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   @Sara Gutiérrez   ft. Gayle Danbury

West end, café death before decaf, 21 juin 2024

Ce n'était pas l'endroit qu'elle préférait pour un premier rendez-vous d'affaires mais l'emploi du temps chargé de Gayle ne lui avait pas permis de proposer un autre lieu. Ces derniers temps, l'agent artistique était – pour son plus grand bonheur – débordée. Ses rendez-vous s'enchaînaient et son planning ne désemplissait pas. Elle courait à droite à gauche, sa mallette remplie de contrats dans une main, son portable dans l'autre. Ce vendredi matin ne faisait pas exception à la règle. Elle s'était levée aux aurores pour s'occuper de ses mails avant de foncer secouer Winston. Le jeune cascadeur avait un tournage de prévu et comme à chaque fois il avait tendance à « oublier » l'heure du début de tournage. La Danbury avait donc débarqué chez lui sans prévenir, avait tambouriné à la porte jusqu'à ce qu'il daigne lui ouvrir, lui avait fourré un café à emporter dans la main et avait attendu qu'il soit prêt pour le déposer sur le plateau. Lorsqu'il était descendu de sa voiture, elle lui avait balancé un : « J'te préviens, je ferai pas ça tous les matins. » et elle avait disparu, filant aux bureaux pour récupérer quelques dossiers. Elle ne savait pas pourquoi elle agissait ainsi avec le jeune homme. Habituellement, elle l'aurait laissé se planter, une fois, puis deux et l'aurait viré mais pas avec Winston.

Elle avait donc débarqué aux bureaux aux alentours de 9h et avait commencé à checker son agenda. Elle avait eu le temps de faire un petit débrief avec Sergio et avait constaté que tout se passait bien pour lui aussi. Ils étaient revenus ensemble sur certains clients, s'interrogeant sur le fait de les garder ou non. Les deux associés s'entendaient particulièrement bien et avaient en règle générale la même vision du travail et de ce qu'ils voulaient. Ils arrivaient donc facilement à se mettre d'accord et à prendre des décisions. Gayle avait néanmoins dû écourter leur réunion puisqu'elle avait fixé rendez-vous à une jeune maquilleuse qui s'annonçait être plutôt prometteuse. Contrairement à ses habitudes, elle n'avait rien dit à Sergio et si elle ne lui avait rien dit c'était pour une bonne raison : La personne qu'elle s'apprêtait à rencontrer n'était autre que la fille du mexicain. Si Sergio ne l'avait pas engagée lui-même c'était qu'il devait y avoir anguille sous roche et Gayle comptait bien éclaircir ce mystère.

Elle était arrivée au café avec une quinzaine de minutes d'avance s'installant ainsi sur une table à l'écart des autres. Un côté intimiste sans trop l'être qui lui permettrait de pouvoir avoir un entretien sérieux et au calme avec la jeune Gutiérrez. Gayle commanda un café noir serré et sortit sa tablette de sa sacoche. Elle commença à naviguer sur son planning lorsqu'elle entendit au loin : « Madame Danbury vous attend. » Elle fronça les sourcils et jeta un coup d'oeil à sa montre. Elle était en avance. Un bon point pour la jeune Gutierrez. Gayle l'observa alors arriver, la détaillant de la tête aux pieds sans même se cacher. Le look était sympa et le maquillage semblait à propos. Elle attendit que Sara soit à sa hauteur puis se leva tout en lui tendant une main : « Ponctuelle. J'apprécie. » Elle lui adressa un sourire qui se voulait chaleureux mais son regard perçant et incisif montrait bien qu'elle n'était pas là pour plaisanter. Elle se réinstalla derrière la table et observa la maquilleuse faire de même. Une serveuse vint prendre la commande de la jeune femme alors que Gayle buvait déjà une gorgée de son café. « Je ne vais pas passer par quatre chemins, je travaillais avec Marley, j'aimais travailler avec elle. Il faut croire que sa vie de famille était plus importante que sa carrière... » en disant ça ses yeux s'étaient levés au ciel. Elle trouvait la décision prise par Marley discutable mais ce n'était pas le sujet. « Elle m'a donné votre nom. A-t-elle bien fait ? ». Gayle était directe et ne prenait que rarement des détours. Elle savait que cela pouvait être déstabilisant mais elle avait besoin de savoir que Sara avait assez de caractère et de tempérament pour gérer la situation sans se liquéfier sur place.

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@Gayle Danbury & Sara Gutiérrez
21 juin 2024, Café Death Before Decaf, West end

