14/06, 12h03

Charlie
On regarde un film chez moi ce soir ?

Un sourire se forme sur le visage de Kendall qui s’illumine. Il ne s’est pas senti aussi heureux depuis longtemps. L’équilibre revient progressivement dans sa vie : professionnellement il se sent bien plus épanoui à Brisbane qu’à Adélaïde. Sur le plan personnel le décès de son père a été un véritable ouragan qui a tout emporté sur son passage, mais grâce au soutien de ses proches il se reconstruit petit à petit. La présence de Shiloh et de Lewis dans sa vie l’aide beaucoup à remonter la pente et il ne pourra jamais assez les remercier de leur présence, de leur pardon et de leur soutien sans faille.
Et il y a Charlie dans tout ça. Charlie qui bouscule toutes ses certitudes. Charlie qui le fait se sentir vivant. Il avait pourtant juré que jamais au grand jamais il n’aurait plus de sentiments pour Charlie Fawcett. Il ne faut visiblement jamais dire jamais. Tout n’est pas réglé entre eux, il y a toujours des sujets qu’ils n’ont pas abordés et leurs désaccords refont parfois surface mais ils apprennent tous les deux à se refaire confiance. Ils n’ont plus dix-sept ans, le temps a passé et les a fait grandir. Kendall n’est même pas sûr qu’elle veuille -encore- entamer une relation sérieuse avec lui, il n’est même pas sûr d’avoir les épaules pour être à la hauteur d’un tel rôle. Mais ce dont il est sûr c’est qu’il a envie de repartir sur des bases saines avec elle, de retrouver la complicité qu’ils avaient dans leurs bons jours et arrêter d’être l’égoïste qu’il a toujours été.

Ken
Je ramènerai le pop corn alors.

Ken
Je finis vers 20h, normalement, je te dis quand je sors

Le bouclé profite d’être seul pour sourire comme un imbécile quand la réponse de Charlie fait vibrer son téléphone. Il n’a qu’une hâte : terminer cette belle journée d’automne chez la blonde, se blottir dans ses bras, sentir son parfum et la douceur de sa peau. Ils n’ont plus dix-sept ans, pourtant il a l’impression d’être à nouveau un adolescent dont le cœur bat un peu trop fort.

22h09

Ken
Je suis toujours coincé au commissariat, ils m’ont filé du boulot de dernière minute. J’espère qu’ils vont me les payer ces heures sup. Je sais pas à quelle heure je pourrai être chez toi. Je te tiens au courant mais pas avant minuit je pense.

Ken fronce les sourcils et soupire en regardant sa montre : il est déjà si tard. Un bâillement vient le déconcentrer. La fatigue qu’il accumule en ce moment commence à peser. Il approche à nouveau ses yeux du microscope, déterminé à terminer au plus vite son travail en dépit de ses yeux qui se ferment tout seuls.

23h48

Ken
Bon je suis désolé mais je crois que je vais rentrer plutôt. Je suis trop crevé et le temps que j’arrive chez toi il va être tard. Et puis bon si je débarque chez toi pour m’endormir après deux minutes de film c’est pas génial. On se voit demain plutôt ok?

La bulle “est en train d’écrire” s’affiche pendant de longs instants avant qu’elle n’efface son message. Le téléphone se remet à vibrer quelques minutes après avec la réponse suivante :

Charlie
On se voit demain yes

La main droite de Ken tourne la clé de la Mercedes qui se met instantanément à ronronner. Les minutes sur la route lui paraissent être une éternité, ses paupières sont lourdes et il lutte pour ne pas les fermer. La route est déserte, heureusement pour le bouclé qui n’a pas les idées claires à cette heure tardive. A peine arrivé chez lui et débarrassé de ses habits, il s’écroule sur son lit où les draps ont encore l’odeur du parfum de Charlie.

15/06, 15h34

Le pied de Kendall s’agit nerveusement sous la table. Il n’a pas eu de nouvelles de Charlie depuis son dernier message d’hier soir. Il a pourtant essayé de l’appeler à plusieurs reprises, il lui a laissé des messages sans aucune réponse. Est-ce que la blonde est vexée qu’il ne soit finalement pas venu chez elle ? Il n’en a aucune idée mais son silence n’est pas bon signe. La dernière fois qu’elle a été aussi silencieuse ils ont fini par rompre tout contact. Kendall se demande ainsi s’il n’avait pas fait quelque chose de mal après tout. Les yeux fixés sur l’horloge en face de lui, il n’attend qu’une chose : la fin de son shift pour aller voir Charlie et crever l’abcès.

