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@diego gutiérrez

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La première chose qu’il avait fait en arrivant au St Vincent ce matin là avait été de se rendre dans le service de soins intensifs pour prendre des nouvelles du jeune patient qu’il avait fait admettre le week-end passé. Son état dans un état qui n’était en rien véritablement convenable lorsqu’il était parti le lundi de l’hôpital - il était stable, mais ce n’était pas l’idéal de savoir qu’un gamin était dans le coma et qu’il ne pouvait rien faire pour le moment pour l’aider ou améliorer sa condition. A peine sa blouse enfilée, il était en train de déambuler dans le service pour attraper une tabelle et consulter son dossier, se dirigeant vers sa chambre en rattrapant ce qu’il avait pu manquer. S’atteler aussi rapidement au travail après être de retour ici n’était pas tant surprenant à voir de la part de Ruben, qui était un acharné du travail et qui prenait ce dernier on ne pouvait plus à coeur. Les autres personnes autour de lui se diraient donc que c’était une nouvelle journée comme les autres et ne prêteraient même pas attention à ce qu’il ferait. Lui savait en revanche que tout était différent à partir d’aujourd’hui et que s’il s’y mettait avec un tel entrain, c’était surtout parce-qu’il n’avait pas envie d’avoir la tête à penser à autre chose, à d’autres éléments; et parce-qu’il ne pouvait pas se permettre d’avoir l’idée d’aller se rendre ailleurs alors qu’il n’était pas le bienvenu dans le service en question et que cela ne ferait qu’empirer sa situation surement. Alors se concentrer sur le cas de ce jeune homme, pour lequel il voyait qu’un retour de la part de ses parents étaient à signaler, était la bonne chose à faire.

« Salut Max. » L’infirmier présent dans la chambre releva lentement le regard, presque étonné lui de son côté de voir le médecin à ses côtés; il s’en rendit compte parce-que ce dernier laissa son regard aller du brun à la pendule, pour revenir sur lui ensuite. « Il est tôt Ruben, t’es en avance j’ai pas fini mon service. » - « Je sais. » Parce-que si personne ne prêterait attention au fait que Ben se jetait sur le travail là peine arrivé sur place, ils feraient peut-être effectivement attention au fait qu’il était arrivé avant même que l’équipe de nuit n’ait terminé son service. « Fais moi un résumé plutôt que de surveiller mes horaires, veux-tu ? » Il n’avait pas le temps pour tout ça. « Et t’as vu Diego ? » L’infirmier haussa les épaules alors qu’il se mettait à effectuer ce qui lui était demandé; Ruben ressortit de la chambre en grommelant dans sa moustache inexistante. Où est Diego ? fut une question qu’il posa plus d’une fois dans l’heure qui suivit, comme si l’appeler allait le faire venir plus rapidement ou plus facilement, il ne savait pas trop. Ce qu’il savait en revanche c’était que le jeune homme avait bossé pendant les deux jours où il n’avait lui pas été au sein de l’hôpital sur ce cas commun et qu’il voulait avoir son retour et avis sur la question. Alors tant qu’il ne mettrait pas la main sur Gutiérrez, il continuerait de le chercher; certes lui était personnellement arrivé particulièrement tôt sur place ce jour là, mais il se devait d’être dans le coin, il ne concevait pas autrement. « Je l’ai vu passer. » Ruben releva la tête de son téléphone, glissant ce dernier dans sa poche, haussant quelque peu un sourcil. « Qui que t’as vu passer ? » Parce-que son cerveau était partie à penser à Nina et il ne serait pas mécontent de la voir aussi, alors savait-on jamais. « Diego. Il est parti par la cage d’escaliers. » Comme s’il était monté sur ressort, il fut de nouveau debout la seconde suivante. « Merci. » Et il se dirigea dans la foulée en direction de l’endroit indiqué. « Diego ? » Peut-être par chance, il était toujours dans le coin - se disait-il en poussant la porte qui menait à la cafe d’escaliers et qui pourrait donc lui permettre de partir à la rechercher de son confrère sur ce cas.

Elle était sournoise, la spirale infernale dans laquelle Diego avait mis le pied sans réellement prendre garde aux conséquences. Il se sentait plus fort que cela, pensait avoir les épaules pour supporter son deuil, celui de ses proches, le poids de sa culpabilité et de ses secrets. Mais si sa confiance en lui lui avait toujours été utile, elle était devenue sa plus grande ennemie et l’avait empêché de tirer la sonnette d’alarme avant le point de non retour. S’il émettait des doutes sur sa capacité à donner le meilleur de lui-même dans sa discipline, il devait maintenant également admettre que sa routine matinale ressemblait à une torture et qu’il se dirigeait vers le St Vincent presque à reculons. Au final, il n’avait rien de mieux à faire que de tenter de donner le change et d’aller exercer la profession qui l’avait fait tant rêver. Celle aussi qui avait créé un fossé avec sa famille. Sa capacité à trouver un défaut à chaque point positif n’était pas habituelle et il sentait à quel point il perdait pied, comme si plus rien n’avait de sens. Peut-être qu’il aurait pu continuer à tout supporter - ou à faire semblant de le faire - s’il n’y avait pas eu ce dernier cas. Ce cas qui était étrangement ironique, venant coupler ses deux points sensibles en un seul et même patient qui n’avait aucune idée de ce qu’il avait provoqué chez lui. Lui n’y était pour rien, et il ne supporterait probablement pas non plus qu’on ajoute à ses propres fardeaux la culpabilité d’avoir mis l’oncologue dans un tel état. Et paradoxalement, ce patient là - et tous les autres - étaient la raison de sa présence à son poste bien plus tôt que prévu pour noyer ses pensées. Il était possible que l’ensemble du personnel ait pu lire sur ses traits l’état de ses émotions parce que tout le monde lui paraissait distant, à moins que cela n’ait été un autre symptôme de cette crise interne. Le regard vissé devant lui, les sourcils froncés sans qu’il ne puisse les contrôler, Diego avançait d’un pas décidé vers un endroit qu’il aurait voulu éviter. Il espérait que la vitesse de ses pas était un autre indice empêchant les infirmières qui devaient absolument lui parler de ne pas le faire - après tout, ses collègues pouvaient s’adresser au titulaire, parce qu’était-il réellement capable de continuer à donner les directives ? Il se sentait impuissant, concernant le cas de son patient mais aussi face à sa propre carrière, soudainement envahi par un syndrôme de l’imposteur extrêmement déstabilisant.

