Elle descend de l’immeuble habillée de sa robe blanche, qui, il fallait l’avouer, lui allait réellement bien. Elle est magnifique, apprêtée de la sorte. Mais le plus important restait qu'elle avait tenu parole, et tu ne te retrouveras pas être le seul con habillé en costume noir ce soir, tel un men in black. Ou comme un gars de la sécurité, au choix. T’as même pris les lunettes de soleil alors qu’il faisait nuit pour jouer à la star jusqu’au bout des ongles. Tu les gardes néanmoins accrochées à la chemise parce qu’en réalité lorsque tu les enfiles, tu n’y vois rien à cette heure ci. T’aurais juste l’air d’un aveugle, et au volant, ce ne serait pas la meilleure des idées.
Dans le doute, tu avais néanmoins gardé un jean et des baskets dans le coffre de ta voiture, au cas où Aubrey se serait dégonflée. Mais ton sourire trahit à quel point tu es amusé de vous voir apprêtés comme si vous alliez en soirée mondaine. L’excès, c’est vraiment ton truc.

Elle ouvre la portière et s’installe sur le siège passager. « Heum.. salut » Très vite tu ressens un certain malaise s’installer, elle osait à peine croiser tes opales ou soutenir ton regard, cachée derrière ses longs cheveux. Ton sourire s’élargit un peu plus, toi qui était parfaitement à l’aise avec la situation. D’un tempérament sociable, tu agis comme si tu la connaissais depuis des mois maintenant. Ce qui était le cas, mais uniquement virtuellement. Tu avais pu la voir par écran interposé quelques fois, tu connaissais maintenant sa voix et ses intonations lorsqu’elle était exaspérée par coeur, mais ça s’arrêtait là. « Madame Ying. » Tu réponds empruntant une tonalité qui se veut solennel, rebondissant sur l’image du ying et du yang qu’elle avait mentionné par message plus tôt. Tu cherches à la dérider, qu’elle se détende un peu et se défasse du rouge qui envahissait ses joues. Visiblement, la phase de timidité semble s’estomper puisqu’elle finit par accrocher ses pupilles sur les tiennes et t’offrir un sourire. « Prêt à éblouir le dance floor ce soir ? » Qu’elle s’autorise d’un ton rieur. Ton sourire en coin en dit long, alors que tu mets le contact pour démarrer le moteur. « On va tous les impressionner. » Que tu rétorques, levant une main en l’air pour qu’elle claque la sienne dans ta paume. Tu sors de la place de parking qui se situait juste devant son immeuble, jetant un oeil dans les rétroviseurs pour ensuite lancer tes pneus sur les routes de Brisbane. Tu t’obliges à garder un conduite calme, toi qui utilises les voitures habituellement pour faire crier les pneus sur le bitume. Alors certes, les démarrages au feu vert sont parfois un peu rapides, les dépassements pouvaient quelques fois sembler serrés, mais tu maitrisais trop ton véhicule pour ressentir la moindre insécurité. Tu adoptais pour toi ce qui était une conduite apaisée, mais l’était sans doute moins pour les autres. «  J’ai l’impression de t’emmener au bal de promo t’sais. » Que tu ricanes, l’image frappante heurtant tes souvenirs. Au vu de vos tenues, il semblait plus probable que vous alliez dans ce genre d’endroit plutôt qu’en boite de nuit. « Alors? Pas trop stressée à l’idée d’aller en boîte? » Tu lui demandes d’un sourire aussi moqueur qu’amusé face à son malaise. Ça t’amuse, qu’elle ne soit encore jamais allée dans en boite de nuit. A son âge c’était étonnant. Et sur le coup, tu t’étais demandé si elle ne se foutait pas de ta gueule. Puis t’as rapidement compris que ce n’était pas le cas. Tu ouvres la fenêtre du coté conducteur, posant ton coude sur la portière. Il faisait encore bon, et vu les couches de vêtements que tu portais, tu préférais garder un peu de frais dans l’habitacle.

