lieu : canvas, fortitude valley.

La machoire est crispée, ses dents serrées par la mdma que Khalid lui a glissé après leur troisième verre. Elle aime la chaleur qui se diffuse dans ses veines, la façon dont la lumière des plafonniers se tamise et devient un coucher de soleil dont on peut observer les rayons sur les visages magnifiques des gens qui dansent, boivent, discutent. Habituellement si craintive, Cleo trouve soudainement monde incroyablement beau et doux, elle a l’impression de faire partie d’un tout qui l’aime et l’accepte. Assise à côté de Shiloh, sa tête tangue légèrement de droite à gauche, en rythme avec la mélodie de la musique, elle sent qu’elle s’appuie un peu trop contre la jeune femme, qu’elle oublie que leurs corps sont séparés et pas une même entitée, que non, Cleo ne fait pas une seule avec l’univers. High, ivre, elle a l’impression que ses atomes appartiennent à tout le monde, et cela lui donne envie de rire sans s’arrêter. Elle plisse les yeux, observe Shiloh, la finesse de ses traits, son visage angélique. Sait-elle seulement à quel point elle est belle, tout ce qu’elle mérite ? De l’amour pur, qui devrait l’entourer comme un nuage.

« C’est pas encore si simple. » Cleo penche la tête. Oui, l’idée d’aimer à nouveau lui paraît terrorisant, catastrophique, habituellement. Pas ce soir. Pas quand les substances en elle lui donne l’impression d’être composée d’un arc-en-ciel. « Mais c’est inutile de se précipiter, tu sais. » Cleo sait vers où elle voudrait se précipiter, se dit-elle en riant - loin des hommes, le plus loin possible. « Il faut que tu penses à toi d’abord, à ce que tu as réellement envie de vivre maintenant. » Cleo fronce les sourcils, observe Shiloh, et se dit qu’en cet instant, ce qu’elle voudrait vivre réellement, c’est prendre Shiloh dans ses bras, l’embrasser. Et en regardant la jeune femme, elle s’imagine tout à coup qu’elles sont sur la même longueur d’onde - ne sont-elles pas parfaitement connectées, comme tout le monde sur cette planète ? Cleo prend la main de Shiloh, joue avec ses doigts, hochant la tête pour montrer qu’elle est d’accord. Oui, oui, penser à soi. Savoir ce qu’on a envie de vivre. « Ce que j’ai réellement envie de vivre, en ce moment, c’est juste… vivre », elle répond, un peu niaise mais sincère. C’est ça qui lui manque, ça que ses parents lui ont pris, puis Tommy. Maintenant, elle est libre, n’est-ce pas ? Tout va être plus facile, elle se repète, le cerveau pétillant d’une drogue qui lisse les angoisses.

« Tu n’as pas besoin d’un homme dans ta vie pour être heureuse ou cool ou épanouie. » Plissant les yeux, Cleo regarde Shiloh. C’est… Une perche qu’elle vient de lui tendre ? « Non, on a jamais besoin d’homme », elle dit, un rire prêt à claquer dans sa gorge. Elle et Shiloh n’ont jamais vraiment parler de son orientation sexuelle - son amie sait que Cleo fait du drag, qu’elle cotoie les milieux queers, et c’est un coming out en lui-même. Mais Cleo n’a jamais songé à lui poser la question à l’inverse. Elle secoue à nouveau sa tête, commençant à former dans sa tête un puzzle qui lui convient. « C'est pas un homme qu’il nous faut », elle répète, fermant les yeux, sentant la musique dans ses poumons. Elle se tourne vers Shiloh, lui adresse un sourire ému. Et Shiloh lui sourit en retour. Et tout est parfait. Alors Cleo se met à rire, et elle prend son amie dans ses bras, et sans réfléchir, elle se penche pour poser un bref baiser sur ses lèvres.