18h26

Plus que quelques minutes avant la fin de son shift, Kendall est à bout de patience. Ce soir les heures supplémentaires seront pour sa collègue, il ne compte pas s'éterniser comme la veille. Lorsque l’horloge annonce 18h30 il met les voiles sans attendre, se retenant d’insulter un de ses collègues qui lui demande s’il a pris son après-midi pour partir aussi tôt. La Mercedes démarre peu de temps après, mettant le cap vers l’appartement de Charlie dont il connaît désormais le chemin sur le bout des doigts. Il se gare devant son immeuble avec un drôle de pressentiment, comme si quelque chose clochait. Pourtant le décor est parfaitement banal : des enfants jouent dans le jardin d’à côté, la fenêtre ouverte d’un voisin laisse échapper de la musique tandis que la circulation toujours aussi dense à cet endroit bat son plein. Les pas de Kendall le mènent rapidement au quatrième étage et au moment où il prend le couloir menant à la porte de Charlie, son cœur s’arrête brusquement : Do not cross, police. Le scotch aux couleurs criardes qui orne la porte de la blonde, il le connaît trop bien. Mais qu’est-ce que ça veut dire ? Une vague d’anxiété l’envahit soudainement, mais qu’est-il arrivé à Charlie ? “Merde merde merde.” Il laisse échapper à voix haute, alors que ses mains tremblantes passent sur son front. Ayant l’impression d’étouffer dans ce couloir, il descend les marches quatre à quatre tout en composant le numéro de Charlie une nouvelle fois. Sans réponse. Il essaie de garder son sang froid pour savoir qui appeler. S’il pense spontanément à appeler tous les hôpitaux de la ville, une idée lui traverse l’esprit : sa mère. Il parcourt son répertoire à la recherche du numéro de la mère de Charlie qu’il a conservé avant de l’appeler sans réfléchir davantage. Après plusieurs sonneries qui lui paraissent interminables elle décroche, en pleurs. A ce moment-là il comprend tout. Il ne veut pas y croire mais au fond de lui il sait qu’elle est sur le point de lui annoncer une terrible nouvelle. “Elle est partie Kendall” Les sanglots étranglent sa voix. “Ils disent qu’elle a fait une overdose…je…on en sait pas plus pour l’instant.” Et là tout s’effondre. Violemment, sans prévenir ou crier gare, la Terre s’arrête de tourner. Et puis le trou noir. Il ne se souvient même pas de la suite de sa conversation avec la mère de Charlie. Elle est partie. Les mots se répètent dans son esprit tandis qu’il s’effondre sur le siège de la Mercedes. Les bras croisés sur le volant et la tête posée sur ces derniers ses larmes viennent s’écraser sur le tissu de son pantalon. Il envie d’hurler, de se réveiller du cauchemar dans lequel il est brusquement plongé mais la voix de la mère de Charlie coincée dans sa tête le ramène à chaque fois à la réalité.

Ken
Arthur t’es chez toi ?

Quand il lui confirme être bien chez lui, Ken lui répond simplement “j’arrive”. Avant d’essuyer d’un revers de la main ses larmes et de démarrer sa voiture. Le trajet jusqu’à chez Arthur se fait en pilote automatique, sans respect du code de la route. Le choc est trop grand pour qu’il se concentre sur sa conduite. Heureusement l’appartement d’Arthur n’est qu’à quelques minutes de route. Il se gare comme il peut avant de prendre l’ascenseur menant à l’étage de son ami. La vision traumatisante du scotch jaune sur la porte de Charlie ne le quitte pas alors qu’il approche de la porte d’Arthur. Il tambourine à la porte qui s’ouvre peu de temps après pour dévoiler Kendall en état de choc. Ses yeux sont gonflés et d’un rouge vif, desquels roulent encore des larmes sur ses joues. Le bouclé tremble comme une feuille et à l’air complètement perdu. “Elle… est… partie Arthur. Elle …est …partie.” Dit-il avant de se jeter dans les bras d’Arthur pour se raccrocher à quelque chose. “Elle est partie.” Il répète la voix cassée par le pic d’émotions qu’il traverse. “C’est pas possible.” Il lance de manière peu intelligible tout en serrant un peu trop fort son ami.

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@KENDALL HARDING & ARTHUR

Il avait pour habitude de ne jamais ramener du travail à la maison. Il s’agissait là d’une règle qu’il s’imposait depuis toujours, ayant trop souvent vu son père rentrer pour s’enfermer dans un bureau et ne jamais le voir apprécier les bonheurs de la vie. Il préférait passer la nuit au bureau s’il le fallait, mais ses dossiers ne sortaient jamais de cet espace. Pour la première fois, Arthur avait dérogé à la règle. À quelques semaines de l’ultime présentation, il ne faisait plus aucune distinction entre vie professionnelle et vie privée. Les dossiers s’accumulaient dans son ordinateur et sur sa table basse. Un savant mélange de notes prises à la volée et de plans de constructions qu’il ne cessait de relier, pour les modifier ou les étaler sur le canapé comme si cela allait changer sa vision des choses. Une bouteille de bière à la main, il tournait en rond, essayant de se concentrer pour conclure ces dernières modifications. Il avait promis à Greta qu’il serait disponible pour aller déjeuner ensemble le lendemain et il n’avait pas l’intention de lui imposer son travail durant le week-end. Tout était encore si fragile entre eux et Arthur s’efforçait de ne commettre aucune erreur, conscient qu’il se devait d’être irréprochable. Alors, lorsque son téléphone lui annonça l’arrivée d’un nouveau message, il s’attendait presque à ce que ce soit Greta qui lui demande de lâcher ses plans pour passer la soirée avec elle. Et alors qu’il griffonnait quelques dernières annotations sur un énième plan, il fut surpris de voir le prénom de Kendall s’afficher sur son écran. Ce n’était pas habituel, mais il répondit sans hésitation, après tout, il n’avait pas vu son ami depuis l’enterrement et il serait temps d’y remédier. 