« Du coup, à quoi servent tes robes de cocktail habituellement si ce n’est pas pour les exposer sur la piste de danse? » Tu lui demandes, le regard toujours orienté vers les routes éclairées par les lampadaires, tournant ton volant au gré des virages. Tu ne lui as jamais demandé ce qu’elle faisait dans le vie, trop centré sur les jeux et parties que vous enchainiez, vous parliez plutôt du virtuel que de la vie réelle. Tu savais simplement trois choses sur elle avant ce soir, elle avait à peu près ton âge, vivait à Brisbane, et elle adore ce qui touche à l’horreur. C’était peu. Mais ça te suffisait. Tu lui jettes un coup d’œil espiègle, détaillant rapidement sa robe. « Et ta robe parle pour toi. Elle est faite pour draguer. Doooonc, tu risques de finir malencontreusement dans les bras d’un innocent. Mais beau gosse l’innocent. » Que tu rajoutes, l’air angélique marquant ton visage taquin. Ce n’est pas faute de l’avoir prévenue. Tu te feras un malin plaisir de l’envoyer dans les bras du premier mec mignon. Juste parce que ça semblait la gêner.

« Monsieur Yang, c'est un plaisir de vous rencontrer. » Tu lui tends la main comme pour la lui serrer, face à ces retrouvailles solennelles. « Plaisir partagé. » T’adores qu’elle rentre dans ton jeu d’humour absurde. Et t’es bien heureux qu’elle ne se braque pas. Sinon, t’aurais bien vite regretté la proposition lancée à Aubrey de façon inattendue. « Mais c'est évident, on va être les plus beaux ce soir. »  Tu acquiesces, la tête haute, l’air digne, un sourire trahissant ton amusement. Il était certain que vous alliez dénoté dans la foule, vêtus de vos plus belles tenues, extravagants dans un groupe de jeans et de simples chemises. Mais t’adorais te faire remarquer, t’aimais porter toute l’attention sur toi. C’est pour ça que tu fais rire, c’est pour ça que tu t’agites devant les caméras. Parce tu veux être vu.
« Si c'était le cas, il serait largement meilleur que celui que j'ai eu en finissant mes études, c'est certain. » Tu lui jettes un regard indiscret, face aux miettes d’informations qu’elle vient de te jeter. C’est qu’elle pique ta curiosité bien vite. Tu hausses un sourcil interrogateur, l’invitant à développer. « Sérieux? Il va falloir que je rattrape aussi ton bal de promo? » Tu lances avec amusement. « Qu’est ce qu’il s’est passé? » Peut être bien que son copain de l’époque lui a annoncé qu’il partirait loin pour aller à la fac, ou qu’elle s’est pris la tête avec la peste de la promo. Il y avait tant de raisons pour lesquelles tout pouvait foirer, un soir de bal de promo.
Tout comme une soirée en boite. « Je ne sais pas trop à quoi m'attendre comme c'est une première pour moi, c'est plutôt ça qui me stresse en vérité. » Tu ricanes, moqueur face à des craintes qui ne t’avaient encore jamais effleurées. L’ambiance de ce genre de soirées était assez particulière en réalité, tous serrés les uns contre les autres, quelques bousculades, quelques gouttes -ou flaque- d’alcool renversés, dans une salle où la musique ne laisse personne entamer une discussion. « Personne va te manger hein. Au mieux on t’offrira un verre, au pire il tombera sur tes pieds. Donc pas besoin de stresser. » Que tu relativises, trop habitué des lieux pour que tu n’en décèles plus d’inconvénients.

