C’était la première fois que tu accompagnais l’acteur principal, Liam, que tu avais doublé, dans une interview. Habituellement, personne n’est intéressé par les cascadeurs. En tout cas, pas la plupart du temps. Vous êtes l’ombre des acteurs, invisibles, et pourtant les scènes que vous jouiez étaient souvent les préférées du grand publique. Vous vous mettez dans la peau d’un autre, effacez votre image, pour vous concentrer sur l’adrénaline qui alimente votre palpitant.
Ce film avait néanmoins particulièrement poussé le curseur des cascades, évitant au maximum les effets spéciaux. Ça avait été tellement répété dans la presse que c’est devenu un élément marketing. C’est donc pour ça que tu fais ton premier petit plateau, quelque peu nerveux face à un milieu que tu ne maitrises pas, ou pas encore. Tu avais déjà fait des apparitions publiques dans quelques événements, mais tu as toujours été discret -pour une fois. Tu rentrais petit petit dans un monde dans lequel tu n’avais pas encore pris tes marques, alors pour une fois, tu y vas doucement.

Une fois sur le plateau, une discussion s’installe rapidement avec quelques techniciens, et responsables plus ou moins indirects de la chaîne. Comme à ton habitude, tu as le premier contact facile, un sourire contagieux sur tes lèvres, quelques rires se font parfois entendre lorsque Liam et toi vous charriez. Tout se passait bien, le stress retombait lentement et tu commençais à être à l’aise au milieu des caméras encore éteintes.
« Tiens tiens... Ackerman, ici... Quel plaisr ! » Tu reconnaissais cette voix. Tu n’as pas besoin d’un mot de plus pour comprendre que ta soeur était ici. Alors tu lèves les yeux, et ton visage se décompose quand tu la vois et que comprends. Elle est avec une de ses robes trop moulante, maquillée à l’excès -à ton gout. Tu sais qu’elle va passer devant la caméra. Tu te doutes qu’elle va interpréter le même rôle que sur sa chaine radio, animatrice et donc par extension ici, présentatrice. « Non. » Tu commences par souffler sèchement. C’est un refus catégorique. Tu ignores son interpellation, son ton que tu ne savais que trop bien ironique. Tu ignores tout. « Ah non non non. » Comme si un non n’avait pas suffi, il fallait que tu ne rajoutes trois autres. T’as l’impression d’enfoncer une porte ouverte. Mais c’était si spontané que tu n’avais même pas réfléchi à ce qui sortirait de tes lèvres. « Vous avez personne d’autre sérieusement? » Que tu lances à un collègue d’Harper qui avait le malheur d’être simplement là, sans même savoir qui il était ni son travail. Tu voulais simplement qu’on te rassure, pour t’avouer qu’elle ne restait pas, et qu’elle était juste de passage. Mais tu n’as le droit qu’à un long silence gênant, n’osant pas confirmer son rôle de présentatrice qui n’était visiblement pas négociable. Ce qu’elle fait chier, à se faire remarquer celle là. Il fallait toujours qu’elle vienne t’emmerder. « Il y a un problème? » Finit par demander Liam pour rompre le silence, l’air quelque peu déboussolé. Il n’avait aucune idée de l’attitude qu’il devait adopter sur ce qui semblait être des chamailleries entre frère et soeur. Il n’avait sans doute pas idée d’à quel point ses chamailleries pouvaient devenir virulentes lorsque la tension montait. La pression devenait rapidement nocive et tu maitrisais bien mal tes accès et tes excès. Alors oui, il y avait un problème. « Non. Enfin oui. C’est juste que… » Tu la regardes, la dévisages presque, et tes opales l’observent de long en large. Ton visage marque une certaine réticence qui pourrait s’approcher de la répulsion. Si le lien d’apparenté avait été évident à l’évocation du nom par ta soeur, votre mauvaise entente l’était devenue tout autant. Et l’ambiance était soudainement devenue bien pesante. Tu cherches un prétexte pour te justifier de cette réaction brutale, sans avoir l’air de faire un énorme caprice ni d’être trop égoïste. Parce que tout ce que tu veux, c’est ne pas travailler avec elle, encore moi être pas être associé à Harper. Son image, ce qu’elle dégageait, tu rejetais tout. Trop différents, honteux de partager le même sang, tu l’effaces de ta vie comme on camouflerait une tare. Et t’as clairement peur de la façon dont elle pourrait te pousser à bout devant les caméras. Ton image, tu y tiens, contrairement à elle. « On ne s’entend pas. Et ça va foutre une sale ambiance pendant l’interview. » La mauvaise ambiance était de toute évidence déjà installée. Et pour tout avouer, ça t’importait vraiment très peu. Ce n’est qu’une excuse pour enjoliver les choses et ne pas paraitre trop rustre face à des collègues que tu pourrais un jour, croiser à nouveau. Autre part si possible. En tout cas, pas avec elle, c’était certain. Tu éviteras ce plateau comme la peste à présent. « Depuis quand tu travailles à la télé toi? » Que tu lui siffles avec un mépris assez évident. C’était presque un reproche, vu le ton que tu employais, et tu le dissimulais à peine, les traits froncés par l’animosité.  

