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@LEWIS SIEDE & ATLAS

lieu: logements, bayside

Il aurait pu se débrouiller seul. Après tout, c’est ce qu’il faisait depuis ses dix-huit ans. Si l’armée n’avait pas eu que du positif sur sa vie, elle lui avait au moins appris à toujours trouver un plan B. Il savait gérer sa vie quotidienne sans jamais demander de l’aide à qui que ce soit. C’est bien ce qu’on lui reprochait parfois, qu’il était du genre à se renfermer dans sa bulle sans même réaliser que le monde extérieur pouvait l'épauler. Il avait tendance à retrouver ses vieilles habitudes depuis qu’on lui avait interdit de rejoindre la mission en cours. Il allait encore à la base, tous les jours, pour s’asseoir dans son bureau et regarder les heures défilées sans but précis. Avec tout ce temps libre sur les bras, il aurait très bien pu se débrouiller seul. Ce n'était qu’un vêtement à repriser après tout. Une chemise en particulier, celle de son uniforme. Celle qui ne voulait pas laisser échapper, qu’il refusait de laisser au service de blanchisserie de la base, terrorisée à l’idée qu’on ne lui rende jamais. Atlas s’attachait au moindre objet qui le renvoyait à sa carrière. Il ne voulait rien laisser s'échapper, refusait l’idée même qu’on le remercie, même si tout tendait à croire que plus jamais il ne serait en capacité de remettre les pieds dans un hélicoptère. Un capitaine ne pouvait déclencher une crise d’angoisse au simple bruissement des pales en action. Il le savait, il en avait parfaitement conscience. Cela ne voulait pas dire qu’il était prêt à tout lâcher, pas encore. Atlas avait besoin de temps. Et par conséquent, il avait besoin de sa chemise, avec tous les boutons et sans cet accroc à la manchette.

Incapable de coudre pour sauver sa vie, Atlas n’avait qu’une seule solution. La maison familiale. Et plus exactement, demander à sa mère de lui venir en aide. Elle allait poser des questions, il le savait. Est-ce qu’il avait eu cet entretien avec ses supérieurs ? Est-ce qu’il continuait à se rendre en thérapie ? Et quand est-ce qu’elle allait enfin pouvoir venir voir son nouvel appartement ? Il était prêt à endurer tout cela, parce que sa mère s’inquiétait encore pour lui, à son grand âge. Et peut-être aussi parce que son rendez-vous de la veille avait été particulièrement éprouvant et qu’Atlas n’avait pas à cœur de se retrouver seul dans son appartement. Cela faisait peut-être de lui un enfant, mais personne ne pourrait venir réfuter sa théorie. Il n’existe rien de mieux qu’un moment partagé avec un être cher. Et il avait besoin de cela, qu’elle le couve encore un peu, même s’il avait pris son indépendance vingt ans auparavant.

C’est comme ça qu’il s'était retrouvé à pénétrer dans la maison familiale sans même prendre le temps de sonner. Cette maison restera toujours la sienne, qu’importe s’il n’avait pas dormi sous ce toit depuis des années. « Maman ? » Elle ne se trouvait pas dans la cuisine. En traversant le salon, il entendit les outils de son père, en action dans le garage et un sourire se dessina sur ses lèvres. Il irait voir plus tard ce que ce dernier était en train de fabriquer. Continuant son exploration de la maison, Atlas finit par croiser la silhouette de son petit frère. Lewis aussi semblait chercher quelqu’un et c’est pratiquement en même temps qu’ils aperçurent la silhouette de leur mère tranquillement installée dans le jardin, un livre à la main. Soudainement, il n'était plus question d’agir comme des adultes. Atlas était plus proche de la baie vitrée et même si sa jambe lui hurlait que tout cela était une mauvaise idée, il se précipita sur le patio et descendit les marches qui menaient à la pelouse à toute vitesse. Lewis était juste derrière lui, il pouvait l’entendre grommeler. Mais il fut le premier arrivé. « T’attendra ton tour, LewLew. » Il adressa un sourire victorieux à son petit frère alors que leur mère leva les yeux de son livre pour soupirer, prête à lui rappeler qu’il était l’aîné dans cette situation. « Mais je suis arrivé avant ! » Un enfant qui se retenait désespérément de ne pas s’asseoir sur le transat de sa mère. Il avait réveillé sa douleur en courant comme un abruti. « Laissez-moi finir mon chapitre ! » Bien sûr, qu’elle n’allait pas laisser tomber sa lecture pour ses deux fils pleinement adultes. Et bien sûr, qu’il ne restait qu’un siège à ses côtés et qu’Atlas se précipita dessus. À une autre époque, il aurait affirmé qu’il fallait laisser la place aux infirmes, aujourd'hui, il n’avait aucunement envie de plaisanter sur sa propre situation. « T’es pas censé travailler à cette heure-ci ? » Un jour de semaine, en début d’après-midi, bien sûr qu’Atlas allait endosser son rôle de grand-frère et interroger Lewis. Il attendait la réponse de ce dernier avant de tout de suite lui demander si tout allait bien. Sa relation avec son petit frère se voulait un peu amochée depuis quelque temps, mais Atlas n’arrivait pas à comprendre ce qui tenait Lewis autant éloigné de lui alors qu’il continuait à agir comme il l’avait toujours fait : faire d’un rien une compétition idiote.

