Ça s'était terminé de façon très banale : sur une poignée de mains un peu maladroite, un regard à peine appuyé, une phrase d’adieu un peu bateau répétée à trois autres personnes après, puis des yeux qui s’accrochent une dernière fois et se détournent avec résignation. En somme, un anti-climax des plus incongrus ; tout l’inverse de ce qu’elles avaient vécu jusque-là, même si elle n’était pas sûre que Scarlett, dans toute sa mauvaise foi, l’aurait rejointe dans son estimation.
Tout ça, c’était il y a deux semaines, jour pour jour ; il n’y avait tellement plus de budget pour la fin de tournage et les execs étaient de telles pinces qu’ils avaient eu droit pour toute soirée de conclusion à un petit local où les décors avaient été à moitié remballés, huit paquets de chips en tout et quatre bouteilles de rosé tièdes posées sur des bouts de bois sur tréteaux. Scarlett avait passé une tête et Sloane avait prévu de ne même pas s’attarder après la dernière journée, acceptant un verre de jus d’orange tendu par un Samuel déjà bien rond sans sentir le traquenard.
Du reste, elles n’avaient pas discuté, ou alors à peine. Elle avait été tentée de lui demander son numéro, en utilisant l’allusion qu'elles ne travaillaient plus ensemble et donc, personne ne les houspillerait pour manque de professionnalisme, avant de décider contre. Un simple coup d'un soir avant un adieu serait une disgrâce.

Du coup, ça n’avait été qu’un simple adieu, et elle avait (plus ou moins) fait sa paix avec cette vérité un brin déprimante, jusqu’à ce soir. Sloane sortait beaucoup moins, depuis l’arrivée de Delilah – pas envie, outlets plus pratiques et proches de chez elle, trop de fatigue pour s’astreindre à la sociabilité et au flirt – et ce soir était une exception notoire à laquelle elle s’était rendue un peu à reculons, comme souvent. Parmi la foule, quelques visages familiers, plus ou moins sympathiques selon les vécus ; et puis le sien, sorti de nulle part, qu’elle soupçonne le temps d’un instant extrêmement long de n’être qu’une illusion de la première soirée où elles s’étaient croisées : même endroit, même état de fatigue, une volonté de l’esprit de refermer le cercle. Elle s’en retrouve rapidement détrompée : non, c’est Scarlett, pour sûr ; les mêmes cheveux, le même sourire mutin qu’elle connaît trop pour s’y tromper, maintenant.

Elle songe à leur deuxième entrevue dans un milieu similaire ; les émotions étaient plus fortes, un concentré de ressentis foutrement différents et bien moins emmêlés que les actuels, elle l’avait abordée en ne ressentant qu’une colère bordée de lassitude, tandis qu’aujourd’hui, ce serait… Quoi ? L’absence de réponse aisée (hâte, léger agacement, amusement face à la situation) la convainc plutôt de ne rien faire : la jeune femme est accompagnée, ce soir, visiblement de manière plus ostensible et officielle que la précédente fois, et il ne lui appartient ni de s’immiscer là-dedans, ni de déranger Scarlett, potentiellement contre son gré. Alors elle ne se contente que d’un sourire, lorsque leurs regards se croisent : d’abord poli, puis plus complice, mais jamais trop audacieux. C’est Scarlett, qui a toutes les cartes en main, et elle ne fera que demander un autre verre et faire semblant de s’intéresser à la conversation de celle qui la ressert, regard vaquant malgré elle dans la direction de son ancienne collègue, sans comprendre elle-même ce qu'elle en attend.

@Scarlett Bridgers

Scarlett répéterait bien à qui veut l’entendre qu’elle est enfin ravie de ne plus avoir Sloane dans les pattes, mais puisqu’elle a un grand total d’environ 1.4 amis, à qui elle ne confie absolument rien de sa vie privée, elle n’a pas grand personne à qui parler. Alors c’est à elle qu’elle le dit, dans son reflet dans la glace, dans ses pensées qui s’égarent quand elle travaille tard le soir à son bureau. Ces semaines de tournage lui auront appris une leçon très importante : il ne faut pas qu’elle se retrouve dans des lieux clos avec des grandes brunes. Pour une raison qu’elle ignore, cela semble libérer les mots dans sa gorge, et elle se retrouve à convoquer à voix haute des fantômes qu’elle a enterrés depuis des années ; une idée stupide qui ne semble pas aider les flashs de souvenirs qui polluent ses journées, ces derniers moi, environ depuis qu’elle a recroisé Swann. Elle continue de se dire que c’est la fatigue, quelque chose de passager, mais parfois, lorsqu’elle se met au lit, tard le soir, un affreux doute commence à se glisser en elle - et si elle n’avait pas digéré, simplement évité, et que le rappel du passé qu’avait opéré Swann était une fissure qui grimpait le long de sa muraille ?

