L’horloge du temps défile en s’illustrant dans le ciel derrière lui, puisque le soleil achève son ascension et entame sa retombée sans qu’il ne change de position ; le dos droit, tâchant de ne pas vouter ses épaules pour conserver sa stature, il est assis derrière son piano depuis des heures, ses yeux ne délaissant pas la signature rythmique des partitions étalées sur le pupitre de l’instrument, et puisqu’il bute toujours au même passage, il commence à se dire qu’il vaudrait mieux les déchirer, ces foutues partitions à la con. Parce que c’est bien indigne d’un prodigue tel que lui, de ne pas réussir à suivre un schéma musical ; comme depuis qu’il est gamin, tout le monde s’attend à ce que tout lui soit d’une aisance innée, d’une facilité déconcertante même, comme si des heures et des heures de travail n’étaient pas nécessaires pour un musicien comme lui, et que l’erreur ne pouvait exister dans le monde de son talent. Mais plus il s’acharne, plus ses mains s’emmêlent et lorsque celles-ci commencent à trembler au point qu’il entrevoit la crise d’angoisse qui commence à poindre, il déglutit avec difficulté avant d’envoyer valser les feuilles exposées devant lui, qui s’élèvent dans son salon avant de retomber sur son tapis, dans un bruit de bruissement distinct. Il commence à étouffer, dans son appartement, comme si l’air s’était tout à coup raréfié entre ses murs, et il reste immobile, sur son banc, à essayer de trouver un moyen de fuir ses propres pensées trempées d’anxiété ; ce n’est que lorsqu’il entend la sonnerie de son téléphone qu’il réagit, bienheureux de trouver une sortie de secours avec la proposition de son ami.

Rejoignant rapidement le lieu du rendez-vous après s’être douché et changé, c’est avec un sourire davantage apaisé qu’il retrouve Mateo, en tâchant d’oublier sa défaite. ’’T’as vu, j’suis presque pas en retard, tu pourrais m’applaudir au moins.’’ dit-il avec malice en glissant sa main dans ses cheveux pour les repousser en arrière, avant que ses yeux ne soient attirés par un curieux rassemblement un peu plus loin, ne tardant pas à s’en rapprocher, poussé par la curiosité que cette tranquille agitation lui procure. « J't'en supplie me dis pas que tu veux qu'on s'arrête pour ce genre de niaiseries. J'le supporterais pas. » plissant légèrement ses paupières pour tenter d’apercevoir les créations des passants, il envoie la pointe de sa langue vers ses dents du fond tout en courbant ses lèvres d’un sourire amusé, qui se répercute dans le regard qu’il pose sur son ami. ’’Sérieux ? C’est pas censé être ton domaine, l’art, le dessin, tout ça tout ça ?’’ il pose la question pour gagner du temps, Izan, puisque Mateo a scellé son destin au moment même où il l’a supplié de décamper. ’’T’es vraiment un rabat-joie, toi.’’ secouant légèrement son menton de gauche à d droite, il crochète le bras de Mateo avec le sien pour l’entraîner dans ses pas, tous deux se rapprochant du fameux mur grandement coloré. ’’Allez, il y a même des enfants qui font des dessins !’’ ce qui veut dire qu’il ne sera pas le seul à faire un truc bancal et ça, c’est rassurant ’’J’ai une idée : je fais ton portrait et tu fais le mien.’’ de toute façon, il n’a pas le choix, Mateo, puisque son acolyte du jour s’est déjà armé de ce qui ressemble à un gros feutre - lui-même n’est pas trop sûr du projet mais il n’en perd pas son sourire pour autant, et s’il commence à tracer les lignes grossières d’un visage rond, il ne peut s’empêcher de rajouter, sans tourner les yeux de son oeuvre ’’T’inquiète, j’te ferais pas tout nu : il y a des enfants et je n’ai pas envie de les traumatiser avec une vision d’horreur.’’