Elle a son air satisfait, de parfaite petite peste. Tu la détestes si fort. Et ça en est rageant, de la voir si confortablement installé sur un plateau qui est le sien. Chose qui t’étonne encore, d’ailleurs. Son sourire sournois, tu le remarques bien, et te yeux se plissent dans un reproche silencieux en croisant son regard. T’es pas prêt de la lâcher. T’as la rancoeur tenace, et avec Harper, c’était pire encore. C’était devenu physique, entendre son simple souffle devenait irritant tant tu te croirais dans le salon de l’agriculture. Et si tu pouvais lui cracher ta haine au visage, tu le ferais. Sauf qu’il y a du monde autour de vous. C’est bien dommage.
Alors tu la prends à parti, les reproches se faisant ressentir dans la tonalité des mots que tu emploies. Présentatrice télé, il ne manquait plus que ça. Déjà qu’entendre sa voix était insupportable, supporter son physique, c’était pire. Elle s’amuse de ta question, déploie un ricanement moqueur avant de faire quelques pas dans ta direction. Pour finalement s’adresser à Liam. Quelle garce. « Bonjour Liam, enchantée de vous connaitre et bien venue dans la chaine, vous allez voir... Vous allez passer un excellent moment. » Et allez, voilà qu’elle se lance dans les flatteries. Elle en avait bien besoin, pour se faire apprécier, la pauvrette. Tu l’observes, arquant un sourcil, face à cette absence de réponse flagrante, et bien frustrante. T’as envie de la trainer hors de lieux pour t’expliquer, pourtant elle ne te laisse aucune ouverture. « Pour le moment, c'est toi qui fout une mauvaise ambiance. Enchantée de t'accueillir dans l'émission. Je suis surprise de te voir invité. » Tu l’observes, laissant quelques instants un silence s’installer pendant que tes opales semblent la juger bien hâtivement. Ce que ses mots sonnent faux, c’est affolant. Et tu cherches toi aussi, les syllabes que tu allais prononcer. « J’anticipe, vu les crises que t’es capable de faire. » C’était elle qui faisait des crises? C’était bien ironique, venant de ta bouche, où les mots colériques ne faisaient habituellement que fuser en sa présence. Mais tu attaques le premier, gardant néanmoins un certain calme dans les apparences. La mauvaise réputation, tu préférais lui coller plutôt que de la subir. Et tu fais au mieux pour garder la tienne intacte, ce qui n’est pas si simple avec ta soeur. « Enfin. Je suppose que si t’avais étudié plus sérieusement le film tu ne serais pas si surprise. » Tu t’engouffres dans la moindre brèche, profitant de cet aspect professionnel qu’elle se donnait, pour la ternir d’une simple remarque. Dans ta gueule que tu te contiens de siffler.

« Depuis que j'ai ma propre émission et qu'on fait de très bons audimats. Si vous voulez bien vous installer ? » Il ne manquait plus que ça. T’as pas la moindre idée de quel genre de type pouvait passer des heures à la regarder parler. Elle vous indique d’un mouvement de bras les fauteuils réservés pour vous, et Liam s’assoit sur celui le plus proche d’Harper en te lançant un regard insistant. Il avait fait un choix bien judicieux en vous séparant, comme pour maintenir le calme. « Vous êtes prêts ? On peut commencer, où vous avez un commentaire à faire, monsieur Ackerman. » Tu plonges à nouveau ton regard dans celui de Harper, pas certain qu’ajouter quoi que ce soit puisse être une bonne idée. Mais tu trouveras le temps de pouvoir t’exprimer librement seul à seul avec elle. Peut être après, peut être un autre jour. Mais elle n’y coupera pas. La pression des caméras était bien trop oppressante pour que tu ne lâches maintenant ce qui brulait en toi. Et Gayle risque de te piquer une crise, en plus de ça. « Aucun, Harper. » Dans ta bouche, son prénom sonnait comme une insulte. Et les éclairages finissent par s’allumer, éclairant le plateau pendant que le caméras commençait à tourner. Tu prends quelques longues inspirations pour évacuer les tensions. Tu poses tes mains devant toi, entremêlant tes doigts pour éviter les mouvements parasites qui pourraient évoquer un quelconque malaise. Tu détends les muscles de ton visage au mieux, et tentes de te concentrer sur une activité qui te semble subitement plus complexe. Pourtant, jouer l’hypocrite, tu savais faire. Tu l’as été si souvent, que c’était devenu presque naturel. Il fallait juste qu’Harper reste à sa place.