Mais Swann et elle sont brouillés, et Sloane n’est plus les parages. C’est parfait. Elle peut refermer l’interstice. Elle retourne à sa vie telle qu’elle la connaît, les vagues qui portent sa planche de surf, tôt le matin, son travail qui l’occupe toute la journée, et les mains d’inconnus qui la caressent, tard le soir. Au milieu de ce rythme habituel, il y a quelques changements - principalement les ruminations de Ruben sur son mariage qu’il a dynamité, et quelques souvenirs agaçants de Londres, et les absences qui la prennent de plus en plus - mais globalement, Scarlett vit comme avant.

Ce soir-là, elle porte une robe en satin émeraude qui découvre sa jambe gauche, et ses cheveux toujours teints dévalent dans son dos, que les mains de Louisa ne cessent de frôler. Les lumières sont tamisées, attrapent les pailettes dans les coins de paupières, les verres s’entrechoquent, la musique est assez forte pour que l’on se penche vers l’autre pour discuter et s’entendre, forçant un rapprochement physique délicieux. Scarlett est venue avec cette fille qu’elle voit de temps en temps, ces derniers mois, une danseuse de l’opéra de Sydney, au dos musclé et petit visage angélique qui cache bien son jeu. Louisa vient à Brisbane voir sa famille, et en profite souvent pour appeler Scarlett, elles passent la soirée et la nuit ensemble, avant de ne plus se contacter avant quelques semaines. C’est le genre de partenaire parfaite pour Scarlett.

Puis, alors qu’elles sont en train de rire ensemble, le regard de Scarlett attrape celui d’une autre, au loin, et elle sent une brève décharge d’éléctricité dans le creux de son ventre et une vague pointe d’agacement, un mélange étrange mais familier. Elle fait un signe du menton à Sloane, plisse les yeux, puis ramène son attention vers Louisa, continue la discussion. Un instant plus tard, elle pose sa main dans le bas de son dos pour amener Louisa sur la piste, et elles dansent ensemble, leurs corps proches, en rythme, et lorsque la musique glisse vers quelques accords plus sensuels, Scarlett s’amuse à piquer un baiser sur les lèvres rouges de Louisa, avant de recommencer à danser, puis, quelques secondes plus tard, elle relève les yeux plus loin, là où se trouvait Sloane plus tôt - et bingo, leurs regards s’accrochent à nouveau. Scarlett a un petit sourire satisfait, parce qu’elle a gagné, se dit-elle, ignorant qu’elle aussi, en réalité, a regardé Sloane.

Deux chansons plus tard, et Louisa repart vers le bar chercher un cocktail, et Sloane la promet de la rejoindre, et se dirige vers Sloane ; elle arrive à sa hauteur et jette un regard appuyé à la jeune femme qui parlait avec la brune, qui baisse un peu trop rapidement les yeux et ravalent la fin de sa phrase, et Scarlett lui adresse un sourire faussement poli, comme un mauvais remerciement. Elle se tourne vers Sloane, et lève un sourcil. « Long time no see », elle fait remarquer, sourire en coin. « Tu crois qu’on est condamné à se croiser perpétuellement dans ce genre de soirées ? » Elle demande d’un ton amusé. « Tu es venue seule ? »


@Sloane Jarecki  

Ce serait mentir de prétendre que, si elle ne s’y était pas attendue, elle n’avait pas au moins espéré croiser Scarlett ce soir : third time’s a charm, ou quelque autre expression un peu superstitieuse, couplée à une probabilité très forte qu’elles se recroisent un jour, compte tenu du fait qu’elles fréquentaient des cercles similaires et qui avaient une fâcheuse tendance à se recouper. Le milieu un peu libertin de la communauté lgbtq+ de Brisbane était, étonnamment, relativement restreint et selon les classes sociales et les cercles dans lesquels on évoluait, il n’était pas rare de retrouver des visages familiers d’une fois sur l’autre. Le pouvoir du bouche à oreille jouait toujours beaucoup.

Espérer était pourtant autre chose que voir : leurs regards se trouvent et s’accrochent et Sloane est soudain étreinte par l’envie de foutre le camp avant d’être encerclée et hâtée au bord d’un précipice ; c’était, bizarrement, la sensation principale que Scarlett provoquait en elle, bien au-delà de l’agacement, et si la psy pouvait gérer ce second état de fait, elle avait un peu plus de mal avec le vertige. Elle répond pourtant d’un bref signe de la tête, à son tour, et gage que celle-ci était trop occupée avec sa partenaire pour lui accorder davantage d’attention pour ce soir, ou pour tous les autres soirs, d’ailleurs : cette page-là s’était refermée.