Dans sa tenue bien plus professionnelle que tout ce qu'elle jamais porté au Twelve – sauf le jour où il a fallu convaincre Rosemary de l'embaucher –, c'est en avance que Sara se pointe au Death Before Decaf. Elle essaie d'avoir l'air sereine, ayant même mis un jean troué en se disant que ça donnait l'impression qu'elle était tout à fait à l'aise avec cet entretien et n'avait pas la trouille du siècle... Mais elle flippe, putain ce qu'elle flippe. Elle a bien évidemment assorti son maquillage du jour à sa tenue, ne manquant pas de se servir de ses propres yeux comme d'une pancarte criant « Embauchez-moi » avec la subtilité d'un semi-tonne. « Madame Danbury vous attend. » Elle remercie l'employé à qui elle vient de poser la question et rejoint la table où se trouve l'agente. Deux pensées la frappent alors. La première, c'est qu'elle est vraiment canon. La seconde, c'est qu'elle lui fait encore plus peur que par SMS. « Ponctuelle. J'apprécie. » La brune esquisse un sourire, ravie que ses immenses efforts soient appréciés. « Toujours. » Elle l'assure d'une voix confiante, comme si c'était la chose la plus évidente qui soit, et aussitôt sa voix intérieur lui hurle « Mais pourquoi tu mens ?! ». Elle s'installe face à l'agente à qui elle vient de mentir éhontément. Elle se sent scrutée mais essaie de faire comme si de rien était, tournant plutôt les yeux vers la serveuse qui vient de s'approcher. « Un café frappé s'il vous plaît. » Elle prendrait bien un gâteau pour aller avec, n'ayant rien petit-déjeuné d'autre que deux tasses de café, mais rien que l'idée de se tâcher devant la Danbury lui donne des sueurs froides. À peu près autant que son regard qui la détaille toujours d'ailleurs – si d'habitude elle trouve ça flatteur, là elle se sent épiée et pas bien rassurée de l'être. « Je ne vais pas passer par quatre chemins, je travaillais avec Marley, j'aimais travailler avec elle. Il faut croire que sa vie de famille était plus importante que sa carrière... » Même si elle ne manque pas de remarquer le roulement d'yeux de son interlocutrice, elle ne se permet aucun commentaire. La vie de famille ça ne l'a jamais faite rêver, mais elle sait qu'il y a des personnes pour qui c'est tout ce qui compte, Mamá en étant l'illustration parfaite. Elle a renoncé à ses études lorsqu'elle est tombée enceinte pour la première fois et ne les a jamais reprises, ayant plutôt six autres enfants – tous plus beaux les uns que les autres. Alors si c'est la vie que souhaite mener Marley, la quatrième de cette grande fratrie ne va sûrement pas la juger. Pourtant, son annonce de départ à l'autre bout du monde a ni plus ni moins terrifié Sara quant à son avenir professionnel – le vrai, pas celui d'employée de cinéma ou de placeuse. Plus d'une année de formation mais aucune qualification officielle : qui allait la croire ? Qui ferait confiance à une nana avec trois réorientations à son actif et un pauvre diplôme n'ayant rien à voir ni avec ses deux boulots actuels ni avec celui qu'elle aspire à exercer ? Le fait que la maquilleuse ait donné son numéro à une agente a ravivé tous ses espoirs et l'a surtout énormément touchée. À ses yeux, c'est une preuve de confiance immense mais aussi le signe qu'elle la pense assez douée pour qu'elle puisse intéresser une agence artistique. Et ça, c'est flatteur et rassurant pour le futur, n'est-ce pas ?

« Elle m'a donné votre nom. A-t-elle bien fait ? » Quelle question ? « Oui. » Le mot s'échappe aussitôt de ses lèvres, comme si elle craignait que l'agente ait des doutes à ce sujet. Même si son bide est tordu par l'angoisse, Sara ne se démonte pas. Vu l'attitude de la femme qui lui fait face, elle doute que la supplier avec les yeux larmoyants de lui donner une chance soit efficace. Alors elle garde la tête haute et tente d'avoir l'air aussi assurée que possible pour répondre de façon plus détaillée. « C'est elle qui m'a formée alors si vous aimiez son travail, vous devriez aimer le mien. » Si Marley lui a donné son numéro, c'est bien qu'elle considère l'avoir correctement formée, après tout. « J'ai moins d'expérience qu'elle mais je suis motivée et je veux faire mes preuves. » Consciente que son absence de qualification officielle dans le domaine pourrait être un problème, elle met en avant sa motivation – une qualité bien réelle de la jeune femme, contrairement à la ponctualité – dans l'espoir que l'agente accepte de lui donner une chance. « Marley m'a formée pendant plus d'un an, elle a eu le temps de m'apprendre beaucoup de choses et je saurai les appliquer. » A-t-elle répété son discours toute la nuit ? Peut-être bien, oui. Elle en avait besoin pour se rassurer, ayant l'impression de jouer sa vie entière durant cet entretien.

Tenue :

Maquillage :

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   @Sara Gutiérrez   ft. Gayle Danbury