Il était presque arrivé à la chambre, où il n’était supposé que vérifier l’état du patient avant de retourner se concentrer sur les analyses de sang. Cela aurait dû lui prendre quelques minutes et sa journée aurait pu s’enchaîner mais au dernier moment, il avait bifurqué. Ses pas s’étaient fait plus rapides encore, alors qu’il déboutonnait le premier bouton de sa chemise dans un geste désespéré. Il avait ouvert la porte de l’issue de secours, celle qui donnait sur l’escalier, celle que personne ne prenait jamais parce que tout était une urgence à l’hôpital et que l’ascenseur était bien plus pratique. C’était l’hypothèse qu’il s’était fait sur le parcours et lorsqu’il avait atteint l’étage des fournitures où personne ne mettrait jamais les pieds, son corps avait finalement laissé place à tout ce qu’il enfouissait depuis des mois. Et plus il pleurait, plus il s’énervait, et son poing était venu frapper le rebord métallique de l’escalier. A cet instant précis, il avait pris conscience qu’il avait décidé d’ignorer la seule chose qui aurait été capable de le rassurer et cela avait suffi à ce qu’il plonge son visage dans ses mains en se forçant à souffler car il devait se calmer. Vite. Et seul.

« Diego ? »
« Joder ! »

Il avait inspiré longuement, expiré, et avait renouvelé le tout une seconde fois avant d’essuyer ses yeux et de se lever en venant frotter sa chemise, espérant encore qu’il pourrait faire semblant de rien. Pour mieux tromper Ruben, qu’il avait reconnu au son de sa voix, il avait choisi l’attaque - parce qu’il ne pourrait pas se soucier de son état s’il était hostile. « C’est possible d’avoir deux minutes de tranquillité dans ce foutu hôpital ? » Il n’en avait que faire, de l’éthique de travail et de tout ce qui lui semblait atrocement futile maintenant que ses limites avaient été atteintes. « Quoi Diego ? Quoi ? » avait-il demandé, incapable de maîtriser le ton de sa voix parce qu’en plus d’être en colère, il était maintenant affreusement vexé d’avoir été surpris dans cet état là. Ruben n’avait rien à faire dans la cage d’escalier que personne n’empruntait, et s’il savait pourquoi il s’était mis à le chercher, il détestait d’avance le sujet qu’il allait aborder.

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Le problème des escaliers, c’était qu’il n'était pas possible d’anticiper l’étage auquel la personne qui les empruntait souhaitait s’arrêter - contrairement à l’ascenseur qui l’affichait en gros sur l’écran digital au dessus de la porte. Mais avec un peu de chance, Ruben ne se trouvait pas si loin derrière Diego et pourrait le rattraper, pour qu’ils puissent discuter de ce qu’il avait en tête initialement. Alors, comme on lancerait une bouée en mer, il se mit à appeler Gutiérrez dans la cage d’escaliers; et aussi étonnant que cela pouvait l’être, il entendit du bruit qui allait vers l’idée qu’il se trouvait encore effectivement là, quelques étages plus bas. Ruben se mit donc à descendre les escaliers, pour tomber finalement assez rapidement nez à nez avec Diego - oh, peut-être qu’il regrettait de s’être mis à le suivre pour lui parler finalement, s’arrêtant net dans son élan alors qu’il posait ses yeux sur lui, fronçant déjà les sourcils. « C’est possible d’avoir deux minutes de tranquillité dans ce foutu hôpital ? »

« Quoi Diego ? Quoi ? » - « Oui, quoi Diego quoi ? »

Il avait perçu sans mal autant l’agacement que la fragilité dans la voix du brun, et il savait pertinemment que ce n’était pas quelque-chose qu’il montrait de gaité de coeur mais plutôt que Ben était arrivé à un moment où il pensait qu’il serait seul encore quelques minutes. Parce-que de toutes les personnes présentes entre les murs de l’hôpital, il savait qu’il n’était pas celui à qui il aimerait se montrer comme il était en cet instant - il aurait beau avoir fait des efforts, cela se voyait qu’il avait pleuré et que les larmes étaient fraiches, tant ses joues étaient encore quelque peu mouillées. Gardant ses sourcils froncés, Ruben fit un pas et un autre en avant, penchant quelque peu son visage sur le côté pour détailler davantage le visage de Diego; il ne le portait pas dans son coeur mais il savait s’inquiéter lorsque cela était nécessaire et mettre ses rancœurs de coté dans ces moments là. « T’es tombé dans les escaliers en te précipitant et tu t’es fait mal ? » Il préférait prendre lui laisser l’opportunité de dévier la conversation s’il ne désirait pas qu’ils abordent le sujet qui lui posait visiblement problème - après tout, il avait dit à haute voix qu’il recherchait la tranquillité, mais ce n’était pas réellement dans les cordes de Ben; pas que parce-qu’il était insupportable et mettait son nez dans les affaires des autres, mais parce-qu’il avait besoin de Diego pour travailler et s’il y avait bien quelque-chose qui passait avant tout le reste, c’était le travail. « Parce-que si c’est pas le cas, on a du boulot et j’ai besoin que tu te ressaisisses. » Après tout, lui-même était bien sur pieds et concentré alors que le château privilégié dans lequel il avait longtemps vécu était en train de s’écrouler; il n’existait pas d’excuse recevable à ses yeux pour que Diego soit dans cet état là et ne soit pas en train de s’atteler à la tâche.

