Elle est restée en retrait de la cérémonie tout du long, Charlie. Après tout, elle n’a que très peu connu le père de Kendall et elle se montre surtout présente pour ce dernier en particulier, bien consciente que cette mort soudaine l’a particulièrement affecté. Elle trouve ça étonnant de constater à quel point les choses peuvent rapidement changer, elle qui élaborait mille plans à la minute pour tuer Kendall il y a de ça six mois encore et qui se plie désormais en quatre pour se faire la plus petite possible dans son monde chahuté. Les souvenirs sont revenus plus rapidement que la rancœur est restée, et elle n’a pas tardé à se remémorer toutes les raisons pour lesquelles elle a passé une vie à l’aimer. Il est toujours la même personne, après tout. Plus grand, un brin plus barbu, toujours aussi con - l’exacte même personne. Maintenant, il doit cependant jongler avec un quotidien duquel son père ne fera plus jamais partie et elle sait à quel point cela relève d’une épreuve particulièrement difficile pour lui tant il était proche de ce dernier. A l’avoir observé tout au long de la journée sans être capable de drainer sa profonde tristesse, elle a supporté la vue d’un Kendall qu’elle n’a jamais vu aussi proche du gouffre, autant l’ombre de lui-même non plus.

D’autres étaient là pour lui et sa famille, d’autres tenaient sans doute bien mieux le rôle que Charlie a perdu en coupant définitivement (ou presque) les ponts avec lui, lors de leur dernière rupture en date. Elle qui jurait ne pas avoir envie du moindre contact avec lui, plus jamais, la voilà qui profite que la cérémonie d’adieu à son père touche à sa fin dans la demeure familiale pour enfin trouver le temps de retrouver Ken. Peut-être que tous ont trouvé les meilleurs mots pour le consoler et l’épauler, mais ils ne sont pas elle. Ils n’ont jamais vécu tout ce qu’elle a connu auprès de Ken, et rien ne leur enlèvera jamais leur histoire commune. Rien ni personne. « Hey, » elle souffle doucement pour annoncer sa présence, ramenant par la même occasion une mèche blonde derrière son oreille. Elle retrouve Ken sur la terrasse du loft et s’assoit à même le sol à ses côtés, sa tête tombant naturellement contre l’épaule du brun sans qu’elle y réfléchisse davantage. « je déteste toujours autant ta grand-mère. » Mais puisque dans ses souvenirs, le sentiment était très largement partagé avec Ken, elle se permet de le restituer sans aucune censure aujourd’hui encore. Elle ne serait pas Charlie si elle ne passait pas par des chemins détournés, après tout. « Tu restes ici ce soir ? » Elle demande, tentant surtout de savoir s’il sera seul ou accompagné, parce qu’un seul des deux scénarios lui semble être une bonne idée. A son tour, et comme toujours, elle adaptera sa propre réponse selon ce que Kendall lui répondra. Ce soir plus que jamais, elle s’adapte à lui, à ses besoins, à ses désirs. Il en a gagné le droit bien malgré lui et a payé le prix cher pour ça.

La cérémonie a été un supplice mais le retour à la maison a été encore plus douloureux pour Kendall. Toute la journée il a maudit la personne qui a cru qu’instaurer une telle tradition serait une bonne chose. Qui aurait envie de cuisiner un buffet et d’avoir tout un tas de personnes chez soi après une journée aussi éprouvante ? C’est tout simplement insoutenable, d’autant plus qu’il y a dans le lot des invités des personnes qui n’auraient rien à faire là. Notamment d’anciens collègues et rivaux de son père pour qui la présence chez les Harding est presque un affront. Heureusement, Arthur a pris le relais du bouclé pour gérer ces parasites afin de le laisser respirer un peu. Il y a aussi des visages qui lui sont sympathiques dans la foule : des amis comme Lewis et Shiloh. Amis qu’il n’a pas vu depuis des années mais qui ne l’ont pas laissé tomber pour autant. Pourtant Kendall n’a pas été un ami parfait, au contraire, pendant son absence de plusieurs années il n’a pas pris de nouvelles de ses amis. L’éloignement géographique depuis Adélaïde a été son excuse favorite pour faire le mort en ghostant tout le monde. C’est donc ça l’amitié, la vraie, s’est-il dit en les voyant. Finalement c’est dans les moments comme ceux là qu’on voit qui est véritablement là pour nous soutenir.

