Brisbane regorgeait d’idées pour ne jamais laisser ses habitants à court d’activités et c’était quelque chose qu’elle appréciait sans savoir si elle avait simplement fini par être blasée de ce que proposait Londres. La ville était tout aussi animée, pourtant, tout était différent ici. Les protagonistes, notamment, dont l’un lui avait donné l’idée de participer à cette activité précise. Si Greta renouait avec son côté fleur bleue, elle restait sur ses gardes, pour son bien et celui d’Arthur. « On parie qu’elle va manger les craies au bout de combien de temps ? » Elle avait répondu aux sourcils froncés de Swann avec un haussement d’épaules avant de rire, profitant d’un moment un peu plus léger que le dernier avec lui. C’était quelque chose qu’elle avait toujours apprécié chez l’anglais, il était le genre d’ami disponible, qui associait les actes aux paroles. Il suffisait de lui proposer quelque chose pour qu’il fasse en sorte de se libérer et ce malgré un planning de kinésithérapeute, de papa et de mari d’acteur célèbre extrêmement chargé. C’était sa façon à lui de montrer son amour, parce que Greta n’était pas convaincue qu’il réussirait à le faire aussi bien que sa fille avec des craies sur le mur. Celle-ci était d’ailleurs déjà en train d’attraper plusieurs craies à la foie, venant aposer quelques gribouillis imprécis sur la fresque et c’est dans un geste presque maternel que Greta s’était baissée à son niveau pour lui montrer le chemin. A force de côtoyer la petite, elle était de plus en plus à l’aise avec elle et elle espérait que le contraire était vrai également. « Je vais dessiner un truc pour mon frère, je pense. D’ailleurs, les choses ont avancé avec Ginny ? » avait-elle demandé négligemment comme si le fait d’être accroupie à tenir la petite main de Robin pour l’accompagner dans son dessin en diminuerait la portée. De sa position, elle pouvait ainsi éviter le regard désapprobateur de Swann et briser le silence en remontant à son niveau si besoin. Le cœur que les filles avaient entrepris ressemblait vaguement à quelque chose mais restait extrêmement fade à côté des dessins déjà présents sur la fresque. Des déclarations ici et là, dans des polices travaillées, avec des grafitis représentant des visages, des animaux ou des paysages. Le thème était vaste et pouvait être interprété de bien des façons, mais devant ce mur de l’amour, le sourire en coin de la blonde n’était le résultat que d’un scénario bien précis qu’elle n’aurait jamais su anticiper. « Alors, comment tu comptes représenter ton amour pour Rory là-dessus ? » Une façon subtile de détourner l’attention de sa première question et de son air béat et de forcer Swann à attraper une craie.

« On parie qu’elle va manger les craies au bout de combien de temps ? »
« Au bout de jamais j’espère. »