« Je suis artiste peintre et j'ai aussi une galerie, donc parfois lors des vernissages d'artistes ou même pour mes propres œuvres, il faut que j'fasse un effort vestimentaire quand même. » Tu lui jettes un regard, arquant un sourcil, le sourire au bord des lèvres. Tu n'aurais pas misé la dessus. Tu la voyais soit dans un boulot plus classique, soit peut être dans la musiques pourquoi pas. « Eh ben. Je savais que tu cachais bien ton jeu de p’tite duchesse là. » Tu lances d’un ton railleur. Tu ne sais même pas si ça fonctionne pour elle. Tu le supposes puisqu’elle a une galerie. C’est que ça devait forcément bien marcher. Non? « C’est cool. J’m’y connais pas trop en peintures mais c’est cool. Elle est où ta galerie? » La peinture, c’est vraiment pas ton truc. Et l'abstrait, c’est encore pire. Tu ne vibres pas devant une toile, peut être trop cartésien. C’était joli, ou moche, et pas plus compliqué que ça. « Et toi, tu fais quoi dans la vie ? À part sortir en boite et draguer des filles ? » Un rire franc s’échappe, face à une réparti que tu apprécies. Elle était bien lancée, tu dois l’avouer. « Je casse des voitures. » Que tu commences par répondre, bien amusé d’un résumé aussi synthétique. La plupart du temps, c’est ce que tu faisais, après tout. Tu froissais le pare-choc, craquait les pneus, marquait le bitume de ses roues. Tu jouais avec les bagnoles comme un gamin avec ses jouets, sauf que t’étais le conducteur. « Mais je te rassure, je fais pas que ça. Je me casse la gueule aussi, je saute par des fenêtres… » Tu l’observes attentivement, par petits regards entrecoupés par la route, curieux d’observer sa réaction face à l’énigme que tu lui posais. Soit elle le prenait avec humour, soit elle te prenait pour un malade. « Allez je t’aide un peu, je suis cascadeur. » Que tu lui confies, te penchant légèrement vers elle comme s’il s’agissait d’un secret avant d’étouffer un rire.
« Ah non non, oublie ça, c'est vraiment pas mon but ultime pour ce soir. » Tu hausses tes épaules d’un air désinvolte. « C’est pas le mien non plus, je te rassure. Tu veux même pas un petit numéro? » Tu insistes, prenant un voix presque niaise. « Je veux juste m'amuser et profiter de la soirée, j'ai pas besoin des bras d'un mec pour ça, si ? » Tu lui lances un regard perçant avant de te reconcentrer sur la route. « Bah il parait que t’as besoin des miens pour ça. » C’était ton rôle ce soir, non? Elle t’en avait incombé. Parce qu’elle craignait de ne pas s’amuser. Et toi, tu lui avais parié qu’elle ne s’ennuierait pas un seul instant. Alors tu vas essayer de lui sortir le grand jeu. Ça faisait longtemps.

Elle te tire la langue lorsque tu la provoques, ce qui t’arrache un rire. Plus tu lui parles, plus t’as cette image enfantine. Presque autant que toi tu pouvais l’être. « Rien de très intéressant en vrai. J'ai toujours été une fille assez effacée donc, les gens m'évitaient un peu. Mon frère a essayé de sauver un peu cette soirée mais ça n'a pas suffit à la rendre inoubliable. Mais c'est pas très grave en soit, j’suppose que c'est un peu ma faute ? J'étais pas du genre à m'ouvrir aux autres. » C’est bizarre, tu ne l’imaginais pas du tout comme ça. Tu la voyais plutôt intégrer un groupe de jeunes populaires, à juger les incultes -parce qu’elle est intelligente, tu l’as vite compris-, à lancer des pics à tous ceux qui tentaient de la provoquer. C’était bien différent de la réalité, à priori. « Quoi t’étais la petite weirdo? » Tu ricanes, n’imaginant pas un seul instant Aubrey dans cette position. Elle avait tellement de réparti par message que tu te demandes encore si elle ne se moque pas de toi. « Sérieux? J’t’imaginais comme la fille populaire du lycée moi. » En plus, elle était loin d’être moche Aubrey. Ça a toujours joué sur les cotes de popularité. Alors t’as du mal à comprendre comment tu peux être si loin de la vérité.

Le sujet de la boite la fait soupirer, l’anxiété de plus en plus notable. T’as l’impression de mener une gamine à sa représentation de spectacle, ça en devenait presque adorable. « Mais j'suppose que si on m'offre un verre, c'est pour avoir quelque chose en retour, non ? » Tu fronces doucement tes sourcils en même temps que ton sourire s’élargit. Oui, en effet. Mais bien souvent, c’était à sens unique ce genre de stratégie. « Si tu me dis que t’es jamais allée dans un bar non plus, on va se voir beaucoup trop souvent ces prochains jours Obé. » Tu commences, puisque se faire offrir un verre ne relevait pas uniquement du milieu de la boite de nuit. Et encore un fois, t’espères bien que ce ne sera pas la première fois qu’elle se ferait offrir un verre. « Tu sais le nombre de verres que j’ai payé et où j’ai à peine pu échanger trois mots? » Tu argumentes ensuite, exposant la triste réalité, payer des coups, ça coute cher, et bien souvent, ça ne fonctionne pas. Pas s’il n’y a pas le moindre signal avant.
« À l'avenir je veux que tu me baises la main en signe de salutation, monsieur. » Tu laisses échapper un nouveau rire alors qu’elle te tend la main comme pour appuyer ses propos. « Entendu Madame. » tu gardes une main sur le volant pendant que l’autre vient attraper celle qu’elle te tend pour la glisser devant ta bouche. Tu y déposes rapidement tes lèvres sur sa peau avant de replacer tes mains sur le volant, le plus naturellement du monde. Tu profites de ta jovialité pour lui concéder ce genre de geste que tu n’es pas certain de reproduire si souvent. « Elle est dans le quartier de west end, passe y faire un tour si tu veux un jour, j'pourrais t'instruire un peu pour que t'ai l'air cool si t'amènes une nana à une exposition ou un musée. » Tu lui jettes un regard entendu. « Hééé, mais c’est qu’elle est futée celle là. J’passerai y faire un tour. Juste pour avoir l’air cool. » Tu enchéris. T’as toujours aimé apprendre. Le sujet de l’art et des peintures te passionne cependant beaucoup moins. Alors pas sûr que tu sois réellement attentif. Mais pourquoi pas.

