Brisbane regorgeait d’idées pour ne jamais laisser ses habitants à court d’activités et c’était quelque chose qu’elle appréciait sans savoir si elle avait simplement fini par être blasée de ce que proposait Londres. La ville était tout aussi animée, pourtant, tout était différent ici. Les protagonistes, notamment, dont l’un lui avait donné l’idée de participer à cette activité précise. Si Greta renouait avec son côté fleur bleue, elle restait sur ses gardes, pour son bien et celui d’Arthur. « On parie qu’elle va manger les craies au bout de combien de temps ? » Elle avait répondu aux sourcils froncés de Swann avec un haussement d’épaules avant de rire, profitant d’un moment un peu plus léger que le dernier avec lui. C’était quelque chose qu’elle avait toujours apprécié chez l’anglais, il était le genre d’ami disponible, qui associait les actes aux paroles. Il suffisait de lui proposer quelque chose pour qu’il fasse en sorte de se libérer et ce malgré un planning de kinésithérapeute, de papa et de mari d’acteur célèbre extrêmement chargé. C’était sa façon à lui de montrer son amour, parce que Greta n’était pas convaincue qu’il réussirait à le faire aussi bien que sa fille avec des craies sur le mur. Celle-ci était d’ailleurs déjà en train d’attraper plusieurs craies à la foie, venant aposer quelques gribouillis imprécis sur la fresque et c’est dans un geste presque maternel que Greta s’était baissée à son niveau pour lui montrer le chemin. A force de côtoyer la petite, elle était de plus en plus à l’aise avec elle et elle espérait que le contraire était vrai également. « Je vais dessiner un truc pour mon frère, je pense. D’ailleurs, les choses ont avancé avec Ginny ? » avait-elle demandé négligemment comme si le fait d’être accroupie à tenir la petite main de Robin pour l’accompagner dans son dessin en diminuerait la portée. De sa position, elle pouvait ainsi éviter le regard désapprobateur de Swann et briser le silence en remontant à son niveau si besoin. Le cœur que les filles avaient entrepris ressemblait vaguement à quelque chose mais restait extrêmement fade à côté des dessins déjà présents sur la fresque. Des déclarations ici et là, dans des polices travaillées, avec des grafitis représentant des visages, des animaux ou des paysages. Le thème était vaste et pouvait être interprété de bien des façons, mais devant ce mur de l’amour, le sourire en coin de la blonde n’était le résultat que d’un scénario bien précis qu’elle n’aurait jamais su anticiper. « Alors, comment tu comptes représenter ton amour pour Rory là-dessus ? » Une façon subtile de détourner l’attention de sa première question et de son air béat et de forcer Swann à attraper une craie.

« On parie qu’elle va manger les craies au bout de combien de temps ? »
« Au bout de jamais j’espère. »

Quand bien même Swann l’espère effectivement de tout son cœur, il sait aussi qu’il n’y a pas moins de chance que sa fille tente de manger ce qu’elle a dans sa main puisqu’il s’agit là de l’impulsion première de n’importe quel enfant. Leurs sens ne sont pas encore pleinement développés, ils sont donc forcés d’agir avec les moyens du bord, lesquels ne sont pas nombreux et se résument bien souvent à baver sur tout ce qu’ils peuvent. Tout est d’autant plus tentant pour Robin alors qu’ils sont entourés d’objets dont elle n’a pas forcément l’habitude et surtout d’un tas de murs sur lesquels elle a le droit de dessiner sans être grondée, et même en étant aidée dans son aventure. Autant dire que Swann craint déjà toutes les leçons qu’elle pourrait tirer de cette journée mais ne regrette pas pour autant de l’avoir conviée à ses côtés - parce qu’elle ne mérite évidemment pas d’être ailleurs. Qui plus est, elle profite aujourd’hui de l’aide de Greta dans ses méfaits, et c’est avec un regard particulièrement doux que l’anglais observe toute la bienveillance que son amie met à l'œuvre pour s’occuper de Robin. « Je vais dessiner un truc pour mon frère, je pense. D’ailleurs, les choses ont avancé avec Ginny ? » - « Tu vas lui dessiner quoi ? » Il s’intéresse à elle par automatisme, avant de se rendre compte qu’elle lui a surtout renvoyé la question. Il n’y avait simplement pas fait attention, à dire vrai - et aussi parce que le sujet n’est pas réellement pour l’arranger. Ginny n’est pas tabou, mais la période n’est pas la plus propice pour dépeindre la beauté de leur lien fraternel. « On a crevé l’abcès. Mais je crois qu’on va avoir besoin de temps. » Ils étaient à eux deux les cinq doigts de la main, avant, et retrouver ce lien unique est tout ce dont Swann a envie. Ce qu’il craint, c’est qu’une fois brisé il ne puisse exister à nouveau, et au-delà de le rendre particulièrement triste, cette idée le terrifie sincèrement. « Vu les circonstances, ça me semble normal. » Et tout dans le regard qu’il tend à Greta est un pas vrai ? à peine camouflé tant il a besoin d’être rassuré, sa crainte s’exprimant au travers d’un baiser qu’il pose sur le crâne de sa fille, lequel se garnit chaque jour un peu plus de mèches claires.