West end, café death before decaf, 21 juin 2024

Dès l'instant où Sara était entrée dans la pièce, Gayle n'avait pas cessé de la dévisager. Elle ne prenait même pas la peine de s'en cacher. La quadragénaire était une femme directe, qui ne prenait pas de détour et ne cachait pas ses intentions – sauf lorsque cela était nécessaire – et à cet instant, elle voulait que la jeune maquilleuse comprenne à qui elle avait à faire. Le sourire qu'elle lui adressa ainsi que le voix confiante qu'elle prit pour lui répondre : « Toujours. » fit esquisser un sourire à la blonde qui s'abstint néanmoins de tout commentaire. A l'inverse elle l'observa s'installer, passer commande tout en tentant tant bien que mal de cacher son stress. Gayle n'était pas dupe, elle savait que la jeune femme devait être angoissée mais elle appréciait le self-contrôle dont elle faisait – pour le moment – preuve. Jusqu'à quand parviendrait-elle à agir de la sorte ? C'était la grande question. La Danbury avait hâte d'obtenir la réponse et il était évident qu'elle allait chercher à la déstabiliser le plus possible. Ce fut la raison pour laquelle elle entra directement dans le vif du sujet en parlant de Marley et de son départ précipité – quel gâchis ! - pour le Botswana. Sara s'abstint de tout commentaire et sans le savoir elle marqua des points auprès de l'agent. Elle appréciait le fait que la jeune maquilleuse n'ait pas critiqué celle qui l'avait formée tout comme elle appréciait le fait qu'elle ne lui ait pas tenu tête. Elle savait garder ses opinions pour elle et c'était indubitablement un bon point. Lorsqu'elle lui demanda si Marley avait eu raison de lui donner son numéro et qu'elle avait répondu avec vivacité : « Oui. » Gayle avait penché la tête sur le côté en répondant : « L'inverse aurait été surprenant voire suicidaire. » Son regard restait imperturbable tout comme son visage alors qu'au fond elle aurait presque eu envie de sourire devant l'entrain de la jeune femme. Cette dernière comprit sans doute qu'un simple « oui » ne suffirait pas et elle commença alors à se vendre tout en gardant la tête haute. « C'est elle qui m'a formée alors si vous aimiez son travail, vous devriez aimer le mien. » Pendant qu'elle parlait, Gayle avait pris un air détaché, se permettant de regarder autour d'elle comme si ce que la Gutiérrez lui racontait ne l'intéressait pas. Finalement elle reporta son attention sur elle et lui répondit : « Je n'ai pas dit que j'aimais son travail. J'ai dit que j'aimais travailler avec elle. » Elle marqua une pause tandis que son regard transperçait celui de Sara comme si elle cherchait à sonder son âme. Il y avait une différence entre aimer le travail de quelqu'un et aimer travailler avec lui. Gayle se fichait bien du talent de Marley – bien qu'il fallait qu'elle en ait pour pouvoir être embauchée – ce qu'elle aimait c'était sa ponctualité, le fait qu'elle sache tenir sa langue et garder pour elle les potins qu'elle pouvait entendre à droite à gauche. Elle aimait l'efficacité et le professionnalisme de Marley, le fait qu'elle se défonçait pour son job, qu'elle ne l'avait jamais plantée, qu'on pouvait l'appeler à la rescousse à la dernière minute. C'était ça qui lui manquerait le plus chez la métisse et pas son don pour le maquillage. Si Sara misait tout sur ses capacités à maquiller, elle n'irait pas loin, en tout cas pas aux côtés de Gayle. Sans doute que la petite brune comprit le message puisqu'elle poursuivit : « J'ai moins d'expérience qu'elle mais je suis motivée et je veux faire mes preuves. » Point positif pour la jeune femme, elle se montrait honnête et ne cherchait pas à cacher la réalité. A quoi bon lorsqu'il était si simple pour Gayle de vérifier par elle-même. Elle fit d'ailleurs un signe de la main pour indiquer qu'elle s'en fichait : « Pas besoin de diplôme ou de je ne sais quoi. Lynch était strip-teaseuse avant de devenir maquilleuse, cela ne l'a pas empêchée d'être excellente ». Elle cherchait à faire comprendre à Sara – sans le lui dire clairement – qu'elle ne devait pas s'inquiéter pour son manque de savoir faire, pour son manque d'expérience. Cela s'apprenait sur le tas, et l'agent était persuadée qu'avec de la volonté et de l'investissement on pouvait faire de grandes choses. Si Sara voulait exceller dans ce domaine, à elle de s'en donner les moyens. C'était dans tous les cas l'impression qu'elle donnait puisqu'elle continua sur sa lancée : « Marley m'a formée pendant plus d'un an, elle a eu le temps de m'apprendre beaucoup de choses et je saurai les appliquer. » Gayle hocha la tête d'un air entendu, signifiant ainsi qu'elle entendait et qu'elle enregistrait ce qu'elle venait de lui dire.

« Vous avez un autre point commun avec Marley... » Gayle marqua volontairement une pause et prit le temps de boire une longue gorgée de café. Elle reposa la tasse sur la table sans quitter du regard la demoiselle qui devait se demander où elle voulait en venir et poursuivit : « Sergio détestait travailler avec elle et il semblerait que votre père n'ait aucune envie de travailler avec vous non plus. » La bombe était lâchée. Le regard de la blonde ne cilla pas une seule seconde ne souhaitant perdre aucune des éventuelles réactions physiques de Sara. Si Sergio détestait Marley – ce qu'elle pouvait comprendre – elle n'arrivait pas à saisir pourquoi l'homme d'affaires pourtant expert dans son domaine n'avait toujours pas engagé sa fille à ses côtés. Gayle jouait avec le feu en envisageant d'embaucher la jeune Gutiérrez, elle devait être sûre que la jeune femme en valait la peine. Pas question de se mettre à dos son associé pour une gamine qui peut-être était un véritable nid à emmerdes. « Alors c'est quoi l'explication ? On ne s'entend pas avec papa ? » demanda-t-elle d'une voix doucereuse. Qu'elle crache le morceau et vite, les trente minutes que Gayle avait à lui accorder s'écoulaient avec une rapidité déconcertante.  

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@Gayle Danbury & Sara Gutiérrez
21 juin 2024, Café Death Before Decaf, West end

Sara n'est pas d'une nature stressée, mais aujourd'hui elle l'est plus que de raison. C'est presque un miracle qu'elle ne tremble pas sous le regard incisif et inflexible de l'agente, tentant de garder fière allure alors qu'elle se sent comme un lapin pris entre les phares d'une voiture. Oui, Marley a bien fait de lui donner son nom parce qu'elle vaut le coup comme maquilleuse, elle y croit profondément. « L'inverse aurait été surprenant voire suicidaire. » Ah ah ah – cette femme est terrifiante. La Gutiérrez essaie de passer outre cette impression pourtant omniprésente et argumente sa réponse, mettant en avant le fait que Marley l'a formée et même bien formée. En face d'elle, l'agente semble pourtant n'en avoir plus rien à foutre, ce qui ne manque pas de déstabiliser un peu la plus jeune dont la bouche s'assèche un peu. Elle ne cesse pourtant pas de parler, se disant que souligner ses atouts lui vaudra plus de points que lui crier que c'est malpoli de regarder ailleurs. « Je n'ai pas dit que j'aimais son travail. J'ai dit que j'aimais travailler avec elle. » Se liquéfiant face à cette remarque, la Gutiérrez prend conscience que Marley ne lui a jamais parlé de l'agente ni de ses attentes. Elle lui a donné tout un tas de conseils sur le métier – sois à l'heure, ne raconte rien à l'extérieur, mets toujours ton téléphone sur vibreur pour être joignable – mais rien de spécifique sur la relation qu'elle entretenait avec Gayle Danbury. Est-ce qu'elle aussi avait peur de cette femme ? Ou est-ce qu'à force on s'y habitue, parce que le boulot l'oblige ? Sara l'espère profondément, parce que pour l'instant elle n'en mène pas large. Elle a besoin de deux bonnes gorgées de café frappé pour retrouver du courage et poursuivre, faisant du mieux qu'elle peut face à un terrible mur de glace qui lui fout encore plus la trouille que sa mère la veille. « Pas besoin de diplôme ou de je ne sais quoi. Lynch était strip-teaseuse avant de devenir maquilleuse, cela ne l'a pas empêchée d'être excellente. » La brune aurait voulu enregistré cette réponse pour l'envoyer sur le Whatsapp familial, avec un assortiment d'emojis stupides comme « ». Une preuve de maturité évidente qu'elle s'abstient de mentionner à haute voix, continuant plutôt de vanter les mérites de son amie partie à l'autre bout du monde et l'ayant laissée seule face à une foutue lionne. Au moins cette dernière finit par lui octroyer un hochement de tête, comme si elle écoutait – ou au moins faisait semblant – ce qu'elle lui raconte depuis tout à l'heure.