Peu importe les aventures qu’ils souhaitaient vivre et les obstacles qui se dressaient sur leurs chemins, la fratrie Siede revenait toujours au même point à un moment ou à un autre. Un message de sa mère avait suffi pour que Lewis trouve un créneau dans son emploi du temps, ou plutôt, qu’il ne le fasse coïncider de façon à pouvoir venir lui rendre service. Après tout, lorsqu’il venait simplement parce qu’il en avait assez de la solitude ou qu’il souhaitait retrouver la cuisine de sa mère, il était toujours bien accueilli. Difficile donc de refuser quoique ce soit à ses proches, cela n’avait rien d’un devoir mais était plutôt l’illustration de la relation étroite qu’il entretenait avec eux. Sur place, il s’était réfugié dans le bureau de la maison pour terminer le rapport de sécurité d’un des clients qui avait fait appel à ses services. C’était la partie qu’il détestait le plus, il ne s’agissait plus là de fouiller les moindres recoins d’un site internet et de jouer avec l’ensemble des codes mais de rédiger de manière claire et précise le processus et les apprentissages. Il n’avait jamais été doué avec les langues ou les mots et avait donc espéré que changer de lieu de travail l’aiderait à se concentrer et à trouver la motivation de mettre le point final à cette mission là. Pourtant, après quelques minutes seulement assis devant son écran, Lewis s’était intéréssé au clavier d’iPad que lui avait confié sa mère. Comme un enfant recevant son cadeau le jour de Noël, il avait cherché à résoudre le mystère qui n’en était finalement pas un… Victorieux même si légèrement frustré de n’avoir été occupé que quelques secondes, Lewis avait descendu les escaliers pour rejoindre sa mère. Il ne l’avait pas trouvée directement et, à la place, s’était retrouvé nez à nez avec Atlas. « T’attendra ton tour, LewLew. » Si sa mère avait levé les yeux au ciel de voir Atlas se comporter comme un enfant, Lewis, lui, avait plutôt réagi au surnom. « Mais je suis arrivé avant ! » Et il se demandait justement depuis combien de temps il était arrivé, ne l’ayant pas entendu entrer. Au final, ce n’était pas important, ils étaient tous chez eux et c’est cette possibilité de pousser la porte lorsque cela leur convenait qui rendait les lieux aussi chaleureux. Lewis avait croisé les bras avant de donner un coup au bras de son frère. « Oh t’as quel âge ? Et m’appelle pas comme ça Atlas ! » L’autorité de leur mère, toujours aussi présente malgré l’âge de ses enfants, avait rapidement remis de l’ordre auprès des deux frères. « Laissez-moi finir mon chapitre ! » Quelques années auparavant seulement, Lewis aurait encore pris le temps de désigner son frère comme le seul coupable en criant l’un de ses fameux mais j’ai rien fait! Aujourd’hui, pourtant, il avait la maturité pour comprendre à quel point la demande de tranquillité de sa mère était légitime : elle les avait supportés bien trop longtemps.