Absorbé par le fait de vouloir absolument terminer sa tâche, Arthur fut presque surpris lorsque quelqu’un se mit à tambouriner contre sa porte. Il vérifia sa montre comme si elle allait lui donner une réponse avant de se souvenir des messages échangés avec Kendall. Lâchant son stylo au-dessus de sa pile de papier, il se redressa pour ouvrir la porte. Il s’attendait à une visite de courtoisie, peut-être même à ce que son pote arrive avec un pack de bière pour passer une soirée à discuter de tout et de rien. Il s’attendait à tout sauf à des yeux rougis par des larmes et des lèvres tremblantes. « Elle… est… partie, Arthur. Elle…est…partie. » Il n’était pas certain de comprendre, pas certain d’avoir tous les éléments en main pour que cela en devienne cohérent. « Elle est partie. » Et avant même qu’il ne puisse poser la moindre question, Ken se jeta dans ses bras. Surpris par le geste, loin d’être habituel, Arthur eut un pas de recul. Juste un, le temps de quelques secondes, avant de comprendre que Kendall avait réellement besoin de son soutien, physique, pour ne pas s’écrouler au sol.  Alors, dans la seconde qui suivi, ses bras s’enroulèrent fermement autour de la silhouette de son ami. Dans un geste désordonné, il l’attira un peu plus dans l’entrée pour mieux faire claquer la porte et offrir à Kendall toute l’intimité dont il avait besoin. Il senti ses ongles s’imprègnent dans sa peau, sa respiration qui se voulait si saccader qu’il arrivait à en être inquiet. « C’est pas possible. » Il ne comprenait toujours pas le charabia prononcé par Ken, mais il s’efforça de lui laisser une minute puis deux, pour souffler. « Respire, mec. » Il n’était pas à l’aise dans l’exercice, ce n’était pas dans ses habitudes que de rassurer les autres. 

Il fallut de longues minutes, sans qu’Arthur n’oblige jamais Kendall à défaire son étreinte, pour que ce dernier retrouve une respiration plus ou moins normale. « Qu’est-ce qui se passe ? » Il avait peur d’entendre la suite, ce n’était pas du genre de Ken que de se mettre dans un état pareil. « Qu’est-ce que je peux faire ? » Il détestait se sentir aussi incapable de quoi que ce soit. Il cherchait à sourire à son ami, mais le tout se transforma en grimace tant il n’était pas certain de comprendre ce qui avait amené Kendall à vouloir trouver refuge chez lui.

S'il faut illustrer l'état dans lequel le policier se trouve, là devant la porte d'Arthur sur laquelle il s'abîme les phalanges à force de tambouriner, alors l'image d'un ouragan est appropriée. Depuis qu'il a appris la terrible nouvelle à laquelle il l’aurait jamais pu être préparé, il est coincé au milieu d'un orage dévastateur, d'un cataclysme. Bloqué dans l'œil du cyclone il n'y a aucune issue, seulement du chaos partout où il regarde. Il a vu en Arthur cet abri, ce refuge au milieu de la tempête dont il a tant besoin. Est-ce qu'il aurait fait le choix de venir le voir lui s'il avait été plus rationnel ? Sûrement que non. Arthur a l'empathie d'une pierre et ce n'est pas la personne qui trouve les mots pour apaiser une situation. Il aurait certainement dû toquer chez Shiloh ou Lewis mais le plus proche de lui, géographiquement parlant c’était Arthur. De plus, le policier était trop faible, au bord de l’évanouissement pour envisager de traverser toute la ville avec sa voiture. C’était déjà un miracle qu’il arrive jusque chez Arthur sans provoquer un accident. Les yeux du policier sont rougis, gonflés et sa voix est rauque, abîmée par la crise de larmes qui l'a secoué sur le trajet et qui continue de le faire trembler comme une feuille. Kendall ne s'en rend pas compte mais c'est une véritable crise de panique qu'il est en train de faire, là dans les bras d'un Arthur complètement perdu. Sa respiration est plus que saccadée, entrecoupée par les larmes qui l'empêche de faire descendre son rythme cardiaque bien trop élevé. “Respire mec” Kendall secoue frénétiquement la tête de gauche à droite. “J'y arrive pas” Il aimerait pouvoir reprendre son calme et contrôler à nouveau ses émotions mais c'est impossible, la douleur est bien trop forte pour qu'il soit maître de lui-même. “Qu'est-ce qui se passe ?” Kendall essaie de former des phrases complètes dans son esprit embrumé mais rien ne sort. Simplement des bouts de phrases incohérents et un mot qui semble avoir complètement disparu de son esprit tant la nouvelle est surréaliste et difficile à encaisser. “Elle est…” Morte c’est le mot qu'il cherche mais qu'il ne peut pas se résoudre à dire à voix haute, parce que c'est trop violent et surtout parce que cela rendrait tout ça trop réel. “Qu'est-ce que je peux faire?” Il secoue encore la tête tout en essuyant du revers de la manche une nouvelle salve de larmes  “Rien.” Sa voix tremble mais il essaie de prendre une respiration pour pouvoir articuler autre chose que des mots éparpillés. “Tu peux rien faire, je peux rien faire, personne peut rien faire, c'est trop tard.” Rien ne ramènera jamais Charlie, pas même toute la bonne volonté du monde ou des médecins. Il n'y a plus rien à faire. “C'est Charlie, elle…” Sa voix s'emballe à nouveau sur la fin. “a fait une overdose.” Il a pri le parti de rester factuel pour réussir à verbaliser la situation. “Une overdose putain mais comment c'est possible?” Il lui demande, le regard larmoyant avant de prendre son visage entre ses mains. La tristesse se mêle à de l'incompréhension, de la colère mais aussi de la culpabilité : il avait prévu de passer la soirée avec elle, il aurait pu être là et la sauver.