(event peace & love ; brunswick street mall) Quand bien même Swann l’espère effectivement de tout son cœur, il sait aussi qu’il n’y a pas moins de chance que sa fille tente de manger ce qu’elle a dans sa main puisqu’il s’agit là de l’impulsion première de n’importe quel enfant. Leurs sens ne sont pas encore pleinement développés, ils sont donc forcés d’agir avec les moyens du bord, lesquels ne sont pas nombreux et se résument bien souvent à baver sur tout ce qu’ils peuvent. Tout est d’autant plus tentant pour Robin alors qu’ils sont entourés d’objets dont elle n’a pas forcément l’habitude et surtout d’un tas de murs sur lesquels elle a le droit de dessiner sans être grondée, et même en étant aidée dans son aventure. Autant dire que Swann craint déjà toutes les leçons qu’elle pourrait tirer de cette journée mais ne regrette pas pour autant de l’avoir conviée à ses côtés - parce qu’elle ne mérite évidemment pas d’être ailleurs. Qui plus est, elle profite aujourd’hui de l’aide de Greta dans ses méfaits, et c’est avec un regard particulièrement doux que l’anglais observe toute la bienveillance que son amie met à l'œuvre pour s’occuper de Robin. « Je vais dessiner un truc pour mon frère, je pense. D’ailleurs, les choses ont avancé avec Ginny ? » - « Tu vas lui dessiner quoi ? » Il s’intéresse à elle par automatisme, avant de se rendre compte qu’elle lui a surtout renvoyé la question. Il n’y avait simplement pas fait attention, à dire vrai - et aussi parce que le sujet n’est pas réellement pour l’arranger. Ginny n’est pas tabou, mais la période n’est pas la plus propice pour dépeindre la beauté de leur lien fraternel. « On a crevé l’abcès. Mais je crois qu’on va avoir besoin de temps. » Ils étaient à eux deux les cinq doigts de la main, avant, et retrouver ce lien unique est tout ce dont Swann a envie. Ce qu’il craint, c’est qu’une fois brisé il ne puisse exister à nouveau, et au-delà de le rendre particulièrement triste, cette idée le terrifie sincèrement. « Vu les circonstances, ça me semble normal. » Et tout dans le regard qu’il tend à Greta est un pas vrai ? à peine camouflé tant il a besoin d’être rassuré, sa crainte s’exprimant au travers d’un baiser qu’il pose sur le crâne de sa fille, lequel se garnit chaque jour un peu plus de mèches claires.

« Alors, comment tu comptes représenter ton amour pour Rory là-dessus ? » Il esquisse un sourire en coin à la simple énoncée du prénom de son mari, comme s’il était encore un amour adolescent impossible à obtenir ; comme s’il ne le retrouvait pas chaque jour après le travail, juste après l’avoir quitté chaque même matin. D’un ton plus bas, par pudeur habituelle, il reprend. « Je pensais juste à l’océan. Il adore ça. » Et Swann, de son côté, essaie encore de se renseigner sur comment s’approcher de la Grande Barrière de Corail sans la mettre davantage en péril, parce que ce serait le parfait cadeau pour fêter leur premier anniversaire de mariage et qu’il aurait une belle signification, au moins pour Rory. Et si son mari est heureux, il l’est tout autant. « Tu vas dessiner pour ton frère, toi, alors ? » Son frère et seulement son frère ? Il ne juge pas, loin de là, mais tel un bon ami, il s’informe au moins des évolutions de sa vie personnelle, bien que totalement privée. Après tout, Swann ne lui force pas la main : preuve en est, il est déjà à la recherche d’une craie bleue pour commencer son propre dessin, avec la certitude que Robin voudra y ajouter sa touche personnelle.

« Au bout de jamais j’espère. » Il n’avait pas tardé à ressortir de côté papa poule qu’elle aimait tant, et elle s’était contentée de répondre par un rire. « Tu vas lui dessiner quoi ? » « Ah mais faut dessiner un truc travaillé tu crois ? » avait-elle lancé, presque inquiète en constatant que le mur était couvert de jolis desssins, parfaitement exécutés et non pas de gribouillis que Robin réussirait à surpasser sans problème. « Je comptais juste faire un coeur… Je vais essayer de dessiner je sais pas, une tasse de thé et une cravate. » Si Greta était pleine de bonne volonté, sortant son téléphone pour chercher des modèles, elle était loin d’être convaincue que le résultat serait un succès. Et si ses talents en dessins étaient encore à prouver, il en était de même pour la subtilité dont elle semblait manquer cruellement lorsqu’il s’agissait des histoires personnelles de Swann. « On a crevé l’abcès. Mais je crois qu’on va avoir besoin de temps. » Ce n’était donc probablement pas pour elle qu’il dessinerait aujourd’hui. « Vu les circonstances, ça me semble normal. » Swann cherchait son approbation et un maigre sourire s’était dessiné sur les lèvres de la blonde. « Bien sûr, que ça l’est. Accordez-vous du temps et je suis sûre que tout finira par s’arranger. » Il était inutile de garder des rancoeurs et de se priver d’un membre de sa famille peu importe les raisons, mais c’était un point de vue bien trop subjectif pour qu’elle ne se décide à le partager clairement. L’endroit n’était pas celui de reproches, bien au contraire, les sourires sur les visages de chacun des artistes en herbe s’affairant devant le mur étaient de ceux qui redonnaient foi en l’Humanité.