Il y avait songé depuis l’adolescence à ce moment où il atteindrait la trentaine, une situation stable où il exercerait la profession qui le faisait rêver. Porté par l’innocence de cet âge, il était persuadé que sa vie ressemblerait exactement à ce qu’il avait voulu en faire et, s’il ne l’admettrait jamais, il s’imaginait parfois dans les mêmes costumes que son père. Quand il avait commencé la médecine, il se projettait encore plus facilement dans ce futur où il serait sur le point de devenir titulaire, de réaliser un rêve. Mais jamais, absolument jamais, Diego ne s’était imaginé que cette partie-là de sa vie se transformerait en véritable cauchemar et qu’il serait le seul coupable de tout ce qui était en train de lui arriver. Il était normalement bien plus malin que cela, alors qu’il s’était engouffré dans le couloir menant aux escaliers de secours comme si l’endroit suffirait à se cacher du monde entier. Ce n’était pas le cas, et puisque l’ironie semblait s’immiscer dans sa vie chaque jour, c’était Ruben qui avait choisi de le suivre.  « Oui, quoi Diego quoi ? » Il était resté silencieux un instant, réfléchissant à la meilleure réaction à avoir alors qu’il venait de se faire surprendre en train de fuir son poste et ses responsabilités. « T’es tombé dans les escaliers en te précipitant et tu t’es fait mal ? » « Ouais, c’est ça, j’suis tombé, ouais.  » avait-il répondu dans un rire mauvais avant de se frotter le visage et tenter d’essuyer les dernières traces trahissant la façon dont il avait laissé couler les larmes. Il était effectivement tombé de plusieurs étages, et la douleur était bien plus vive que celle qu’il aurait ressenti après une vraie chute dans les escaliers. « Parce-que si c’est pas le cas, on a du boulot et j’ai besoin que tu te ressaisisses. » Il avait relevé les yeux vers Ruben et son regard était empli d’une haine qu’il n’était pas sûr de ressentir uniquement pour lui ou pour le monde entier. « Sinon quoi ? Je suis à ta disposition, en fait ? » Il la sentait monter, cette colère enfouie depuis trop longtemps et qui allait prendre les devants alors que Ruben lui donnait tout le loisir de l’exprimer. Le voir là, se tenant devant lui comme si tout lui était acquis et qu’il n’acceptait aucun moment de faiblesse amplifiait chacune de ses émotions et s’il savait qu’il avait énormément à perdre, il était incapable d’en mesurer l’ampleur avec le cerveau ainsi embué. « Je viens ici pour souffler et t’as le culot de me suivre pour me donner des ordres. » Pour une fois que Ruben agissait normalement, comme un médecin prêt à sauver des vies, Diego, lui, voyait son attitude comme de la provocation. « Je veux pas entendre parler de ce putain de dossier, ni maintenant, ni jamais. » C’était faux. Il avait besoin de temps, besoin de se calmer et de souffler avant de récupérer les analyses de sang et s’atteler à trouver le traitement idéal pour ce patient là. C’était un cas qui l’avait fait perdre patience et qui l’avait mis dans cet état mais c’était pourtant également celui qu’il avait le plus à cœur de résoudre parce que s’il sauvait ce patient, peut-être aurait-il le sentiment d’avoir accompli quelque chose. D’avoir avancé.

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« Ouais, c’est ça, j’suis tombé, ouais. » La suggestion de Ruben était bien sur un moyen de prêcher le faux pour savoir le vrai; Diego semblait s’en apercevoir, le sarcasme dans sa voix semblait le savoir mais pourtant il choisissait de valider cette hypothèse là. Il n’était pas bien, il ne fallait pas être un expert pour s’en apercevoir. Mais à ne pas saisir l’opportunité d’envoyer paitre Ruben démontrait d’autant plus à quel point il n’était pas dans son état normal. Ce que Ben voulait présentement savoir, c’était à quel point c’était le cas car ils avaient du pain sur la planche et qu’il n’était pas question que ce dernier en pâtisse parce-que le mexicain n’était pas dans son assiette; lui non plus n’était pas dans la sienne et pourtant il était sur pieds et comptait travailler autant que possible.

Le regard que Diego releva dans sa direction lui soulignait ce qui allait se passer dans les prochaines minutes, sans que cela porte à confusion; peut-être même que Ruben eut un léger mouvement de recul, alors que ce n’était pourtant pas dans ses habitudes. Ils n’étaient pas dans leurs habitudes, aujourd’hui. « Sinon quoi ? Je suis à ta disposition, en fait ? » Il était plus intelligent que ce que l’autre lui allouait d’ordinaire, mais il n’était surtout pas de ceux fonçant tête baissée dans les conflits; si bien qu’il eut bien sur l’intelligence de ne pas répliquer quoi que ce soit, de ne pas avoir le moindre geste en cet instant: il aurait un temps à son tour pour répliquer, et ce n’était pas en cet instant. « Je viens ici pour souffler et t’as le culot de me suivre pour me donner des ordres. » Oh, le fond du problème n’était pas celui là, c’était évident. Même s’il n’apprécia pas que Ruben lui donne des ordres, il savait que c’était là la chaine de commande qui voulait que ce soit de cette manière qu’ils agissent l’un envers l’autre. Aujourd’hui, ce reproche était plus personnel, plus ancré, plus profond même. « Je veux pas entendre parler de ce putain de dossier, ni maintenant, ni jamais. » Sauf que les choses ne se passeraient pas comme ça, et ils le savaient aussi bien tous les deux. Diego avait simplement besoin d’un moment pour souffler.

Alors, après avoir laissé un instant et un autre de silence les envelopper, Ruben croisa ses bras sur son torse, haussa un sourcil en direction de Diego, un petit air vaguement agacé de toujours présent sur son visage parce-qu’il n’arrivait pas à s’en débarrasser complètement. « C’est bon, t’as terminé de piquer ta crise de colère ? » De son côté, si ses mots étaient piquant, sa voix restait calme et mesurée; il n’était pas question qu’il se laisse malmener de la sorte par le mexicain, surtout pour des raisons qui ne lui incombaient pas initialement. « Si c’est pas le cas, vide ton sac maintenant et une bonne fois pour toutes. » Dégageant l’un de ses bras, il pointa du doigt les étages supérieurs d’où ils se trouvaient. « Parce-que pendant que tu t’énerves ici, y’a un gamin qui attend qu’on lui vienne en aide. Alors si, tu vas en entendre parler. » Parce-qu’il n’était pas le seul à avoir le droit d’être en colère et à pouvoir se permettre d’agir de cette sorte. Il ne l’avouerait pas, mais Ben avait envie de réagir exactement de la même façon que lui; à la différence que s’il le faisait, il faudrait qu’il ait une bonne explication derrière d’agir de la sorte parce-que la vérité n’était pas prête d’être mise en lumière. Avançant d’un pas et d’un autre, il se pointa juste devant Diego et profita de le dominer d’une poignée de centimètres pour le regarder de haut et appliquer cet air supérieur qu’il avait naturellement par défaut accroché au visage. « Si t’as besoin de t’énerver, fais le, mais fais le maintenant. Aujourd’hui. Parce-qu’à partir de demain j’ai pas l’intention de te laisser tranquille tant qu’on aura pas fini notre boulot. Tu m’entends ? » Il savait que Nina allait d’autant plus le détester d’agir de la sorte face à son ami, mais il était question de travail ici et non d’actions basées sur des rancoeurs personnelles. « T’es pas à ma disposition, mais c’est moi le médecin référant sur ce cas. Et ce sont mes instructions que tu suis. »

