointer du menton une ruelle où ils pourront aller garer la voiture et s’adonner à son idée. Elle y voit un joli déjà-vu, de grandes intentions de rejouer une scène qui avait scellé leur futur il y a des années de ça.

« On leur redécore ? » Harls se hisse pour piquer des doigts conciliants d’Ollie le couteau qu’il lui offre. Faisant rouler le manche entre ses paumes, elle tourne autour du bolide identique à celui d'un père qu’elle a haï presqu’autant qu’elle détestait le sien. « Tu fais les honneurs ? » bien sûr que oui. Woody serait prête à lui racheter sa bévue de tout à l’heure, son refus de l’aimer aujourd’hui autant qu’elle l’aime, lui. Mais il la stoppe dans son élan. « Non, attends. » la bouteille qu’il lui tend scelle le tout : de la liqueur d’amandes. Elle devient hystérique, avec celle-là. « Faut qu’on se casse, Harls. On emmène la mioche à Cairns ? » “il faut” pfff. Harleen essuie son menton des quelques gouttes d’alcool sucré qui s’y sont posées alors qu’elle prenait une longue et pensive gorgée. « Casse-toi si t’en as envie. » la lame du couteau grince sur la carrosserie alors qu’elle fait le tour de la bagnole. La bouteille est à demie-entamée, Honey marche lentemment d’un côté à l’autre, revient sur ses pas pour laisser tomber l’Opinel aux pieds d’Ollie. « Moi j’aime bien ce que la météo annonce pendant les prochaines semaines. » elle hausse de l’épaule, l’ignore le temps de retrouver la rue passante à l’autre bout de la ruelle.

Lorsqu’elle aura pris une bouffée et une autre de cigarette et qu’elle aura repéré une voiture de flics qui tourne le coin, Harleen lâche un cri puissant de détresse à l’intention de l’agent de police. « Au secours! »