***

La maison se vide progressivement, permettant à Ken de respirer un peu plus à chaque fois. Il serre des mains en remerciant une nouvelle fois son interlocuteur d’être venu à la cérémonie, des banalités qui lui semblent interminables. Une fois le ballet de salutation -et de l'hypocrisie parfois- terminé, le policier décide de prendre l’air sur la terrasse. C’est plus qu’une envie, c’est une nécessité pour relâcher la pression qu’il a accumulé aujourd’hui. Alors il attrape une cigarette dans la poche intérieure de sa veste une voix l’interrompt. « Hey, » Charlie. Il n’a pas besoin de se tourner pour savoir que c’est elle. Il l’avait aperçue un peu plus tôt dans la foule au cimetière mais il n’avait pas encore eu l’occasion d’aller lui parler. “Hey.” Il lui répond avec un sourire minime qui s’apparente davantage à un petit rictus provoqué par la lassitude de cette journée interminable. Rien contre elle, au contraire. La présence de la blonde le touche profondément. Charlie est bien la seule personne qu’il aurait voulu voir à ses côtés dans cette épreuve. Naturellement la tête de la blonde se pose contre l’épaule de Kendall qui lui aussi cale sa tête contre la sienne. « je déteste toujours autant ta grand-mère. » Le sourire de Ken se fait plus sincère face à cette remarque. Charlie a toujours eu une relation compliquée avec sa grand-mère paternelle et c’était une haine réciproque. La policière n’ayant jamais été assez bien à ses yeux pour son petit fils adoré. “Elle me sort par les yeux.” Il lève les yeux au ciel en repensant à toutes les remarques que sa grand-mère a pu faire depuis son retour à Brisbane. “Ils me sortent tous par les yeux en fait.” Il ajoute, fatigué de cette sociabilité imposée en ce jour si difficile. « Tu restes ici ce soir ? » Il secoue la tête de gauche à droite “Non je vais rentrer, je sature un peu d’être ici. Et je pense que ma mère a besoin de se retrouver un peu seule aussi.” Il ajoute avant de finalement sortir la cigarette de la poche de sa veste.Avant de la poser entre ses lèvres il en attrape une et la tend à Charlie. “T’en veux une ?” Une sensation de déjà vu puisque quand ils étaient adolescents ils se retrouvaient régulièrement en douce sur un coin de la terrasse à l'abri des regards pour fumer une cigarette en refaisant le monde sous les étoiles dans les bras de l’autre. De beaux souvenirs qui ont pris fin le jour où Monsieur Harding avait découvert leur stratagème, ce qui les avait conduits à une leçon de morale sur les dangers du tabagisme. “Je sais qu’il aurait pas apprécié mais bon tant pis, j’en ai besoin.”

Le contexte n’a jamais été semblable, mais la scène ne lui est pas étrangère. Elle, se faufilant doucement sur la terrasse pour y retrouver Kendall. Eux deux, partageant une cigarette n’ayant rien d’une bonne idée. La tête de la blonde, lovée contre l’épaule de celui qu’elle a toujours aimé. La scène n’est pas spécial et elle a plutôt tout de commune, mais c’est justement l’idée de retrouver certaines habitudes qui rassure la blonde, elle qui pourtant ressent une haine sans pareille contre la routine. Cette routine-là est différente, surtout alors qu’elle ne l’a pas connue durant de très longues années, lorsque le lien était rompu. “Elle me sort par les yeux. Ils me sortent tous par les yeux en fait.” Même les plaintes de Kendall trouvent parfaitement leur place dans le décor, quand bien même elles ont une saveur toute particulière ce soir. Charlie ne les rationalise pas, elle le laisse s’exprimer à la hauteur de ce dont il a besoin.