Ce à quoi elle ne s'attendant pas, c'est à ce que l'agente reprenne la parole non pas par une question mais par un constat. Et un constat surprenant, qui plus est : « Vous avez un autre point commun avec Marley... » La pause qu'elle marque laisse le temps à Sara de froncer les sourcils et de se demander de quel point commun elle peut bien parler. Sans connaître toute la vie de Marley, elle peut en citer quelques uns mais ils sont un peu idiots et elle ne voit pas l'intérêt qu'un seul d'eux aurait pour cet entretien. L'addiction au café, peut-être ? « Sergio détestait travailler avec elle et il semblerait que votre père n'ait aucune envie de travailler avec vous non plus. » Si face à elle, Gayle Danbury ne bouge pas d'un iota, Sara n'est pas capable d'être aussi imperturbable. Sous les yeux avares de l'agente, son regard se décompose face à la violence des mots qu'elle se prend en pleine face et elle blêmit un peu. « Vous lui avez parlé ? » Malgré elle, la jeune femme l'interroge d'une voix blanche, toute son assurance factice s'étant soudainement envolée face à la mention de son paternel. « Alors c'est quoi l'explication ? On ne s'entend pas avec papa ? » La voix doucereuse de son interlocutrice lui donne autant envie de hurler que de la frapper. Au plus profond d'elle-même, la Gutiérrez a envie de lui dire d'aller se faire voir. Ce qu'il se passe entre son père et elle ne regarde qu'eux, et ce n'est pas parce que la Danbury travaille avec lui qu'elle a le droit de poser ce genre de questions indiscrètes. Pourtant, Sara sait aussi qu'aujourd'hui est sûrement son unique chance de décrocher un essai pour un boulot qui lui plaît vraiment. Elle veut faire ses preuves et pour ça il faut que l'agente lui en donne l'opportunité. Ou alors elle est bonne pour aller toquer à toutes les portes de boutiques de maquillage et espérer que quelqu'un la croit lorsqu'elle affirmera avoir été formée de façon non officielle pendant un an et demi par une maquilleuse partie au Botswana. Elle n'a aucune envie de lui répondre, mais elle a encore moins envie de faire du porte-à-porte alors... « Non, c'est pas ça. » Pendant un instant, Sara se demande à quel point ce serait risqué de lui mentir. Certes, son père et elle travaillent ensemble à la tête de la GCA. Mais est-ce qu'il parle vraiment de ses enfants et de ses problèmes relationnels – ô combien nombreux – avec eux à son associée ? Est-ce que l'agente est au courant de leur histoire familiale un brin bordélique ? Est-ce qu'elle sait déjà tout et veut simplement tester son honnêteté ? Même dans l'hypothèse ou ce n'est pas le cas, Sara prend conscience que le moindre mensonge pourrait être démoli par une discussion entre les deux associés et renonce vite à cette possiblité. « C'est lui qui a payé mes études alors il est pas fan de l'idée que je ne suive pas cette voie-là. » La voix de la jeune femme n'a quant à elle rien de doucereux : elle est neutre, accompagnée d'un haussement d'épaules qui signifie presque « C'est comme ça. ». Non, son père ne l'engagera pas, et elle n'a pas besoin de le lui avoir demandé pour le savoir. « Mais on se déteste pas, on s'entend même bien, » assure-t-elle avec un sourire. C'est sûr qu'ils s'entendent bien, comme elle ne lui a jamais parlé de tout ça. « Demandez-lui qui lui a offert sa cravate rouge rayée pour Noël. » Super argument ça, bravo Sara.

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   @Sara Gutiérrez   ft. Gayle Danbury

West end, café death before decaf, 21 juin 2024

Si Gayle parvenait à rester impassible et à ne rien montrer de ses émotions, intérieurement elle jubilait. Elle voyait bien l'effet qu'elle faisait sur la jeune Gutiérrez. A chaque fois que l'agente ouvrait la bouche pour parler, la petite brune se décomposait un peu plus. Elle avait l'air tétanisée, comme si à tout moment elle allait faire un malaise. La Danbury n'était pas connue pour sa gentillesse, sa patience ou sa  diplomatie. Si dans le cadre de son travail elle était parfois obligée  de se montrer sous son meilleur jour – et ce pour obtenir les contrats les plus juteux qui soient – elle faisait preuve d'une froideur extrême lorsqu'il s'agissait pour elle d'embaucher quelqu'un. Rien n'était jamais laissé au hasard avec la blonde et elle ne s'engageait que très rarement à l'aveugle  dans quoi que ce soit. Se montrer froide, presque mauvaise, blessante, provocante lui permettait de tester les limites de Sara. Si elle craquait, si elle s'effondrait alors Gayle saurait qu'elle n'était pas la personne dont elle avait besoin. Pour le moment l'apprentie maquilleuse tenait le choc. Elle parvenait à soutenir son regard, arrivait encore à boire s'en s'étouffer, ne tombait pas dans les pommes, ne pleurait pas, ne criait pas non plus. Mentalement, G. notait tous ces points positifs même si elle se gardait bien de le dire à la jeune femme. Elle préférait voir où était son point de non retour, à quel moment elle allait flancher.