Pourtant une voix familière l’interpelle après que sa voisine de bar ait déguerpi sans autre forme de procès ; elle a le plaisir et l’angoisse de découvrir Scarlett, non accompagnée, qui lui offre son sourire caractéristique, un peu moqueur, toujours aussi séduisant. « J’ai bien peur que oui », renvoie-t-elle à sa question, relevant la tête du poing sur lequel elle l’avait posé, « je sais pas si le monde est petit, mais celui-là l’est clairement, en tout cas. » C’est drôle, de revoir les intonations différentes sur lesquelles elles s’étaient adressées l’une à l’autre sur ces trois soirées différentes. Celle-ci avait un goût singulier, une amertume ajoutée au prosecco. « Pas ce soir », qu’elle répond concernant son absence de compagnie, et tant pis pour la jeune femme assise à ses côtés une minute plus tôt – Sloane est mentalement partie en vacances dès lors que celle-ci a commencé à mentionner son voyage aux Philippines, après que la psy a révélé en avoir des racines ; j’ai backpacké là-bas, c'était vraiment super exotique, puis les gens sont si généreux là-bas, ils ont rien mais ils donnent tout, etc. Sloane est venue seule et elle n’a aucune pudeur à le dire, pas plus qu’elle n’en aura à repartir bredouille si c’en venait là. Elle est partisane du fait d'être seule, plutôt qu’accompagnée par défaut. Jusqu'à présent, elle était toujours venue avec Nat, par habitude et par confort. Elles avaient rediscuté de la fâcheuse configuration, et Sloane avait conclu qu'il fallait qu’elles prennent un peu plus de distance : leur mariage était terminé, certes, mais elles n'avaient rien conclu du reste. « Et toi ? » S’attarder sur Nat, dans toutes les configurations possibles, n’avait jamais rien d’une bonne idée. « Je te pensais pas du genre à te caser », relève-t-elle avec un sourire, et bien sûr, qu’elle ne pense pas qu’il y ait quoi que ce soit d’éminemment sérieux entre les deux jeunes femmes. Ce n’est qu’une entrée en prétexte à d’autres questions, que Scarlett interprètera très certainement comme telle, et Sloane n’a jamais eu l’énergie de cacher sa curiosité à son égard.

@Scarlett Bridgers

Sans verre à tenir, Scarlett est étonnamment consciente de ses mains, d’où elle peut les poser, et surtout où elle ne peut pas les mettre - le bas du dos de son interlocutrice, son avant-bras, son épaule. Habituellement, Scarlett contrôle son langage corporel à la perfection, habituée au flirt, au geste calculé qui s’attarde la demi-seconde de trop. Cette fois-ci, dans la pénombre tamisée, difficile de savoir sur quel pied danser ; ça serait mentir que de dire que Scarlett n’y avait pas pensé, quand Sloane et elle s’étaient quittées après le tournage, une pensée furtive de la plaquer contre un mur et de décharger l’agacement accumulé, pour le plaisir de se battre un peu plus. Mais les choses sont encore différentes, Scarlett, sans aimer s’engager, sait au minimum respecter la personne avec qui elle est venue ce soir : Louisa et elle ont une entente tacite, pour l’instant, qui fonctionne très bien, et Scarlett a hâte de son corps sous le sien. Pour autant, cela ne l’empêcherait pas de flirter avec Sloane. La retenue vient d’ailleurs, peut-être de ses larmes stupides devant Titanic, ou l’impression que le terrain glisse plus que d’habitude. Sloane l’a dit, ce monde est petit, et elles se recroiseront - or, Scarlett n’a-t-elle pas décidé qu’elle était bien contente de ne plus revoir Sloane ? Est-ce vraiment le moment de tenter la proximité ?