Elle ricane tant tes mots étaient ironiques. C’est toi qui enchaine les crises de nerf, toi l’immature, toi le nerveux. Et pourtant tu l’accuses de tes torts sans vaciller, arquant un sourcil dédaigneux quand elle se permet d’ouvrir le bouche. C’était à chacun sa version des faits, et tu pouvais te montrer aussi convainquant qu’elle dans tes mensonges. Parce que ta réalité était biaisée par ta susceptibilité. Et t’étais persuadé qu’elle était aussi chiante que toi. « L'hôpital qui se moque de la charité. » Tu ne réponds pas, te contentes d’un regard perplexe qui en dit long. Vous vous connaissiez suffisamment pour comprendre comment vous fonctionniez. Et la passif agressif, c’était une carte que tu utilisais trop souvent en public. En privé, tu avais en penchant pour l’agressivité pure. « Oh mais j'ai fait mes recherches, sauf que ton nom apparaissait nul part. » Il fallait croire qu’elle n’était pas douée dans son travail de recherche. Tu te doutais qu’en réalité, elle avait du avoir un résumé de la situation et que ton nom n’avait pas été mentionné car pas connu du grand publique. Mais tu te plais à déformer la réalité pour qu’elle colle à la tienne, et tu t’efforces à interpréter ses mots dans un sens qui ne corresponde pas à la vérité. « Hm hm. » Que tu rétorques, l’air peu convaincu par son argument. Et finalement, on vous invite à vous asseoir, et tu prends le siège le plus loin d’Harper possible, t’étais toujours très mature.

« Bonjour Brisbane, je suis heureuse de vous retrouver. Aujourd'hui, je suis en charmante compagnie. Nous accueillons dans notre émission tout en transparence l'acteur Liam, acteur montant et son cascadeur Winston. Bienvenue parmi nous. » Sa voix elle est si désagréable. T’en grimacerais presque si personne ne pouvait te filmer. Mais tu te contentes de l’observer pendant qu’elle lance son meilleur jeu d’acteur. Tu te contentes d’une réponse hypocrite, alors que vous la remerciez pour l’invitation. « Ça nous fait plaisir d’être avec toi ici. » Qu’ajoute Liam. Ah la bonne blague. Tu débordais de joie, vraiment. C’était certain qu’Harper pouvait le ressentir à travers ce beau sourire aussi charmant que faux. C’était l’avantage d’avoir été un con toute ta vie. Tu savais faire semblant de ne pas en être un. « Nous avons comme habitude dans cette émission de répondre à des questions par des réponses rapides vous concernant tous les deux. Etes-vous prêt ? » Aviez vous vraiment le choix? Maintenant que tu étais devant la caméra, tu ne pouvais plus faire marche arrière. Alors autant jouer un rôle que tu empruntais bien souvent. Lewis te lance un regard complice. « Je crois qu’on a pas le choix? » Que tu rétorques sur le ton de la plaisanterie, l’air amusé quand tu ne l’étais pas du tout. « A vous de répondre le plus rapidement. Lequel des deux est le plus grognons sur un tournage ? » Ah la connasse. Tu doutes sérieusement de la présence de cette question sur ses fiches. Est ce qu’elle n’avait pas complètement improvisé cette interrogation? Juste pour te piquer. Et en même temps, vous vous mettez à vous pointer d’un doigt accusateur. « Winston » « Liam » Que vous répondez en écho. Et subitement, vous vous lancez une regard surpris, faisant naitre un sourire sur tes lèvres. « Attends attends. Quoi? » Que tu ajoutes, la phrase entrecoupée de rire. Tu te tournes ensuite vers Harper, l’air de rien. « On parle d’avant ou d’après le troisième café du matin? Parce que si c’est avant, je suis désolé Liam, mais c’est toi le plus grognon. » L’acteur était loin d’être du matin. Il râlait trop facilement dès que quelque chose n’allait, dès qu’on lui demandait de mettre plus d’intentions dans son jeu. Et finissait par se détendre dès qu’il était suffisamment réveillé. « Quoiii? Mais toi t’es grognon tout le reste de la journée. » Tu fais une moue perplexe, alors que tu sembles réfléchir à la question. Tu savais qu’il avait raison à ce sujet. L’admettre, c’était autre chose. « Allez, peut être un peu. » Que tu finis par admettre malgré tout. « Mais jamais pour rien. » Oh que si. Et ça fait rire Liam, tant l’ironie était frappante. Encore que, tu savais à peu près te tenir lors des tournages, contrairement à l’hôpital.