Le temps n’était pas aux bavardages, aux guerres d’égo et encore moins aux plaisanteries. Diego était las, et il n’avait jamais manqué de patience au point de se permettre de vraiment dépasser les limites avec quelqu’un comme Ruben. Il était accompli, ici, à l’hôpital, n’avait plus rien à y prouver et Diego aurait justement dû lui accorder une sorte de crédit. Mais alors qu’il ne l’avait jamais réellement apprécié, le moment rendait leur échange encore plus houleux qu’à l’accoutumée, laissant le mexicain doucement sombrer vers une attitude qui aurait pu lui être reprochée. La vérité, c’était qu’à ce moment précis, il n’en avait que faire de sa carrière et que la mettre en péril était le cadet de ses soucis. « C’est bon, t’as terminé de piquer ta crise de colère ? » Il n’y avait pas meilleure façon de prendre la parole pour raviver toute la colère qui s’était à peine calmée tout au fond de lui. Il n’était pas un gamin, et c’était probablement le fait de se l’être dit qui l’avait empêché de bondir devant la remarque. « Si c’est pas le cas, vide ton sac maintenant et une bonne fois pour toutes. » Son regard avait suivi le mouvement de Ruben, sachant pertinemment ce que contiendrait la suite de ses propos. « Parce-que pendant que tu t’énerves ici, y’a un gamin qui attend qu’on lui vienne en aide. Alors si, tu vas en entendre parler. » « La carte de la culpabilité, pas mal Ruben, pas mal. Mais peut mieux faire, sincèrement. » Il avait assez culpabilisé, s’était assez senti responsable du décès de sa propre soeur, assez pour que sauver des patients dans la même situation qu’elle devienne une réelle vocation. Aujourd’hui, alors qu’il ne distinguait plus le professionnel du personnel, qu’il ne semblait plus capable de relever la tête, sa colère avait au moins le mérite de l’obliger à refuser de porter ce fardeau-là. Il était responsable de son traitement et de sa guérison, c’était ce à quoi Ruben faisait référence, mais il avait l’esprit trop embué pour ne pas imaginer qu’on le tenait responsable de son état. Il n’était pas responsable de ces foutus cancers qui brisaient des vies, et il se demandait sincèrement s’il réussirait à continuer de tenter de les traîter. « Si t’as besoin de t’énerver, fais le, mais fais le maintenant. Aujourd’hui. Parce-qu’à partir de demain j’ai pas l’intention de te laisser tranquille tant qu’on aura pas fini notre boulot. Tu m’entends ? » Il avait haussé les épaules, comme un gamin têtu et borné qu’il prétendait pourtant ne pas être.  « T’es pas à ma disposition, mais c’est moi le médecin référant sur ce cas. Et ce sont mes instructions que tu suis. » Cette carte-là, en revanche, était irréfutable, et Diego se sentait piégé. Acculé par celui qui, s’il avait entamé de se racheter à ses yeux, restait toujours Ruben Hartfield, l’époux de Nina que Diego avait toujours trouvé suspect. Un soupir et il avait attrapé ses cheveux des deux mains avant de plonger son regard dans le sol. « Je suis pas énervé, je suis désabusé. » Ce n’était pas à lui qu’il avait besoin de se confier, mais il avait fait irruption au moment le plus mal choisi, et Diego n’étant pas en mesure de raisonner convenablement n’avait d’autres choix que de parler. « J’ai sincèrement cru que j’aurais un vrai impact, que j’arriverais à les sauver mais la maladie est plus forte, hin, Hartfield ? » La manière dont il sifflait ses mots ne lui ressemblait pas, ni cette façon qu’il avait d’envoyer des questions rhétoriques extrêmement difficiles au visage d’un Ruben qui n’était pas plus responsable de tout cela que lui. « Et puis si la maladie suffit pas, la société se chargera de briser ces gosses. » Parce qu’il était là, le point qui l’avait mis dans cet état. Ce cas là, précisément. Il avait toujours su gérer les autres, prendre sur lui et absorber toute la peine des proches de ses patients pour les en délester rien qu’un peu, continuer de sourire alors que les yeux des plus jeunes reflétaient une naïveté qui les empêchait de voir la fatalité. Mais le tout couplé à un acte de violence pour un problème auquel il était actuellement confronté était plus qu’il ne pouvait supporter. « Je vais te dire un truc qui va te réjouir et te permettre de prouver que t’avais raison à mon propos : j’ai plus les épaules pour ça. Je les ai jamais eues. » avait-il finalement lancé, secouant la tête, comme si cela suffirait à ce que Ruben tourne les talons pour demander à son supérieur de prendre le relais. Un geste qui signerait probablement la fin de sa carrière si les détails de son abandon étaient révélés - et n’était-ce pas ce qu’il voulait à ce moment précis ?

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« La carte de la culpabilité, pas mal Ruben, pas mal. Mais peut mieux faire, sincèrement. » Il leva autant les yeux au ciel que les bras en l’air, ces derniers retombant dans un bruit sourd le long de son corps. « Je joue pas la culpabilité, c’est la vérité. » Il se servait plutôt de cette information comme d’un levier pour lui faire comprendre qu’il ne pouvait pas se cacher dans une cage d’escaliers pour se lamenter sur une quelconque situation dont il ne connaissait rien en réalité.

« Je suis pas énervé, je suis désabusé. » Ca lui faisait une belle jambe de savoir ça: mais encore ? A quel point cela portait une vraie différence sur la situation ? Et surtout comment pouvait-il faire pour que l’un comme l’autre ne soit pas un soucis pour eux aujourd’hui ? Parce-que Ruben pourrait lui aussi être énervé, désabusé, qu’importait le ressenti - il mettait tout cela de côté parce-que lorsqu’il enfilait la blouse, il n’était pas supposé se laisser guider par tout ça. « J’ai sincèrement cru que j’aurais un vrai impact, que j’arriverais à les sauver mais la maladie est plus forte, hin, Hartfield ? » - « Bien sur qu’elle est plus forte. » L’évidence en était justement une pour lui, et il était étonné que ce ne soit pas le cas de davantage de ses confrères; il n’était pas raisonnable de se bercer d’illusions de la sorte. « C’est pour ça qu’on bosse d’arrache pied tout le temps: pour devenir plus fort qu’elle. Mais on en est pas encore là, non. » Ca avait toujours été le but premier de la médecine: dépasser en compétence la maladie et même, concept poussé un brin davantage, dépasser la vie en elle-même. Défier le Destin, s’accorder à se battre contre la fatalité.