“Non je vais rentrer, je sature un peu d’être ici. Et je pense que ma mère a besoin de se retrouver un peu seule aussi.” Il la connaît mieux qu’elle, si bien que la blonde ne remet pas en question son diagnostic de la situation. S’il dit que sa mère a besoin d’un peu de calme, alors c’est que cela doit sûrement être le cas. Si elle retrouve la parole, ce n’est que pour se soucier de Ken et personne d’autre. « Et toi, de quoi t’as besoin ? » La question est bien assez large pour qu’il puisse se sentir en droit de répondre à sa guise, sur le sujet qui lui plaira. Elle veut savoir où il sera ce soir, elle veut savoir s’il veut lui aussi être seul. Elle veut savoir s’il veut qu’elle soit là, aussi, surtout. Pour une fois, elle peut s’adapter à ses désirs sans même chercher à avoir le dernier mot, elle le jure et le fait qu’elle se redresse un instant pour poser un regard soucieux en sa direction n’est que pour le lui prouver davantage encore. Ca, et pour fumer la cigarette qui vient de lui être partagée. Charlie n’a jamais perdu l’habitude de tous les gestes inhérents à une cigarette fumée à la volée, mais elle n’a non plus jamais eu honte de sa consommation. Elle sait que cela pourrait la tuer, mais elle sait aussi que la liste des choses qui pourraient la tuer sont infinies. Autant profiter de la vie au jour le jour et de tous ses bonheurs, même les plus malsains et mal indiqués. « Je suis là, si tu veux. » Elle clarifie le fond de sa pensée, laisse Kendall jongler avec ses pensées maintenant qu’il a tous les éléments à sa disposition. Ils ne sont pas nombreux, mais il pourrait en tirer de nombreux scénarios différents. Charlie, elle, dégage son regard du sien pour le poser un instant plus loin sur l’horizon, son visage à moitié caché par la fumée.

La fumée de la cigarette s’échappe lentement de la bouche de Ken. Il prend le temps de savourer la taffe qu’il vient de tirer pour qu’elle l’apaise au maximum. Si quand il était adolescent l’odeur de la cigarette l'écœurait, aujourd’hui il n’y prête même plus attention. Depuis sa -dernière- rupture avec Charlie, l’annonce du cancer de son père, sa consommation s’est intensifiée. Il en est d’ailleurs certain : si sa mère le voyait fumer une nouvelle cigarette elle lui ferait la morale, comme s’il avait à nouveau quinze ans. La scène aurait un goût de déjà vu : Charlie et lui assis sur la terrasse à l’abri des regards en train de partager une cigarette défendue. La cigarette c’est un vieux réflexe, en vérité la seule chose qui l’apaise vraiment à cet instant précis c’est Charlie. Sentir son parfum est une bouffée d’oxygène et la douceur de ses cheveux qui caressent son épaule le réconforte. La sentir près de lui en cette journée si particulière ravive des souvenirs. De bons souvenirs. Les souvenirs d’une époque où tout allait bien entre eux, les souvenirs d’une période où les choses étaient peut-être plus simples, plus insouciantes et où Kendall a réellement été heureux. Il devait voir la vérité en face : même après des années et une multitude de coeurs brisés, Charlie était toujours le refuge dont il avait besoin. « Et toi, de quoi t’as besoin ? » Il n’en a aucune idée. La profonde tristesse dans laquelle il est plongé depuis que son père est parti le laissent apathique : il n’a envie de rien, comme si une sensation de vide l’empêchait d’avancer. Il se contenta d’hausser les épaules en soupirant avant de répondre simplement : “J’en sais trop rien.” Ce dont il est sûr c’est qu’il a besoin de calme, de sortir de cette maison remplie de connaissances de la famille. « Je suis là, si tu veux. » Il se tourne pour la regarder et un petit sourire timide étire ses lèvres. La proposition de Charlie le touche énormément. Il apprécie savoir qu’en dépit des montagnes russes qu’il y a pu avoir entre eux, ils sont toujours là l’un pour l’autre dans les moments difficiles. Et c’est justement ce dont il a besoin en ce moment : se sentir bien, compris et en sécurité avec quelqu’un. Avec quelqu’un qui le connaît par cœur, qui connaît ses failles, ses faiblesses et avec qui il n’aura même pas besoin de parler pour communiquer. Et cette personne c’est elle et personne d’autre. Il prend quelques instants pour mettre ses pensées en ordre et il lui fait la proposition suivante. “J’ai toujours mon vieux lecteur dvd chez moi” Commence-t-il sans être sûr de lui. “J’ai aussi le dvd de Pulp fiction et du pop corn si ça te tente.” Un dvd qu’ils ont regardé un bon nombre de fois tous les deux lovés dans les bras l’un de l’autre dans leur chambre d’ado. Il espère que sa proposition ne met pas Charlie mal à l’aise en l’invitant chez lui et il décide de le préciser. “Je veux surtout pas que tu te sentes obligée de dire oui pour me faire plaisir ou quoi. Si t’as envie de rentrer chez toi je comprends aussi.” Il fait une pause avant d’ajouter. “En tout cas, merci d’être venue aujourd’hui, c’est déjà beaucoup.” Son petit sourire triste refait surface en attendant la réponse de Charlie tandis que la cigarette continue de se consumer entre les doigts du policier.