« Tu... voles des voitures ? » Tu exploses littéralement de rire, tu manques même de t’étouffer tant le sérieux de sa question est incroyable. Tu finis par lui donner la bonne réponse, entrecoupée encore de rires incontrôlables. « Aaaaah, mais oui, c'est logique ! Mon dieu, tu dois être pleins de bleus partout j'suis sûre. » C'était certainement plus logique que de voler des voitures. Et surtout en l'annonçant si calmement. T’aurais presque du la faire marcher -ou courir à ce niveau là- en lui affirmant que la voiture dans laquelle vous rouliez était d’ailleurs volée. T’as loupé une belle occasion. « J’ai mon petit coté dalmatien que veux tu. » Tu rétorques en haussant tes épaules. Les contusions, c’était monnaie courante. Beaucoup de cascades étaient désagréables à subir, bien heureusement l’adrénaline était un bon anesthésiant et souvent, le lendemain, tu observes des hématomes dont l’origine te semblait bien floue. « C’est fou, ça fait deux fois en quelques jours qu’on me fait cette remarque. » Catarina elle aussi, avait tout de suite évoqué les bleus qui devaient marquer ton corps.

« Ah non non, j'suis désolée de t'annoncer ça mais t'es le seul avec qui je quitterais la boite ce soir. » Ça sonnerait presque comme une flatterie. Tu commences à ralentir ton allure, cherchant le dernier carrefour avant d’arriver dans la bonne rue, le regard plus centré encore sur le décor. « Et bien écoute, je vais le prendre comme un compliment. » Ce n’était pas ce qu’elle voulait dire, tu le savais parfaitement. De ce que tu comprends, c’est plus la peur des autres qui semblait la rendre si collante, et pas une quelconque attache. Mais tu le prenais comme tel. Tu tournes le volant pour t’engouffrer dans la dernière avenue. « Ouais, mais toi c'est pas pareil, on se connait déjà tu vois.. » Tu lèves les yeux au ciel, face à une excuse bancale. « Je sais, je sais, t’inquiète, pas besoin de le dire. Mes bras sont réconfortants. » Que tu ironises, t’engouffrant dans la brèche sans aucun remords. Tu ralentis doucement dans le rue, alors que tu commençais à chercher du regard des places disponibles. « C’est ici que l'on va ? » Tu l’observes un bref instant te montrer le lieu du doigt, le stress marquant son visage inquiet. « Oui. » Elle se mord la lèvre inférieur et t’as l’impression qu’elle va te faire une crise de panique dans la bagnole. « … j’ai vraiment l’impression de t’amener à l’abattoir là, me regarde pas comme ça. » Que tu lâches dans un soupire. Tu as l’air pensif quelques secondes, avant de finalement ajouter. « Tu veux pas te faire remarquer c’est ça? » Tu ralentis pour presque t’arrêter devant la boite, au milieu de la route. Tu enfiles tes lunettes de soleil sur le bout de ton nez, puis baisses sa fenêtre coté passager, et mets le frein à main. Tu croises son regard interrogateur et un large sourire espiègle nait sur tes lèvres, ce qui ne présageait rien de bon. Tu appuies brutalement sur l’accélérateur, le frein toujours en place, faisant vrombir un peu trop fort le moteur et crisser les pneus sur le béton. Tu relâches soudainement le frein laissant la voiture s’élancer à toute allure alors que tout le monde observait Aubrey par la fenêtre de la portière. Tu fais quelques mètres comme ça, dépassant sans doute la vitesse recommandée, pour trouver une place un peu plus loin. Et quitte à faire ton intéressant, autant le faire jusqu’au bout. Tu débordes sur la voie de droite, pour ensuite braquer ton volant. Le véhicule dérape quelques secondes jusqu’à la dite place qui se situait sur la gauche, pendant que tu observais les alentours attentivement. « Et voilà, le carrosse de madame est stationné. » Tu conclues, alors que des passants fixaient le véhicule avec de grands yeux réprobateurs. « La discrétion, c’est mon truc t’inquiète. » Tu lui chuchotes presque, pour ensuite sortir du véhicule comme si de rien était. Tu te glisses de son coté pour lui ouvrir la portière, l’invitant à descendre. « C’est le moment où tu te la pètes à fond. » Tu lui souffles, lui tendant la main.