« Et puis si la maladie suffit pas, la société se chargera de briser ces gosses. » - « Ok, vraiment c’est quoi le problème là Diego. » - « Je vais te dire un truc qui va te réjouir et te permettre de prouver que t’avais raison à mon propos : j’ai plus les épaules pour ça. Je les ai jamais eues. » - « Tu vas commencer par souffler un bon coup pour de vrai, hein. »

Secouant sa tête de gauche à droite, Ruben ne comprenait pas la scène qu’il avait sous les yeux; certes effectivement, la vie n’était pas toute rose mais ce n’était pas tant là une surprise qu’une constatation évidente - une fois de plus, il ne comprenait pas à quel point il était aisé pour certains de se bercer d’illusions de la sorte. Sur des sujets de notoriété publique, il voulait dire.  Soupirant de son côté, il apposa ses mains sur ses hanches, jetant un regard en direction de Diego. « Je vais pas le dire souvent, alors profites en: je suis pas ravi d’avoir raison. Pour une fois. » C’était assez exceptionnel pour le souligner, lui qui faisait toujours en sorte que ce soit le cas au détriment des autres d’ordinaire. « Je l’aurais été si tu te trouvais pas à dépérir sous mes yeux là. » Une partie de lui espérait qu’au moins une certaine blonde entendrait parler de son comportement en cet instant à un moment donné. « Mais là tu me fais plus de peine qu’autre chose, donc je repose la question: pourquoi tu te mets dans cet état ? Si c’est pas la maladie, mais que c’est la société, qu’est-ce qui te touche toi pour que tu réagisses de la sorte ? » Et promis, promis, sa voix s’était adoucie au fil des mots qu’il prononçait; parce-qu’il avait eu raison sur la partie où Diego n’avait pas les épaules pour assumer ce type de patient, sur quelle autre partie avait-il eu aussi raison, après tout ?

Son corps tout entier ressentait la pression, pas la plus évidente qui était celle de chacun des employés de l’hôpital mais la silencieuse, la discrète, celle qu’il s’imposait à lui-même. Il n’était pas du genre à se positionner en victime et à s’imaginer dans une situation pire que celle des autres, mais à ce moment précis, il était convaincu que le poids de sa vie personnelle était le plus lourd de tous. Assez conséquent pour l’empêcher de poursuivre, comme si ces marches étaient le dernier endroit qu’il foulerait avant de définitivement quitter la profession. Il était dramatique, bien trop dramatique, et si sa famille s’accorderait à dire qu’il ne s’agissait là que d’une routine, cet état le désarçonnait car il était loin de lui ressembler. « Je joue pas la culpabilité, c’est la vérité. » Il n’avait fait que prononcer tout haut les réalités auxquelles ils étaient exposés mais cela avait été assez pour que Diego se sente agressé. Peu importe la personne en face de lui ou les mots utilisés, le résultat aurait été le même car il s’était enfoncé dans quelque chose dont il ne serait possible de s’extirper qu’en prenant assez de recul. Et ce recul, il n’était pas prêt à le prendre, parce qu’après tant de temps à faire bonne figure, Diego avait besoin de laisser entendre son désarroi.

« Bien sur qu’elle est plus forte. » Ruben avait au moins la décence de ne pas venir contredire ses propos ou de tenter d’édulcorer leur quotidien. Après tout, s’il paraissait parfois extrêmement froid, c’était simplement parce que lui plus que quiconque avait conscience de la fatalité à laquelle ils étaient confrontés. Ce n’était pas une excuse pour se comporter comme Hartfield le faisait, mais il devait bien admettre qu’à ce moment précis, son comportement était complètement opposé à celui auquel il se serait attendu. « C’est pour ça qu’on bosse d’arrache pied tout le temps: pour devenir plus fort qu’elle. Mais on en est pas encore là, non. » Diego avait finalement osé lever les yeux vers lui, cet échange de regard suffisant à combler tout ce qu’ils étaient incapables de formuler. Il n’y avait pas de bonnes réponses. Pas de secrets, de remèdes miracles. Et puisque le mexicain en était parfaitement conscient, il avait évoqué combien la fatalité était également présente ailleurs, en dehors de St Vincent. « Ok, vraiment c’est quoi le problème là Diego. » Il avait haussé les épaules : il n’y arrivait plus et l’impasse qu’il venait de rejoindre semblait représenter la fin de sa carrière. « Tu vas commencer par souffler un bon coup pour de vrai, hein. » Bien sûr, il n’avait pas pris le conseil de Ruben en compte, parce que celui-ci ne s’attendait de toute façon pas à voir son collègue faire le geste demandé, tout n’était qu’imagé. « Je vais pas le dire souvent, alors profites en: je suis pas ravi d’avoir raison. Pour une fois. » C’était étonnant, lui qui lui offrait une victoire sur un plateau pour qu’il ne la saissise pas. « Je l’aurais été si tu te trouvais pas à dépérir sous mes yeux là. » Il ne le faisait pas exprès, mais voir son égo être ainsi piqué par une pareille personne avait forcé Diego à redresser légèrement les épaules. « Mais là tu me fais plus de peine qu’autre chose, donc je repose la question: pourquoi tu te mets dans cet état ? Si c’est pas la maladie, mais que c’est la société, qu’est-ce qui te touche toi pour que tu réagisses de la sorte ? » Un léger rire s’était échappé de ses narines, Ruben Hartfield s’attendait-il réellement à l’entendre lui confier l’ensemble de ses craintes ? La mort de sa petite sœur était notoire, et il mettait un point d’honneur à ne pas trahir sa mémoire en la citant comme un fardeau alors il n’irait pas sur ce terrain. Encore moins sur celui de sa relation avec Mateo qui l’avait dépassé, effrayé au point de l’abandonner alors que les risques de s’autoriser à la vivre s’étaient illustrés devant ses yeux. « Tu crois vraiment que c’est à toi que je vais me confier ? » avait-il demandé. « Je pense juste que trop de choses de ma vie perso sont incompatibles avec ce boulot. » Il ne disait rien, mais en même temps, il lui disait tout. Le cas qu’ils traitaient était particulier, et il y avait fort à parier que le neurochirurgien saurait lire entre les lignes. « Ça t'est jamais arrivé, de craquer ? » La question était idiote parce qu’il savait que même si c’était le cas, il prétenderait le contraire, mais maintenant que leur échange l’avait obligé à mettre sa colère de côté, il ressentait une immense culpabilité, une gêne même, de s’être montré ainsi face à lui.