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Il était dans sa nature de s’adapter à toutes les situations. On lui avait appris à tout gérer, qu’importe le moment, que ce soit la pire des crises, comme une femme en furie. Arthur savait s’y prendre, il était capable de maîtriser ses émotions, de ne rien laisser paraître pour se positionner en maître de la situation. Il savait faire. Sauf lorsqu’il se retrouvait face aux larmes de l’un de ses plus anciens amis. Arthur se trouva pris au dépourvu, incapable de comprendre la tempête qui venait de s’abattre dans son appartement, complètement désemparé face à l’état frôlant l’hystérie de Ken. Il n’était pas quelqu’un de tactile, les étreintes, les tapes dans le dos, ce n’était pas sa tasse de thé. Il n’avait jamais pris Ken dans ses bras et ce n’était pas dans sa liste des choses à faire, mais il ne pouvait le laisser sur le pas de la porte sans rien faire. Ken paraissait être en train d’imploser, bientôt il ne resterait plus que des miettes de sa personnalité sur le paillasson. Mais ce qui inquiétait sincèrement Arthur était le bruit que faisait Ken à chaque nouvelle inspiration. « J’y arrive pas. » Il n’allait pas le laisser comme ça, mais il ne voulait pas le brusquer non plus, et pourtant, dans l’urgence, Arthur se montra presque froid. « Si tu peux. Respire Ken. » Il fallait qu’il se calme. « Va pas me faire un malaise, t’es pas une tapette. » Arthur dans toute sa splendeur. Celui à qui l’on avait appris à ne jamais se montrer faible et qui l’imposait également aux autres, parce qu’il était dans l’incapacité la plus totale de gérer les faiblesses des autres. 

« Elle est… » Il butait sur chacune de ses phrases, tremblant comme une feuille à moitié adossée à la porte d’entrée, sa main ancrée sur l’avant-bras d’Arthur. Il ne comprenait pas, il n’aimait pas cette situation et tout flirtait avec les limites de sa patience. Mais Arthur connaissait son ami, ce n’était pas son genre de se mettre dans ces états, il s’était passé quelque chose, mais quoi. « Rien. » Il n’allait pas vouloir jouer à ce jeu bien longtemps. « Dis-moi. » Il s’agaçait, Arthur, alors qu’il ne devrait pas, alors qu’il devrait lire entre les lignes. « C’est Charlie, elle a fait une overdose. » Il se retint de lâcher un soupir de soulagement. Alors ce n’était que ça, elle allait s’en remettre. Il avait fini par sortir de l’hôpital au bout de trois jours, ce n’était pas plaisant, mais c’était comme ça. « Une overdose putain, mais comment c’est possible ? » Il devait se mordre l’intérieur de la joue pour ne pas répondre directement à cette question. Elle avait pris de la merde. Elle en avait trop pris. Il connaissait la recette après tout. Elle avait fait de son mieux pendant un temps, mais ce n’était jamais assez de toute façon. « Mec, respire. » Il continuait à sonner comme un asthmatique. « Je vais t’emmener la voir, elle est à Saint-Vincent ? » Ce n’était pas l’idée qu’il avait pour le reste de sa soirée, mais il pouvait bien faire ça pour Ken après tout. « T’as pris un truc, toi aussi ? » Pour être autant sur les nerfs, pour avoir autant d’émotions en même temps, est-ce que Ken avait craqué ? Il le voyait flancher sur ses pieds, comme s’il allait s’écrouler à tout moment, et Arthur prit les devants. Il empoigna Ken par les bras pour l’emmener dans le salon et le forcer à s’asseoir dans le canapé. Rien n’était fait en douceur, tout se voulait un peu brusque, mais Arthur ne décollait pas son regard de son ami. 

« Si tu peux. Respire Ken. » Kendall est persuadé du contraire : c’est comme s’il avait un poids énorme qui lui comprimait la poitrine, l’empêchant de se soulever normalement pour respirer. Pris d’une bouffée de chaleur il enleva sa veste qu’il laissa tomber à côté de lui. Sans qu’il s’en rende compte il passe par tout un tas de couleur : du rouge pour virer à un teint blanchâtre quelques instants après. L’hyperventilation comme à lui faire perdre pied et si Arthur n’était pas là il se serait déjà écroulé. « Va pas me faire un malaise, t’es pas une tapette. » En temps normal, Kendall l’aurait vanné à son tour mais son état de sidération et de panique ne le fait pas tilter sur le mot “tapette”. A la place il prend conscience qu’il est effectivement à un cheveu de tomber dans les pommes et il essaie de se reprendre. Il prend de grandes inspirations bien que saccadées et il parvient ensuite à bredouiller quelques mots comme il le peut, pour finalement finir par raconter à Arthur ce qu’il s’est passé. Il reste très bref, très factuel sur ce qui est arrivé à Charlie sans avoir conscience que ce qu’il raconte n’est peut-être pas clair pour tout le monde. « Mec, respire. » Pour une fois dans sa vie, Ken essaie d’écouter Arthur sur qui il compte énormément pour encaisser la nouvelle. Arthur est un petit con, mais c’est quand même un ami fidèle sur qui il peut compter et qui sait garder son sang-froid. « Je vais t’emmener la voir, elle est à Saint-Vincent ? T’as pris un truc, toi aussi ? » Avant qu’il n’ait eut le temps de répondre, Arthur l’attrape et le bouge comme un playmobil avant de le lâcher sur le canapé. Il proteste par quelques grognements inintelligibles pour que son ami le lâche avant d’être posé sur le canapé. “Mais on s’en fout de moi là Arthur!” Il lui crie dessus d’une voix plus que cassée. Son bras montre ensuite la porte avant de légèrement gesticuler, animé par la colère et le désespoir qui secouent le policier. “Je sais même pas où ils l’ont emmenée putain.” Il en profite pour sortir le téléphone de sa poche ainsi que ses clés de voiture qui le gênent pour les balancer sur la table basse sans aucune retenue avant de poser ses coudes sur ses genoux, ses mains se crispent à nouveau dans ses cheveux pendant quelques instants avant qu’il ne lâche prise. Il relève la tête vers Arthur avec un voile de tristesse recouvrant ses yeux bleus. “Sa mère a dit qu’il y avait plus rien à faire quand ils l’ont trouvée chez elle.” Une larme supplémentaire roule sur sa joue alors que son corps tressaute toujours à cause des sanglots.