@Shiloh Atkins    

(c) chappelroan

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@cleo baker & shiloh

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Elle aurait pu jurer que ce n’était pas dans les habitudes de Cleo de se retrouver dans un tel état, mais tout cela ne se basait que sur son propre instinct. Dans le fond, les deux jeunes femmes se connaissaient à peine et pourtant Shiloh n’avait pas hésité une seule seconde à la rejoindre. Quand, dès la première rencontre, on partage ses secrets les plus sombres, il est plus facile de créer un lien. C’est ce qui c’était passé avec Cléo. Aucunes d’entre elles n’avait prédit cette rencontre, encore moins ce qu’elle allait leur apporter, mais le lien qui s'était tissé entre elles était de ceux qu’il est fort difficile de comprendre et encore plus à briser. Shiloh s’inquiétait pour son amie, alors même que cette dernière ne cessait de sourire, calant tout son poids sur la banquette un peu jaunie du club. Elle n’allait pas juger ses consommations, mais à la vision de ses pupilles dilatées, elle avait compris que l’alcool n’était pas le seul responsable ce soir. Elle aurait aimé éloigner Cléo de cette ambiance, mais cette dernière avait d’abord besoin de retrouver un peu ses esprits. Et une fois encore, Shiloh força un verre d’eau entre les mains de son amie qui l’observait d’un air béat.

Ses questions ne se voulaient pas si anodines que cela, elle s'était douté que ce genre d’excès était lié à ce que Cléo avait pu vivre ces derniers mois. Elle tenta de lui répondre de la manière la plus honnête possible, sans pour autant se lancer dans une conversation qui aurait bien trop d’importance pour être échangée dans un club. Rien n’était simple, elle comprenait la position de Cléo et surtout elle tenait à la rassurer, elle n’était pas obligée d’aller plus vite que la musique, elle avait le droit de vouloir penser à elle, de prendre son temps. Se précipiter dans une relation après ce qu’elle venait de vivre ne présageait rien de bon si ce n’est reproduire le même schéma destructeur. « Ce que j’ai réellement envie de vivre, en ce moment, c’est juste… vivre. » Un sourire vint se dessiner sur ses lèvres face à ce constat si simple et pourtant si révélateur. « Je crois que tu as bien démarrer ce soir. » Elle avait lâché prise, littéralement. Pas assez pour se mettre en danger puisqu’elle avait eu l’idée d’appeler Shiloh, mais elle assez pour avoir les yeux vagues et le discours un peu bancal.

Elle essayait simplement de la rassurer, que ce soit au travers de ses mots ou de ses gestes. Shiloh avait toujours été d’une douceur incarné et encore plus lorsque cela s’avérait réellement nécessaire. Cleo avait besoin d’une épaule sur laquelle se reposer et elle lui offrait sans la moindre hésitation. « Non, on a jamais besoin d’homme. » Elle eut un léger rire face à la détermination de son amie. « C’est vrai ce que tu dis. » Il était encore parfois difficile pour Shiloh de l’admettre, mais sa vie ne pouvait se définir autour d’une relation. Qu’importe ce qu’elle pensait éprouver pour Lewis, elle devait penser à elle avant toute chose. « C’est pas un homme qu’il nous faut. » Elle allait suggérer une bonne nuit de repos, mais n'eut le temps de rien. En une seconde, Cleo la prit dans ses bras, celle d’après elle venait l’embrasser. Surprise par le geste, Shiloh se retrouva comme figée sur place, incapable de bouger, comme terroriser par ce qui était en train de se dérouler. Ce fut bref, juste un léger baiser, rien de grave en soi, mais elle se recula presque brusquement. « Cleo… » Elle n’était pas certaine de ce qu’il fallait dire. Elle n’était même pas certaine d’avoir détester le moment, tout se voulait étrange. Une part d’elle, un fond de curiosité, voudrait presque recommencer, juste pour voir, mais c’est sa raison qui finit par prendre le dessus. Elle sentit ses joues rougir sous le regard intense de son amie et Shiloh finit par se lever, défroissant son tee-shirt de ses mains. « On devrait rentrer, je vais te ramener. » Il était hors de question qu’elle laisse Cleo seule, il manquerait plus que quelqu’un profite de son état de vulnérabilité. Surtout quand cette dernière continuait à l’observer comme une biche prise au piège dans les phares d’une voiture. « C’est rien, je t’assure. » Elle ne voulait pas que Cleo se sente mal, qu’importe ce qui venait de se passer. Et une fois encore, Shiloh lui accorda un tendre sourire, qu’importe si cela avait visiblement amené de la confusion auprès de son amie. Elles auront le temps d’en parler, plus tard, lorsque Cleo sera sobre et lorsque Shiloh arrêtera de penser à ses lèvres sur les siennes. Elle n’avait embrassé personne depuis Lawrence et la sensation se voulait… Elle n’avait même pas de mot pour définir tout ça. « Tu viens avec moi? » Elle pianotait déjà sur son téléphone pour réserver un Uber, il fallait sortir de ce club.