“J’en sais trop rien.” Elle le comprend et ne force rien. A sa place aussi, elle ne saurait sûrement pas statuer ce dont elle a besoin, ce qui est la raison pour laquelle elle lui en veut d’autant moins que ce qu’on pourrait penser. La blonde hoche la tête pour lui montrer son soutien autant que la simple idée qu’elle ne lui en veut pas, qu’il n’y a rien dont elle pourrait lui en vouloir. “J’ai toujours mon vieux lecteur dvd chez moi” Elle pose son regard avec un peu plus d’insistance dans le sien, incapable d’anticiper où il veut en venir - et incapable de se retrouver à avoir trop d’espoirs là où il n’en existe sûrement aucun. “J’ai aussi le dvd de Pulp fiction et du pop corn si ça te tente.” L’observation est échangée contre un sourire particulièrement sincère et touché. “Je veux surtout pas que tu te sentes obligée de dire oui pour me faire plaisir ou quoi. Si t’as envie de rentrer chez toi je comprends aussi.” - « Dis pas de bêtises. Bien sûr que ça me ferait plaisir de rester. » Avec lui, tout particulièrement - l’ambiance de deuil n’est de toute évidence pas ce qui pourrait l’attirer. Rester auprès de Kendall, cependant, est un sujet tout différent qui l’intéresse bien davantage, malgré tout ce qu’elle a pu dire et penser au cours de sa vie sur ce point.

Son bras s’étend pour se rapprocher de Kendall, le bout de ses doigts s’activant en silence pour lui faire comprendre qu’elle quémande la cigarette qu’il tient entre ses doigts. Son avant-bras reste posé sur le genou du brun, un geste aussi simple que répété à de nombreuses reprises sans qu’ils n’en fassent jamais des montagnes. Elle a toujours recherché sa présence et sa proximité, il n’a jamais été en reste, et il faut croire que même sans l’étiquette de couple, certaines choses ne sauraient changer. « Tu me laisses conduire ? » Elle lui coupe l’herbe sous le pied s’il pensait encore s’attarder longtemps à leur sombre petite fête mais Charlie pense sincèrement qu’il serait mieux ailleurs, qu’il aurait un peu moins de poids sur le cœur aussi. Ce qu’elle pense, aussi, c’est que sa présence pourrait l’aider à trouver un certain équilibre, à défaut d’être la solution à toutes choses. Et pour ça, elle n’a pas à cœur de le laisser conduire alors que ses réactions sont dictées par ses émotions sans qu’elle puisse le moins du monde le lui reprocher. Elle aurait voulu mettre le monde en feu si elle avait perdu un de ses parents, et sans doute qu’elle l’aurait fait. « J’espère que c’est du pop corn salé et pas une de tes conneries avec du caramel et Dieu sait quoi. » Son visage se retourne en direction de celui de Ken, à qui elle offre un simple sourire, sans doute trop proche de lui et de ses lèvres pour que le geste puisse avoir quoi que ce soit de raisonnable. La preuve en est, Charlie se reprend rapidement en entourant plutôt son genou de ses doigts pour se concentrer sur autre chose. La cigarette vient occuper ses propres lèvres alors qu’elle reconnaît un peu trop bien la douce accélération de ses battements de cœur. « Je vais dire à ma voisine de sortir le chien. On sera pas pressés. » Elle annonce, son regard posé au loin sans plus demander à Kendall son avis. Elle ne force à rien elle non plus, mais tout ce qu’elle dit c’est que rien ne l’obligera à rentrer chez elle après ça.