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Ce n’est pas comme s’il avait un mode d’emploi pour ce genre de situation. Arthur n’a aucune idée de ce qu’il faut faire, encore moins de ce qu’il faut dire, pour que la respiration de Ken s’apaise. Il voudrait lui crier de reprendre ses idées, de relever la tête et de ne surtout pas se laisser aller, mais Ken ne paraissait plus en capacité de gérer quoi que ce soit. Il n’est pas tendre avec son ami de toujours, il le malmène presque, espérant créer une réaction chez le policier. Mais il se retrouve face à une poupée de chiffon qui se laisse balader dans l’appartement en cherchant à retenir ses sanglots. Il n’est plus certain de comprendre quoi que ce soit. Le désespoir de Ken lui paraît démesuré face à la simple annonce d’une overdose. Parce qu’Arthur ne comprend pas la réalité de ce que Ken cherche à lui exposer. Il reste parfaitement terre à terre alors que Ken paraît sur le point de lui arracher la figure. Il ne comprend plus rien et les sanglots reprennent, le mettant encore plus mal à l’aise. « Mais on s’en fout de moi là Arthur! » Ce n’était peut-être pas intelligent de tout de suite se diriger vers une conclusion hâtive, mais il n’était plus certain de comprendre ce qui est en train de se dérouler sous ses yeux. Ce n’est pas comme si Arthur s’avère être particulièrement doué pour gérer des crises d’ordre sentimental.

« Je sais même pas où ils l’ont emmenée putain. » Il est en colère et cela rassure presque Arthur de le voir un peu plus animé. Peut-être qu’avec quelques insultes et deux ou trois hurlements, Ken allait lui présenter un plan un peu plus lisible de la situation. Il le laisse s’installer à son aise, pense même à aller chercher des bières dans le frigo avant que Ken ne relève les yeux vers lui. Il n’avait jamais vu ses yeux bleus empreints d’une telle émotion : une tristesse sans nom. « Sa mère a dit qu’il y avait plus rien à faire quand ils l’ont trouvée chez elle. » Et si ses paroles se voulaient encore floues, la larme qui vint couler le long de sa joue, donna à Arthur toute la dimension de sa détresse. « Oh. » Charlie n’avait pas simplement fait une overdose qui l’avait envoyé à l’hôpital. Elle avait joué sur un niveau plus puissant encore, celui dont on ne se réveille jamais. Il senti son assurance vaciller alors que sous ses yeux son ami tombe en miette, incapable de retenir quoi que ce soit. Maladroitement, Arthur vient s’asseoir à côté de lui, assez proche pour que leurs épaules se touchent, assez pour venir poser une main entre ses omoplates. « Je suis désolé. » Il ne savait quoi dire, quoi faire, si ce n’est donner tout l’espace possible à Ken de laisser son chagrin s’étaler. « Tu peux rester ici aussi longtemps que tu le veux. » À défaut de trouver les mots qui sauront l’aider, il pouvait au moins lui offrir un endroit sécurisé. Arthur déteste cette sensation, celle de ne pas avoir une parfaite maîtrise de la situation, celle de ne pas pouvoir arrêter les larmes de son ami d’enfance. Mais il connaît assez Ken pour se permettre d’ajouter une seule chose : « C’est pas ta faute. » Il n’aurait rien pu faire pour la sauver, Arthur est assez bien placé pour le deviner.