Alors il avait été simple pour Greta de détourner l’attention de Swann en utilisant la carte de son mari dont il ne parlait jamais sans un léger sourire aux lèvres. « Je pensais juste à l’océan. Il adore ça. » « Et c’est bien plus simple à dessiner que mes idées… » Greta avait la fâcheuse tendance de rendre tout compliqué, même l’exercice le plus simple. « Tu vas dessiner pour ton frère, toi, alors ? » Accroupie devant le mur parce qu’il lui semblait logique de rester au niveau de Robin, Greta avait levé les yeux vers Swann comme pour vérifier si un sous-entendu se cachait derrière ses mots. Il n’était pas rare qu’il sache avant elle-même ce qu’elle comptait dire, et la question avait forcément dévié le cours de ses pensées. « Oui ? Je peux dessiner un truc pour Robin et toi aussi si je m’en sors avec ma première idée. Qu’est-ce qui vous représenterait tous les deux ? » Elle était ambitieuse, parce que sa tasse ressemblait plutôt à une cruche à eau qu’aurait tenté de créer un novice en céramique. L’écrivaine était concentrée, mais plus le motif avançait, plus elle réfléchissait à la façon dont elle avait exprimé son amour ces jours-ci et à celle dont Swann semblait la sonder. « Ou je peux tenter de faire une formule 1. Ou un drapeau à damier, c’est plus simple. » Il y avait fort à parier que Swann comprendrait où elle voulait en venir et à qui s’adresseraient ces dessins-là. C’était plus simple, d’utiliser la subtilité, surtout lorsque ces mots lui avaient échappé dans un moment où elle s’était sentie plus proche d’Arthur que jamais. Comme une adolescente, la blonde souriait à ce mur qui porterait bientôt les marques de quelque chose qu’ils s’attelaient à recréer.

« Ah mais faut dessiner un truc travaillé tu crois ? » - « Il est toujours temps de dessiner des carrés et des ronds et de te trouver un nom d’artiste. » Il se moque simplement avec un sourire au coin des lèvres, loin de penser du mal de ceux qui ne sont pas des artistes dans l’âme : il est très loin d’en être un à son tour, ce qui n’a rien d’une surprise. « Je comptais juste faire un coeur… Je vais essayer de dessiner je sais pas, une tasse de thé et une cravate. » Cette fois-ci, le blond n’ajoute rien. Il se contente de l’observer ouvrir son téléphone pour chercher des modèles et des inspirations, sans doute touché qu’elle cherche autant à bien faire, sans doute pour faire plaisir à Swann bien plus qu’autre chose. Après tout, ils n’ont rien à y gagner et, très rapidement, leur sujet de discussion va bien plus loin que des questions existentielles pour savoir ce que l’un ou l’autre s’apprête à dessiner. « Bien sûr, que ça l’est. Accordez-vous du temps et je suis sûre que tout finira par s’arranger. » Tout ce qu’il espère, c’est que se donner du temps ne produira pas l’effet inverse et ne les éloignera pas pour toujours, parce qu’il n’a aucune envie de perdre sa sœur pour une durée indéterminée, pas après l’avoir déjà perdu durant des années. Il sait à quoi ressemble son cœur vide. « J’espère. » Il souffle en même temps qu’il affiche un sourire triste, avant de se reprendre dès la seconde suivante. Ils sont là pour être heureux et pour profiter de la présence de l’un l’autre, rien de moins.