Elle n'eut pas besoin d'attendre bien longtemps, il lui suffit d'aborder le sujet épineux que semblait être Sergio Gutiérrez. A peine avait-elle prononcé son nom qu'elle vit la petite Mexicaine se décomposer et pâlir. Gayle ne regardait plus que la jeune femme désormais. Ses yeux s'étaient accrochés aux siens et elle n'avait nullement l'intention de détourner le regard. « Vous lui avez parlé ? » La voix de la maquilleuse s'était métamorphosée, dévoilant ainsi la peur qui la gagnait. Gayle fit un signe de la main pour montrer que c'était parfaitement inutile et lui dit : « Je n'en ai pas eu besoin. S'il voulait de vous, il vous aurait embauchée avant même que votre nom n'arrive jusqu'à mes oreilles. » C'était un fait implacable qui n'attendait ni approbation ni contradiction. Ce que la Danbury voulait savoir désormais, c'était pourquoi son associé n'envisageait même pas de donner une simple chance à sa fille. De son côté, elle était prête à l'envisager, prête à le faire, mais il n'était pas question qu'elle se mette à dos Sergio pour en plus engager une gamine dont elle ne connaissait rien. Sans plus tarder elle lui demanda donc si leurs relations étaient tendues et surtout pour quelles raisons. Elle scrutait le visage de la jeune femme qui avait bien du mal à sortir le moindre mot. Gayle savait parfaitement ce qui était en train de se passer. La gamine était en train de réfléchir à toute allure pour savoir ce qu'elle devait dire : la vérité ou bien un mensonge ? « Non, ce n'est pas ça. » Gayle ne dit rien, se contenta de boire une nouvelle gorgée de café tout en attendant que l'autre développe. Devant le silence qui s'était à nouveau installé entre elles, elle jeta un coup d'oeil à sa montre de manière tout sauf discrète afin de lui faire comprendre qu'elle n'avait pas tout son temps. « Mais encore ? » demanda-t-elle sans cacher son impatience. Plus Sara attendrait, moins Gayle la croirait. Il fallait qu'elle fasse vite et heureusement pour elle, elle choisit de lui dire la vérité : « C'est lui qui a payé mes études alors il est pas fan de l'idée que je ne suive pas cette voie-là. » Cette réponse n'avait rien de surprenante. Si Gayle et Sergio ne se connaissaient pas depuis une éternité, l'agente avait rapidement cerné le personnage et ce que lui annonçait sa fille lui paraissait parfaitement logique. « Je peux le comprendre. » se contenta-t-elle de répondre. La Danbury semblait aller dans le sens de Sergio et non dans celui de Sara mais c'était plus parce qu'elle pensait comme la carriériste qu'elle était plutôt que comme une éventuelle mère. Ne disait-on pas que les parents ne devaient vouloir que le bonheur de leurs enfants ? « Mais on se déteste pas, on s'entend même bien. » A cet instant-là, Gayle détourna le regard comme si cette information ne l'intéressait pas spécialement. Elle voulait juste savoir pourquoi Sara n'avait pas été engagée par son père, rien de plus. Son silence dut perturber la brunette qui ne put s'empêcher d'ajouter : « Demandez-lui qui lui a offert sa cravate rouge rayée pour Noël. »  Le nez de la blonde se fronça de dégoût et elle répondit machinalement : « J'espère que vous avez meilleurs goûts concernant le maquillage. » Cette cravate était hideuse. Sergio avait dû la porter une seule et unique fois avant que Gayle lui fasse comprendre qu'il fallait qu'il la brûle ou au moins qu'il l'enlève.

Sans prévenir, elle leva la main pour appeler un serveur et régla sa note. Elle paya le café de Sara et poussa sa chaise afin de se mettre debout. Elle fourra sa tablette dans son sac, attrapa son portable et commença à s'éloigner. Voyant que la jeune femme ne bougeait pas, elle s'arrêta, se retourna et lui lança : « Vous comptez rester plantée là ? Suivez-moi. » L'autorité dont elle faisait  preuve ne laissait que peu de place à la négociation. Si Sara pensait que l'entretien était presque terminé, elle n'était définitivement pas au bout de ses peines.   

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@Gayle Danbury & Sara Gutiérrez
21 juin 2024, Café Death Before Decaf, West end

Sara a beau essayé de soutenir le regard de son interlocutrice, elle a peu à peu l'impression de se liquéfier face à ses prunelles glacés qui l'observent comme si elles listaient chaque petit défaut de son teint, des fards sur ses yeux, de son eye-liner, ou même de sa posture et de son attitude. La Gutiérrez a l'affreuse sensation d'être de retour à la fac, passant un oral au cour duquel son examinatrice remplit une foutue grille d'évaluation et couche sur le papier le moindre défaut de son discours ou de sa diction. Si Gayle Danbury ne note rien sur sa serviette, il n'y a aucun doute sur le fait qu'elle le fait dans son esprit. Sinon, pourquoi la regarderait-elle si intensément ? Elle n'a rien de mieux à faire que tenter de la transformer en flaque de sueur ? Elle ne veut pas faire comme les gens normaux dans un café et boire son putain de café ?