« Dis pas de bêtises. Bien sûr que ça me ferait plaisir de rester. » En dépit de l’obscurité qui envahit progressivement le porche de la maison familiale, le regard de Ken se met à briller. Voir Charlie rester et accepter sa proposition le touche beaucoup, bien plus qu’il n’osera jamais l’admettre. Il y a bien des années, avant leur rupture, ils s’étaient promis de toujours veiller l’un sur l’autre, dans les bons comme dans les mauvais. Kendall se souvient parfaitement de cette soirée d’été. Charlie était couchée à côté de lui et ils avaient passé de longues heures à discuter ensemble en se regardant les yeux dans les yeux. La fenêtre ouverte laissait entrer la lumière de la pleine lune qui donnait aux cheveux de Charlie des reflets argentés. Kendall avait caressé ses cheveux tout en la regardant avec un sourire. Ils avaient parlé de tout, de leurs rêves, de leurs projets et même d’avenir. Bien que follement amoureux l’un de l’autre ils étaient tous les deux conscients que l’avenir était incertain, leurs nombreuses disputes l’avaient montré. C’était pour cette raison qu’ils avaient fait cette promesse, la promesse de deux gamins plein d’espoir. C’était un moment d’une grande simplicité mais qui avait profondément marqué le jeune homme. Aujourd’hui rien n’est plus pareil. Ils ne sont plus ces gamins enlacés au clair de lune, mais leur promesse, elle, est restée la même. Même après s’être éloignés dans des disputes déchirantes, plusieurs années et centaines de kilomètres de distance entre eux, Charlie était toujours là. Il y avait donc de quoi émouvoir Kendall, celui de 29 ans et celui de 20 ans, figé par la lumière du clair de lune et de promesses sur l’oreiller. « Merci, vraiment ». Il insiste pour lui montrer -bien que pudiquement- qu’il apprécie son geste. Rien ne l’obligeait à accepter une telle proposition. Elle est déjà venue à la cérémonie et à la veillée funèbre, ce qui est déjà beaucoup. Il lui tend sa cigarette sans qu’elle ait à le demander. « Tu me laisses conduire ? » Il hoche la tête. Dans l’état d’épuisement et après la journée qu’il a dû encaisser, le bouclé n’est pas en état de conduire et il en est parfaitement conscient. « J’allais te le demander. » La journée et la soirée ont été longues et il n’a pas envie de rester davantage. « J’espère que c’est du pop corn salé et pas une de tes conneries avec du caramel et Dieu sait quoi. » La distance entre eux s’est réduite, à tel point qu’un léger malaise flotte alors qu’elle s’éloigne pour être moins proche du visage de Ken qui, lui aussi, a souri à sa remarque. Il tourne également la tête alors que Charlie reporte la cigarette à ses lèvres, laissant Kendall troublé de voir que cette situation lui est autant familière. Il a embrassé Charlie tant de fois que la mémoire musculaire aurait pu lui faire sauter le pas sans y réfléchir. Son cœur bat fort dans sa poitrine et lui fait perdre ses mots l’espace de quelques instants. Il décide quand même de briser le malaise en lui répondant.« Ahlala t’y connais vraiment rien, le caramel c’est la base du pop-corn. » Il la chambre à son tour, il y a des choses qui ne changent définitivement pas. « Mais il doit me rester un paquet de pop corn salé dans un placard. » A force de persuasion elle avait réussi à lui faire apprécier le pop corn salé à l’époque. Il lui offre à nouveau un petit sourire avant de prendre à son tour la cigarette qui se consume de plus en plus. La fumée emplit ses poumons et l’apaise progressivement alors que la blonde reprend la parole. « Je vais dire à ma voisine de sortir le chien. On sera pas pressés. » Il tique sur le mot chient. « Ah bon ? T’as un chien depuis longtemps ? » La question est spontanée et lui fait réaliser qu’il ne connaît plus grand-chose de Charlie et de sa vie. Il prend une dernière taffe avant d’éteindre la cigarette. « Je vais dire à ma mère que je rentre et on sortira par derrière je pense, on s’en sortira jamais sinon. » Il en a plus qu’assez des regards qui se posent sur lui et de l’hypocrisie de certaines connaissances de son père qui n’ont jamais été présentes pour lui si ce n’est pour jalouser son succès.