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Dans toute autre situation, il aurait profité du fait que Diego soit mal en point pour prendre l’ascendant et effectivement lui souligner qu’il avait raison. Sauf que cette fois-ci, c’était comme s’il y avait autre chose dans l’air, d’assez fort et assez prenant pour que même Ruben n’ait pas envie de s’engouffrer dans cette faille là. Qui plus était: il le mentionna et le souligna à haute voix. Il s’en voudrait et s’en mordrait les doigts plus tard, pour le moment ce n’était pas le plus important; même si ca ne lui plaisait pas, il avait besoin que l’autre médecin soit sur ses pieds pour continuer de bosser, et il ne pourrait le faire s’il restait là dans la cage d’escaliers et surtout dans cet état.

Au petit rire qu’il lui adressa dans un premier temps, Ben fut contraint de pincer ses lèvres quelque peu. Il comprenait que c’était là un moyen d’évacuer une partie du stress qui était sans aucune hésitation une part non-négligemment responsable de son état présent - mais tout de même, ce qu’il disait n’était pas si drôle que ça. « Tu crois vraiment que c’est à toi que je vais me confier ? » Il lui pinça ses lèvres en une petite moue en lui lançant un regard à moitié de travers. « Est-ce que j’ai la tête de quelqu’un qui croit au Père-Noël ? » Lui qui le prenait pour un abruti la plupart du temps n’avait pas saisi l’opportunité de le faire ici, et il était presque étonné. « Je pense juste que trop de choses de ma vie perso sont incompatibles avec ce boulot. » Le regard de Ruben s’arrêta un instant de plus, de façon plus insistante dans celui du mexicain; pour quelqu’un qui ne souhaitait pas se confier, il n’y allait pourtant pas de main morte en cet instant. Parce-que même si effectivement il appréciait surement un peu trop fortement s’en prendre à son intellect, en réalité Ben avait oublié d’être bête et comprenait non sans trop de mal les sous-entendus. Ce qui pointait du doigt autre chose également, qu’il avait soulevé il y avait déjà des mois - une fois de plus, il avait raison. Ce n’était pour autant pas encore le bon moment pour relever ce genre de chose, alors il fit rouler ses lèvres l’une sur l’autre tout en inspirant. « Y’a de fortes chances pour que ça te rende mieux placé, plutôt. » C’était aussi triste que cela y paraissait: d’avoir vécu, ou d’être potentiellement exposé aux mêmes choses que certains patients permettait de mieux les comprendre, de se mettre à leur place, d’envisager avec une meilleure exactitude ce qui pourrait les aider. « Ca te rendra pas moins malheureux, mais ça pourra aider d’autres gens à moins l’être. » Parce-qu’il ne se confierait pas à lui - il n’avait pas à le faire -, mais Ruben pouvait aisément voir qu’il souffrait à travers cette situation.

« Ça t'est jamais arrivé, de craquer ? » Normalement, il n’aurait pas répondu et l’aurait surtout envoyé paitre plus loin - mais il en était déjà presque à brouter les pissenlits par la racine, alors pas vraiment besoin de le faire. « Une fois. » Normalement, il n’aurait pas révélé un élément qui pouvait le rendre faible aux yeux des autres. « Le jour de la mort de mon frère. » De ces journées à rayer avec haine sur le calendrier - mais cette journée là en particulier avait forgé celui qu’il était aujourd’hui; l’avait endurci sans aucun doute. « J’ai craqué dans les bras de mon autre frère dans l’un des couloirs des urgences, en pleurant toutes les larmes de mon corps. » Peut-être Diego pourrait-il voir qu’il n’était pas tant le vilain qu’il dépeignait en permanence aussi comme ça. « Ca a pas duré longtemps, j’ai rapidement séché mes larmes, j’ai terminé ce que j’avais en cours. Je suis rentré chez nous - » Dire ça lui tira un frisson le long de l’échine, de ceux qui faisaient mal. « - pour retrouver Nina. Je suis resté inconsolable toute la soirée, j’ai à peine dormi de la nuit. » Et ce n’était pas souvent que ce genre de scène pouvait être imaginée pour lui. « Le lendemain matin j’étais de nouveau en service. Parce-que d’autres personnes dépendent de nous pour rester en vie et que j’ai pas le droit de m’apitoyer sur mon sort trop longtemps si je veux qu’elles puissent avoir une chance de vivre. » Alors oui, Diego pouvait craquer, mais il avait intéressé à revenir sur pieds rapidement.

« Est-ce que j’ai la tête de quelqu’un qui croit au Père-Noël ? » Comme pour le contredire, Diego s’était décidé à parler, parce que répondre à une question n’avait pas l’air d’être un si grand bond en avant au milieu de cette scène déjà désastreuse. Si l’avis de Ruben comptait peu au début de leur échange, plus la discussion filait plus Diego se rendait compte de ce qui était en train de se produire. Il valait mieux que cela, il était dans une mauvaise position mais rien ne justifiait de tendre le bâton pour se faire battre de cette manière. Peu à peu, il prenait conscience qu’il n’arrangerait absolument pas la situation de cette façon, bien au contraire, il pouvait déjà sentir la honte traverser chaque partie de son corps pour enfin gagner son cerveau. Bientôt, il l’espérait, il serait capable de se ressaisir totalement et de se relever pour tenter de prétendre que tout cela n’était pas en train d’avoir lieu. Mais pour le moment, il écoutait les paroles d’un Ruben qui avait forcément un tant soit peu de légitimité sur ce sol là.  « Y’a de fortes chances pour que ça te rende mieux placé, plutôt. » avait-il commencé lorsque le mexicain avait osé livrer quelques réponses quant à son état. « Ca te rendra pas moins malheureux, mais ça pourra aider d’autres gens à moins l’être. » « Pour ça faudrait que je sois à l’aise avec mon deuil et le reste pour l’utiliser à bon escient. » Ce n’était pas son genre d’utiliser Maria pour se sortir d’une mauvaise situation mais il avait le sentiment d’avoir donné à Ruben la possibilité de se réjouir d’avoir eu raison ce jour-là, lorsqu’ils avaient partagé des sushis dans un échange presque hors du commun. Il avait appuyé sur son deuil, et ce n’était pas un mensonge, cela faisait bien partie des raisons qui le mettaient dans cet état et le rendait incapable de voir une suite paisible à l’exercice de son métier. Pour ce qu’il appelait le reste, et constituait la goutte d’eau qui avait fini de le faire imploser, s’il ne se sentait pas prêt à l’évoquer avec qui que ce soit, le fait de vendre la mèche aussi facilement à Ruben sous l’effet de la colère le surprenait. Il ne serait plus capable de garder ce secret encore longtemps, et l’idée l’avait fait baisser la tête un instant pour se forcer à respirer et à ne pas retomber dans un état second.

