Le monde de l'art n'est pas celui de l'immortalité, c'est celui de la métamorphose.

Les mains terriblement moites pourtant plongés à l’abris des poches arrière de son sempiternel jean élimé, tout en sachant pertinemment que les températures un brin élevés de ce moi de Mai n’étaient pas en cause dans l’état de sudation extrême dont ses extrémités étaient victimes. Incapable de contrôler son anxiété face à sa propre décision quant à sortir de sa zone de confort, son cœur ballotant toujours entre prendre ses jambes à son cou et prétexter un malaise ou une urgence professionnelle et continuer de se balancer d’une jambe sur l’autre en proie à un désarroi ridicule. En effet, il y avait quelques jours à peine de cela Yara avait lancé une invitation - qui lui avait paru être une bonne idée - auprès de Sloane afin de tenter quelque chose de nouveau. Une sortie. Les deux femmes s’étaient toujours retrouvées l’une chez l’autre la plupart du temps, évitant soigneusement les endroits publics et l’inconfort que cela pouvait engendrer aux vues de leur relation… Particulière. Les termes indéfinis de cette dernière s’étant depuis peu légèrement précisés, elle avait cru bon d’instaurer une dynamique différente prouvant ainsi sa compréhension et son implication dans ce qui se passait entre elle. Quoique cela puisse être d’ailleurs. Ce qu’elle avait clairement surestimé se portait sur ses capacités réelles à gérer les changements et surtout lorsque la principale concernée était une véritable handicapée émotionnelle. Damn it !

Durant des jours, la demoiselle s’était creusée la tête pour imaginer un rendez-vous qui sortirait de l’ordinaire et qui ne serait pas non plus trop anxiogène. Une idée saugrenue lui avait finalement traversé l’esprit lorsqu’elle s’était subitement souvenue d’une pièce qu’elle n’avait pas eu l’occasion de réellement arpenter mais qu’elle avait tout de même repéré et logé dans un coin de sa tête lors de ses courtes visites. Sloane semblait posséder une pièce, ou plutôt un atelier. Une activité autour des arts lui était apparu comme parfaite… Sur le moment. La seule chose qu’elle n’avait pas prise en compte, et qui pourtant était foutrement essentielle, c’était que parmi les petits secrets cachés aux yeux du reste des habitants de la planète Terre, l’un des plus importants se trouvait être la passion de Yara pour le dessin. Jamais personne n’avait vu l’un de ses croquis, ni même pu entrevoir ses nombreux carnets à dessins entreposés dans un des placards de sa chambre. En hauteur. Enfermés dans de vieilles boîtes à chaussures. Se rassurant comme elle le pouvait en se disant qu’elle n’avait aucune espèce de talent et que son coup de crayon passerait sûrement inaperçu, cela n’apaisait que brièvement les aléas de ses pensées chaotiques.

Une bonne dizaine de minutes après être arrivée aux abords de la maison de son invitée, Yara était descendue de sa moto pour l’attendre devant chez elle afin de préserver la « surprise ». Tandis que son palpitant menaçait de lâcher à tout moment, elle entendit au loin le loquet de la porte d’entrée s’activer puis être verrouiller et s’autorisa alors à souffler une dernière fois avant son prochain saut dans le vide. Tout en baissant les lunettes de soleil sur le bout de son nez, Yara en profita pour dévorer du regard Sloane qui s’avançait déjà vers elle. « Tu vois, je t’avais dit que quoique tu portes tu serais parfaite. » Un sourire vint se faire une place de choix à la commissure de ses lèvres alors que déjà elle tendait en direction de sa partenaire un casque intégral. « Impossible de prendre la voiture pour aller là où je t’emmène, on passerait des heures dans la circulation. » Lui avait-elle déjà confié qu’elle se déplaçait le plus souvent en deux roues ? Encore une chose qu’il faudrait améliorer au niveau de la communication et des choses à savoir l’une sur l’autre. Ne sachant pas véritablement que faire à ce stade, Yara se pencha en avant pour déposer un baiser sur la joue de Sloane et détourna rapidement la tête pour se concentrer sur ce qu’elle maîtrisait bien plus : son engin. Faisant difficilement fi du corps de sa passagère tout contre son dos, elle se mit en route l’esprit à présent bien plus focalisé sur la route que sur les nombreuses digressions de son cerveau.

La conduite fluide bien que sportive, Yara avait veillé à ce que Sloane se sente en sécurité avec elle et à la vue de la foule de badauds qui grouillaient déjà elle avait finalement opté pour une place un peu à l’écart des attroupements. L’un des couvre-chefs au niveau de la roue et l’autre sous la selle dont elle retira un coffret, Yara dézippa simplement son blouson de cuir pour être plus à l’aise et indiqua d’un signe de tête à Sloane de la suivre. Le festival Back to 74 battait déjà son plein recouvrant de couleur les rues cependant c’était un mur bien particulier qui intéressait la jeune hispanique se mouvant avec plus ou moins d’aise entre les passants. En jetant un œil en arrière elle s’aperçu bien vite que son amie ne suivait plus la cadence et en un geste qui se voulait purement instinctif elle attendit que l’autre soit à sa hauteur pour lui prendre la main et la trainer derrière elle. Quelques minutes suffisaient à atteindre Brunswick Street Mall où un gigantesque mur sur lequel s’étalait ça et là diverses œuvres d’art plus ou moins réussie et devant lequel se planta Yara des étoiles pleins les yeux. « Ça te dirais de laisser ta trace Sloane ? » Et elle se tourna davantage vers elle, observant ses réactions et comprenant également qu’elle tenait toujours fermement sa main dans la sienne. Gênée, elle lâcha sans doute un peu trop rapidement cette dernière en passant ses doigts libérés au sein de sa tignasse, vaine poudre aux yeux, tout en lui tendant de l’autre le fameux coffret contenant des grosses craies de couleur.

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