Alors elle lève un sourcil, pose une question, des pas de loup dans cette danse qui n’a pas encore trouvé son nom. Sloane est donc venue seule, et Scarlett se demande vaguement ce qu’elle cherche, quel genre d’amante elle est. « Et toi ? »  Scarlett a un sourire en coin, qui dit silencieusement : come on, je sais que tu as observé. « Je te pensais pas du genre à te caser. » Un léger rire franchit les lèvres de Scarlett, dont le rouge à lèvres carmin a commencé à s’estomper à force d’embrasser le cou de Louisa. « Ah, je ne t’avais jamais parlé de ma femme ? On a trois enfants ensemble, tu veux voir les photos ? » Elle plaisante, une ironie qui l’empêche aussi de répondre sincèrement à la question. Mais Sloane et ses capacités de déduction insupportables ont de toute manière déjà compris, n’est-ce pas ? Scarlett se tourne un peu plus vers Sloane, croise ses bras sur sa poitrine. « Et toi, qu’est-ce que tu cherches ? Une autre blonde ? » Une référence bien placée à l’ex de Sloane, dont elle se rappelle bien, et qu’elle a revu sur l’écran du facetime, la dernière fois, un peu malgré elle. « Laisse moi deviner ton genre.. » Elle plisse les yeux. « Pour dater, t’es plutôt cool girl qui parle de ses émotions, avec qui tu peux imaginer un futur. Mais quand tu viens dans ce genre de soirées, c’est plus pour décompresser, hmm ? Même si j’ai du mal à t’imaginer te laisser complètement aller. Tu serais bien le genre à être une brat », elle commente, le regard pétillant. Le sujet de la conversation est loin d’être approprié pour une collègue, mais ça tombe bien, elles ne le sont plus.


@Sloane Jarecki  

Elle s’en veut, de les avoir à ce point observées à distance ; elle se morigène plus encore d'espérer que Scarlett attende son regard sur elle, et c’est sans compter sur la frustration de ne savoir où placer ses émotions parasites. C’est tour à tour de la jalousie et du désir, la sensation pesante de l’acte manqué et l’espoir d’un nouveau retournement qui ne viendra pas ; même maintenant, Scarlett face à elle, sourire narquois bien à elle toujours en place, elle reste transfixée sur le rouge à lèvres qui ne tient plus vraiment en place, entre l’envie de l’arranger d’un revers de pouce ou de contribuer à son désordre à son tour. Elle n’en fait rien, reporte son regard vers son verre dans lequel elle boit une gorgée de plus, l'épitomé du calme et vraisemblablement un peu du déni. « Ah, je ne t’avais jamais parlé de ma femme ? On a trois enfants ensemble, tu veux voir les photos ? » Sloane sourit, pas dupe ; Scarlett est l’avant-dernière personne qu’elle pourrait imaginer mariée, et la dernière personne qu’elle verrait répondre en toute sincérité à la question. Elle essuie pourtant l’élusion sans la commenter, ni rajouter qu’elle avait été cette femme mariée avec presque un gosse – et que de fait, rien n’était impossible, moins encore ici. Scarlett lui renvoie la question, se détache un peu de sa tendance à fuir pour éviter toute tentative de discussion, et Sloane accueille le changement avec une circonspection optimiste. « Natalia t’a marquée à ce point ? » remarque-t-elle non sans un sourire – son ex-femme avait ce genre d’effets sur autrui. « Pas spécifiquement une blonde, non. » Et peut-être que si le contexte avait été différent, si ce n’était pas Sloane et Scarlett et tout le passif qui les unissait, son regard aurait rejoint son ton pour indiquer qu’elle regardait déjà ce qu’elle cherchait. Ce soir, son verre est plus intéressant, et son ton plus détaché.

Scarlett lui dresse son portrait chinois avec une curiosité sincère qui revêt son masque d’ironie, et agrémente celui-ci d’une supposition un peu plus intime, qui signe définitivement un revirement depuis l’arrêt de leur collaboration. Sloane se voit contrainte de retenir un sourire en se mordant l’intérieur de la joue : elle se prend sans mal au jeu, ondulant la tête avec une moue en signe d’incertitude. « Ça fait un moment que j’ai pas eu de dates, alors je ne suis pas sûre que tu sois très au point sur les suppositions. » Plus ou moins quinze ans, finalement, et seulement deux-trois rencontres à son actif qui n’avaient abouti qu’à des draps partagés, et plus de contact après, ou alors qui n’allaient jamais plus loin. « Cool girl : tout est relatif. Imaginer un futur, ça me paraît très sévère, pour des rencards. » Elle se plaît à retarder le reste, joue du bout du doigt avec son verre, observe une demi-seconde la tenue de la jeune femme pour remarquer en même temps qu’elle n’a toujours pas daigné s’asseoir. Déjà un pied dehors. « Je ne cherche pas l’amour dans ce type de soirées, non », concède-t-elle, laissant une porte entrouverte, où que le pied en question veuille se placer. « Je suis au regret de t’annoncer que t’es assez loin du compte, pour le reste. » Ca devient trop dur, de cacher le petit sourire narquois qu’elle retient, alors elle le laisse s’afficher ouvertement, entre l’amusement et la satisfaction que Scarlett ait pu se poser la question. Elle incline la tête, s’autorise un air faussement surpris sous le sourire taquin : « Je pense que c’est plutôt ce que t’aimerais voir de ma part, non ? » Est-ce qu’elle l’avait imaginée comme ça ? Les yeux se plissent : « Ca te vient d’où, cette conclusion ? » Combien de temps, au fond, s’était-elle posée la question ? « Si je devais tirer les miennes sur toi, je gagerais que t’as besoin de contrôle, même dans cet aspect de ta vie. De quoi faire mentir ceux qui pensent que le besoin de domination est proportionnellement inverse au contrôle perçu et acquis dans la vie de tous les jours. » Scarlett semblait être le genre de personnes à garder un strict contrôle sur tout aspect de sa vie, celui-ci compris. « Quant à complètement se laisser aller… J’y crois pas, pour toi non plus. » Elle hausse les sourcils, cherche une confirmation dans son regard ou un rire pour la contredire dans ses mots. « De fait, je suis pas sûre d’avoir à te demander si tu as de nombreux rencards, mais la réponse m'intrigue quand même, alors… » Alors à elle de se découvrir un peu plus, semble-t-elle dire, avant de commander deux autres verres de l’autre côté du bar.