Qu’en était-il de Ruben Hartfield, dont l’image était la même chez presque tous ses collègues ? S’il posait la question, c’était avant tout pour tenter de dissiper un peu de cette profonde gêne qu’il ressentait d’avoir montré ses faiblesses parce qu’il n’était pas sûr d’obtenir une réponse. « Une fois. » L’étonnement l’avait obligé à relever la tête pour croiser les yeux d’un médecin qui lui était apparu immédiatement beaucoup plus humain. « Le jour de la mort de mon frère. » Son estomac s’était noué, alors qu’il se retrouvait pris au piège, obligé d’écouter le récit d’un autre deuil que le sien et de se mettre dans une position encore plus difficile que précédemment. « J’ai craqué dans les bras de mon autre frère dans l’un des couloirs des urgences, en pleurant toutes les larmes de mon corps. » Son regard ne le quittait plus, alors que cette impulsion dont il avait besoin se tenait là. Diego était incroyablement mal à l’aise à l’idée de l’avoir presque forcé à dévoiler cette partie de lui dans un discours qu’il trouvait pourtant presque salvateur une fois le choc de la similarité avec sa propre vie passé. Ruben et lui partageaient ça, alors s’il ne se concentrait que sur le deuil qu’il avait utilisé comme unique raison de son état, peut-être qu’il le comprendrait. Qu’il oublierait, même, ce moment. « Ca a pas duré longtemps, j’ai rapidement séché mes larmes, j’ai terminé ce que j’avais en cours. Je suis rentré chez nous - » Les lèvres de Diego s’étaient baissées pour venir hocher la tête comme pour confirmer la force mentale de son collègue - on attendait de lui qu’il en fasse de même, il l’avait bien compris. « - pour retrouver Nina. Je suis resté inconsolable toute la soirée, j’ai à peine dormi de la nuit. Le lendemain matin j’étais de nouveau en service. Parce-que d’autres personnes dépendent de nous pour rester en vie et que j’ai pas le droit de m’apitoyer sur mon sort trop longtemps si je veux qu’elles puissent avoir une chance de vivre. » Si le discours avait pour but de lui faire ouvrir les yeux, Diego le recevait pourtant avec violence parce que rares étaient ceux qui l’avaient remis à sa place de cette manière. « Un oui aurait suffi. » Il n’était pas mauvais, simplement incapable de trouver meilleure réponse sans laisser un silence bien trop pesant s’installer. Il aurait pu indiquer que lui ne pouvait pas tourner la page aussi facilement alors qu’elles étaient nombreuses à lui rappeler Maria, mais le cas précis qui l’avait amené ici suffisait à ce que Ruben fasse ses déductions. Il le savait. « J’aurais presque pu rester sur le fait qu’on avait un point commun, toi et moi. » Il n’avait pas précisé qu’il s’agissait de la perte d’un membre de leur famille, ils savaient très bien tous les deux à quoi il faisait référence. « Mais je m’attarde plutôt sur le fait que moi je ferais pas de leçon à quelqu’un qui va mal. Mais je te l’accorde, c’est peut-être ce que j’avais besoin d’entendre. » Il était acculé, et que pouvait-il faire de plus que de se relever d’un bond pour tenter de retrouver le peu de dignité qui lui resterait après cet épisode ? « On reprend. Tu me cherchais ? » Il était maintenant debout et cette figure-là était déjà plus professionnelle, mais tout dans son regard indiquait la violence de l’épisode qui venait de se dérouler. Alors il était prêt à affronter la suite, parce que rien ne semblerait pire que cette humiliation.

but you’re in self sabotage mode

@diego gutiérrez

lieu: st vincent's hospital, toowong.
(c): (gif), luleaby (codage).

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« Pour ça faudrait que je sois à l’aise avec mon deuil et le reste pour l’utiliser à bon escient. » Avec le reste; c’était peut-être la chose qu’il ne pouvait pas reprocher dans le comportement et le discours de Diego en ce moment: il avait arrêté de tout nier d’un bloc, pour ce qui concernait le reste. Là où d’ordinaire Ruben serait venu appuyer sur cette partie là même si ça ne lui était pas demandé, il avait compris que son discours avait davantage d’impact s’il continuait de contourner le coeur du sujet. « Trouve des personnes avec qui tu serais à l’aise pour en parler. Ca viendra tout seul après, tu verras. » Brièvement, il haussa les épaules. Il n’était pas le grand ami du jeune homme, mais sur certains points il saurait se montrer être de bonne camaraderie, bien plus  qu’il ne devait le soupçonner.