@Arthur Coventry

Une nouvelle larme roule sur la joue de Kendall quand il annonce à voix haute que Charlie est partie définitivement et qu’il n’y a rien à faire. Le dire à voix haute rend ce cauchemar encore plus réel et ça le brise un peu plus. « Oh. » Ken essuie frénétiquement la larme d’un revers de la main. Un geste inutile puisque de nouvelles larmes se mettent à couler alors qu’il garde le silence, son corps toujours secoué par sa respiration saccadée. Arthur s’assied à côté de lui et sa main se pose dans le dos de celui qui vient de perdre la personne à laquelle il tenait le plus. « Je suis désolé. » Il hoche la tête en guise de réponse, incapable de savoir comment répondre à cette phrase. Il est reconnaissant qu’Arthur lui ait ouvert sa porte et qu’il soit là, assis à l’écouter mais sur le moment il est incapable de le remercier. « Tu peux rester ici aussi longtemps que tu le veux. » Arthur a toute une palette de défauts mais c’est quelqu’un sur qui il peut compter, dans les bons comme dans les mauvais moments. Ken l’a toujours su mais Arthur lui avait récemment prouvé. Il avait été présent pour le soutenir dans la maladie de son père, à l’enterrement et maintenant, au moment où Ken n’a jamais eu autant besoin d’avoir un frère, il répond présent. S’il est trop sous le choc pour réellement y penser, il saura s’en souvenir. “Merci.” L’autoriser à squatter son canapé ce n’est pas grand chose mais c’est amplement suffisant. Tout a été dit : Arthur a compris ce qu’il s’est passé, Kendall a laissé son chagrin exploser et sa crise d’angoisse finira par passer dans la soirée. « C’est pas ta faute. » C’est la phrase de trop, celle qu’Arthur n’aurait jamais dû prononcer et qui fait dégoupiller Kendall. “Bien sûr que si c’est de ma faute.” Ses mains s’accrochent au rebord du canapé et se crispent dessus pour essayer de contenir la colère qu’il peut ressentir. “Je devais passer la soirée avec elle mais j’ai annulé parce qu’on m’a demandé de faire des putains d’heure sup.” L’enquête sur laquelle il bossait était à l’arrêt depuis plusieurs semaines jusqu’à ce qu’un nouvel élément la relance. Ils avaient un nouveau suspect, de nouvelles preuves à analyser et quand le capitaine lui avait demandé de rester un peu plus il n’avait pas hésité davantage. Kendall a des défauts mais il a toujours été travailleur, avec la volonté de bien faire son travail et passionné par son travail. Il le regrette aujourd’hui amèrement. “J’aurais dû être là, j’aurais pu la sauver.” Il aurait dû dire à son supérieur qu’il ne pouvait pas rester, qu’il avait un rendez-vous ou quelque chose dans le genre pour rejoindre Charlie comme il lui avait promis. “Mais non j’ai choisi de faire des putains d’heure sup.” Les regrets et la culpabilité le prennent aux tripes, faisant trembler ses mains de plus belles et lui arrachant une nouvelle vague de sanglots.

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@KENDALL HARDING & ARTHUR

Il marche sur des œufs, murmure des paroles qu’il espère rassurantes, sans même réellement savoir ce que Kendall souhaiterait entendre. Ce n’est pas comme si cela avait une très grande importance, rien ne passera la barrière de son esprit. Kendall est ailleurs, déjà emprisonné dans un deuil supplémentaire. Probablement celui de trop. « Merci. » Il n’a même pas besoin de ses remerciements. C’est qu’il préfère le voir chez lui, où il pourra garder un œil sur lui. Il s’est assagi au cours des années avec son ami, mais le Harding reste un sanguin, comme lui. Capable des conneries les plus idiotes par amour ou par besoin de se défaire d’un trop plein d’émotions. Même pour lui, cela faisait trop. Après son père, Ken vient de perdre celle qu’il a toujours mentionné comme étant la femme de sa vie. Et il perd pieds, en silence, entre deux sanglots, mais cela reste perceptible malgré tout.

Arthur voulait assurer ses arrières, prendre de l’avance sur les vilaines pensées qui viendront hanter ces nuits. Il pensait anticiper pour que Kendall exulte avant qu’il ne soit trop tard et que l’idée ait eu le temps de s’implanter quelque part. Visiblement, il arrive déjà trop tard. « Bien sûr, que si c’est de ma faute. » Si habituellement, il aurait répondu au quart de tour, pour une fois Arthur choisit le silence. Il ne serait pas nécessaire de crier à son tour. Pas lorsque Kendall est dans cet état. Alors, il le laisse faire, il lui expliquera après. « Je devais passer la soirée avec elle, mais j’ai annulé parce qu’on m’a demandé de faire des putains d’heure sup. » Il comprend, il entend le point de vue de Kendall, mais il connaît le reste aussi. L’autre côté de la barrière. Et une soirée n’aurait rien changé à cela. Ça n’aurait peut-être pas été hier, mais demain, qu’importe de toute façon ? « J’aurais dû être là, j’aurais pu la sauver. » Il doit se retenir de lui demander s’il était subitement devenu médecin. Arthur se mord la lèvre pour ne pas interagir de suite. « Mais non, j’ai choisi de faire des putains d’heure sup. » Il ne soupire pas, il lui donne le temps de tout sortir, de tout dire. Il s’attend à ce que Ken crie encore, mais c’est comme s’il avait déjà épuisé toutes ses munitions. « Ken… » Comment est-ce qu’il va bien pouvoir lui dire ça sans qu’il ne le prenne mal ? « Elle en aurait pris quand même. » Il l’aurait fait, lui. Il l’a fait. Il a bien emmené sa merde durant son weekend avec Greta. Tout ce qu’il cherchait à dire, c’est que parfois, des gens comme lui ou comme Charlie n’attendaient pas à ce qu’on les sauve. Pas toujours, en tout cas. « Elle voudrait pas que tu te tiennes responsable de ça. » C’est elle qui a décidé de se shooter, elle n’avait probablement pas planifié l’overdose, il n’en sait rien, mais dans un sens, il arrive tout de même à la comprendre. « Tu peux gueuler, vas-y, personne t’entendra ici. » Son appartement recouvre presque l’entièreté du deuxième étage et son seul voisin n’est jamais là. Kendall peut s’en donner à cœur joie.

