La mousseline n’arrête pas de se coincer et d’emmêler le fil de la machine à coudre, et Cleo doit retenir plusieurs jurons. Shiloh lui a montré une technique pour coudre ensemble des assemblages de mousseline pour créer une jupe bouffante, mais Cleo n’a pas encore pris le coup de main, et son amie est partie pour une urgence de boulot, la laissant seule dans le petit atelier de son appartement.

Cleo adore cet endroit et est reconnaissante de la générosité de Shiloh qui lui a proposé sans hésitation de venir l’utiliser. Cleo n’a jamais eu une telle pièce. Dans son ancien appartement, avec Tommy, le petit bureau servait de studio de danse, comme si sa passion dépassait de facto les projets créatifs de Cleo. Elle avait accepté - comme le reste -, elle n’avait pas le choix, de toute façon, elle venait vivre avec lui, il lui faisait un prix sur le loyer parce qu’il savait qu’elle galérait, qu’elle avait tout plaqué pour le suivre lui. Et maintenant que tout ça est terminé, Cleo est dans une chambre minuscule, dans une coloc bruyante, et l’espace manque, elle n’a qu’une petite machine à coudre sur son bureau, sur lequel s’empile aussi des carnet de croquis, des palettes de maquillage, un pistolet à colle, des vieilles pellicules pour un argentique qu’elle a trouvé dans une brocante. Tout déborde, chez Cleo, dans sa tête et ses étagères. Ce maximalisme l’inspire, mais elle doit bien avouer que c’est plutôt pratique, parfois, d’être dans une pièce où elle a une certaine marge de manoeuvre physique.

Elle profite donc d’être chez Shiloh pour s’attaquer à cette robe qu’elle a imaginée, avec des volants et des couleurs dans tous les sens, faite de plusieurs jupons achetés en friperie, et elle ne sait même pas encore exactement où elle va avec la création, elle a fait un dessin, imaginé une tenue extravageante, elle a trouvé des papillons en feutrine qu’elle voudrait coller dessus ; elle s’imagine ressembler à une fleur dans la robe. Peut-être que cela sera une bonne tenue pour une performance ? Elle ne sait pas encore, elle se laisse porter - si toutefois elle arrive à coudre ce qu’elle souhaite sans que le tissu ne manque de casser la machine à coudre à force de coincer l’aiguille. Cleo pousse un soupir, finit par s’écarter, passe sa main sur son front. Bon, elle mérite bien une petite pause.

C’est étrange d’être dans l’appartement de Shiloh sans qu’elle soit là, et Cleo sort de la pièce, un peu gênée, l’impression de ne pas vraiment être à sa place. Elle voudrait juste un verre d’eau dans la cuisine, mais quand elle y arrive, celle-ci est déjà occupée. Shiloh a présenté rapidement sa colocataire à Cleo, quand elle est arrivée à l’appartement tout à l’heure, mais elles n’ont pas eu l’occasion de discuter. « Oh, euh, rebonjour », bredouille Cleo, éternelle timide, les joues qui rougissent déjà sous son blush orangé marqué, assorti à son fard à paupières rose et orange fluo qui fait ressortir ses yeux. « Désolé, je cherchais juste un verre d’eau », elle explique, pour justifier sa présence qui doit déranger.

@Olive Sterling