Elle grimace un peu avant de dévoiler un sourire aussi curieux qu’amusé. « J'serais curieuse de savoir ce qui te fait penser ça. » Tu hausses tes épaules, comme si la réponse te semblait logique. C’était une intuition, une perception de la personne derrière son écran que tu avais. Et ça pouvait être trompeur. « Je sais pas. T’as de la répartie, t’as l’air intelligente, t’es mignonne. Je sais pas, ça me semblait logique. » Pourtant il n’y en avait pas forcément. Mais elle aurait pu appartenir à un groupe populaire, si elle avait toujours été la même que celle qui t’écrivait.
Et plus vous discutez, plus tu découvres qu’elle est bien loin de cette image que tu t’étais faite. Elle n’était jamais sorti en boite, certes. Mais lorsque tu demandes si elle était déjà allée dans un bar, sa réponse se fait bien lente. Sérieusement. « Heum… » Tu l’observes avec deux yeux ronds, emplis d’un jugement qui ne devrait pas exister. « Non… » Tu souffles, comme si elle venait de t’avouer un crime. Tu restes presque bouche bée devant une chose qui te semblait inconcevable. Est ce qu’Aubrey a été séquestrée dans une cave toute sa jeunesse? « J'suis plutôt du genre soirée cosy chez moi, tu comprends ? Donc non, j'ai jamais été dans un bar. MAIS j'ai déjà été dans un café en pleine journée pour boire un cocktail sans alcool, ça compte ? » Tu comprends que les soirées cosy à la maison, ça avait son charme. T’aimes passer du temps en plus petit comité, à discuter devant quelques verres de digestifs ou mélanges. Mais l’un n’empêche pas l’autre. « Faut croire que la prochaine étape c’est le salon de thé. » Que tu te moques. Dans un premier temps. Tu n’étais habitué à sortir avec des gens si sages. « Et donc j’en conclu que t’as jamais bu d’alcool? » Si c’était bien le cas, tu vas devoir prendre sur toi pour veiller à sa consommation. Ou l’y pousser t’hésites encore. T’as un peu peur qu’elle te gerbe dans la voiture. Et ça ne t’amusera pas de devoir nettoyer. Dejà que t’évitais ça pendant tes stages de médecine.

Et lorsque tu lui expliques que payer un verre ne t’amenait pas toujours à un échange bien intéressant, elle te lance un regard choqué par cette nouvelle. Mais ce n’était pas si simple, malheureusement. T’aurais pourtant préféré. « Si t'arrives à conclure grâce à moi, j'veux une récompense. » Tu ricanes, lui jetant un regard provocateur. C’était tout vu. « J’te payerai un verre. Dans un bar cette fois. » La monnaie d’échange te semblait bien simple et bien trouvée au vu des phrases échangées.
« Ça va t'as de la chance, c'est mignon un dalmatien au moins. » Tu lui lances un sourire plein de sous entendus, sans rien ajouter. La mettre mal à l’aise, c’était devenu ton petit jeu, ce soir. « C'est parce que ça a pas l'air très tranquille comme emploi quand même. » Tu acquiesces, plutôt en accord avec ses propos. T’étais pas fait pour les métiers de bureau. Tu ne tiens pas ne place, c’est pour ça que tu voulais faire de la traumatologie. Parce que ça bouge. C’est pas comme la neurochirurgie. C’était certes beaucoup plus minutieux mais surtout beaucoup plus mou. « C’est pour ça que c’est bien. » Que tu conclues.
Et petit à petit, vous en venez à vous chambrer, dans un jeu auquel étrangement, elle répond. Tu ne sais pas tellement quoi en penser. « J’sais pas ça, c'est la première fois que je les vois et ils sont loin de moi pour l'instant. » Tu l’observes par quelques regards lancés, ne sachant pas deviner si la provocation était volontaire ou non. « Quoi, tu les réclames en plus? Désolé, pour l’instant, je suis en train de conduire. » Tu lui réponds, le sourire en coin.

