Tout était beaucoup plus simple lorsqu’ils étaient encore au lycée, ou du moins pour Kendall et Shiloh. Lewis, lui, avait connu les périodes les plus compliquées de sa vie à ce moment-là, cherchant désespérément à être inclus dans une sorte de société à part entière qui s’efforçait de le rejeter. Alors bien sûr que ceux qui lui avaient laissé sa chance garderaient toujours une place importante pour lui, peu importe ce qu’il pouvait arriver. Kendall et Shiloh avaient disparu durant quelques temps, laissant un vide qui n’avait jamais été remplacé et pourtant, Lewis n’avait jamais cessé de les considérer autrement que comme des amis et c’était la raison qui l’avait poussé à accourir dès qu’il avait appris la nouvelle. Kendall vivait l’un des moments les plus difficiles de sa vie et peu importe le temps passé, le sentiment de ne plus être ce binôme qu’il avait un jour été pour lui, Lewis s’était présenté pour qu’il sache qu’il pouvait compter sur lui. Peu importe les circonstances. Les retrouvailles ne s’étaient faites qu’à moitié, Lewis avait passé un moment avec Shiloh sur les escaliers près de la piscine extérieure mais les mots échangés étaient bien trop emplis de nostalgie et de tristesse pour que cela marque un réel renouveau dans leur relation. Lewis avait salué Kendall et échangé quelques mots rapidement au milieu de toutes ces personnes venues rendre un dernier hommage à son père mais il n’était pas lui-même à ce moment-là. L’idée qu’ils se retrouvent tous les trois dans un tel moment d’adversité viendrait peut-être renforcer leurs liens, mais Lewis avait tous les maux du monde à voir quoique ce soit de positif dans tout cela.

Installé au bar, il ne pouvait s’empêcher de vérifier son téléphone chaque minute dans la crainte que Kendall annule au dernier moment. Cela aurait été un crève-coeur mais cela aurait été légitime. Pourtant, il avait fini par passer la porte, adressant à son ami un sourire qui ne dissimulait qu’à peine la tristesse qui l’habitait encore. « Je t’ai déjà pris une pinte. » avait-il indiqué afin que Kendall puisse s’asseoir sans passer par le bar. Ils se connaissaient assez bien pour connaître le genre de bière qu’ils aimaient et pour que Lewis prenne la liberté de commander à sa place, de lui offrir cette tournée-là. Lorsqu’ils sortaient, ils ne restaient de toute façon jamais sur une seule tournée, enchaînant les bières parfois jusqu’au petit matin parce qu’ils parlaient de tout et de rien, refaisaient le monde ensemble. C’était ce qui avait le plus manqué à Lewis, cette possibilité de sortir n’importe quand avec son ami sans autre projet que de rester assis à une table à enchaîner les sujets de discussion sans jamais se lasser. Ce soir pourtant, si les retrouvailles le réjouissaient, Lewis savait que leur moment à deux n’aurait rien de comparable à ce qu’ils vivaient avant. « Ça me fait plaisir que t’aies accepté l’invitation, tu sais ? » Il cherchait ses mots parce que Kendall méritait mieux que les formules de politesse habituelles, que la simple question qui consistait à lui demander comment il allait. La réponse se lisait directement sur les traits fatigués de son visage : il avançait et sortait la tête de l’eau mais le chemin serait encore long et semé d'embûches. Lewis avait un point de comparaison parce qu’il avait passé des mois dans l’attente, dans la crainte qu’Atlas ne se réveille jamais et pourtant, il n’utiliserait pas cet argument là parce qu’il savait qu’il pouvait maintenant profiter de son frère. Alors il laisserait son ami mener la discussion comme il l’entendait, parler des sujets qu’il se sentait capable d’aborder et éviter le plus épineux d’entre tous si cela était encore trop douloureux.

Quand Lewis a lancé l'invitation, il a tout de suite eu envie de refuser. Rien contre son ami d’un autre temps mais plutôt parce qu’en ce moment l’envie de sortir, ce n’est pas ce qui tourmente le bouclé. Il n’est presque pas sorti depuis l’enterrement, les messages d’Ava restent dans le vide, il n’a même pas envie de lui répondre. Il n’a envie de voir personne s’il doit être franc. Mais le temps passe et il sait pertinemment qu’il ne peut pas rester cloîtré chez lui pour vivre en ermite. Il doit sortir, se changer les idées avant de devenir fou entre les murs de son loft. Après plusieurs heures après la lecture du message de Lewis il lui avait donc répondu qu’il serait de la partie.