Et sans répondre, le militaire s’était précipité pour s’installer sur l’unique place libre à côté de sa mère, laissant l’amusement prendre le dessus sur l’énervement chez Lewis. Certaines choses ne changeraient jamais. « T’es pas censé travailler à cette heure-ci ? » avait-il demandé à un Lewis posté devant eux, les bras croisés. « Freelance, télétravail, c’est des mots qui te parlent ? » avait-il répondu spontanément, continuant dans le ton de la provocation qu’avait choisi Atlas. Il n’y avait aucun reproche quant à la capacité de son frère à comprendre ce qu’il faisait réellement de sa vie, bien évidemment, pas quand celui-ci avait la circonstance la plus atténuante possible. Non, Lewis ajoutait simplement à l’humeur ambiante, préférant voir son aîné se montrer taquin que sombre et secret comme il l’était souvent depuis son accident. « Je suis venue aider maman pour un truc j’en ai profité pour finir le rapport que je devais faire. » Inutile d’entrer dans tout le charabia qu’était son métier pour ses proches. « Elle s’est achetée un nouveau clavier pour son iPad et elle trouvait pas le point d’exclamation, t’y crois toi ? » avait-il ajouté dans un rire avant de s’approcher de son frère et se poster à côté de lui, peu sûr de la façon de se comporter en sa présence. Leur mère les obligeait à attendre patiemment, ensemble, alors qu’ils apprenaient encore à vivre avec leur tout nouveau lien, bien moins solide que celui qu’ils avaient avant. Voyant sa mère relever le nez de son livre pour lui lancer un regard noir en l’écoutant oser se moquer d’elle, il avait haussé les épaules avant de se tourner à nouveau vers Atlas.  « Je savais pas que t’avais prévu de passer. » La question ne serait pas posée directement, Lewis ayant appris à marcher sur des œufs avec l’ancien pilote, mais elle était largement sous-entendue. Il ne savait pas qu’il serait là, tout comme personne chez les Siede n’avait la moindre idée de ce qui remplissait les journées d’Atlas.

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« Oh t’a quel âge ? » Une part de lui était tentée à l’idée même de lui tirer la langue. Très mature, certes, mais n'était-ce pas le lot de toutes les relations fraternelles ? « Et m’appelle pas comme ça Atlas ! » Il ne sut retenir un léger éclat de rire. Lewis n’avait jamais apprécié que l’on cherche à transformer son prénom en un surnom. En réalité, Atlas ne le faisait quasiment jamais, mais il existe bien des exceptions à la règle. « Et on respecte ses aînés. » Cette fois, c’est leur mère qui étouffa un rire sarcastique. D'accord, peut-être qu’Atlas jouait un peu trop avec les limites, mais il avait simplement envie de taquiner son petit frère. Comme si personne n’avait quitté la maison et que ce genre de scène pouvait encore se dérouler de manière récurrente.

Ils avaient pour ordre de se faire discrets, cantonés à devoir attendre l’attention de leur mère. Atlas n’allait pas s’enfermer dans son silence. Il s'était promis de faire plus d'efforts avec les siens. Et cela commençait par s’intéresser à la journée de Lewis. « Freelance, télétravail, c’est des mots qui te parlent ? » Il ne put s’empêcher de lever les yeux au soleil avant de prendre une petite voix chevrotante telle un vieillard. « Qu’est-ce qu’il dit le petit jeune ? » Il se moquait sans but de blesser, cherchant à retrouver la manière dont ils avaient toujours eu l’habitude de se taquiner en grandissant. Ce n’était que de bonne guerre, après tout. « Je suis venue aider maman pour un truc, j’en ai profité pour finir le rapport que je devais faire. » Il hocha la tête, oubliant que son frère avait pour habitude de ne pas s’enfermer dans un bureau. Ils avaient ce point en commun. Si Lewis adorait ses ordinateurs, il n’était pas du genre à se cantonner à un seul lieu de travail. Atlas haïssait plus que tout au monde de se retrouver cloué à une chaise de bureau. « Elle s’est achetée un nouveau clavier pour son iPad et elle trouvait pas le point d’exclamation, t’y crois toi ? » Il n’eut pas besoin de tourner la tête pour savoir que leur mère venait de réprimander Lewis avec un regard qui se voulait assassin. Il ne put s’empêcher de rire avant de sourire à la femme qui les avait élevés. « T'inquiète, maman, je maîtrise pas des masses non plus. » Les ordinateurs, le charabia de la nouvelle génération, les réseaux sociaux, très peu pour lui. Il avait essayé de s’intéresser à tout ce que Lewis avait pour habitude d’expliquer, mais le seul sujet sur lequel il arrivait encore à la suivre, c’était les jeux vidéo. « Je savais pas que t’avais prévu de passer. » Il prit soin de ne pas relever la délicatesse que Lewis cherchait à mettre dans le moindre de ses mots, préférant hausser des épaules. « Je le savais pas y’a une heure non plus. » Après tout, cela faisait bien longtemps qu’il avait arrêté de planifier ses journées. « Mais j’ai le temps et puis… J’ai besoin que maman fasse un peu de couture. » Et cela lui valut un regard rien que pour lui. « C’est pas pressé, t’en fais pas. » Qu’il s’empressa d’ajouter. Après tout, ce n’est pas comme s’il allait participer à la moindre cérémonie dans les jours à venir. Mais Atlas n’avait pas envie de penser à cela, il était venu se réfugier dans la maison familiale, ce n’était pas pour passer en revue sa vie qui s'écroulait tout autour de lui. « T’as encore ta Play ici ? » Il préférait passer un peu de temps avec Lewis, si ce dernier le voulait bien. « On se fait une partie ? » Cela faisait si longtemps qu’il n’avait pas pris le temps de proposer cela à son frère.