Cleo ne réfléchit pas, portée par la musique, l’euphorie dans ses veines. Les lèvres de Shiloh sont tièdes, le baiser est bref, Cleo réalise à peine ce qu’elle vient de faire, d’embrasser une fille, pour la première fois de sa vie, et son coeur pourrait se décrocher de sa poitrine s’il n’était pas devenu un nuage informe sous l’effet de la mdma. « Cleo… » Cleo comprend à peine que Shiloh s’est écarté, elle ne sait pas si elle l’a rejetée, au fond. Elle regarde le visage de son amie, sourit, et son cerveau déorganisé voudrait la supplier de l’embrasser à nouveau, de lui rendre son baiser, pour qu’elles partagent ce moment, que ça soit doux, léger, qu’elles puissent rire. Mais Shiloh se lève, et quelque chose se fracture dans la poitrine de Cleo. « On devrait rentrer, je vais te ramener. » Cleo cligne des yeux, fixe Shiloh. Elle a du mal à raccrocher les wagons, elle sent que quelque chose glisse, change en elle, la drogue et l’alcool s’évaporent, ou peut-être se calcifient dans ses veines. Elle a l’impression de peser une tonne. « oh », elle murmure d’une petite voix, avec la sensation de chuter de plusieurs étages. « C’est rien, je t’assure. » La douceur et la tendresse sont pires que tout. Les oreilles de Cleo tintent, elle ne bouge pas, reste un peu en dehors d’elle-même. Qu’est-ce qu’elle vient de faire ? Les émotions viennent par vague, les pensées intrusives aussi, des spiralles qui se coincent dans ses neurones : j’ai embrassé une fille, une fille (!!), elle ne voulait pas, je n’aurais pas dû, est-ce que je voulais, est-ce que j’ai gâché ce moment, est-ce que j’ai gâché mon amitié, est-ce que je me suis gâchée moi, est-ce que -

« Tu viens avec moi? » Cleo hoche la tête lentement, se lève et suit sans protester Shiloh. Dehors, la rue sombre est percée de lampadaires, les gens fument devant le bar en riant, les bruits agressent Cleo, qui voudraient juste se cacher, disparaître. Elle se sent incroyablement stupide, et minuscule, les larmes lui montent aux yeux, c’est encore pire, elle a honte, elle voudrait remonter en arrière, arrêter son geste, son envie, sa maladresse. « Pardon, Shiloh », elle bredouille, et sent qu’elle s’est mise à pleurer, et c’est encore pire que tout. « Désolée, je pleure alors que c’est ma faute », elle continue, trop remuée et high pour aligner parfaitement sa pensée. « Je vais rentrer toute seule, je suis désolée, j’ai tout gâché », elle pleure, n’ose pas affronter le regard de Shiloh, de peur d’y lire son agacement ou sa colère.