Curieux de nature, il finit par lui demander si Greta compte dessiner quelque chose en rapport avec son frère - ce qui est une question bien moins risquée que de lui demander si elle souhaite dessiner quelque chose au sujet d’Arthur, celui dont le nom est sur toutes les lèvres. « Oui ? Je peux dessiner un truc pour Robin et toi aussi si je m’en sors avec ma première idée. Qu’est-ce qui vous représenterait tous les deux ? » Il ouvre la bouche pour tenter de formuler ses idées à voix haute mais Greta le prend de court et pense déjà à autre chose - sa vivacité d’esprit fait définitivement sourire le blond, qui l’observe avec des yeux brillants, sincèrement reconnaissant de toujours compter dans sa vie une amie telle que Greta. Et de l’avoir retrouvée, surtout. « Ou je peux tenter de faire une formule 1. Ou un drapeau à damier, c’est plus simple. » Et à l’entendre parler de ces objets dont il comprend aisément la symbolique et surtout la personne à qui ils sont rattachés, il laisse son sourire se poser un peu plus longtemps sur son amie, ses doigts occupés à dégager la nuque des fins cheveux de Robin - cheveux qui tombent à peine sur sa nuque, par ailleurs. « Une inspiration soudaine, hm ? » Non, ils savent tous les deux que ça n’a rien de soudain, et bien loin de là. « Tu sais que s’il apprend un jour que t’as fait ça pour lui, son ego passera plus jamais les portes ? » Son ego passe déjà difficilement les portes, ce qui est une raison de plus pour qu’ils aient à s’en inquiéter. « Ça va mieux vous deux, j’en conclus ? » Ils ont toujours des hauts et des bas et même Swann peine à se tenir informé de ce qu’ils sont ou non, de ce qu’ils font ou non. Il est heureux de ne plus vivre ce genre de choses avec Rory, sans doute même un peu trop habitué à être pleinement heureux et sur son nuage. « Tu veux dessiner tonton Arthur toi aussi ? » Il demande à Robin, certain de ne pas avoir à lui souffler des idées supplémentaires pour qu’elle s’active à peindre le mur avec soin - quant à savoir ce qu’elle dessine réellement, c’est une autre histoire.

« Il est toujours temps de dessiner des carrés et des ronds et de te trouver un nom d’artiste. » « Concrètement, je peux signer Sighbury maintenant. » Elle avait haussé les épaules en s’étonnant encore elle-même de la façon dont elle avait surmonté une épreuve qu’elle aurait cru bien plus difficile à gérer lorsqu’elle n’était qu’à l’état de doute. Tout était devenu réel pour retomber finalement aussi vite et c’était un mal pour un bien. Son passage à vide semblait définitivement mis de côté et elle pouvait maintenant se concentrer sur ses amis, lui enlevant le poids de la culpabilité à l’idée de les avoir trop souvent délaissés. Et cela commençait par Swann et sa soeur. « J’espère. » Peut-être que la mécanisme de leur amitié fonctionnait de cette façon, lui bien trop évasif et elle désireuse de confier les moindres détails de sa vie. Si elle avait longtemps penser qu’il devait être las de l’entendre parler, Greta avait rapidement réalisé que cette position était bien plus confortable pour Swann.