S’il s’était senti légèrement mal à l’aise en croisant son grand frère alors qu’il ne s’y était pas préparé, Lewis trouvait finalement du réconfort en le voyant se comporter comme avant. Comme si Atlas avait décidé de mettre sa mélancolie et son amertume de côté, ou que ces deux sentiments étaient restés sur le pas de la porte de la famille Siede parce qu’ils n’y avaient pas leur place. Lewis avait pris quelques instants avant de retrouver leurs vieux réflexes, s’assurant de s’accorder au rythme d’Atlas mais maintenant qu’elle était installée, cette bonne humeur ambiante était rafraîchissante. « Et on respecte ses aînés. » Le petit frère était obligé de rire en le voyant agir ainsi et en voyant sa mère pouffer à côté d’eux. Il savait qu’elle aussi appréciait de retrouver la complicité de ses fils, aussi relative et éphémère serait-elle. « Qu’est-ce qu’il dit le petit jeune ? » Son imitation d’une personne âgée était ridicule, venant souligner l’écart d’âge entre les deux frères. Ce n’était pas tant ce point là qui empêchait Atlas de savoir ce qu’il faisait réellement de sa vie, mais plutôt la distance qu’il avait décidé de mettre entre eux et toute sa famille depuis l’accident. Le moment était mal venu pour penser à cela, le cadet ne pouvant jamais en vouloir réellement à son aîné et étant plutôt décidé à profiter de ce moment d’accalmie sans savoir combien de temps il durerait. Et bien sûr que cette dynamique incluait un moment à taquiner leur mère, en venant expliquer à Atlas la raison de sa présence ici tout en la regardant par-dessus son épaule avec un rire moqueur. « T'inquiète, maman, je maîtrise pas des masses non plus. » « T’es pas obligé de jouer les fayots, t’as passé l’âge. » La blague était trop simple, trop récurrente, mais elle faisait partie de leur relation depuis toujours et il comptait bien reprendre doucement les choses là où ils les avaient laissées si Atlas lui en donnait l’occasion.

Ils ne prévenaient jamais leurs parents avant de venir, ils n’avaient pas besoin de s’annoncer dans une maison qui était encore la leur, mais avaient pris l’habitude d’avertir leurs frères et soeurs. Atlas ne l’avait pas fait, et Lewis avait été obligé de le souligner parce qu’il était plus simple pour lui de se préparer avant de se retrouver face à son grand frère. « Je le savais pas y’a une heure non plus. » Il avait levé le menton avec un léger sourire, sa dernière volonté étant de laisser l’impression au pilote qu’il n’était pas content de le voir. Il l’était, il avait juste énormément de mal à le voir être devenu un presque étranger. « Mais j’ai le temps et puis… J’ai besoin que maman fasse un peu de couture. » Lewis aurait dû continuer sur les plaisanteries, en indiquant à son frère qu’il avait passé l’âge de demander ce genre de service à sa mère et qu’il pouvait se débrouiller seul mais il s’était abstenu, sachant que tout cela aurait sonné étrangement faux. Sans qu’ils ne les aient fixées ensemble, les deux frères connaissaient les limites de chacun et Lewis les aurait probablement dépassées en blaguant sur la façon dont Atlas avait besoin de leur mère. « C’est pas pressé, t’en fais pas. » avait-il lancé à sa mère qui s’inquiétait déjà de devoir abandonner sa lecture pour s’occuper des vêtements de son fils, comme s’il était encore l’homme pressé d’avant l’accident. Un léger silence s’était installé alors que chacun des trois membres de la famille pensait probablement à tous les non-dits et au poids que représentait encore la perte de mémoire d’Atlas pour eux tous mais surtout pour lui.