Lorsque le sujet de son père arrive sur la table, Sara n'est plus capable de conserver le masque pour lequel elle dépense tant d'énergie depuis le début de cette discussion. Ses efforts sont vains et elle le sent à l'instant même où l'agente affirme qu'il n'a aucune envie de travailler avec elle. Même si elle aurait pu faire ce constat toute seule comme une grande, l'entendre de la bouche d'une autre, d'une presqu'inconnue, c'est tout bonnement un cauchemar. Est-ce qu'elle lui en a parlé ? La jeune femme sait qu'ils sont associés, elle l'a découvert sur internet à défaut de discuter boulot avec son paternel, mais elle espérait tout de même avoir une chance d'obtenir une place si elle passait par elle plutôt que par lui. Lorsque la Danbury agite la main comme pour signifier que ça n'a pas d'importance, elle a la nette impression que son cœur rate à nouveau un battement. Soudainement, elle craint que le fait d'avoir été recommandée par Marley n'ait plus la moindre importance, et cette idée d'être brutalement ramenée à la case départ la terrifie. « Je n'en ai pas eu besoin. S'il voulait de vous, il vous aurait embauchée avant même que votre nom n'arrive jusqu'à mes oreilles. » Mais quel bonheur d'entendre que son père ne veut pas d'elle, vraiment elle avait besoin de ça pour mieux vivre cet entretien. Sachant que le sarcasme ne l'aidera pas, Sara se tait, tentant au moins de soutenir le regard de son interlocutrice à défaut de conserver une voix correcte. Sa voix a flanché, elle le sait, mais c'est trop pour elle. En réfléchissant aux questions que l'agente pourrait lui poser durant cet entretien, elle n'avait absolument pas envisagé de devoir justifier ses relations familiales. D'autant plus que celles avec son père sont... complexes, au moins. Elle n'a pas envie de dire qu'ils ne s'entendent pas, refusant justement que ce soit ça. Elle considère plutôt qu'ils ne se comprennent pas, que c'est bien plus compliqué que ce que laisse entendre Gayle et sa voix doucereuse digne d'une connasse de film américain. « Mais encore ? » Pour être honnête, la Gutiérrez hésite à mentir lorsque l'agente insiste. Quelles sont les risques pour que cette dernière aille directement poser la question à son associé ? Se montre-t-elle si intrusive avec lui aussi, quand elle n'a pas un ascendant évident sur la situation et la personne qui lui fait face ? Choisissant finalement de dire la vérité, la brune décide néanmoins de la simplifier le plus possible. Aucune mention des années d'absence de son père, de son immense fratrie et des difficultés financières de sa famille... Elle fait au plus court : c'est lui qui a payé ses études qui, si elle se lance dans le maquillage, n'auront pas servi à grand chose. C'est bien assez pour justifier qu'il ne veuille pas l'embaucher, n'est-ce pas ? « Je peux le comprendre.  » Tant mieux pour elle si elle peut comprendre son associé, mais ça ne veut pas dire qu'il a raison. Sara est même convaincue du contraire, mais plutôt que de s'attarder sur ce sujet – dont la Danbury se fout, elle en est persuadée – elle essaie plutôt de la convaincre que ses relations avec son père ne sont pas si désastreuses que ça. La vérité c'est qu'il n'y a même plus d'animosité entre eux, un constat qui risque de ne plus être si vrai lorsqu'il apprendra ce qu'elle est en train de faire. « J'espère que vous avez meilleurs goûts concernant le maquillage. » Cette fois, Sara a la nette impression d'avoir reçu une gifle. Sa tête ne bouge pas mais son visage, lui, ne manque pas de se faire plus expressif. Malgré elle, ses sourcils se froncent face à une remarque qui ne vise qu'à être méchante – elle n'était pas si moche que ça, cette cravate, et puis ce n'est pas de sa faute si son père a déjà tout. Si elle n'avait pas clairement à l'esprit les enjeux si importants de cette discussion, elle aurait sûrement rétorqué d'un ton acerbe qu'elle est d'aussi bon gout que son choix de rouge à lèvres douteux. Aucune chance que ça l'aide pour cet entretien, elle en a bien conscience, alors elle se tait. Elle va jusqu'à se mordre la langue pour s'interdire de répliquer malgré la colère qui gronde doucement en elle à force d'être malmenée, cherchant plutôt une réponse plus civilisée – mais évidemment c'est plus difficile à trouver qu'une insulte.

Elle n'a de toute façon pas vraiment le temps d'y réfléchir puisque, sans l'en aviser avant, l'agente fait venir à elles un serveur et règle la note pour elles deux. Prenant cela comme un très mauvais signe, Sara se dit que c'est foutu, qu'elle a gâché la chance que lui a offerte Marley – ou plutôt que son père la lui a gâché. Et le fait que la Danbury commence déjà à ranger ses affaires ne fait que confirmer son constat : elle va se barrer, la laisser là comme une idiote, avec sa déception et sa colère mal camouflée. Alors la brune reste là, bêtement, prenant une gorgée de son café qui s'avère être la dernière – tant mieux, comme ça elle va donc pouvoir rentrer chez elle et pleurer dans son oreiller avec une bouteille de tequila jusqu'à son prochain shift. L'autre s'éloigne, ne lui accordant même pas un au revoir – quelle connasse –, jusqu'à ce qu'elle se retourne vers elle et plante sur elle un regard au moins glacial. « Vous comptez rester plantée là ? Suivez-moi. » Les sourcils de Sara s'arrondissent et elle pose aussitôt sa tasse de café pour se lever. En un claquement de doigts, elle a récupéré sa veste et son sac à main et emboîté le pas de l'agente. Elle envisage de lui demander où elles vont puis se ravise : si elle ne le lui a pas dit d'office, c'est sûrement pour instaurer du mystère, alors à quoi bon se faire rembarer une fois de plus ? De toute façon, Sara sait déjà que quoi que la Danbury lui demande de faire pour prouver qu'elle ne lui a pas fait passer cet entretien pour rien, elle le fera, parce qu'elle ne veut pas foutre en l'air l'opportunité en or que lui a offert Marley avant de partir.