***

« C’est cette résidence là. » Il montre du doigt un immeuble à leur droite. Charlie gare la voiture et Ken soupire quand le contact s’arrête. Il est soulagé d’être de retour chez lui et de voir que cette journée affreuse commence à avoir une fin. Comme il l’avait dit à Charlie ils sont partis discrètement après avoir dit au revoir à sa mère. Heureusement que le trajet n’était que de quelques minutes, les paupières du bouclé étaient trop lourdes pour qu’il supporte un trop grand trajet en voiture sans s’endormir. Ils se dirigent vers la résidence, il lui ouvre la porte avant qu’ils ne s’engouffrent dans l’ascenseur. Arrivés au dernier étage Kendall s’arrête devant la porte de son appartement avant de sortir ses clés. « Voilà. » La porte s’ouvre, dévoilant son loft à la décoration plus que minimaliste. Il est arrivé il y a plus de six mois mais les lieux sont si peu investis qu’on pourrait dire qu’il a emménager il y a peu de temps. Sur une commode on peut même apercevoir un cadre avec la photo d’origine : une famille qu’il ne connaît absolument pas en compagnie de leur golden retriever. En dépit d’un manque cruel de décoration, l’appartement est parfaitement rangé. Ken a des défauts mais le laisser aller et ne fait pas partie de ses habitudes. Et puis, il faut dire que la femme de ménage qui passe tous les mardis l’aide aussi à garder l’endroit propre et agréable. L’avantage de l’ambiance minimaliste du loft c’est qu’il n’y a pas un nombre incalculable de bibelots à dépoussiérer. « Fais comme chez toi, mets-toi à l’aise. » Il pose sa veste sur le porte manteau avant de se diriger vers le placard où les dvd sont rangés. Après un peu de recherche il sort le dvd de Pulp fiction avant de le poser sur la table basse et d’allumer le vidéoprojecteur. « Tu veux boire quelque chose peut-être ? Ou tu veux juste du pop-corn ? »

L’impression de déjà vu lui noue le cœur. Elle ne trouve rien d’étrange dans l’idée de trouver une excuse pour s’éclipser ensemble d’une soirée à laquelle ils n’ont plus envie d’être, tout comme elle ne trouve rien d’étrange dans le simple fait de rentrer chez Kendall et de ne pas prévoir d’en partir avant un moment. Il n’est pas au meilleur de sa forme mais elle l’a déjà raccompagné complètement saoul, autant que l’inverse est vrai, et là encore elle trouve qu’il n’y a rien de si inédit qu’on pourrait le croire. Il fait partie de sa vie, elle fait partie de la sienne, et cela comprend les bons comme les mauvais moments. Même les très mauvais. La sortie de la voiture se fait autant en silence que la montée dans l’ascenseur et l’ouverture de la porte de son appartement, et ce n’est qu’à cet instant qu’elle se rend compte à quel point tout a changé entre eux : elle n’y avait jamais mis les pieds et ne comptait pas le faire jusqu’à ce soir. « Fais comme chez toi, mets-toi à l’aise. » Elle ne fait rien de plus que poser sa veste sur une chaise et son sac à main sur le plan de travail. Ses chaussures restent à l’entrée uniquement parce qu’elle sait qu’elle va bientôt poser ses pieds sous ses cuisses, sur le canapé. « Tu veux boire quelque chose peut-être ? Ou tu veux juste du pop-corn ? » - « Juste de l’eau. » Elle aurait bien envie de quelque chose de plus fort mais elle sait déjà que Ken la suivrait dans son idée et que cela n’a rien d’une bonne chose pour lui. De l’eau ce sera, donc. Elle lui dérobe le DVD des mains pour mettre en place leur cinéma improvisé, agissant ainsi comme il en a toujours été : comme si elle était chez elle. Autour de Kendall sera toujours chez elle, en particulier ses appartements.

Et puisque certaines choses ne changeront jamais, Charlie lui laisse le temps de revenir vers elle et sur le canapé avant de s’y installer plus pleinement à son tour, laissant sa tête se reposer une fois de plus contre l’épaule du brun, son propre coeur encore lourd de la journée qu’ils viennent de passer. « Je suis désolée. De pas avoir été là pour toi plus tôt. » D’avoir mis autant d’énergie à le déteste et à lui demander de rester loin d’elle alors qu’elle aurait pu agir à l’exact opposé. Cela leur aurait facilité la vie, à tous les deux. « Tu m’as manqué. » La blonde souffle avant de se redresser en un long et lent mouvement, sa tête plus lourde que jamais. Elle se rend simplement compte qu’elle emprunte un chemin bien connu et que ce n’est pas ce dont Ken a besoin pour le moment, raison pour laquelle elle se pince les lèvres au moment de retrouver sa propre place sur le canapé, le dos à nouveau droit. Ainsi, elle compte sur le début du film pour occuper leurs esprits ailleurs. Leurs deux esprits. « C’est un bon choix. Pulp fiction. » Ce sont sûrement des mots qu’auraient partagés de simples amis le temps d’une simple soirée film, alors elle les récite platement, avant de prendre une gorgée de son verre d’eau, tout aussi plat et sans saveur. En réalité, elle se souvient un peu trop bien du temps où ses lèvres avaient de meilleures rencontres à faire, comme celles de Ken par exemple.