« T’as encore ta Play ici ? » Le front de Lewis s’était plissé alors qu’il réfléchissait à où pourrait se trouvait sa vieille console. Il avait pris l’essentiel de ses affaires personnelles et de ses jeux vidéos dans son appartement, mais certaines choses avaient du rester ici, faute de place. Et pour pouvoir toujours se raccrocher à son passé lorsqu’il revenait ici. « On se fait une partie ? »  « Je veux bien mais ça va être à l’ancienne… » avait-il commencé en regardant son frère avec un sourcil arqué. « Ça te laissera peut-être une chance de gagner, quoi. » Et sur ces mots il s’était empressé de courir dans les escaliers menant jusqu’à sa chambre pour aller brancher la console, essuyer le disque de jeu et le mettre dedans en espérant qu’il démarrerait sans trop de problème. Ils s’étaient assis sur le bord du lit, face à l’écran de chargement, et Lewis cherchait les bons mots. « C’est sympa de te voir. » avait-il commencé, son visage ne bougeant pas mais ses yeux jaugeant en coin les réactions d’Atlas. « J’ai revu Kendall et Shiloh. » Il ne savait pas réellement pourquoi il avait posé cette information là, mais il aimait parler de certains aspects de sa vie pour réussir à comprendre où se situait la mémoire de son frère sans lui demander clairement. Et l’idée de commencer par parler de lui rendait la seconde question plus légitime. « Et toi alors, t’as bien des trucs à me raconter pendant que je t’apprends à jouer ? » Il faisait de son mieux pour que tout paraisse naturel, cherchant à discuter tout en laissant une échappatoire à un Atlas qu’il ne valait mieux pas contrarier ces temps-ci.

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« T’es pas obligé de jouer les fayots, t’as passé l’âge. » La blague se voulait des plus spontanées et naturelles, lui arrachant un éclat de rire des plus sincères. Du coin de l’œil, il avait aperçu la mimique de leur mère. Fatiguée d’entendre les mêmes disputes depuis une trentaine d'années, mais probablement heureuse de voir ses fils se parler sans reproche ou sans silence prolongé. Ce n’était pas arrivé depuis si longtemps, une telle spontanéité entre eux. Cela pouvait apparaître comme trois fois rien, mais une simple interaction pouvait véhiculer une dizaine d’excuses et toute une proposition de faire mieux. Atlas n’a jamais été le plus loquace de la famille, habitué à obéir aux ordres ou à les donner, il n’était pas le plus bavard. Il n’était pas celui qui allait engager une longue conversation profonde, mais il avait sa manière de faire avec son frère. Il n’était pas nécessaire de s’attarder sur des futilités quand il pouvait tout simplement profiter de la présence de Lewis pour lui proposer une partie de jeux vidéo. Comme au bon vieux temps, quand petit Lewis squattait constamment sa console de jeux et qu’il cherchait désespérément à trouver un adversaire dans son aîné. Atlas n’était pas un grand fan de tout cela, il perdait trop rapidement patience pour réellement aider Lewis à franchir ses niveaux, mais il maîtrisait assez son esprit logique pour observer le jeu et lui donner des pistes de réussite. « Je veux bien, mais ça va être à l’ancienne… » - « T’as peur de perdre ? » C’était un peu devenu leur truc à eux, leur manière de se retrouver lorsque Atlas se retrouvait en permission sur le territoire et qu’il avait du temps à accorder à son frère. Parfois, il fallait commencer par les choses les plus simples. « Ça te laissera peut-être une chance de gagner, quoi. » Il leva les yeux au ciel, le grand frère ennuyé par le plus jeune, mais amusé par la situation, malgré tout.

Lewis est parti en trombe, sans demander son reste. Le militaire mit un temps fou à sortir de sa position bien trop basse pour que sa jambe ne lui fasse pas comprendre. Il était lent, il n’était plus aussi vif qu’avant et sentir le regard de sa mère lui vriller le dos n’aidait en rien dans la situation. « C’est bien que tu passes un peu de temps avec lui. » Bien sûr qu’elle avait son avis à donner, la matriarche qui veille sur ses petits. Il n’allait pas lui en vouloir, conscient de ne pas avoir été le plus attentif envers les plus jeunes. Atlas s’était rendu indisponible, consciemment, sans réellement prendre en compte l’impact que cela pourrait avoir sur le reste de sa famille. Il s’en voulait, mais à l'époque, il n’avait pas su réagir autrement. Avec ses blessures et la fin, désormais inévitable, de sa carrière, il ne lui reste plus que de la colère à transmettre. Une colère qu’il se refusait de diriger envers sa fratrie. Conscient de ses limites, il avait imposé une distance avec l’ensemble de sa famille, et il ne lui restait plus qu’à ramasser les morceaux désormais. Lentement, sans éclaboussure, pour bien faire, pour ne pas fauter une fois encore.