(c) Miss Pie
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Job interviews

   @Sara Gutiérrez   ft. Gayle Danbury

West end, café death before decaf, 21 juin 2024

Le silence s'était épaissi. Si Sara était parvenue à garder son calme tout au long de l'entretien, son visage la trahissait désormais. Son regard alternait entre différences phases : la peur, l'agacement, le dépit, l'inquiétude et la colère. Elle bouillonnait la petite Gutiérrez, Gayle le voyait bien mais au lieu de calmer le jeu, elle continuait. Elle poussait, encore et encore. Jusqu'où l'apprentie maquilleuse allait-elle tenir ? C'était la question à un million. La Danbury sentait bien qu'un feu ardent grondait dans la poitrine de la petite brune et qu'à tout moment elle allait explosé mais pour le moment elle parvenait à tenir sa langue et c'était un très bon point. Gayle aurait pu être offusquée devant les regards noirs qu'elle lui lançait mais elle savait qu'elle les méritait. Elle ne pouvait pas jouer à la connasse et espérer qu'en face il ne se produise rien. Sara l'ignorait sans doute mais elle était en train de marquer un bon nombre de points. Il fallait que la jeune femme s'habitue à ce genre de comportements déplacés, à ces attaques gratuites et frontales. Le milieu professionnel dans lequel elle voulait évoluer était empli de garces dans le genre de la blonde. Les clients étaient loin d'être tous sympathiques et il fallait souvent jouer et travailler avec les ego sur-développés des starlettes et autres personnes importantes qui gravitaient dans ce monde. Si Sara ne supportait pas la pression que Gayle lui imposait, elle n'avait définitivement pas sa place à ses côtés.

La quadragénaire ne lui avait laissé que peu d'espace pour respirer, préférant asphyxier de ses remarques acerbes, moqueuses et mauvaises. Lorsqu'elle jugea que la première partie de l'entretien était terminée et que la jeune Gutiérrez l'avait réussie, elle se leva d'un bond et quitta la table. Evidemment, personne ne la suivit alors elle l'appela froidement. Elle lut la surprise sur les traits de la petite Mexicaine mais cette dernière ne se fit pas prier pour la suivre. Elles passèrent alors les portes du café et une fois dans la rue, Gayle sortit une cigarette qu'elle alluma. Elle ne considéra que peu la demoiselle qui se tenait à ses côtés, se demandant simplement si elle allait oser la questionner ou non. Les secondes s'écoulèrent mais Sara garda les lèvres closes. Alors qu'elle était en train de fumer, Gayle s'approcha de la route et traversa le passage clouté. Rien n'était jamais laissé au hasard par la femme d'affaires, le choix de ce café n'avait donc rien d'anodin. Elles traversèrent la route et arrivèrent devant un immense entrepôt. Gayle poussa les portes et marcha d'un pas déterminé au travers des couloirs un peu sombres et peu accueillants. Au bout d'un certain temps, elle poussa une porte. Derrière celle-ci l'effervescence battait son plein. Une fourmilière d'employés s'activait. Gayle planta Sara sans rien lui dire et s'approcha d'une jeune femme qui se tenait devant un miroir. Elle se pencha vers son oreille et lui parla quelques instants avant de lui montrer d'un signe de tête la jeune Gutiérrez qui n'avait pas encore bougé. Elle fit d'ailleurs signe à cette dernière de la rejoindre. Lorsque Sara fut face à elle, Gayle ne prit aucun détour : « Dans quinze minutes aura lieu un photoshoot pour une marque de cosmétiques. Mindy te laisse son poste. » Elle fixait la brunette, cherchant à obtenir la moindre réaction de sa part. Mindy, la maquilleuse à qui on venait de piquer son job n'était pas ravie mais Gayle lui avait promis de lui dégoter un job sur le tournage d'un prochain film. La jeune femme n'avait eu d'autre choix que d'accepter, il était de toutes évidences clair qu'elle n'avait pas vraiment son mot à dire. Si la Danbury lui avait demandé son autorisation, c'était plus par politesse qu'autre chose. « Tu attends quoi ? » demanda-t-elle un peu brusquement à Sara. « C'est maintenant, ou jamais. » Assise non loin d'elle, une mannequin les observait et attendait vraisemblablement que l'on s'occupe d'elle. « Plus que quatorze minutes » souffla la blonde, bien décidée à mettre la pression à Sara. Elle se décala sur le côté, sortit son portable et pianota quelques mots tout en observant du coin de l'oeil son éventuelle prochaine recrue. Elle aurait une chance, pas deux. Gayle ne remangeait jamais son vomi, si elle décidait que Sara n'en valait pas la peine, c'en était fini pour elle.  

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Job interviews

@Gayle Danbury & Sara Gutiérrez
21 juin 2024, Café Death Before Decaf, West end

Sara la grande gueule a rarement été aussi mutique qu'à cet entretien où elle rêverait pourtant de mieux se vendre que ça. Il faut dire que l'agente artistique a tapé fort en mettant sur la table le sujet dont elle ne voulait pas entendre parler en ce qui concerne son nouveau travail – son père. De façon générale, parler de lui n'est jamais aisé, même avec les membres de sa propre famille. Elle a été la première à souhaiter qu'il fasse à nouveau partie de leur vie, et pourtant aujourd'hui elle n'hésite pas à le tenir considérablement éloigné de la sienne, redoublant de mensonges pour s'assurer de ne pas ternir l'image qu'elle a voulu lui donner d'elle. Les études, le diplôme, elle espérait le rendre fier, c'est certain. Et aujourd'hui, elle n'a pas de mal à l'imaginer pester « Tout ça pour ça. » d'un ton aussi désapprobateur qu'agacé, un air bien peu mélodieux qu'il maîtrise pourtant à merveille. Ne pas lui parler de ses nouveaux rêves professionnels offrait à Sara un confort que Gayle Danbury n'a pas manqué d'ébranler en lui rappelant qu'il est son associé. Une information que la Gutiérrez possédait déjà grâce aux recherches qu'elle a effectuées en amont de son entretien, mais qu'elle espérait naïvement pouvoir passer sous silence. Être la fille d'un agent artistique ne signifie pas être la première à qui il pense lorsqu'il s'agit de signer un contrat, et le fait que sa collaboratrice l'explicite de façon aussi abrupte rend soudainement cet entretien tout ce qu'il y a de plus déplaisant.