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Le geste l’avait prise de court. Ce n’était pas attendu, ce n’est pas quelque chose qu’elle avait pour habitude de faire. Ce n’est pas un sentiment qu’elle ressentait auprès de Cleo. Ce fut un mélange de tout un tas d’émotions à la fois. La surprise, l’étonnement de ne pas trouver le moment désagréable, l’envie de recommencer, juste pour voir, et la réalisation que Cleo n’était pas dans son état normal. Shiloh eut l’impression d’être propulsé dans un grand huit à pleine vitesse et sans ceinture de sécurité. Elle ne voulait pas blesser son amie, encore moins profiter de son état de faiblesse. Elle n’avait jamais embrassé une femme dans sa vie et peut-être qu’elle prendra le temps d’analyser les sensations plus tard, mais pour l’instant, elle se devait de s’occuper de son amie. Cleo paraissait ravie, mais perdue. Ses yeux ne paraissaient un peu trop vides pour qu’elle ait pleinement conscience de ce qui était en train de se passer. Shiloh s’inquiète pour elle. Cette soirée avait déjà trop duré, il fallait qu’elle la traîne en dehors de ce bar, dans un endroit tranquille. Tout lui paraissait délicat, car elle refusait que Cleo se sente rejeter pour un geste auquel elle n’avait clairement pas réfléchi avant de l’exécuter. « Oh. » Elle lui adressa un sourire timide avant de prendre sa main pour l’entraîner ailleurs. Est-ce que Cleo était même au courant qu’elle avait eu envie de cela ? Est-ce qu’elle en avait vraiment eu envie d’ailleurs ? Les questions étaient multiples et Shiloh avait conscience qu’elle allait devoir traiter tout cela en douceur. 

Ses doutes se confirmèrent dès qu’elles se retrouvèrent dehors et que l’attitude de Cleo changea en un claquement de doigt. La fille surexcitée et enjouée se transforma en une petite fille prête à avouer toutes ses fautes. Ce sont les larmes dans ses yeux qui donnèrent envie à Shiloh de la protéger du monde entier. « Pardon, Shiloh » - « C’est rien, je t’assure. » Elle voyait bien que Cleo n’avait pas cherché à profiter d’elle, que le geste se voulait maladroit. Elle n’allait pas lui en vouloir pour cela, pas alors que Cleo paraissait être en train de vivre une véritable crise existentielle. « Désolée, je pleure alors que c’est ma faute. » Elle craignait que son geste soit mal interprété, mais Shiloh ne pouvait la laisser dans cet état. Lentement, elle s’approcha de la jeune femme pour chasser quelques unes de ses larmes du bout des doigts. « Tu vas effacer toutes tes paillettes. » Elle ria un peu, pour lui rappeler que tout était léger, mais Cleo paraissait déterminée à assumer une faute comme si son geste se voulait impardonnable. « Je vais rentrer toute seule, je suis désolée, j’ai tout gâché. » Elle secoua la tête. « Non, hors de question que je te laisse toute seule. » Cleo avait clairement consommé plus que de l’alcool et Shiloh s’en mordrait les doigts de la laisser repartir seule alors qu’elle n’était clairement pas en capacité de faire attention à ce qui l’entourait. « Cleo ? » Elle avait besoin de lui demander, elle ressentait trop la panique qui s’animait sur les traits de la demoiselle. « C’était la première fois que t’embrassais une fille ? » Et dans chacun de ses mots, Shiloh y apportait une douceur sans égale, aucun jugement, juste le désir de vouloir aider son amie.

CCleo connait bien l’angoisse. Elle se demande si ce n’est pas le premier sentiment qu’elle a ressenti, en arrivant sur terre - sa mère adore raconter qu’elle était un bébé qui avait pleuré dès l’accouchement, comme si elle n’était pas ravie d’être mise au monde, d’arriver dans cette agitation anxiogène. Elle sent ses poumons qui se contorsionnent pour attraper l’air qu’elle a du mal à respirer, et est affreusement consciente de Shiloh, à côté d’elle, qui est calme, sobre, souriante, qui ne comprend pas, sûrement. Le coeur de Cleo bat dans ses oreilles et elle n’a qu’un seul but : partir, fuir, le plus loin possible. Aller acheter une autre bouteille dans une épicerie, boire, oublier. « C’est rien, je t’assure. » Shiloh dit ça pour être gentille, elle ne le pense pas vraiment. Evidemment, elle lui en veut ; Cleo vient de gâcher une amitié qui est pourtant devenu un pilier pour elle, ces derniers mois, avec sa rupture. Shiloh est l’une des rares personnes autour d’elle à savoir ce qu’elle a vécu avec Tommy, à comprendre la difficulté des émotions qui la traversent. Et Cleo ne sait pas si c’est pour ça qu’elle l’aime autant, est-ce qu’elle projette quelque chose, pourquoi est-ce qu’elle l’a embrassée ?! Elle a l’impression de ne pas comprendre ou contrôler ses sentiments. Alors elle pleure, et elle s’excuse encore, de son geste, de pleurer. Shiloh essuie du bout des doigts ses joues avec un sourire affectueux. « Tu vas effacer toutes tes paillettes. » Cleo n’arrive pas à répondre à la légéreté de Shiloh, qui lui offre pourtant la douceur de changer de sujet, un échappatoire qui serait le bienvenue. Cleo reniffle, essaie de partir à nouveau. « Non, hors de question que je te laisse toute seule. »