Il l’attendait assis sur son lit, une manette à la main et un léger sourire aux lèvres, mais nerveux malgré tout. « Je cours plus aussi vite que toi. » Est-ce qu’il était temps de faire des blagues sur son état? Il n’était jamais sûr de cela, parfois il n’en avait rien à faire, d’autres jours, il pourrait tout casser dans la pièce à l’idée de se sentir aussi diminué. C’était un jeu dangereux, mais une main tendue vers Lewis qui paraissait si nerveux de se retrouver seul avec lui. « C’est sympa de te voir. » - « Ca faisait trop longtemps. » Il en avait parfaitement conscience, malheureusement. Mais il ne put s’empêcher de sourire en voyant le jeu que son frère venait de lancer à l’écran. Les vieilles habitudes ne se perdent pas tant que cela il faut croire. « J’ai revu Kendall et Shiloh. » Oh. Ce n’était pas anodin pour que Lewis en parle aussi spontanément. S’il avait un plutôt bon souvenir de la terreur que pouvait être Kendall Harding, il lui fallut une seconde pour reconnaître le second prénom. Avant de sourire tel un idiot. « Shiloh? La petite blonde qui était toujours collée à vous? » Il se souvenait maintenant. La demoiselle qui avait tendance à faire sourire Lewis et qui le faisait également rougir plus que de raison. « Comment ils vont ? C’est sympa que vous soyez toujours en contact. » Après tout ce temps, ce n’était parfois pas le plus simple. Il en savait quelque chose.

« Et toi alors, t’as bien des trucs à me raconter pendant que je t’apprends à jouer ? » - « Déjà, tu vas rien m’apprendre du tout ! » Est-ce que Lewis allait tuer son personnage en moins de trois secondes ? Oui, très probablement, mais Atlas n’allait pas se laisser faire aussi facilement. Et que raconter surtout ? Qu’il allait définitivement perdre son poste ? Non, Lewis n’avait pas besoin de savoir cela, pas pour le moment. Que son psy lui avait définitivement diagnostiqué une dépression plus ou moins sévère ? Non, ce n’était pas un sujet très joyeux. Alors, Atlas évoqua la seule chose qui lui vint à l’esprit. « Je vais adopter un chien ! » Cela sera suffisant pour entretenir la conversation, pas vrai ?

Il était évident que les frères Siede n’allaient pas crever l’abcès et prendre le temps de longues discussions autour de ce qui les avait déchirés. Atlas avait eu un accident, il n’était plus le même et faisait de son mieux pour remonter la pente malgré la façon dont ses proches pouvaient parfois crier à la mauvaise volonté. Il n’y avait rien de plus à dire, et ce peu importe combien la fratrie et les parents de l’ancien pilote souhaitaient l’entendre se livrer, comme si cela le forcerait à aller mieux plus rapidement. Lewis était le premier à vivre avec beaucoup de difficulté le mutisme de son grand frère mais il l’aimait assez pour le laisser avancer à son rythme, sans le brusquer. Il se contentait de lui ouvrir la porte, quand l’opportunité se présentait, parce qu’il viendrait peut-être un temps où il souhaiterait discuter.  S’il avait toujours été un exemple, il ne pouvait pas cautionner de le voir tout enfouir, mais le respectait assez pour faire avec sans jamais s’en agacer. Difficile, dans tous les cas, d’en vouloir à ce grand dadet qu’il était et qui s’autorisait pas à pas à reprendre le chemin de choses simples : des taquineries avec son frère, un moment de complicité avec sa mère, une partie de jeux vidéos. Finalement, le retour à la réalité tenait à peu de choses, et Lewis espérait que ce serait à travers de toutes ces futilités que son frère retrouverait peu à peu le sentiment d’appartenance dans un monde qu’il avait été forcé de mettre de côté durant un laps de temps assez long pour l’en déconnecter. « T’as peur de perdre ? » Il y avait du positif à tout cela, l’arrogance de l’aîné devenait le signe qu’il allait mieux et non plus une raison pour Lewis de se sentir vexé ou amoindri. Il avait donc adressé un sourire provocateur à son frère, signalant à quel point il était prêt à le défier. Avant de partir et dévaler les escaliers, il avait pu voir sa mère retenir un instant Atlas pour lui glisser quelque chose, discrètement. Un sourire s’était dessiné sur son visage de les voir là, elle heureuse de constater que ses fils reprenaient leur lien là où ils l’avaient laissé.