Sara s'imagine déjà avoir tout foutu en l'air, ou plutôt n'avoir jamais eu la moindre chance puisque la Danbury ne veut pas s'opposer à son associé. Et ça lui fout la rage – contre son père, majoritairement, mais aussi contre celle qui lui a fait miroiter une potentielle réussite en organisant ce rendez-vous – autant que ça lui fout la trouille. Sans Marley qui était son seul véritable contact avec ce milieu, elle se sent bien seule dans un océan incertain. Lorsque l'agente se lève, elle prend ça comme le signe que c'est terminé – cet entretien comme l'avenir dont elle rêvait naïvement d'atteindre grâce à lui. Et à chaque affaire qu'elle range dans son sac, à chaque pas qu'elle fait vers la porte, une nouvelle insulte en espagnol lui traverse l'esprit. Elle ne manquera pas de les brailler contre son oreiller, mais pour l'instant elle a assez de tenue pour ne pas se laisser exploser au DBD malgré la colère qui bout jusque dans ses veines. Et elle fait bien puisque, à sa grande surprise, la Danbury se retourne vers elle et l'interpelle froidement pour qu'elle la suive. Toujours aussi aimable – mais Sara s'en fout, récupérant sa veste et son sac à main plus vite que son ombre pour la rejoindre. Une fois dehors, l'agente sort une cigarette et la Gutiérrez sent ses doigts la démanger. Elle en a envie, c'est certain, mais elle ne sait même pas où elles iront une fois ce passage piéton traversé alors elle s'abstient d'en allumer une à son tour.

Une éternité plus tard – en tout cas c'est l'impression qu'a Sara –, après avoir traversé les couloirs vides dignes d'un film d'horreur à petit budget d'un bâtiment à l'allure peu engageante, les voilà dans une salle aussi bruyante qu'agitée... mais la Gutiérrez n'a toujours pas la moindre idée de ce qu'elle fout là. Faisant l'effort de se tenir droite comme le réclame Mamá bien trop souvent, elle observe quelques personnes qui passent avec curiosité. Deux types portent des projecteurs énormes, une nana s'agitant pour leur indiquer où les poser tandis qu'une autre dispose une toile aux couleurs flashys derrière un petit meuble aussi neutre que possible où attendent plusieurs produits qu'elle ne parvient pas à distinguer d'ici... Mais surtout Gayle se barre, encore, et toujours sans la moindre explication. Sara reporte son attention sur elle, gardant pour elle la nouvelle floppée d'injures venant de naître dans son esprit, et l'observe échanger quelques mots avec une rouquine installée devant un miroir. Puis, enfin, elle finit par lui accorder un peu d'intérêt sous la forme d'un signe demain. Évidemment, la Gutiérrez n'a pas le temps de poser la moindre question – elle en aurait de toute façon trop pour savoir laquelle choisir. « Dans quinze minutes aura lieu un photoshoot pour une marque de cosmétiques. Mindy te laisse son poste. » À nouveau, ses yeux s'arrondissent dans un mélange de surprise et d'incompréhension. Elle n'est pas sûre d'avoir bien compris, posant son regard sur la rouquine qu'elle suppose être Mindy comme si elle attendait confirmation de sa part. « Tu attends quoi ? » Décidément la délicatesse n'est pas une qualité requise pour être agent·e artistique, son père comme sa collaboratrice le confirment. « C'est maintenant, ou jamais. » Le regard de Sara glisse du miroir à Mindy puis à cette femme qui les fixe avec insistance, et soudainement une lumière s'allume dans son esprit – c'est comme une audition. Les acteurs et les actrices ont des castings avant de jouer dans un film, c'est pareil pour elle : c'est sa chance, enfin. « Ok ok j'ai compris, » assure-t-elle précipitamment, passant une main sur son visage pour se remettre les idées au clair. Apparemment ces trois secondes de réflexion ne plaisent pas à la Danbury qui ne se gêne pas pour en rajouter une couche. « Plus que quatorze minutes. » Connasse. Décidant de l'ignorer – et de garder pour elle les insultes qui lui viennent quelle que soit leur langue –, Sara se tourne vers Mindy. Elle suit les conseils que lui a donnés Marley : ne jamais oublier pourquoi elle est là. La créativité c'est essentiel pour faire ce job, ça va de soi, mais il ne faut pas oublier qu'elle n'est pas là pour s'amuser mais pour remplir un contrat. « La marque a des exigences particulières ? » La nana n'a pas l'air aimable, mais c'est peut-être parce qu'elle vient de se faire piquer son job en un claquement de doigts. Elle espère qu'elle aura tout de même le professionnalisme de lui filer les instructions qu'elle a reçus plutôt que de simplement lui faire un doigt d'honneur et se barrer.


Quatorze minutes plus tard, la mannequin est prête pour le shooting photo et Sara a le cœur qui bat aussi vite que si elle avait tapé un sprint. Elle le sent tambouriner jusque dans ses tempes mais elle s'en fout : elle a fini dans les temps et a fait attention à respecter les consignes de la marque que lui a rapportées Mindy. C'était court, trop même, et c'était vraiment stressant, mais c'était aussi... incroyable, ni plus ni moins. La pâleur de la Gutiérrez n'est plus qu'un vieux souvenir, remplacée par des joues rosies par l'adrénaline et un véritable sourire né sur ses lèvres lorsqu'elle a fait un pas en arrière pour s'assurer que rien en faisait tâche sur le visage de la mannequin. Malgré le stress, elle a pris bien plus de plaisir à s'occuper d'elle que de n'importe quel·le spectateur·rice du Twelve ou du théâtre. Son regard se pose sur Gayle qu'elle n'a eu aucun mal à ignorer jusque là tant elle était concentrée sur sa tâche. Et mine de rien, c'était sympa de ne plus du tout faire attention à son regard aussi glacé que l'Antarctique. « J'aurais pu faire encore mieux si j'avais eu plus de temps, » assure-t-elle, ne se rendant pas compte – comme souvent – qu'elle ferait mieux de se taire. Enfin c'est surtout parce que les yeux froids de l'agente lui donnent l'impression qu'elle doit encore et toujours se justifier de son manque d'expérience professionnelle.

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