« Une inspiration soudaine, hm ? » Ou plutôt le résultat de plus d’une année à apprendre à vivre à nouveau avec l’anglais dans les parages, et à bien y penser, les choses avaient énormément changé depuis leurs retrouvailles chaotiques. Alors bien sûr qu’elle avait ri à l’intonation volontairement sarcastique de son ami qui devait composer avec la manière presque enfantine de ses amis de gérer leur histoire lorsque lui se tenait là, couvant le résultat de sa propre histoire d’amour. « Tu sais que s’il apprend un jour que t’as fait ça pour lui, son ego passera plus jamais les portes ? » Greta avait haussé les sourcils - avait-il besoin de quoique ce soit de plus pour cela ? « Le mec qui a inventé l’arrogance a pas besoin d’aide, je t’assure. » S’il était toujours déplaisant d’évoquer Arthur de manière négative lorsqu’ils se retrouvaient seulement à deux, cette-fois, Greta appréciait de pouvoir jouer le jeu des taquineries parce que cela constituait un réel progrès. « Ça va mieux vous deux, j’en conclus ? » « Disons qu’à lui, je lui ai pas fait de dessin. » Ses dents s’étaient serrées et ses lèvres s’étaient tirées vers le bas pour les dévoiler : non, elle n’y était pas allée par quatre chemins lorsque le moment d’avouer ses sentiments lui avait semblé juste. « Il est pas parti en courant, donc oui, ça va mieux. » avait-elle complété, n’étant pas réellement sûre de ce que ses paroles changeraient dans leur relation. « Tu veux dessiner tonton Arthur toi aussi ? » Greta trouvait toujours une satisfaction à ce que Robin soit avec eux parce qu’il était impossible de trop s’attarder sur ses propres sentiments lorsqu’elle demandait tant d’attention. « Tonton Arthur, hin. » Le coup de coude qu’elle lui avait adressé le remettait face à la façon dont il avait traité ce tonton quelque temps auparavant, mais aucune rancœur ne l’animait alors qu'entendre Swann en parler ainsi avait amené un sourire attendri sur ses lèvres. Et plutôt que de continuer à tenter de déchiffrer les hiéroglyphes de la petite, Greta avait attrapé sa petite main pour dessiner un coeur et y tracer un A et un G. « Voiiiiiilà, tonton et tata. » avait-elle lancé avant d’éclater de rire à l’unisson avec Robin. « Bon sang ce que je suis niaise, je te jure que c’est parce qu’il y a Robin, me balance pas s’il te plait. » Un moment de légèreté, où elle profitait allègrement de toute la candeur de la petite fille.

« Disons qu’à lui, je lui ai pas fait de dessin. Il est pas parti en courant, donc oui, ça va mieux. » Il sourit tendrement. Il aurait été bien incapable d’anticiper la réaction d’Arthur dans un moment où quelqu’un qu’il aime en retour venait lui avouer ses sentiments. Il peut prétendre à anticiper ses réactions dans bien des cas, mais certainement pas celui-ci. « Tonton Arthur, hin. » Elle a encore en tête une époque bien plus sombre de leur amitié, et loin d’être éloignée du présent, et Swann ne peut pas lui en vouloir de ça. Il était le premier à penser qu’il ne retrouverait jamais son amitié de toujours avec l’anglais, et il continue de croire qu’il avait bien assez d’indices en ce sens pour que cela n’ait rien d’une psychose. Sa famille a besoin de stabilité et ce n’est pas vraiment la façon dont leur amitié peut parvenir à être résumé, malgré justement toute l’estime qu’il a pour son ami de toujours.

« Voiiiiiilà, tonton et tata. » Swann ne sait se retenir d’éclater de rire en voyant le dessin de son amie, aussi cliché qu’il le trouve attendrissant. Robin, elle, est simplement contente de laisser des couleurs sur le mur, peu importe leur signification. « Bon sang ce que je suis niaise, je te jure que c’est parce qu’il y a Robin, me balance pas s’il te plait. » - « Je veux bien dire que tu es niaise, mais n’utilise pas ma fille comme excuse. » Il rétorque dans un rire amusé, bien incapable de croire qu’elle se rend coupable de quelque chose dans cette histoire. « Rien à voir avec le fait que tu le regardes avec tes yeux d’amour depuis dix ans, évidemment ? » Il passe outre les années de silence et tous les chapitres de l’histoire qui ne sont pas pour l’arranger: Greta les a vécus elle-même, elle sait ce dont il est question et ils n’auraient rien à y gagner à remuer le couteau dans la plaie.

Retrouvant un peu plus de sérieux, il ajoute. « Ne t'inquiète pas, ton secret est bien gardé avec moi. » Il lui adresse un sourire complice. « En tout cas, ça fait plaisir de te voir heureuse. » Tout ce qu’il espère, maintenant, c’est qu’Arthur ne sera pas le premier à venir tout gâcher une fois de plus. « C’est le cas ? Ca te rend heureuse ? » Il y a tant de “mais” qui viennent lorsqu’on côtoie Arthur, en amour comme en amitié, que Swann ressent malgré lui le besoin d’avoir une réponse claire de son amie à ce sujet. Après tout, il peut aisément comprendre que leur ami commun n’est pas la personne la plus simple avec laquelle partager son quotidien, et il sait aussi que tout le monde ne veut pas donner son corps, son âme et toute son énergie dans une histoire d’amour qui n’a rien d’assurée. Par habitude, il dépose un baiser à l'arrière du crâne de sa fille, loin de l'oublier malgré la conversation dont elle ne fait pas partie.