@Scarlett Bridgers

Sloane ne presse pas au sujet de la compagnie de Scarlett, qui se doute qu’une autre question viendra plus tard. Sloane est stratège, elle avance puis recule, attend toujours le bon moment, et Scarlett devrait en être insupportée, mais à quoi bon le nier, à présent ; il y a quelque chose dans ce sujet qui la charme et l’intrigue, elle ne sait pas encore ce qu’elle veut faire de cet intérêt, cette tension.  « Natalia t’a marquée à ce point ? » Scarlett lève les yeux au ciel, penche légèrement la tête. « Si t’as été mariée des années avec elle, ça ne devrait pas te surprendre, non ? » Elle fait remarquer. C’est évident que son ex-femme est charismatique et qu’elle attire l’attention quand elle rentre dans une pièce. Mais Sloane n’a rien à envier, elle aussi à son aura, d’une autre manière, que Scarlett ne prendra pas la peine de commenter.

A la place, elle préfère s’imaginer Sloane aux bras d’une autre fille, ce qu’elle lui cherchait ou lui trouverait. Scarlett marche définitivement sur le fil, évoquant des sujets bien plus intimes qui pourraient les gêner si elles se croisaient sur un nouveau tournage ou une autre soirée aux lumières peut-être moins tamisées, à la musique moins sensuelle. « Ça fait un moment que j’ai pas eu de dates, alors je ne suis pas sûre que tu sois très au point sur les suppositions. » Scarlett penche la tête, jauge le visage de Sloane - ses traits fins, ses yeux sombres. « Vous étiez en relation exclusive ? » Elle demande, un peu surprise, puisque Sloane semble être à l’aise dans ce genre de soirées, comme si elle y était venue plusieurs fois. Pourquoi pose-t-elle la question et s’intéresse-t-elle à la réponse, elle n’est pas tout à fait sûre, mais la conversation a déjà pris un tournant un peu trop personnel, alors Scarlett continue de s’enfoncer dans la brêche.

« Cool girl : tout est relatif. Imaginer un futur, ça me paraît très sévère, pour des rencards. » Oh, alors Sloane sait dater de façon légère ? Scarlett écoute, fait mine de ne pas être trop intéressée par les réponses - l’est-elle seulement ? A quoi joue-t-elle ? « Je ne cherche pas l’amour dans ce type de soirées, non. » En cet instant, Scarlett remercierait presque le ciel d’être venue avec Louisa à la soirée, d’avoir quelqu’un avec qui elle doit déjà rentrer - elle ne sait pas si elle aurait résister à la tentation d’être un peu stupide, simplement pour s’amuser. Or, quelque chose autour de Sloane l’intime à ne pas s’approcher trop près, même pour une nuit, comme si Scarlett risquait d’y laisser quelque chose, elle ne sait trop quoi. « Je suis au regret de t’annoncer que t’es assez loin du compte, pour le reste. » Cette fois-ci, Scarlett s’autorise à lever un sourcil de surprise. Quelle genre de femme est donc Sloane, derrière les portes fermées ? « Je pense que c’est plutôt ce que t’aimerais voir de ma part, non ? » Scarlett penche la tête, plisse les yeux, légèrement agacée. Sloane a visé juste, plus juste que Scarlett ne l’a visé elle, et surtout plus juste ce qu’elle aurait voulu admettre. « Pourquoi aimerais-je te voir comme ce qui me plaît ? » Elle réplique, piquante, jouant avec la tension et, contre toute attente, elle s'assoit sur la chaise libre à côté de Sloane. Elles sont moins proches qu’elles l’ont été dans ce maudit lit, et pourtant quelque chose pulse entre elles, une éléctricité statique qui pique le fond de l’air. « Ca te vient d’où, cette conclusion ? » « Une inspectrice ne révèle jamais ses secrets d’enquête, voyons », elle répond, amusée. « Même une apparemment mauvaise inspectrice », elle avoue, bonne joueuse malgré tout. Scarlett a toujours aimé la compétition, mais elle sait reconnaître les adversaires de taille. Elle inspire, puis finit par répondre : « Tu as du caractère, tu aimes tenir tête, mais tu as cette… » Elle pince les lèvres, réfléchit à la formulation. « Sensibilité », dans la bouche de Scarlett, c’est presque une insulte. « Tu pourrais vouloir qu’on s’occupe de toi », conclut-elle, haussant les épaules. Est-ce que Sloane est plus directive, ou au contraire, passive, que Scarlett se l’est imaginé ?