« Ken… » Kendall relève la tête pour le regarder de ses yeux rougis par les larmes en attendant de voir où il veut en venir. Le bouclé sait très bien qu’Arthur va essayer de le rassurer, de lui expliquer qu’il n’est fautif en rien dans cette histoire alors que c’est faux. Et ça, Ken n’est pas prêt à l’entendre. « Elle en aurait pris quand même. » Il secoue la tête de gauche à droite. “Peut-être mais j’aurais pu appeler les secours.” Pendant plusieurs semaines Kendall a cru qu’elle ne prenait des choses qu’avec lui. Il a été assez naïf de croire que pour Charlie aussi tout ça n’était que récréatif, que c’était juste un truc pour pimenter la soirée et se détendre après une longue journée de boulot. Il n’a pas vu tout de suite qu’elle devenait réellement accro. Quand il a compris qu’elle avait franchi une ligne dangereuse il avait essayé de la prévenir, de lui faire ouvrir les yeux tout en sachant qu’il parlait à un mur. Et pour ça aussi il se sent coupable, coupable d’avoir proposé une pilule un soir et d’être très certainement à l’origine de sa rechute. « Elle voudrait pas que tu te tiennes responsable de ça. » Il soupire, espérant qu’il a raison mais il ne le saura jamais si Arthur dit vrai ou non. Kendall ne peut pas s’empêcher de penser à Charlie, d’imaginer la détresse qu’elle a pu ressentir. S’il ne peut pas savoir si elle le tient responsable de son absence, il est persuadé qu’elle aurait voulu qu’il soit là à ses côtés. Au lieu de ça elle est morte seule, sur le sol glacé de sa salle de bain et il n’y a pas de mort plus horrible. Charlie avait peur de mourir, elle lui avait confié une fois qu’elle avait peur de mourir seule et qu’elle aurait voulu que le moment venu quelqu’un lui tienne la main pour qu’elle puisse partir en paix. Le pire cauchemar de la blonde s’est donc réalisé et ce constat lui brise d’autant plus le cœur. « Tu peux gueuler, vas-y, personne t’entendra ici. » Ses mains massent nerveusement ses tempes de retomber brusquement sur ses genoux. “J’ai même pas envie de gueuler. Je…” Il est en colère contre l’univers tout entier, c’est indéniable mais il est aussi fortement éprouvé par la situation. Le chagrin le prend aux tripes depuis maintenant des semaines et il est en train de le ronger, lentement mais sûrement. “Je suis fatigué Arthur, j’en peux plus de les voir partir les uns après les autres. J’en peux plus de tout perdre.” Il regarde Arthur, des flots de larmes coulant toujours sur ses joues. “T’as pas intérêt à faire le con aussi Arthur, je pourrais pas l’encaisser.” Il se souvient trop bien de la frayeur qu’Arthur leur a fait il y a plusieurs années, quand Ken était persuadé qu’il allait devoir enterrer son meilleur ami. Il sait qu’Arthur a essayé d’être sobre mais il sait aussi qu’il replonge vite et il est hors de question qu’il subisse le même sort que Charlie.

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and suddenly the world collapses

@KENDALL HARDING & ARTHUR

Il encaisse difficilement le regard empli de larmes que Kendall lui renvoie. Son incapacité à gérer paraît gagner son anxiété. Que dire ? Que faire ? Rien, à part tenter de rassurer. Et encore ? À quoi bon ? Kendall vient de perdre celle qui l’aime, Arthur n’est pas trop idiot pour le comprendre. Comment réagirait-il si on venait à lui annoncer que Greta était partie comme ça, du jour au lendemain, sans avoir le temps de prévenir, d’anticiper, de se préparer au pire ? Au fond de lui, la réponse, il la connait déjà. Arthur deviendrait fou. Dans tous les sens possibles du terme, la spirale en deviendrait infernale. Et sous ses yeux, cruellement impuissant, Kendall est en train de se faire aspirer tout entier. Sa détresse est incommensurable, mais il est venu prendre refuge ici et Arthur tente, par tous les moyens, de faire quelque chose. Rien ne fait sens quand il cherche à déculpabiliser son ami, mais il essaye, en se disant que c’est peut-être la seule chose qu’il voudra bien entendre. « Peut-être, mais j’aurais pu appeler les secours. » Il aurait peut-être pu, c’est vrai. Et il aurait vécu avec la même culpabilité de ne pas avoir pu faire assez. Ken se retrouve coincé dans cette impasse et Arthur sait, qu’il se laissera ronger par le sentiment. Mais ce n’est pas comme s’il pouvait persévérer à lui servir des discours préfabriqués qui ne font guère de sens. Il essaye pourtant, de donner un sens, de rappeler à Kendall que tout n’est pas perdu, même s’il ne l’entend pas de cette façon. Arthur est convaincu que Charlie aurait continué jusqu’à réussir lorsque son petit copain avait le dos tourné. Il est dans la même phase d’autodestruction, une qui a déjà failli l’emporter il y a quelques années. Il en connaît tous les rouages et les pentes descendant. « J’ai même pas envie de gueuler. Je… » Il est résigné. « Je comprends. » Kendall accuse le coup, sans un bruit, incapable de formuler la moindre phrase cohérente. Et il pleure. Parce qu’il ne reste que cela à faire, pleurer celle qu’il aime. Maladroitement, Arthur cherche à le consoler. Eux qui ne sont jamais autorisés la moindre étreinte, l’image donne à rire.

