Cet automne, Brisbane accueille le festival Back to 74 célébrant les années hippies. Sans surprise, le mantra « Peace and love » parle immensément à Eve qui n’a pourtant pas connu ces années-là. Ce festival est l’occasion de se rattraper. Quelques jours auparavant, elle entraînait sa petite famille à la composition originale à Oates Park pour profiter d’une séance du Twelve Happy Spectators délocalisée en extérieur. Elle espérait que le cinéma en plein air et le film choisi change un peu les idées d’Eoin pour qui elle s’inquiète toujours un peu, le couvant peut-être un peu trop parfois. Elle sait que ce n’est pas facile tous les jours pour lui, parce que sa famille biologique – ou en tout cas certains membres de celle-ci – lui manque. Eve a eu la chance de naître dans une famille ouverte d’esprit et qui l’a toujours immensément aimé qu’importe son orientation sexuelle, mais elle sait pertinemment que ce n’est pas le cas de tout le monde. C’est pour ça qu’elle est bénévole pour Manzili, pour ça qu’elle est aussi famille d’accueil depuis plusieurs années, pour ça qu’elle prend soin de lui. Personne ne mérite d’être délaissé, mis de côté, pour aimer différemment des autres. Peace and love – oui, cette devise lui parle, et aujourd’hui elle a bien l’intention de la célébrer.

Cet après-midi, Eve a profité que le temps soit clément pour se rendre au mur de l’amour en compagnie de sa princesse qui est toujours ravie lorsqu’elle lui propose une activité un peu artistique. Elle s’affaire depuis une vingtaine de minutes seulement mais ses mains et son tee-shirt sont déjà tâchés par les couleurs vives des craies mises à disposition pour l’occasion. Eve est bien contente de lui avoir demandé de ne pas s’habiller en blanc, la connaissant suffisamment pour savoir que ça finirait comme ça. C’était ça ou son joli tablier de peinture pour se protéger, et Ella a fait son choix comme une grande : des vêtements de couleur vive. À présent, elle termine de colorier le poisson qu’elle a dessiné à côté du papillon aussi dessiné par ses soins. Eve aussi s’est prêtée au jeu, utilisant les couleurs de l’arc-en-ciel pour écrire « Peace and love » au-dessus du dessin de sa fille. « Tu veux essayer de dessiner autre chose ? » propose-t-elle avec un sourire, une idée ayant germé dans son esprit en voyant sa fille réfléchir à sa prochaine œuvre d’art. Levant vers elle un regard très intéressé, Ella semble attendre avec impatience l’idée que sa mère a à lui soumettre. Cette dernière pianote rapidement sur son téléphone avant de lui montrer le symbole Peace and love. « Ça veut dire paix et amour, c’est joli hein ? » La fillette hoche la tête mais affiche un petite moue. « Je voulais faire un autre animal, » explique-t-elle. Et après un instant de réflexion, sa mère renchérit. « Tu as qu’à dire que c’est la coquille de l’escargot. » L’idée semble convenir à sa princesse puisque, tout sourire, saisit déjà une craie bleue avant de se tourner vers le mur. Eve, elle, recule un peu pour l’observer en plein travail. C’est là qu’une silhouette à leur droite attire son attention et qu’elle fronce les sourcils, croyant reconnaître quelqu’un. Un enfant. Enfin, un adolescent, pour être plus précise. Mais lorsqu’elle l’a connue, il n’était qu’un enfant à peine plus âgé qu’Ella actuellement. « Noah ? » Le garçon tourne la tête vers elle, la confortant dans l’idée qu’elle l’a bien reconnu, ce qui est certain maintenant que leurs regards se croisent et qu'elle peut constater comme son ancien élève n'est plus un enfant. « Comme tu as grandi depuis le temps. » Vérifiant du coin de l'œil qu'Ella est toujours très occupée par son dessin – et elle l'est, n'ayant pas encore remarqué que sa mère discute avec d'autres personnes –, elle offre un sourire au père de Noah qu'elle reconnaît un peu plus vaguement. « M. Beauregard, ravie de vous croiser ici, » assure-t-elle avant de réaliser qu’il ne se souviendra peut-être pas aussi bien d'elle que son fils qui l'a eue comme enseignante pendant un an. « Eve Daxson, j’ai été sa professeure au primaire, vous vous souvenez peut-être de moi. » Elle n’arrive pas encore à se souvenir en quelle année elle l’a eue comme élève, mais ça va sans doute lui revenir.