La porte du café, ouverte d'un geste familier, lui permet de retrouver ce lieu chaleureux - presque une habitude depuis six mois, depuis son arrivée et ses premiers pas à Brisbane. Chacune de ses apparitions, toujours à la même table, lui rappelle ce précieux souvenir : son premier contact australien, tout à fait fortuit et, à ses yeux, d'autant plus important. Arsinoé s'installe, dépose sa veste sur la banquette en attendant son invitée-amie-personnalité intrigante qu'elle ne définit qu'à peine dans sa vie; son regard porte à l'extérieur, par delà la baie vitrée à laquelle elle s'est adossée, dans la contemplation de ce microcosme qu'elle n'apprivoise que doucement. Les murs et les artères de la ville ne sont plus si étrangères, les bonnes adresses tendent à fleurir sur son carnet et quelques repères font mouche, telles les étoiles de son ciel diurne. Tout cela, elle le doit à Greta.

La curiosité semblait mutuelle lors des dernières entrevues; c'était simple, si simple que c'en était étrange, réussissant à libérer sa parole pour déployer certaines frasques, quelques craintes qu'un simple vol Détroit-Brisbane n'avait pu effacer. Elle l'inspirait pour s'exorciser, et Greta avait semblé en tirer parti; un drôle d'équilibre dans lequel Sinoé se retrouvait aisément, et qui lui avait permis sans doute de mieux appréhender sa nouvelle vie - le comble d'une Quinzel qui n'avait pratiquement rien préparé. Trouver l'hôpital et une pharmacie, check. La caserne du coin, le présent café et un bar-cabaret sympathique, dans lequel postuler.. Check. Le foyer social, en dernier lieu, ainsi qu'un refuge pour animaux - juste au cas, pour sa perruche Harley. C'était un peu le grand mal de la brune, cette faculté à se débrouiller en faisant n'importe quoi, en comptant sur une âme charitable pour lui envoyer l'ascenseur; la vie avait été clémente, assez pour qu'une jolie blonde guide son chemin et daigne la revoir. Improbable - donc d'autant plus satisfaisant.

Un paquet d'clopes d'urgence dort dans son sac, et l'attente titille son cruel besoin de nicotine; ça fait partie des choses sur lesquelles elle doit bosser, les addictions restantes qui ont tendance à se métamorphoser pour trouver d'autres façons de lui nuire. Sans les tiges poison, ce serait les bonbons; sans les bonbons, les chewing-gum, à raison d'un paquet par jour. Sans ça, la compote de pommes - faut pas chercher à comprendre, le tout étant qu'elle centralise ce caractère pernicieux sur une chose, à défaut de réussir à patienter sagement. Il y a aussi du rhum dans l'sac, une petite flasque pour les nuits à la belle étoile, euphémisme de l'indigent à la rue qui s'réchauffe avec du tord-boyaux plutôt qu'avec des couvertures. Elle commande un café, à défaut d'pouvoir vraiment lutter contre le clic-clic de son cerveau, et verse discrètement un fond d'alcool dans la tasse; c'est pas faute d'avoir galéré à se sevrer, mais les temps sont durs et elle accuse mal le coup de sa solitude, même entrecoupée d'instants de partage. Le plus ironique dans tout ça ? Arsinoé se souvient pas d'la dernière fois qu'elle a été aussi calme, apaisée, presque épanouie par moments, signes que sa décision d'bouger était la bonne. Et pourtant, ses vieux démons sont toujours là; ces cons-là sont pas américains, mais diables universels, ils se foutent bien du drapeau tant qu'ils peuvent grignoter les méninges.

- Greta ! à peine entrée qu'elle l'interpelle, tant par plaisir de la voir que par nécessité d'couper l'afflux néfaste à sa tête; la bahamienne se lève, pimpante et sincèrement enjouée de la retrouver, oscille encore entre la bise et une légère étreinte. - Va falloir qu'on cause coutumes.. Je sais jamais si tu vas m'taper un high-five, une bise à quatre joues ou un câlin façon doudou. à défaut, l'invite à prendre place. - Oh, et.. J'ai déjà commandé. Sorry. Prends c'que tu veux, c'est pour moi. sourire de connivence, bienvenue dans la danse. A l'ordre du jour: Quinzel, le reportage d'une tornade américaine aperçue au pays des kangourous.               

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