« Alors, comment tu comptes représenter ton amour pour Rory là-dessus ? » Il esquisse un sourire en coin à la simple énoncée du prénom de son mari, comme s’il était encore un amour adolescent impossible à obtenir ; comme s’il ne le retrouvait pas chaque jour après le travail, juste après l’avoir quitté chaque même matin. D’un ton plus bas, par pudeur habituelle, il reprend. « Je pensais juste à l’océan. Il adore ça. » Et Swann, de son côté, essaie encore de se renseigner sur comment s’approcher de la Grande Barrière de Corail sans la mettre davantage en péril, parce que ce serait le parfait cadeau pour fêter leur premier anniversaire de mariage et qu’il aurait une belle signification, au moins pour Rory. Et si son mari est heureux, il l’est tout autant. « Tu vas dessiner pour ton frère, toi, alors ? » Son frère et seulement son frère ? Il ne juge pas, loin de là, mais tel un bon ami, il s’informe au moins des évolutions de sa vie personnelle, bien que totalement privée. Après tout, Swann ne lui force pas la main : preuve en est, il est déjà à la recherche d’une craie bleue pour commencer son propre dessin, avec la certitude que Robin voudra y ajouter sa touche personnelle.

« Au bout de jamais j’espère. » Il n’avait pas tardé à ressortir de côté papa poule qu’elle aimait tant, et elle s’était contentée de répondre par un rire. « Tu vas lui dessiner quoi ? » « Ah mais faut dessiner un truc travaillé tu crois ? » avait-elle lancé, presque inquiète en constatant que le mur était couvert de jolis desssins, parfaitement exécutés et non pas de gribouillis que Robin réussirait à surpasser sans problème. « Je comptais juste faire un coeur… Je vais essayer de dessiner je sais pas, une tasse de thé et une cravate. » Si Greta était pleine de bonne volonté, sortant son téléphone pour chercher des modèles, elle était loin d’être convaincue que le résultat serait un succès. Et si ses talents en dessins étaient encore à prouver, il en était de même pour la subtilité dont elle semblait manquer cruellement lorsqu’il s’agissait des histoires personnelles de Swann. « On a crevé l’abcès. Mais je crois qu’on va avoir besoin de temps. » Ce n’était donc probablement pas pour elle qu’il dessinerait aujourd’hui. « Vu les circonstances, ça me semble normal. » Swann cherchait son approbation et un maigre sourire s’était dessiné sur les lèvres de la blonde. « Bien sûr, que ça l’est. Accordez-vous du temps et je suis sûre que tout finira par s’arranger. » Il était inutile de garder des rancoeurs et de se priver d’un membre de sa famille peu importe les raisons, mais c’était un point de vue bien trop subjectif pour qu’elle ne se décide à le partager clairement. L’endroit n’était pas celui de reproches, bien au contraire, les sourires sur les visages de chacun des artistes en herbe s’affairant devant le mur étaient de ceux qui redonnaient foi en l’Humanité.

Alors il avait été simple pour Greta de détourner l’attention de Swann en utilisant la carte de son mari dont il ne parlait jamais sans un léger sourire aux lèvres. « Je pensais juste à l’océan. Il adore ça. » « Et c’est bien plus simple à dessiner que mes idées… » Greta avait la fâcheuse tendance de rendre tout compliqué, même l’exercice le plus simple. « Tu vas dessiner pour ton frère, toi, alors ? » Accroupie devant le mur parce qu’il lui semblait logique de rester au niveau de Robin, Greta avait levé les yeux vers Swann comme pour vérifier si un sous-entendu se cachait derrière ses mots. Il n’était pas rare qu’il sache avant elle-même ce qu’elle comptait dire, et la question avait forcément dévié le cours de ses pensées. « Oui ? Je peux dessiner un truc pour Robin et toi aussi si je m’en sors avec ma première idée. Qu’est-ce qui vous représenterait tous les deux ? » Elle était ambitieuse, parce que sa tasse ressemblait plutôt à une cruche à eau qu’aurait tenté de créer un novice en céramique. L’écrivaine était concentrée, mais plus le motif avançait, plus elle réfléchissait à la façon dont elle avait exprimé son amour ces jours-ci et à celle dont Swann semblait la sonder. « Ou je peux tenter de faire une formule 1. Ou un drapeau à damier, c’est plus simple. » Il y avait fort à parier que Swann comprendrait où elle voulait en venir et à qui s’adresseraient ces dessins-là. C’était plus simple, d’utiliser la subtilité, surtout lorsque ces mots lui avaient échappé dans un moment où elle s’était sentie plus proche d’Arthur que jamais. Comme une adolescente, la blonde souriait à ce mur qui porterait bientôt les marques de quelque chose qu’ils s’attelaient à recréer.