Il aurait pu ne pas raconter, il aurait pu faire profil bas en bombant le torse pour prétendre qu’il était cet être sans coeur et sans problème comme s’appliquait à dire une trop grande partie des personnes avec qui ils bossaient. Une partie de ça était vrai, mais c’était surtout en rapport avec le travail et c’était ce que la population générale ne comprenait pas; il n’était pas non plus le meilleur pour s’exprimer côté personnel, mais il n’était pas sans coeur. Il était caché, il peinait à le montrer, mais il était. Et étant donné que cela lui semblait être une de ces situations où il était nécessaire qu’il puisse le montrer, il le fit. Effectivement, il était déjà arrivé à Ben de craquer au boulot; il n’en était pas fier mais ce qui était fait était fait et il ne pouvait pas changer ça. « Un oui aurait suffi. » - « Mais un oui aurait pas aussi bien répondu. » A la question qu’il avait posé, ou à ce qu’il attendait de la situation - c’était à Diego de voir ce que cela pouvait, devait lui apporter. « J’aurais presque pu rester sur le fait qu’on avait un point commun, toi et moi. » Et à ces mots là, Ruben laissa échapper un petit rire par le nez - fin, mais audible et qu’il ne chercha pas à cacher. « C’est pas les pires points communs, t’en fais pas, tu t’en sors bien. » Oh, et il ne ferait pas la liste de ces derniers mais ce qu’il voulait dire c’était qu’il n’avait pas à se sentir mal que ce soit le cas: la honte n’était pas de mise ici. « Mais je m’attarde plutôt sur le fait que moi je ferais pas de leçon à quelqu’un qui va mal. Mais je te l’accorde, c’est peut-être ce que j’avais besoin d’entendre. » - « Parce-que tu dois aimer perdre ton temps, c’est pas mon cas. » Il se montrait amical, mais il ne fallait pas pousser le bouchon trop loin non plus. « Je t’ai dit: y’a des gens qui comptent sur nous, on a pas le temps de trop s’apitoyer. » Et si ça ne lui plaisait pas ou qu’il ne pouvait pas l’entendre, alors peut-être que raccrocher la blouse serait le bienvenu - mais ce n’était pas la question du jour, alors que Diego se remettait debout et un minimum d’aplomb. « On reprend. Tu me cherchais ? » Ruben laissa son regard s’accrocher à celui du mexicain encore un instant, avant d’opiner quelque peu du chef; c’était d’autant plus pour souligner qu’il était davantage satisfait de le voir sur pieds de la sorte, que pour lui assurer que tout se passerait bien pour la suite - un peu de confiance et ça irait tout seul. « J’ai besoin que tu me racontes ce qu’il s’est passé ces deux derniers jours. » Se décalant, il indiqua du plat de la main la direction du haut de l’escalier et du service qu’ils venaient tous deux de quitter, parce-que c’était par là-bas qu’ils avanceraient aujourd’hui et  dans cette situation.

Son esprit embrumé l’empêchait de rendre son discours cohérent ou d’y accorder assez d’importance pour le maîtriser réellement, le poussant à laisser entrevoir des indices sur sa vie privée à une personne à qui il n’avait aucune envie de se confier. « Trouve des personnes avec qui tu serais à l’aise pour en parler. Ca viendra tout seul après, tu verras. » Il y avait eu un moment de flottement, ou ces deux-là n’étaient plus très sûrs de ce dont ils étaient en train de parler. Diego était aveugle à l’aveu qu’il venait de faire sans le vouloir, Ruben probablement bien trop à l’aise dans l’exercice de lire entre les lignes pour ne pas l’avoir compris. Alors DIego avait levé le menton, laissant le doute planer parce qu’il était bien plus simple pour lui de prétendre que toute cette discussion était emplie d’une subtilité qui empêchait son collègue d’avoir la moindre certitude. C’était un second moment avec Ruben qu’il souhaiterait oublier et qu’il prétendrait n’avoir jamais vécu. Une nouvelle fois, le neurochirurgien le surprenait malgré tout, parce qu’il savait à quel point les mots et le ton qu’il utilisait étaient inhabituels pour lui. « Mais un oui aurait pas aussi bien répondu. » Son besoin d’avoir le dernier mot lui était revenu extrêmement rapidement alors que Diego daignait à peine participer à la discussion sans se cacher derrière une colère qui ne lui correspondait pas. « C’est pas les pires points communs, t’en fais pas, tu t’en sors bien. » Il ne trouvait rien de positif au fait d’avoir, lui aussi et comme Ruben, perdu un proche et il avait prétendu ne pas tenir compte de cette allusion à ses propos précédents. « Parce-que tu dois aimer perdre ton temps, c’est pas mon cas. » Ou plutôt, lui savait user de tact, et c’était peut-être parce qu’il travaillait avec des patients bien trop jeunes pour saisir la complexité des tons employés parfois par les adultes. « Je t’ai dit: y’a des gens qui comptent sur nous, on a pas le temps de trop s’apitoyer. » « J’espère que t’applique pas tout ce que tu me dis à tes patients.  » Ils ne devaient ni s’apitoyer ni perdre trop de temps à faire le point avec les familles ou les patients mais les accompagner était un minimum.

Mais la discussion semblait terminée, Diego n’avait plus rien à dire, en avait déjà bien trop dit. Il avait connu un moment de faiblesse et si tomber sur Ruben à ce moment précis avait semblé être la pire option, c’était finalement celle dont il avait eu besoin pour enfin réussir à se relever. Au sens propre, comme au figuré. Il tentait tant bien que mal de balayer le moment qui venait tout juste de passer en se recentrant sur la priorité du jour, comme si cela suffirait à ce que ce souvenir quitte l’esprit d’un Ruben qui connaissait pourtant l’ensemble de ses dossiers sur le bout des doigts, assez pour avoir les compétences nécessaires pour ne rien oublier de ce qu’il venait de se dire. « J’ai besoin que tu me racontes ce qu’il s’est passé ces deux derniers jours. » Le soulagement de le voir passer à autre chose avait pris le pas sur sa réticence à reparler de ce patient là et il avait soupiré légèrement avant d’entamer ses explications. « J’ai eu le résultat des analyses de sang et on a dû s'activer pour démarrer les soins au plus vite. » Ruben le savait, les patients atteints de leucémie avaient de fortes chances de s’en sortir et celles-ci étaient décuplées si le traitement était mis en place le plus rapidement possible. Alors tout avait été fait dans l’urgence, laissant Diego penser qu’il réussirait à passer outre les pensées qui le tiraillaient tant il n’avait pas le temps de réfléchir. « On a commencé les traitements dès qu’on a eu la confirmation de la LLA mais j’ai dû adapter le traitement, vu son état. Physique et mental. » Il ne pouvait pas diminuer l’importance de ce second point et c’était sûrement la discussion qu’il avait pris le temps d’avoir avec cet enfant qui avait signé les prémices de la situation dans laquelle il se trouvait actuellement. Il lui avait livré ses craintes, son incompréhension et surtout l’ensemble de ses questions concernant sa maladie fraîchement détectée et qui lui laissait le sentiment que le sort s’acharnait sur lui. « On a pas mal discuté avec Hansen et il a l’air de plutôt bien répondre à la chimio pour l’instant. Tu peux être rassuré, j’ai attendu qu’il soit pris en charge correctement avant de m’accorder cette… » Il avait toussoté pour chercher comment qualifier l’événement au mieux. « Pause. »