« Ca faisait trop longtemps. »
« Je te manquais hin ? »

Lewis avait cessé d’être lui-même durant trop longtemps et il appréciait de pouvoir à nouveau jouer l’ami stupide et agaçant pour Shiloh, partager une bière et refaire le monde avec Kendall ou tout simplement tenter de pousser son frère à bout. Son humeur dépendait d’eux tous, et il réalisait à quel point il ne pouvait fonctionner sans eux, assez pour mentionner le nom de ses deux amis à un Atlas qui mélangeait encore parfois le passé et le présent, le vrai et le faux. « Shiloh? La petite blonde qui était toujours collée à vous? » Lewis avait hoché la tête, ravi que la partie ait commencé pour lui permettre de fixer l’écran et tenter de ne pas montrer tous ces signes évidents qu’il laissait entrevoir lorsque l’on parlait de Shiloh. Nathan avait été le seul pour l’instant à s’en rendre compte, et si Atlas avait oublié les confidences de son frère à ce sujet, il le connaissait probablement assez pour lire son visage comme un livre ouvert. « Comment ils vont ? C’est sympa que vous soyez toujours en contact. » Il n’avait pas pu s’empêcher de grimacer, il ne l’avait plus ennuyé avec ses soucis, ne lui avait donc pas indiqué - une nouvelle fois - qu’ils avaient tous les deux rompu le contact. « Ca fait partie des choses que je t’avais dites, on se parlait plus justement depuis qu’ils avaient quitté Brisbane, ils viennent de revenir. » Il ne lui en voulait pas le moins du monde, cela aurait été idiot, il cherchait simplement à tenter de raviver certains souvenirs chez son frère. Alors, lors des rares moments où ils discutaient, Lewis n’hésitait pas à lui indiquer les choses déjà évoquées ou non, comme pour tenter de lui indiquer que leur lien à eux ne s’était à l’inverse jamais réellement rompu.  « Kendall a perdu son papa, on s’est revus là-bas avec lui et Shiloh. » Il avait soupiré en repensant à ce moment mais l’avait vite balayé, ne voulant pas que son frère s’inquiète plus que de raison.  « Mais ça va, je fais au mieux pour le soutenir. Et Shiloh est devenue styliste. » Un sourire en coin s’était dessiné sur ses lèvres en prononçant ces mots tout haut. Et puisqu’ils en étaient là, il avait tenté de faire parler Atlas, lui laissant cette opportunité au cas où il en ressentirait le besoin. « Déjà, tu vas rien m’apprendre du tout ! » Ils avaient partagé un rire qu’il avait espéré être le préambule de confidences qui n’avaient finalement pas eu lieu. « Je vais adopter un chien ! » . « Sérieux ? Quoi comme chien ? » avait-il demandé, étonné mais heureux de le voir se lancer dans quelque chose d’aussi concret. Lewis s’agitait sur sa manette, grommelant entre deux phrases alors que son frère semblait lui aussi laisser parler ce qu’il ne voulait pas dire au travers du jeu. Et à en croire ce qu’il se passait sur l’écran, il semblait encore dissimuler une certaine colère. . « Tu vas pas me demander de jouer les dog-sitters hin ? » Il avait enfin décoller son visage de l’écran pour adresser un regard faussement suspicieux à son frère, ils savaient tous les deux à quel point le rôle lui conviendrait si c’était le cas.  « Si tu me parles de ton futur chien j’en déduis que c’est parce que t’as pas envie de me dire comment tu vas, hin ? » Il le détesterait quelques temps pour cette question, mais le pire serait qu’il refuse de répondre ou s’en aille, ils étaient frères, leur lien ne serait jamais brisé par une maladresse de Lewis.

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« Je te manquais hin ? » La question se voulait innocente, comme deux frères qui se chamaillent sans cesse. La réponse la plus automatique aurait été de lui dire que non. Pas par méchanceté, mais pour renforcer cette taquinerie qui était la leur depuis toujours. Mais Atlas n’avait pas le cœur de jouer à ce jeu-là, pas aujourd’hui, pas alors qu’il pouvait voir que Lewis se raccrochait aux moindres miettes de son attention. « Ouais. » Bien sûr qu’il lui avait manqué, qu’il avait été difficile de ne plus trouver la force de se connecter avec sa famille. C’est toujours aussi compliqué, aujourd’hui est un bon jour, mais peut-être que demain toute son énergie sera challengée pour ne serait-ce que sortir de son lit. Ce n’est pas quelque chose qu’il allait admettre auprès de son petit frère, mais il pouvait tout de même prendre le temps d’apprécier cet instant avec lui. Aucun autre membre de la fratrie n’allait se pointer par surprise, il en était certain. Son attention toute entière était dirigée vers son petit frère, celui qui osait à peine le regarder plus que quelques secondes et qui utilisait son jeu vidéo comme une distraction.