Mais Cleo veut être seule. Elle veut qu’on ne la voit plus, qu’elle disparaisse, elle se sent comme l’enfant qu’elle a toujours été, celle timide qui préfère fuir, s’effacer, qui veut qu’on l’oublie, qu’on ne la remarque pas. Surtout qu’on ne devine pas ce qui se trame sous la surface, surtout pas son coeur qui bat plus fort quand une fille lui sourit. Et Shiloh la voit, ce soir, son armure ôtée, et c’est terrifiant. « Cleo ? » Elle répond un “hmm” un peu étranglée, et essaie de calmer ses larmes. « C’était la première fois que t’embrassais une fille ? » Les mots de Shiloh sont doux, et pourtant, les larmes de Cleo redoublent, parce que tout ce sujet la panique, et ça la panique de paniquer, parce qu’elle veut croire qu’elle est ok, qu’elle est petit à petit hors du placard. Même Shiloh sait que Cleo n’est pas hétérosexuelle, elle l’a déjà mentionnée rapidement devant son avis. Mais c’est plus simple de faire semblant que c’est un détail, plus que d’admettre que c’est beaucoup, beaucoup plus compliqué que ça. « Oui », elle avoue d’une petite voix. « Je suis désolée, je pensais pas que je réagirais comme ça, je sais pas je - » elle essaie d’expliquer entre quelques sanglots. « J’ai pas grandi dans un monde où c’était ok, et j’ai peut-être l’air de l’être, quand je suis sur scène, ou je sais pas, mais », elle bredouille, honteuse, « mais je sais pas, c’est pas facile », elle essaie d’expliquer tant bien que mal.


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Elle peut ressentir toute la panique qui émane de Cleo en cet instant. La jeune femme ne cesse de pleurer sans même trop savoir pourquoi, semble-t-il, et cela lui brise le cœur. Elle voudrait lui laisser l’occasion de respirer, mais Cleo cherche à s’éloigner et ce n’est pas quelque chose qu’elle veut voir arriver. Déjà, parce qu’il lui paraît de la plus haute importance que son amie comprenne qu’elle n’a absolument rien gâché entre elle, mais surtout, elle ne peut la laisser rentrer seule dans cet état. Il est clair que Cleo n’est pas pleinement en possession de ses moyens et Shiloh s’en voudrait de la laisser repartir seule sans qu’elle soit assurée que son amie soit rentrée saine et sauve. Les rues de Brisbane sont assez tranquilles à cette heure-ci, mais elle a trop lu de faits divers concernant une jeune femme se faisant agresser pour être pleinement tranquille. Cleo a bu, probablement pris de la drogue, et ne serait donc pas en pleine capacité de pouvoir se défendre. « Respire, ça va aller. » Elle n’aime pas la voir dans cet état. Elle voudrait la prendre dans ses bras, lui assurer que tout ira bien, mais elle a trop peur que le geste paraisse complètement déplacé.