Il était évident que les sourires en coin de Swann dissimulaient juste un brin de moquerie, parce qu’il était le mieux placé pour savoir dans quelle position se trouvait Arthur à ce moment précis. Si elle le savait également, Greta choisissait cependant de penser que l’aveu avait été accueilli avec un minimum de calme parce qu’il y avait eu des indices, ici et là, que quiconque aurait pu trouver flagrants sauf peut-être l’anglais lui-même. Peu importe le moment de l’annonce, Arthur aurait été brusqué, mais elle avait tâché de prononcer les mots dès qu’elle avait trouvé le moment opportun pour se libérer elle-même d’un poids devenu trop lourd à porter. L’écrivaine ne s’était pas attendue à une réponse, savait simplement que l’attitude d’Arthur suite à ses propos lui suffirait à comprendre où se positionner. Alors oui, à bien y réfléchir, ils allaient probablement bien lorsqu'ils étaient ensemble mais restait encore à comprendre ce qu’il en était individuellement.

« Je veux bien dire que tu es niaise, mais n’utilise pas ma fille comme excuse. » C’était légitime qu’il vienne prendre sa défense même sur le ton de la plaisanterie mais lui-même était capable de reconnaître qu’il était presque impossible de parler sans une voix mielleuse à Robin. « Rien à voir avec le fait que tu le regardes avec tes yeux d’amour depuis dix ans, évidemment ? » A cette remarque, elle s’était remise à sourire, à l’image d’une enfant dont on avait deviné le jeu. Dix ans. Ce point-là avait suffi à la déculpabiliser de se lancer à nouveau corps et âmes dans leur relation parce que ses bases demeuraient solides, malgré tout. « Ça aussi garde le pour toi mais, ouais, c’est le seul capable de me rendre comme ça. » Sans qu’elle ne comprenne réellement pourquoi et ce après l’avoir détesté et tant pleuré. « Ne t'inquiète pas, ton secret est bien gardé avec moi. » Elle se permettait d’en douter tant leur amitié était solide, mais savait à quel point Swann saurait respecter sa décision pour ne pas donner l’opportunité à Arthur de s’inquiéter davantage. « En tout cas, ça fait plaisir de te voir heureuse. » C’était un constat qu’elle n’avait fait que récemment, si elle n’était pas heureuse, elle avait au moins retrouvé une sorte d’accalmie dans son quotidien. « C’est le cas ? Ca te rend heureuse ? » « Je le suis quand je réfléchis pas trop. Quand je me mets à le faire, je pense que le mot qui me décrit le mieux c’est terrorisée. » Son sourire était un peu plus timide que les précédents, alors qu’elle ouvrait la brèche sur ses inquiétudes, celles qu’il était si simple de confier à Swann et pourtant impossible d’évoquer à Arthur. « J’arrive à un âge où j’aspire à quelque chose de concret et je suis pas sûre que c’est ce que j’aurais au final mais il parait qu’il faut prendre des risques dans la vie, ou un truc du genre ? » La grimace qu’elle avait ajoutée indiquait ses doutes quant à son affirmation parce que les risques dont elle parlait étaient d’une ampleur considérable. « Après tu te doutes bien que je réagirais pas comme ça s’il faisait pas de son mieux pour que je le sois. » Greta avait toujours été moquée pour son côté fleur bleue, mais ses amis s’étaient inquiétés de la voir le perdre alors Swann apprécierait de pouvoir la retrouver telle qu’elle était réellement. « Tu peux me le dire, que t’avais raison, Swann. Je le sais que t’en meurs d’envie. » avait-elle poursuivi en riant, parce qu’elle se souvenait qu’il lui avait proposé de tenter d’être autre chose que des amis lorsqu’elle avait évoqué leur réconciliation pour la première fois. Et comme d’habitude, Swann, qui campait le rôle d’observateur, avait eu une longueur d’avance sur eux. « Je suis même étonnée qu'il t'ait rien dit encore. A moins qu'il l'ait fait et que tu m'aies rien dit ? » Son sourcil s'était arqué comme pour le défier - difficile d'être l'élément central de ce trio. Mais Swann savait qu'elle ne réclamait aucune réponse qu'il était trop dangereux de donner, ils avaient toujours réussi à trouver un équilibre et ils ne le perdraient pas maintenant que les choses s'apaisaient enfin.