Sur le chemin Ken réfléchit, trop sûrement. Mais cette soirée aurait dû avoir un air familier, un sentiment de retour au bon vieux temps. Pourtant ce n’est pas l’impression qu’a Kendall. Si effectivement aller boire un coup avec Lewis était une chose dont il avait l’habitude quand ils étaient ado, aujourd’hui tout est différent. Le temps a passé, la distance et les années les ont éloignées et c’est un presque inconnu que le policier s’apprête à rejoindre au bar. En bon ami qu’il est -non-, il n’a pris que très peu de nouvelles et le seul visionnage de stories instagram ne suffit pas à se faire une idée de la personne qu’il est devenu. Cette soirée sera l’occasion de rattraper le temps perdu et de voir où Lewis en est dans la vie. C’est donc avec une légère appréhension et quelques minutes de retard que Ken arrive au bar. Si Lewis lui demande, il dira qu’il a fini tard et qu’il vient tout juste de finir son shift. La vérité c’est qu’il a hésité pendant de longues minutes, se décidant à venir avant de se dégonfler à plusieurs reprises. Il repère rapidement Lewis au fond du bar et il essaie de lui faire un sourire sympa quand il s’assied à ses côtés. « Je t’ai déjà pris une pinte. » Lewis est donc toujours aussi prévenant. “Merci c’est gentil.” Le bouclé d’ordinaire assuré dans ses paroles ne sait cependant pas quoi ajouter spontanément pour briser la glace, heureusement, Lewis se charge de cette tâche. « Ça me fait plaisir que t’aies accepté l’invitation, tu sais ? » Il esquisse un sourire, touché par le commentaire de son ami qui même s’ils ne se sont pas vus depuis plusieurs années est toujours là pour lui. “Merci à toi d’avoir proposé surtout.” Il attrape son verre et le tend dans la direction de Lewis pour trinquer. “Santé mon pote.” Une petite phrase qui a un goût bien amer mais Kendall n’a pas envie de créer un malaise ou pire qu’ils parlent de tout ça. Il a besoin de se changer les idées, de penser à autre chose et c’est précisément ce qu’il veut faire en changeant de sujet. “Faudra proposer à Shiloh une prochaine fois. Tu l’as revue récemment ou pas du tout ?” Histoire de ramener complètement le bon vieux temps à la vie en reformant leur légendaire trio.

Le temps passait bien trop vite et les événements qui leur servaient de piqûre de rappel étaient bien trop désagréables. Lewis voulait retrouver ses amis, peu importe la difficulté qu’allait apporter ce moment qu’ils avaient passé loin les uns des autres. Et il était convaincu qu’il s’agissait d’une bonne idée parce qu’à la seconde où il avait vu Kendall entrer dans le bar, un sourire incontrôlable s’était dessiné sur son visage. Le revoir lui rappelait la place qu’il avait eu dans sa vie depuis le lycée, et malgré ses traits tirés par la fatigue et le chagrin, il restait le même. “Merci c’est gentil.” Lewis avait secoué la tête pour lui indiquer que ce n’était rien, juste une coutume entre eux depuis toujours. Le premier arrivé payait la première tournée, et l’autre la seconde. Ils ne se contentaient jamais d’une seule et unique tournée. Il était ravi que son ami n’ait pas décliné l’invitation parce qu’il aurait compris qu’il le fasse. “Merci à toi d’avoir proposé surtout.” Avant qu’il ne puisse répondre, Kendall levait déjà son verre. “Santé mon pote.” Lewis avait à son tour levé sa pinte à la hauteur de celle de Kendall pour venir la faire tinter contre la sienne avec un sourire sincère : le geste était banal, mais son impact était grand. “Faudra proposer à Shiloh une prochaine fois. Tu l’as revue récemment ou pas du tout ?” Shiloh parlait de Kendall et Kendall parlait de Shiloh, c’était une logique dont ils ne s’échappaient jamais depuis qu’ils avaient décidé de former un trio. Pourtant, cette fois-ci, Lewis avait eu bien du mal à cacher sa gêne, ajustant sa position sur sa chaise comme si elle était à l’origine de de son inconfort. « Ouais, on s’est revus autour d’un milkshake. » Son sourire était un réflexe parce qu’il revoyait le sourire de son amie lors de leur tête à tête. Que devait-il dire ? Parler du fait que ses retrouvailles avec Shiloh avaient eu lieu au moment le plus difficile de la vie de Kendall et passer pour un égoïste ne voyant que ses intérêts le jour où il avait le plus besoin de lui ? Ou laisser son ami comprendre les sous-entendus de sa phrase, parce qu’il l’avait invité à venir avec eux ce soir-là. Lewis se posait trop de questions, il en était conscient, mais après avoir perdu l’amitié du trio pendant un temps, il refusait de faire quoique ce soit qui les éloignerait à jamais. « On se fera un truc tous les trois bientôt, comme avant. » avait-il finalement confirmé. « Je me suis demandé si on se reverrait un jour, parfois, tu sais. Ça m'aurait fait chier qu’on se perde totalement de vue. » Il tentait de reprendre les choses là où ils les avaient laissées, cherchant à être le plus naturel possible pour ne pas donner la sensation à Kendall d’avoir pitié de lui. Ce n’était pas le cas, il était mal à l’aise car s’il savait qu’il voudrait probablement parler d’autre chose, Lewis refusait d’ignorer ce qu’il venait de se passer.  « Tu vis où maintenant ? T’as repris ton ancien appart ? Allez raconte moi un peu, ça fait trop longtemps. » Et il s’était légèrement baissé sur la table pour lui accorder une tape sur le bras, ré-apprenant à se comporter comme ils l’avaient toujours fait.