Elle ne sait pas réellement comment s’y prendre, elle redoute les craintes qui se forment dans l’esprit de Cleo, mais elle a besoin de confirmer une seule chose. « Oui. » Une fois encore, Shiloh lui accorde un sourire tendre. C’était donc une première fois. Et rien ne s’est probablement déroulé comme Cleo l’avait imaginé, d’où les larmes incessantes. « Je suis désolée, je pensais pas que je réagirais comme ça, je sais pas je - » Elle voudrait lui dire de ne pas s’excuser, mais Cleo débite à toute vitesse désormais. « J’ai pas grandi dans un monde où c’était ok, et j’ai peut-être l’air de l’être, quand je suis sur scène, ou je sais pas, mais… Mais je sais pas, c’est pas facile. » Et tout cela entre deux sanglots. Shiloh prend le temps de l’éloigner de l’entrée pour que les oreilles indiscrètes n’écoutent pas leur conversation. « Personne ne te juge ici, d’accord ? » Elle n’est pas de ce bord là, mais jamais elle n’émettra le moindre jugement. « Je suis désolée si je t’ai fait croire que… Que j’étais intéressée. » Elle préfère ne pas lui donner des idées, même si le dire à une jeune femme en larme paraît bien plus compliqué. « Mais je ne t’en veux pas, tu dois me croire, d’accord ? » Elle n’allait pas lui en tenir rigueur. Elle est simplement désolée d’avoir probablement dérobé un moment si important dans la vie de son amie. « Je me doute que tu préfères être seule à cet instant, mais je ne peux pas te laisser rentrer toute seule, tu es un peu désorientée et je me ferais trop de soucis. » Un sourire tendre encore, parce que Shiloh ne sait pas faire autrement. « Je te raccompagne chez toi au moins ? » Les larmes coulent encore sur ses joues et Shiloh aimerait pouvoir la rassurer plus encore.

Les confessions maladroites de Cleo ne pertubent pas Shiloh, qui reste égale à elle-même, douce, souriante, prévenante. Comment ne pas vouloir l’embrasser, se dit bêtement Cleo : son amie est radieuse, une présence contre laquelle on a envie de se réfugier. « Personne ne te juge ici, d’accord ? » Cleo a un petit hoquet entre deux sanglots, parce qu’elle a encore du mal à comprendre cette phrase-là, qui va à l’encontre de tout ce qu’elle a appris, gamine. Une nouvelle fois, elle se dit que si Shiloh ne la juge vraiment pas, alors pourquoi tous les gens qu’elle a aimé, en grandissant, le ferait : cette dissonance est une violence particulière, cette réalisation que l’on pourrait l’accepter, mais qu’on ne le fait pas. Elle a un flash du visage de ses parents, s’imagine qu’ils la voient, là, eux qui pensent qu’elle est une parfaite petite fille hétérosexuelle. Elle pourrait presque entendre leurs cris et leurs sermonts. « Je suis désolée si je t’ai fait croire que… Que j’étais intéressée. » Cleo agite sa main, affolée à l’idée que Shiloh se blâme maintenant de son erreur à elle. « Non, non, tu n’as rien fait ! C’est juste… » Cleo inspire, cherche ses mots. « Tu es adorable, et tu es jolie, et tu prends soin de moi. Et j’ai trop bu. Je crois que tout s’est mélangé. » Elle renifle un peu piteusement. « Je veux pas perdre notre amitié », elle supplie, même si elle est persuadée que Shiloh va vouloir la rayer de sa vie, malgré tout ce qu’elle affirme en tentant de rassurer Cleo. « Mais je ne t’en veux pas, tu dois me croire, d’accord ? » Cleo hoche la tête, plus par politesse que par réelle croyance : elle veut croire Shiloh, bien sûr, mais dans son coeur d’angoissée, c’est bien plus difficile que ça.

« Je me doute que tu préfères être seule à cet instant, mais je ne peux pas te laisser rentrer toute seule, tu es un peu désorientée et je me ferais trop de soucis. » Cleo commence à être à court d’excuse, parce que oui, elle sait qu’elle est dans un sale état, et elle ne saurait même pas comment rentrer chez elle, un bus, deux bus, pas d’argent pour un taxi. « Je te raccompagne chez toi au moins ? » Un petit hochement de tête, un demi-sourire malgré les larmes. « D’accord », elle concède. « Merci Shiloh. » Cleo se mordille l’intérieur de la joue, nerveuse. « T’es vraiment une amie en or. »

@Shiloh Atkins terminé