Elle sait que Sloane ne la laissera pas jouer à ce jeu dans un seul sens, et que les questions vont fuser en retour. Ca ne rate pas : Sloane a ce sourire mesquin de celle qui s’apprête à mener sa petite analyse. « Si je devais tirer les miennes sur toi, je gagerais que t’as besoin de contrôle, même dans cet aspect de ta vie. De quoi faire mentir ceux qui pensent que le besoin de domination est proportionnellement inverse au contrôle perçu et acquis dans la vie de tous les jours. » Scarlett ne cille pas, mais elle voudrait lever les yeux au ciel, parce qu’une nouvelle fois, Sloane a gagné là où elle a échoué, elle. « Est-ce que tes compétences psychologiques ne sont pas un avantage injuste dans ce genre de devinettes ? » Elle demande, bien qu’au fond, elle se vante d’être loin d’un livre ouvert. Ce n’est pas cerner qu’elle est une amante dominante, une évidence dès qu’on la voit flirter dans ce genre de soirées, qui révèle le reste. « Quant à complètement se laisser aller… J’y crois pas, pour toi non plus. » Toi non plus, alors, note Scarlett. « Nous sommes plus similaires qu’il n’y paraît alors », elle remarque. « Un mauvais match, donc », elle souligne aux lèvres. « Pas que l’on se le demandait, pas vrai, hm ? » Elle rajoute, amusée.

« De fait, je suis pas sûre d’avoir à te demander si tu as de nombreux rencards, mais la réponse m'intrigue quand même, alors… » Sloane commande deux verres, et Scarlett décide de considérer que l’un sera le sien, et demande à la - très charmante - barmaid de lui faire le cocktail sans alcool. Elle se retourne vers Sloane, et jauge son envie de répondre sincèrement à la question. « J’aime prendre du bon temps, oui », elle résume de façon un peu bateau. « Et je ne suis pas intéressée par une relation, je ne l’ai jamais été. Je n’en vois pas l’utilité et les gens que je fréquente le savent. Même si certains l’oublient parfois », elle note tout de même. Les deux verres arrivent, et Scarlett en pousse un vers Sloane, porte le sien à ses lèvres, le regard planté dans celui de la jeune femme. « Qu’est-ce que tu cherches, toi ? T’amuser après des années de mariage ? »



@Sloane Jarecki  

Scarlett pourra s’en distancier autant qu’elle le souhaite, leur historique est loin d’être neutre et cela a forcé une proximité dans laquelle elles ont dû apprendre à se connaître, au moins sur des points de surface : il n’y a donc rien de surprenant à ce que Scarlett s’étonne d’une possible exclusivité entre Natalia et elle, et de fait, elle ne vise pas très loin du compte : « Non », justifie-t-elle, sachant très bien que sa réponse ne créera aucune surprise. « Mais je considérais pas ça comme des dates. » Les rencards, c’est autre chose. C'est parler et apprendre à se connaître et, potentiellement, de rares fois, se projeter un peu. Sa relation avec Natalia n'avait rien du monogame normé, mais elles avaient eu leurs règles, et elles s’attardaient rarement avec leurs conquêtes – communes ou séparées, les intentions étaient claires et, de fait, les rencards ne rentraient pas dans cette optique. Elle n’imagine pas tant Scarlett dans des relations monogames, elle non plus ; elle ne pose pourtant pas la question, sachant qu’elles y reviendraient tôt ou tard.