Le sujet d’Arthur a toujours été omniprésent dans la vie des deux amis, qu’ils soient en Angleterre ou en Australie. Aujourd’hui encore, rien n’a changé. « Ça aussi garde le pour toi mais, ouais, c’est le seul capable de me rendre comme ça. » Il le gardera pour lui, évidemment. C’est une idée qu’il ne pensait de toute façon pas partager, pour une infinité de raisons différentes qui sont pourtant siennes. Avec quelques mots, il rassure son amie sur ce point et, par la même occasion, sur la personne à qui va sa loyauté: sur ce point là, il n’y a pas qu’Arthur. Il garde des secrets pour l’un autant que pour l’autre sans cultiver de remords. « Je le suis quand je réfléchis pas trop. Quand je me mets à le faire, je pense que le mot qui me décrit le mieux c’est terrorisée. » Swann tire un sourire compréhensif en direction de son amie. Il comprend cette idée. Il sait que l’amour n’est pas un long fleuve tranquille, tout comme il sait que ce sentiment se mêle souvent à de nombreux autres. « C’est normal. » Il murmure doucement, ses doigts occupés à ramener en arrière les cheveux de sa fille qui pourraient venir l’embêter. Le sentiment est d’autant plus normal lorsqu’il s’agit d’être près d’Arthur, dont le quotidien est loin d’être facile à suivre, sans parler de ses changements d’humeur.

« J’arrive à un âge où j’aspire à quelque chose de concret et je suis pas sûre que c’est ce que j’aurais au final mais il parait qu’il faut prendre des risques dans la vie, ou un truc du genre ? » - « Donne-lui une chance. » Il en a déjà eu des dizaines et des dizaines, mais cette chance-là est différente et ils le savent tous les deux, bien assez pour que Swann ne ressente pas le besoin d’argumenter autour de son idée. La chance qu’elle doit lui accorder n’est pas seulement une chance pour Arthur mais bien pour eux et pour l’idée qu’il puisse justement exister un quelque chose au pluriel. « Tu peux me le dire, que t’avais raison, Swann. Je le sais que t’en meurs d’envie. Je suis même étonnée qu'il t'ait rien dit encore. A moins qu'il l'ait fait et que tu m'aies rien dit ? » Greta le menace presque et lui ne fait que lui répondre par un sourire en coin, bien décidé à ne pas lui apporter davantage de réponse. Il n’en pense pas moins au sujet de ses deux amis mais il continuera toujours à souhaiter leur bonheur, que cela soit ensemble ou séparés. C’est un point sur lequel son avis n’a pas autant d’importance que ce que Greta semble penser et vouloir acter. « Je ne parlerai qu’en présence de mon avocat. » Et il est plutôt évident que Robin, haute comme trois pommes, n’est pas encore en âge de remplir un tel rôle, si bien qu’il se concentre à nouveau sur sa fille pour continuer à peindre le mur face à eux, un exercice qu’elle semble particulièrement apprécier. « Allez, passe à autre chose. » Il conclut donc, lui faisant ainsi comprendre qu’elle n’a pas besoin d’attendre des réponses complémentaires de sa part tant ce serait une perte de temps. Tant qu'ils sont heureux, Swann l'est à son tour, et c'est tout ce qui importe.