Et lorsque tu commences ton manège pour être au centre de l’attention -t’adores ça-, elle se met à hurler, s’agrippant au siège. Le pire dans tout ça, c’est que toi, ça t’amuse. La compassion, t’en manques cruellement. Tu ne sais pas te mettre à la place des autres, tout ce qui t’intéresse c’est toi et ton ressenti. Et franchement, tu t’amuses plutôt bien. Tu adores jouer au pilote, c’était sans doute ce que tu préférais dans ton métier. Et une fois le moteur coupé, tu croises ses pupilles colériques. Elle a envie de te tuer, là, tout de suite, tu le sens. Tu le connais trop ce genre de regard pour ne pas en deviner l’interprétation. Encore une fois, t’as dépassé les limites. Mais tu lui offres tout plus beau sourire. « C'était quoi ça ? » « Un drift? » Bien sur que ce n’était pas la réponse attendue. Mais elle devait s’en douter. Tu t’amuses de ses peurs. C’était probablement une bien mauvaise façon de les combattre. Mais tu n’étais pas toujours bien logique dans tes choix et opinions. Et lorsque tu lui tends la main, elle secoue la tête pour refuser ta proposition. Oui, tu l’as bel et bien vexée. Ou braquée. Tant pis. « Hors de question que je sorte, tout le monde nous regarde, c'est gênant. » Tu regardes autour de toi, et en effet, des regards encore inquisiteurs pouvaient vous être lancés. « Et alors? » Ça te passait bien au dessus. Tu as été si souvent jugé, pour tes mauvais choix, pour tes erreurs, pour ta façon de te comporter, que tu semblais plutôt bien immunisé. « Donne moi tes lunettes ou j'reste ici. » Tu lâches un rire railleur, t’appuyant contre le cadrant de la porte. « Et si tu restes dans la voiture, je t’emmène faire des donuts. » Tu rétorques à ton tour. Cependant, tu attrapes les lunettes posées sur le bout de ton nez pour les lui tendre. « Tiens. J’suis sur qu’elles t’iront encore mieux. » 

« Hey, tu vas pas y croire, j'me suis déjà même pris une cuite. » Tu lui jettes un regard innocent, mais quelque peu surpris de sa réponse. « Et bien, tu te dévergondes. Félicitations, madame. J’espère que c’était sympa au moins. » On se souvenait rarement de ses cuites. Et les lendemains étaient souvent bien compliqués. Mais avoir l’histoire racontée par ses proches, c’était bien souvent hilarant.
« Il me semble que tu vas être pas mal présent pour mes premières fois, toi.. » A cet instant précis, tu ne sais absolument pas comment interpréter sa phrase. Tu étais le seul à voir l’ambiguïté ou? Visiblement oui, puisque lorsque tu tentes un regard vers elle, elle se contente d’observer la route le plus naturellement du monde, quelque peu pensive. Alors tu préfères ne pas rebondir, de peur de dépasser les bornes, et de passer pour un mec intéressé. Et visiblement tu as bien puisque lorsque tu te lances dans une taquinerie bien plus douce, elle se met à bégayer, le regard fuyant. Alors elle aurait sans doute littéralement explosé si tu avais souligné le sous entendu précédent. « Hein ? Je.. Non.. Je voulais pas.. 'Fin je… »  Ça devient incompréhensible. « T'as dû mal comprendre je pense.. » Qu’elle finit par rectifier, un sourire doux sur les lèvres, sans doute pour ne pas te vexer. « Ça doit être ça. » Que tu ricanes, ne sachant toujours pas à quel point la maladresse jouait un rôle dans les mots qu’elle choisissait. Ou bien n’assumait elle simplement pas les sous entendus.