Au lieu de ça, elle consent à s’ouvrir un tant soit peu sur ses attendus, et l’inconfort de mentionner sa vie privée est très moindrement intense au plaisir de remettre en question les suppositions de sa vis-à-vis. Elle s’amuse de voir Scarlett la peindre comme brat, et un peu plus encore de l’imaginer tirer ses suppositions. Au tout début, peut-être ? A moins que ce n’ait été au motel ? La tension familière qui s’est invitée entre elles s’épaissit un peu plus, mais cette fois Sloane ne s’en détourne pas : elle sonde son regard, à la place, suppose à haute voix un intérêt voilé, et la réponse rhétorique que lui offre la rousse n’obtient pas de réponse, sinon un demi-sourire satisfait. Et contre toute attente, Scarlett se rend, puis élabore un peu sa pensée, et c’est trop facile de ne lui répondre que d’un haussement d’épaules et d’un vague : « C’est pas incompatible, si ? » Pourtant, jusque-là, ça l’a souvent été, et il vaut mieux ignorer ce que lui provoque la perspective d’une Scarlett qui s’occupe d’elle. Elle renverse donc la vapeur et lui renvoie sa propre analyse : rien de très complexe, face aux comportements suffisamment révélateurs de Scarlett, que de déduire que la jeune femme ne lâche le contrôle sous aucun prétexte, encore moins dans une situation où elle peut en tirer un certain plaisir. Le potentiel avantage détenu par Sloane se retrouve donc balayé d’un revers de main peu convaincu par celle-ci, alors qu’elle autorise l’agente de PR à en entr’apercevoir un peu plus de sa part, comme en guise d’excuses. Un mauvais match, badine l’une, tandis que l’autre plisse les yeux et pince les lèvres, prête à détromper. « J’ai déjà fait le tour de pas mal de choses que je pouvais me demander te concernant, Scarlett. C’était rarement un mauvais match. »

Refus d’élaborer, enchaînement sur les possibles relations que Scarlett a pu entretenir, jusqu’à présent : là encore, peu de surprises, pour elle qui n’imaginait pas l’agente férue d’engagement. Deux cocktails sont commandés et son ancienne collègue s’empresse de préciser que l’un sera sans alcool : la présence de l’ancienne compagnie qu’elle tenait jusqu’ici est complètement balayée sans aucun regret. Quelque part, le refus manifeste de s’engager de Scarlett comporte un élément rassurant qu’elle ne replace pas, pour l’instant. « Je m’amusais aussi pendant mon mariage », elle rétorque, bien que Scarlett doive s’en douter, à présent, « alors je dois t’avouer que je ne sais pas, honnêtement. » Remplir un lit ? Il y avait plus simple que de passer ses soirées ici. Tourner la page ? C’était déjà fait, en grande partie, et retourner dans des endroits qu’elle fréquentait avec son ex-femme aurait été d’autant plus stupide de sa part, si elle voulait s’interdire d’y penser. « Je me laisse guider, j’imagine. Je n’ai pas le besoin impétueux de trouver absolument une conquête, et je ne suis pas pressée de retrouver quelqu’un, non plus. » Delilah avait déjà deux mères, qui s’entendaient bien suffisamment pour que ça marche : il n’y avait aucune urgence à retrouver une espèce de stabilité, et Delilah était encore trop petite pour s’enquérir des diverses personnes que ses mères pouvaient fréquenter. « J’ai peut-être une idée plus précise, pour ce soir, déjà. » Rictus au coin des lèvres, son regard se plante dans le sien, occultant momentanément le fait que Scarlett soit accompagnée. « J’ai encore quelques hypothèses à confirmer, et je pourrai pas le faire seule. » Référence à l’histoire du mauvais match qui a visiblement davantage piqué son ego qu’elle ne l’aurait pensé.

@Scarlett Bridgers

La tension entre elles n’a jamais été si palpables. Scarlett a la sensation que le monde autour d’elles est en décor, gentiment posé là, un fond sonore qui s’agitent, des personnages secondaires qui ne comptent plus tout à fait. Scarlett ne peut s’empêcher de noter chaque changement dans l’attitude de la Sloane qui se présente à elle, ce soir, et les autres qu’elle a connu, sur le set, dans la salle des archives, dans la chambre du motel ; ses angles, ses aspérités, ce kaléidoscope qu’elle forme attrape la lumière, et Scarlett aurait peur de s’y piquer si elle approchait sa main. Mais sa curiosité est déjà attrapée, elle s’attarde sur les sourires, les mots, les sous-entendus, la silhouette de Natalia flotte dans l’air et intrigue Scarlett, leur relation, apparemment pas exclusive mais bien particulière. Scarlett s’est imaginée Sloane peut-être moins… légère, dans ses moeurs, mais ce n’est pas pour lui déplaire, bien au contraire, elle doit se forcer à détourner le regard un instant, pour reprendre un peu contenance. Le terrain est glissant, et quelque chose pousse Scarlett à ne pas se laisser trop porter, à rester sur ses gardes. « J’ai déjà fait le tour de pas mal de choses que je pouvais me demander te concernant, Scarlett. C’était rarement un mauvais match. » En cet instant, Scarlett est contente, fière, même, d’avoir cultivée toutes ses années sa capacité à rester impassible. Elle penche légèrement la tête, ne détourne pas ses yeux, lève un sourcil, laisse une trace de sourire sur ses lèvres. « Vraiment ? Même après que je t’ai traitée à multiples reprises d’incompétente ? » Elle retient un léger rire. « A moins que ça te plaise qu’on te parle comme ça, hm ? » Elle relève. Elle n’avance pas, ne recule pas non plus, elle reste dans ce moment de flottement, le flirt impossible à contenir malgré sa volonté de ne pas trop s’y risquer.