« Juste de l’eau. » Kendall hoche la tête avant de se diriger vers la cuisine où il attrape un verre dans un placard qu’il remplit d’eau avant de lui apporter. Il l’observe mettre en place le film et allumer le vidéoprojecteur alors qu’il va préparer du pop-corn, salé bien sûr pour lui faire plaisir. Quelques minutes plus tard il la rejoint, le saladier de pop-corn dans les mains. “Voilà, c’est du salé, il me restait un paquet.” Le saladier trouve sa place sur la table basse devant eux alors qu’il s’installe sur le canapé. Le coeur de Kendall est lourd, ses yeux rougis et gonflés par les larmes sont douloureux mais la présence de Charlie à ses côtés chez lui est comme une bulle, une respiration dont il a tant besoin. Il a besoin de pouvoir appuyer sur pause, de se changer les idées l’espace de quelques heures pour pouvoir encaisser les journées et semaines à venir qui s’annoncent tout aussi difficile. La fatigue de devoir se montrer fort pour sa mère et vis à vis de l’empire financier de son père lui pèsent énormément, il a besoin de ce moment, besoin d’elle ce soir pour pouvoir encaisser tout ça. La tête de la blonde se pose sur son épaule alors que le film commence petit à petit. « Je suis désolée. De pas avoir été là pour toi plus tôt. » S’il a longtemps ressenti énormément de haine et rancoeur envers elle ce soir il n’y a plus aucune animosité dans son cœur. D’une part parce que les émotions qui le secouent depuis plusieurs jours emportent tout sur leur passage mais aussi parce qu’il a envie de faire la paix avec elle, au moins ce soir pour retrouver leur complicité d’avant. Du temps où tout était simple entre eux et où l’un était là pour aider l’autre à traverser vents et marées. “Ne t’excuse pas, tu ne pouvais pas savoir. Et tu es là maintenant.” Et c’est encore plus précieux aux yeux du policier. Il ne lui en avais pas parlé, elle ne pouvait donc pas deviner ce qu’il traversait, elle n’a pas à s’excuser, c’est aussi simple que ça pour lui. Il sait pertinemment qu’elle a été présente dès qu’elle a su ce qu’il traversait. « Tu m’as manqué. » Alors que Ken aurait voulu reposer sa tête contre celle de Charlie, celle-ci se redresse mettant de la distance entre eux. Il se retourne quand même dans sa direction pour lui dire avec un petit sourire à peine visible. “Tu m’as manqué aussi.” La situation arrache un pincement au cœur de Kendall : la situation est familière, comme si rien n’avait changé, pourtant aujourd’hui tout est différent. « C’est un bon choix. Pulp fiction. » Elle change de sujet et c’est très certainement une bonne idée dans l’état où le policier est. Il a besoin de paix, de simplicité et de réconfort, même s’il en a très envie, embrasser Charlie ne ferait que compliquer une situation qui l’est bien assez. “Je savais que ça te plairait.” Parce qu’ils l’ont déjà vu ensemble et que cette soirée film est un excellent souvenir pour lui.

***

Le saladier de pop-corn est vide puis maintenant longtemps, il n’a pas tenu plus de cinq minutes. Ken n’a pas non plus tenu très longtemps face à la tentation des bras de Morphée. Après une demi-heure de film seulement celui-ci s’est endormi, la tête posée sur la cuisse de Charlie. L’épuisement physique et émotionnel a eu raison de lui. Comme il l’anticipait, la présence de Charlie chez lui l’a apaisé, lui offrant une véritable safe place dont il avait tant besoin pour tenir le coup. Charlie avait été et serait donc définitivement toujours son pilier comme elle lui en avait fait la promesse quand ils avaient 19 ans, tous les rêves possibles imaginables ainsi qu'un espoir sans faille en leur lien.