« Je suis fatigué, Arthur, j’en peux plus de les voir partir les uns après les autres. J’en peux plus de tout perdre. » Il a perdu son père, puis sa copine. Et sans aucun détour, il menace désormais son ami de toujours. « T’as pas intérêt à faire le con aussi, Arthur, je pourrais pas l’encaisser. » Et Arthur encaisse en observant les larmes de son pote. « Promis. » Une promesse qu’il ne sera pas tenir, mais une promesse qu’il prononce malgré tout. Pour Ken, pour Greta et aussi un peu pour Swann. Une promesse qui a du mal à s’installer sur ses traits, mais il compte sur la détresse de Ken pour ne rien relever. « Tu vas rester ici ce soir, okay ? » Et peut-être plus longtemps s’il le faut. Il cherche à détourner l’attention. « Y’a la chambre d’ami, tu peux rester aussi longtemps que tu veux. » Est-ce qu’avoir Ken chez lui et retrouver Greta chez elle le forcera à ne jamais être seul pour continuer ses conneries ? Probablement. D’un geste hésitant, il se penche vers la table basse pour récupérer la boîte de mouchoirs que Greta laisse traîner là comme si c’était un élément de décoration. Il tend l’un des morceaux de papier à Ken. « J’ai l’intention de t’emmerder encore très longtemps. » Sa façon à lui de dire à Ken qu’il est là, pour n’importe quoi et qu’il sera toujours là, pour celui qu’il considère comme un frère depuis si longtemps déjà. « Tu veux une bière ? Un truc à manger ? » Une distraction encore, pour faire genre. « Ou… T’as besoin de parler, je sais pas ? » Il essaye du mieux qu’il peut.

Le silence d’Arthur au fait qu’il aurait pu au moins appeler les secours est éloquent pour Ken. Il est persuadé qu’Arthur partage le même point de vue que lui mais qu’il n’ose pas aller dans son sens pour ne pas l’enfoncer davantage. Au lieu de ça, son ami essaie de le rassurer en lui disant que Charlie n’aurait pas voulu qu’il se sente triste ou responsable mais la vérité c’est qu’Arthur n’en sait rien. Charlie a toujours eu mille et une raisons de lui en vouloir et il sera toujours convaincu qu’elle lui en voudrait. Elle lui en voudrait de l’avoir fait replonger dans de mauvaises habitudes et dans la vie tout sauf saine qu’ils avaient avant. Elle lui en voudrait de ne pas s’être tenu loin de lui comme il s’y était engagé. Surtout, elle lui en voudrait de l’avoir laissée mourir toute seule. Ces pensées tournent en boucle dans l’esprit du policier qui n’a plus la force de rien, pas même de gueuler après Arthur. « Je comprends.» Kendall n’arrive même pas à finir sa phrase et c’est bien une des rares fois où Arthur le voit perdre à ce point sa contenance. Même à l’enterrement de son père il s’était montré plus digne, plus fort. Mais à la différence de la mort brutale de Charlie, Kendall avait eu deux ans pour se faire à l’idée que le temps avec son père lui était compté.

« Promis. » Ken n’est pas convaincu qu’Arthur pense vraiment ce qu’il lui dit mais il n’a pas d’autre choix que croire qu’il est sincère. C’est de toute façon ce qu’il a besoin d’entendre : qu’un des derniers piliers qui lui restent dans la vie ne va pas lui aussi lui filer entre les doigts. « Tu vas rester ici ce soir, okay ? » Il hoche la tête en guise de réponse en essuyant les dernières larmes qui coulent lentement sur sa joue. « Y’a la chambre d’ami, tu peux rester aussi longtemps que tu veux. » Arthur lui tend un mouchoir, il s’en saisit avant de le remercier. “Merci mec” Il n’a pas besoin d’en faire plus, lui offrir un toit, un refuge pour faire face à cette tempête est amplement suffisant. « J’ai l’intention de t’emmerder encore très longtemps. » Il relève ses yeux rougis par les larmes vers son ami qui se tient debout à côté de lui. “J'espère bien.” Ken n’a pas eu la chance d’avoir un frère et Arthur et la personne sur cette planète qui s’en approche le plus. Un grand frère, pas forcément toujours un exemple à suivre mais quelqu’un sur qui compter dans les bons comme dans les mauvais moments. « Tu veux une bière ? Un truc à manger ? »  Il affiche une mine écoeurée à l’idée de boire ou manger quelque chose avant de secouer la tête de gauche à droite. « Ou… T’as besoin de parler, je sais pas ? » Il répète le mouvement de sa tête. Il n’y a rien de plus à dire pour lui. “Je crois que j'ai plus besoin de fumer une clope et d'essayer de dormir un peu.”

***

Le cendrier est rempli. Arthur est parti dormir il y a bien longtemps et la simple cigarette qu’il devait fumer s’est transformée en un paquet complet. Assis sur le balcon d’Arthur le dos à la baie vitrée, Kendall a passé plusieurs heures planté là comme un pantin inanimé en proie à ses pensées tortionnaires. Comment aurait-il pu trouver le sommeil après la journée qu’il vient de passer ? Les reflets des rayons de la pleine lune le rendent encore plus pâle qu’il ne l’est déjà et les ombres qu’ils dessinent sur son visage font ressortir les cernes qui entourent ses yeux bleus plus ternes que jamais ce soir.