« Ouais, on s’est revus autour d’un milkshake. » Ken remarque que Lewis n’a pas l’air très à l’aise face à sa question. Son sourire manque de sincérité, comme si quelque chose clochait. “Elle a pas changé non ?” Après tout, Kendall n’a pas vu Shiloh depuis plusieurs années. S’il l’a croisée furtivement aux funérailles de son père, il n’a pas réellement échangé avec elle. Elle peut tout à fait avoir changé, ce qui expliquerait l’apparent malaise de Lewis. « On se fera un truc tous les trois bientôt, comme avant. » Un petit sourire se forme sur le visage du policier. La nostalgie de cette époque du lycée et de l’insouciance qui l’accompagne lui manque terriblement par moments. “ça me ferait plaisir, comme au bon vieux temps.” Il en profite pour boire une nouvelle gorgée de bière dont l’amertume vient faire frissonner ses papilles. « Je me suis demandé si on se reverrait un jour, parfois, tu sais. Ça m'aurait fait chier qu’on se perde totalement de vue. » Et merde. La culpabilité revient violemment comme un boomerang qui revient en pleine tête à grande vitesse. Ken interprète les mots de Lewis comme un reproche, ou du moins il sent bien que son silence l’a affecté. Il a merdé, il en est parfaitement conscient. “Ouais je suis désolé, j’étais pas mal occupé et avec tout ce qu’il s’est passé j’ai un peu coupé les ponts avec tout le monde.” Il fuit le regard de Lewis tout en ébouriffant ses cheveux d’une main, visiblement gêné par la situation. Shiloh et Lewis ont toujours été de bons amis, des amis prévenants toujours là pour lui. Comment les a-t-il remerciés ? Par un silence complet pendant près de deux ans. Il y a de quoi être vexé et en colère il en est conscient mais c’est comme ça qu’il fonctionne Ken : quand il y a un trop plein il se replie dans sa carapace. Lewis et Shiloh ne sont pas les seuls qu’il a ghostés, loin de là. Les seules personnes qui ont eu quelques nouvelles de lui alors qu’il était à Adélaïde ce sont ses parents après de nombreux appels manqués. Il avait besoin de ça, se couper du monde, de tout ce qui lui rappelait Brisbane et Charlie. Il a été égoïste et il en prend petit à petit conscience. C’est en voyant Lewis en face de lui qu’il réalise à quel point il a de la chance : c’est comme si ses amis lui offraient une deuxième chance, une occasion de rattraper le temps perdu. Occasion qu’il comptait saisir dès maintenant pour essayer d’être un ami moins merdique, ce qui était totalement inédit pour lui. « Tu vis où maintenant ? T’as repris ton ancien appart ? Allez raconte moi un peu, ça fait trop longtemps. » Il termine une nouvelle gorgée de sa pinte qui descend déjà rapidement avant de se lancer dans ses explications. “Je suis dans le même quartier qu’avant, pas loin de chez ma mère mais j’ai pas repris l’ancien appart. On l’a vendu entre-temps donc j’ai repris un petit truc.” Si pour beaucoup petit truc est un synonyme de studio pour Kendall il n’en est rien. Il vit dans un loft, avec une surface un peu plus petite et une vue moins belle que son ancien appartement mais l’appartement reste spacieux. Grâce à ses parents et surtout à la réussite de son père, il n’a jamais vécu dans un studio étudiant minuscule ou dans une colocation, l’éloignant ainsi un peu de la réalité du marché immobilier australien. “Je te ferais visiter.” La décoration y est encore inexistante, il n’a ni l’envie ni l’énergie pour ça. Mais le strict minimum est présent : un canapé, des fauteuils en cuir et du whisky dix ans d’âge. “Et sinon…j’ai repris le boulot au commissariat de Brisbane, comme avant en fait.” Ce qui laisse sous-entendre qu’il cotoie à nouveau Charlie. Il n’en parle pas plus frontalement, ne sachant pas bien comment interpréter leur statut actuel. Ils ne sont pas ensemble c’est certain mais depuis la soirée qu’ils ont passé ensemble chez lui après l’enterrement de son père, les choses sont différentes, plus apaisées et entre eux pour la première fois depuis des années. Et puis il n’a pas envie de monopoliser la parole pour lui parler de Charlie qui n’est qu’une collègue qu’il apprécie -beaucoup-. “Et toi alors ?”