« Ça me va, les donuts c'est très bons en plus. » C’est du second degré? Ou elle était sérieuse? Vu sa mine renfrognée, t’es pas bien sur qu’elle laisse beaucoup de place à l’humour. « Obé. Tu sais que des donuts ce n’est pas que de la bouffe? » Tu lui demandes, cherchant à comprendre comment elle a pu trouver la logique dans le sujet des sucreries. En quoi faire de la pâtisserie lui semblait dissuasif?
Et lorsque tu lui offres tes lunettes, elle enchaine les grimaces enfantines. « Bien sûr qu'elles m'iront mieux. » Elle enfiles tes lunettes dans un soupire. Tu t’attendais presque qu’avec un tel aplomb et se lève en lançant ses cheveux en arrière pour aller jusqu’à la boite dans une démarche digne d’un mannequin en plein défilé. Mais plutôt que de partir comme un reine, elle attrape ta main qui restait suspendu dans le vide depuis bien trop longtemps maintenant et enchaine. « Juste une chose.. me laisse pas seule un seul moment dans ce.. truc, d'accord ? » Tu aurais presque oublié son angoisse pathologique des boites de nuit -ou de la foule, tu ne sais pas encore choisir. « Peut être juste quand t’iras aux toilettes? » Que tu ironises, t’amusant un peu trop de ses craintes qui te semblaient bien infondées. « J'crois que je suis prête, on peut y aller. » T’as l’impression d’avoir une patiente que tu devais emmener au bloc opératoire. C’était un peu troublant cette comparaison tant tu te rends compte que ce qui t’horripilait l’époque, t’amuse ce soir. C’est à croire que ça te manque toujours. « Fais juste semblant que tu ne vas pas t’évanouir. On va se faire refouler par le videur sinon. » Que tu lui lances, passant un bras autour de ses épaules. Elle ne te les avait pas réclamés? Peut être que non. Mais tu fais tout comme. De ton autre main tu verrouilles ta voiture, rangeant ensuite la clé dans ta poche. Vous marchez sur les quelques mètres qui séparent de la boite et dès que tu sens Aubrey se crisper, tu ressers ton étreinte autour de ses épaules. « Et cette peur panique, elle te vient d’où? » Que tu lui demandes en t’alignant dans la queue pour entrer dans l’établissement. Tu sens rapidement quelques regards critiques sur vous, non seulement parce que vous étiez habillés sur votre trente et un, mais aussi pour ton petit manège réalisé plus tôt. Et le meilleur moyen que tu as trouvé avec les années pour te défaire des oeillades indiscrètes, c’est de soutenir le regard. Bien souvent, pris sur le fait, les yeux se détournent. Alors tu ne te prives pas, assez certain qu’Aubrey n’osera pas faire quoi que ce soit. Heureusement la file d’attente n’est pas bien longue à cette heure ci et vous entrez en moins de dix minutes dans la boite. La salle est sombre, éclairée par quelques spots et néons, la musique absorbant tous les autres sons, le bar se trouvant au fond. Tu relâches doucement ton étreinte pour attraper la main d’Aubrey et tu te faufiles avec une certaine aisance entre les silhouettes, n’hésitant pas à jouer des coudes pour te frayer un chemin. « Qu’est ce que tu veux boire? » Que tu lui articules en te penchant vers elle un fois au bar, un large sourire sur les lèvres. T’es comme un poisson dans l’eau. « C’est le moment où y’a pas encore trop de monde, donc si tu veux commander, c’est le moment. » Tu enchéris. Dans quelques heures, t’es pas sûr que ce sera aussi simple d’interpeler la barmaid. Toi, tu te contenteras d’un vodka redbull pour la soirée. Tu doutes qu’Aubrey ne veuille remonter dans ta voiture si tu bois plus que ça.

« Hm.. Ouais, j'ai pas trop de souvenirs mais j'me rappelle que c'était assez drôle. » Un rire s’échappe tant son expérience peut faire écho aux tiennes. C’était un bon résumé, peu de souvenirs, mais de la bonne humeur. Tu frôlais trop souvent cet état d’ébriété, un verre en entrainant un autre sans que tu ne t’aperçoives que tu perdais le contrôle. Et c’était presque devenu normal, ses excès.