Mais une chose est sûre : elle ne fait rien pour aider la situation. Au contraire, elle questionne Sloane sur son mariage, ce qu’elle recherche - pas que Scarlett compte y répondre, n’est-ce pas ? « Je m’amusais aussi pendant mon mariage, alors je dois t’avouer que je ne sais pas, honnêtement. » Scarlett plisse les yeux, concentrée. Elle se dit avec un sourire contenu qu’elle regrette de ne pas avoir croisé Sloane et Natalia à cette époque, que ça aurait plus simple, une nuit, quelques soupirs, Sloane qui retourne à son mariage. Moins compliqué que ce qui pourrait naître, là, si Scarlett se penchait un peu trop près du visage de la brune. « Je me laisse guider, j’imagine. Je n’ai pas le besoin impétueux de trouver absolument une conquête, et je ne suis pas pressée de retrouver quelqu’un, non plus. » Scarlett hoche la tête, c’est la meilleure des dispositions, et celle qu’elle prêche depuis toujours : se laisser porter, rien de sérieux, pas besoind d’avoir quelqu’un. En fait, les attentes d’elle et Sloane pourraient presque s’aligner. « J’ai peut-être une idée plus précise, pour ce soir, déjà. » Scarlett ne retient pas son rictus piqué. « Voyez-vous donc ça », elle souffle, faussement curieuse. « J’ai encore quelques hypothèses à confirmer, et je pourrai pas le faire seule. » Le sous-entendu n’est plus vraiment sous, en vérité ; carte sur tables, prise resserrée autour d’un verre qui n’entend que de se plonger contre la peau douce de l’autre. LEurs visages sont proches, il suffirait de se pencher, d’une énième phrase un peu appuyée. Mais Scarlett ne réagit pas immédiatement, ce qui l’étonne elle-même. Elle n’hésite pas souvent, quand une telle offre lui est faite ; elle pourrait lâcher Louisa poliment, pourrait proposer à Sloane de se joindre, elles pourraient voler quelques heures à la nuit sans conséquences. Sans conséquences. Voilà ce qui freine Scarlett, qui se sent étonnement devant un précipice, elle s’observe, un peu en dehors d’elle-même, et elle sait, elle sait d’une façon instinctive qui lui donne le vertige, que quelque chose en Sloane est différent, que l’électricité entre elles est risquée - un risque que Scarlett n’a jamais pris. Elle ne sait même pas si elle est capable de le prendre.

Mais la réponse lui est arrachée par la présence de Louisa qui débarque, faisant presque sursauter Scarlett, rompant accidentellement le charme qui les entourait. La jeune femme glisse une main dans son dos, et lui murmure, « hey, je te cherchais », avec un sourire plein de sous-entendu. Elle se tourne vers Sloane, lui adresse un grand sourire - elle n’est pas jalouse, Louisa, au contraire. « Louisa, enchantée », elle se présente et lance un regard curieux à Scarlett, comme pour savoir comment se placer. « C’est Sloane, une… » Elle commence, mais ne sait pas exactement comment décrire leur relation, à défaut de finir sa phrase, elle finit son verre, « on a travaillé ensemble », elle élude. Elle se redresse, pose son verre vide sur le comptoir, et glisse son bras autour des épaules de Louisa. « Retournons danser », elle lui propose d’un ton directif. Elle se tourne vers Sloane, quelques secondes se perdent dans le brouhaha. « Amuse toi bien, Slo. On se recroisera », elle glisse, d’un ton mi-mutin, mi-menaçant, et elle pose sa main libre sur l’avant-bras de Sloane, y exerce une pression très légère, éléctrique, avant de s’échapper et de retourner dans la foule.


@Sloane Jarecki