Se retrouver à trois devenait presque nécessaire alors que cette option était maintenant tout à fait envisageable. Lewis avait parfois pensé que cela redeviendrait possible, mais les années avaient passé et il avait fini par perdre espoir, assez pour que ce moment avec Kendall lui procure énormément de joie. C’était la même chose avec Shiloh, à un détail près, et il se sentait idiot d’être aussi désarçonné par la simple évocation de son prénom - ils reformeraient bientôt un trio, il l’espérait, et il devrait s’habituer à cette ancienne dynamique qu’il savait gérer par le passé. “Elle a pas changé non ?” Physiquement, pas le moins du monde, et c’était extrêmement problématique pour Lewis qui n’avait pas mis longtemps à se souvenir des sentiments qu’il entretenait pour elle. Mentalement, elle était toujours la même jeune femme douce avec qui il adorait discuter et oublier le reste. Pourtant, quelque chose avait bel et bien changé et s’il en imaginait assez facilement les causes, c’était le genre de secret qu’il avait décidé de garder pour lui. « Pas le moins du monde. » avait-il lancé, cherchant à rester naturel, comme si cette affirmation ne soulevait rien de plus. « Je suis désolé qu’on se soit éclipsés comme ça.  » Ils avaient prévenu Kendall qu’ils partaient boire un milkshake, lui avait même proposé de les accompagner, alors ces excuses n’étaient probablement pas nécessaires mais Lewis avançait à tâton avec cet ami qui traversait une grande épreuve. “ça me ferait plaisir, comme au bon vieux temps.” Il ne leur en tenait visiblement pas rigueur, acceptant avec enthousiasme l’idée de se revoir. Après tout, le contraire aurait étonné Lewis, et ce malgré les étapes compliquées par lesquelles passait Kendall. Loin de lui donc l’idée de le faire culpabiliser, et il s’était reculé dans son siège en réalisant la maladresse de ses mots.  “Ouais je suis désolé, j’étais pas mal occupé et avec tout ce qu’il s’est passé j’ai un peu coupé les ponts avec tout le monde.” Secouant doucement la tête, Lewis avait reposé son verre sur la table. « Je disais juste ça parce que ça me fait plaisir de vous avoir à nouveau dans les parages tous les deux, c’était pas un reproche du tout Ken, je t’assure. » Mais était-il réellement dépourvu d’une quelconque rancœur ? Il s’était retrouvé seul, et même s’ils comptaient bien trop pour lui pour risquer de leur avouer, le constat était bel et bien là. “Je suis dans le même quartier qu’avant, pas loin de chez ma mère mais j’ai pas repris l’ancien appart. On l’a vendu entre-temps donc j’ai repris un petit truc.” Ravi que la conversation se poursuive malgré un début de malaise, Lewis l’écoutait attentivement. “Je te ferais visiter.” « Ouais je veux bien même si je vais sûrement avoir envie de squatter, parce que je vois à peu près ce que t’entends par petit truc toi. » Il reprenait les bases de leur relation là où ils les avaient laissés, n’apposant un filtre qu’à certains sujets bien précis mais pas à d’autres. Ils avaient toujours fonctionné comme ça, en se taquinant à longueur de temps, et après avoir descendu une bonne partie de sa pinte, Lewis se sentait déjà plus détendu. “Et sinon…j’ai repris le boulot au commissariat de Brisbane, comme avant en fait.” Et s’il avait aperçu Charlie aux funérailles sans oser le mentionner, Kendall venait d’ouvrir une brèche qu’il ne pouvait pas ignorer. « Comme avant ça veut dire avec Charlie ? » Sourcil arqué, Lewis s’étonnait lui-même d’oser le provoquer alors même qu’ils slalomaient entre différents sujets compliqués. Si Charlie en était un, l’échelle était toute autre. “Et toi alors ?” Il avait haussé les épaules, commençant par le plus évident. « Je me suis fait pas mal de contacts et je me plains pas, je trouve des contrats facilement. Les types d’attaques changent tellement souvent, y a toujours de quoi faire. » Si être en freelance générait parfois quelques doutes, Lewis trouvait toujours de quoi faire et ce grâce à un portefeuille clients assez conséquent. « Si vous avez besoin, chez les flics, hésite pas à me pistonner. » avait-il lancé dans un rire, son ambition étant toujours la même qu’avant.