won't you hold me while this storm is in my head?
@Midas Sterling (crédit gif/rampld)

Jo pouvait faire un effort d’imagination, fabriquer un scénario légèrement différent de celui qu’elle avait imposé à tout le monde depuis plus d’un mois, et prétendre que sa longue absence, elle la devait à une tournée promotionnelle quelque part, à des milliers de kilomètres de l’Australie. Elle pouvait aussi se raconter des histoires sur la nervosité qui ne l’avait pas quittée de tout son trajet en voiture jusqu’à l’imposante villa de Midas, la mettre sur le compte de l’anticipation due à des retrouvailles très attendues qui s’éterniseraient sans doute, et qui seraient heureuses, forcément. Mais travailler sur soi-même, c’était accepter de voir la réalité en face ; mantra à la con si son avis lui était demandé, elle avait passé sa vie à vivre dans le fantasme d’une carrière fulgurante, drapée de gloire et de paillettes, ce n’était pas maintenant qu’elle allait subitement moins se mettre à rêver. Néanmoins, sur l’instant, elle laissa de côté son imagination, et elle relut les textos échangés avec Midas pour s’arrêter sur les tous derniers. Ainsi, elle ne mit pas bien longtemps à rebattre les cartes de ses priorités.

"J’ai bien failli ne pas vous reconnaître. Mais vous êtes quand même toujours aussi ravissante." "Ah ouais, la frange. Merci, Tobias." Ses doigt trouvèrent le rideaux subtilement effilés qu’elle avait sur le front. Adressant un sourire mi-figue mi-raisin au chef de la sécurité de la villa, ce dernier opina avec bienveillance en laissant entrer dans le domaine le taxi qu’elle avait pris depuis l’aéroport. Elle entendit qu’il pépiait quelques ordres au travers d’un appareil qu’il porta à sa bouche sans qu’elle s’en soucie véritablement, déjà au courant que Midas n’était pas présent dans l’immédiat. Il lui avait pourtant dit qu’il voulait la voir à son retour, et ça l’avait soulagée de le lire tel quel, le doute lui étant permis simplement parce qu’elle savait qu’elle n’avait pas fait les choses comme il le fallait, et qu’à défaut de lui devoir vraiment des explications, lui en ayant déjà donné une palanquée, elle lui devait des excuses qu’elle penserait du plus profond de son coeur. Son retour en Australie, elle le faisait la queue entre les jambes, le coeur bien moins lourd que lorsqu’elle était partie, Jo. Ce n’était pas pour autant qu’elle allait parfaitement bien : elle allait mieux, et elle était prête à s’en contenter le temps de reprendre ses marques, mais aussi de cocher les entrées de cette foutue liste qu’elle avait rédigée durant ses dernières nuits d’insomnies.

Après plusieurs mètres, on la fit rentrer à l’intérieur de la villa, on ramena son énorme valise dans la chambre du propriétaire des lieux, et enfin on lui murmura avec gentillesse "Je vous laisse disposer des lieux, ça me fait plaisir de vous revoir." Fais comme chez toi. Elle entendait la voix de Midas le lui dire sans avoir besoin de s’enfoncer trop loin dans ses songes. C’est ce vague excès d’imagination-ci qui la rendit plus nerveuse que tout le reste, mais en même temps, impatiente de le retrouver. Il avait tous les droits d’être fâché contre elle, elle n’était toutefois pas prête à entendre sa voix muée par la colère, aussi pendant qu’elle investissait l’espace pour rejoindre la salle de bain, elle se repassa en boucle ce qu’elle connaissait de ses inflexions, comme une mélodie rassurante qui l’accompagna le temps qu’elle passa seule. C’était injuste de s’attendre à ce qu’il garde sa douceur et sa tolérance. Malgré tout, elle ne supporterait pas le contraire, et elle se rendit compte que c’était ça qui l’angoissait : de ne pas savoir comment faire face au mécontentement légitime de quelqu’un qu’elle avait poussé à l’inquiétude le temps de quelques jours seulement, c’était tout de même quelques jours de trop, et elle en avait conscience. Il n’y avait pas que ça bien sûr, elle était aussi embarrassée d’avoir été obligée de lui admettre qu’elle n’allait pas bien quand sa fuite en avant avait été entretenue par son refus pathologique de demander de l’aide ; elle était contrariée d’être obligée de réaliser en direct qu’il éprouvait de la déception qu’elle n’avait pas réussi à lui parler de ce genre de choses quand il l’avait encouragée à le faire quelques heures à peine avant qu’elle ne prenne la poudre d’escampette.

Elle essaya de ne pas s’appesantir trop longtemps sur tout ça lorsqu’elle se débarbouilla de ses trop nombreuses heures de vol. Elle ne compta pas le temps qu’elle passa sous le jet brûlant de la douche, elle se contenta tout simplement d’en profiter. Une fois terminée, elle resserra l’élastique de la queue de cheval qu’elle s’était faite pour épargner ses cheveux, passa le peignoir de Midas sur son corps humide, et dans un geste de réconfort ultime, respira son odeur au travers du tissu éponge qui caressait sa peau avant de serrer la ceinture à son maximum pour contraindre le vêtement à épouser sa silhouette qui n’était définitivement pas la même que le jeune homme ; dont elle croisa inopinément les yeux quand elle releva la tête. La surprise lui fit dire, presque précipitamment "Tu m’as dit de faire comme chez moi." C’était sa défense, bien qu’il ne l’accusait de rien. Il y eut un très court moment de latence durant lequel elle ne réussit à rien faire d’autre qu’à le fixer avec la bouche légèrement entrouverte, frappée par le constat incontestable qu’il lui avait manqué tellement fort qu’en plus d’avoir envie de le prendre dans ses bras, de l’embrasser, de le toucher, elle avait aussi envie de le lui dire maintenant pour qu’il n’en doute pas une seule seconde ; et puis elle se rappela que c’était sa faute s’ils avaient passé autant de temps séparés ces cinq dernières semaines, et qu’il serait susceptible de le lui faire remarquer. Alors soudainement, trop peut-être, elle baissa les yeux, ne trouvant rien d’intelligent à dire, ne sachant pas non plus ce qu’elle devait faire si ce n’était le laisser venir à elle dans tous les sens du terme, aussi mal placée que mal à l’aise, compte tenu des circonstances.