Lorsque tu rectifies la signification du mot donut, tu vois à sa mine froncée qu’elle ne comprend pas où tu veux en venir. Visiblement le terme lui échappait. Ça n’avait pourtant rien d’étonnant, en la voyant gueuler dans ta voiture à la moindre accélération. Elle ne connaissait rien à la conduite sportive, et encore moins son vocabulaire. Et cette ignorance était chose commune. « Hein ?! Comment ça ? » Un sourire moqueur se glisse à nouveau sur tes lippes amusées. La spontanéité de son interrogation avait quelque chose de distrayant. « Un truc avec la voiture. J’te montrerai plus tard. » Peut être qu’elle restera hors de la voiture, si elle consomme un peu trop d’alcool. T’as pas envie qu’elle gerbe tout ce qu’elle aura ingurgité dans ta bagnole ou qu’elle fasse une syncope. Ce qu’elle s’apprêtait sans doute à faire depuis que vous vous dirigez vers la boite. T’as l’impression qu’elle ne respire plus tant elle est crispée. « M’ouais, je devrais bien survivre deux minutes loin de toi. » Qu’elle minaude. « Ça m’arrange, j’ai pas forcément envie d’aller là dedans. » Même bourré, tu n’entrerais pas dans cette pièce. Encore plus parce qu’elle était toujours pleine à craquer et que la file d’attente était interminable, à priori. Tu ne sais pas pourquoi d’ailleurs. Mais c’était une règle universelle et intemporelle.
La voir marcher raide comme un piquet, ça te fait rire. Elle a l’air parfaitement à l’aise comme ça. Plutôt que de la rassurer, tu préfères en rire. Tu te contentes juste de passer ton bras autour de ses épaules, préférant t’exprimer par tes gestes plutôt que dans tes mots, la gueule trop fière. « J’ai juste eu l'habitude d'être solitaire quand j'étais gamine, je suppose que ça ne m'a pas vraiment aidé à ne pas craindre les endroits remplis de monde comme ça. » C’était le loup blanc, Aubrey. Plus vous discutez, plus elle te dresse un portrait bien loin de l’image que tu t’étais faite d’elle. C’est une fille assez peu entourée finalement, visiblement plus timide que ce qu’elle laissait paraitre. Et pourtant, ça ne te déplaisait pas. Il y a truc entre vous qui fait que tout est fluide, et que tu te sens autant à l’aise face à elle que face à ses messages. C’était natureL

Alors quand vous entrez dans la boite, tu ne la lâches pas. Tu la guides à travers la foule, lui frayant un chemin dans un monde qu’elle ne connaissait pas. Tu prends au sérieux un rôle que tu commences à t’approprier. Un fois devant le bar, tu t’accoudes au comptoir pour l’observer. « J’vais prendre un tequila sunrise. » Tu acquiesces, te penche sur le comptoir pour interpeller le barman. « Un tequila sunrise et un vodka redbull. » Tu tends alors un billet en échange des verres, qui sont préparés rapidement, et tu tends à Aubrey le cocktail qu’elle avait choisi. « Madame est plutôt tequila? » Ce n’était pas ton alcool préféré, sans doute trop écoeuré des tequila paf. Tu avais enchainé ses shots trop souvent. « Alors c'est ça une boite de nuit.. » « Quoi? » De nouveau tu t’approches d’elle, pour que vos visage soient plus proches, histoire d’entendre ce qu’elle te racontait. « La musique est pas terrible et trop forte mais.. ça a pas l'air si terrible. » Tu suis son regard pour observer à ton tour la foule. Oui. C’était ça, une boite. Et tu l’avais prévenue. « Ah oui. C’est pas fait pour discuter pendant des heures. Sur ceux qui sortent pour fumer une clope. Tu t’attendais à autre chose? » Tu sirotes tranquillement ton verre, prenant le temps de le savourer puisque tu comptais rester raisonnable. « Mais la musique est souvent pas trop mal pour danser. C’est pas des musiques d’ambiance c’est sur. » La boîte, ça te correspondait parfaitement. Bon danseur, piètre chanteur, on n’entendait pas tes vocalises camouflées par le son des enceintes, on ne voyait que ta façon de bouger qui était loin d’être professionnelle mais tout à fait correcte pour un danseur occasionnel. « Tu sais qu’il va falloir se lancer sur la piste? » Que tu lui lances, un sourire en coin. Passer la soirée au bar, ce serait trop ennuyant. Pour elle comme pour toi. Alors de nouveau tu lui tends ta main, proposition silencieuse pour t’accompagner durant quelques minutes.