Qu’importe sa concentration, Atlas savait d’avance qu’il allait perdre. Alors autant utiliser son attention pour tenter de capter la moindre réaction émanant de Lewis. Comme le petit sourire en coin qui cherchait à se pointer sur ses lèvres alors qu’il mentionnait la jeune Shiloh. Il se souvenait d’elle, une petite blonde, toujours collée aux deux bras cassés et qui cherchait parfois à les ramener dans le droit chemin. Elle était toujours polie lorsque Atlas était celui qui venait les chercher à la fin d’une soirée et elle avait toujours fait un effort pour discuter un peu avec lui alors que les deux autres se marraient comme des loutres à l’arrière. « Ça fait partie des choses que je t’avais dites, on se parlait plus justement depuis qu’ils avaient quitté Brisbane, ils viennent de revenir. » Il fronça les sourcils, fouillant sa mémoire à trou, conscient que rien ne changerait le fait qu’il avait oublié. À combien de reprises est-ce que Lewis avait mentionné cela ? À quel point avait-il été affecté par le départ de ses meilleurs amis ? Cela s’était sûrement produit à la fin de leurs études ? Pile dans la période qui n’était qu’un flou artistique pour Atlas désormais. « Désolé Lewis. » Il était inutile de s’excuser, mais il ne pouvait guère faire autrement. « Kendall a perdu son papa, on s’est revus là-bas avec lui et Shiloh. » Ils se sont retrouvés lors d’un enterrement ? Si cela se voulait être original, c’était un peu glauque également, mais il préféra retenir son commentaire. « Mais ça va, je fais au mieux pour le soutenir. Et Shiloh est devenue styliste. » Il ne doutait pas un seul instant que son petit frère ferait tout pour être présent pour son ami. C’était dans sa personnalité à Lewis, de faire attention aux autres. « Et elle a un copain, cette fameuse Shiloh ? » Il était bien obligé de demander. Il ne pouvait faire comme s’il n’avait pas vu le visage de son frère changer dès qu’il prononçait le prénom de la jeune femme. C’était déjà comme ça à l’époque du lycée, il s’en souvient parfaitement. À défaut d’autre chose.

Et bien sûr que Lewis allait vouloir tourner la conversation dans sa direction. Ils n’étaient pas frères pour rien, ces deux-là. Parler d’eux, un peu, mais pas trop non plus. Le souci étant qu’Atlas n’avait clairement pas l’intention de détruire l’ambiance avec la noirceur de ses pensées. Alors il fit usage de la ruse, la plus simple qui soit, pour détourner l’intention de son frère. « Sérieux ? Quoi comme chien ? » - « Un berger allemand. » Il avait encore quelques papiers à remplir avant de pouvoir ramener le chien chez lui, mais la machine était lancée et, bizarrement, il n’avait plus l’intention de faire marche arrière. « Tu vas pas me demander de jouer les dog-sitters hin ? » Il éclata de rire en secouant la tête. « C’était pas l’idée, Lewis, je prends un chien pour me tenir compagnie, pas pour l’abandonner chez toi. » Lui tenir compagnie, autrement dit le forcer à sortir de chez lui plusieurs fois par jour. Même son physio a dit que c’était une bonne idée, que marcher l’aiderait pour sa jambe. Il n’en était pas convaincu, mais il avait eu un coup de cœur pour cette boule de poil et il allait l’adopter. « Si tu me parles de ton futur chien, j’en déduis que c’est parce que t’as pas envie de me dire comment tu vas, hin ? » C’était à son tour de se concentrer sur l’écran, prétendant être un peu trop aspiré par la partie qui se déroulait sous ses yeux. « Pour que tu t’inquiètes ? C’est pas la peine, Lewis. » Ce n’est pas ce qu’il veut en tout cas, mais les mots commencent à lui démanger le fond de la gorge, parce qu’il n’a rien dit de tout cela aux membres de sa famille. Et soudainement, il aurait comme envie de l’avouer à son petit frère. Mais le dire revenait à rendre tout cela officiel et cette étape le clouait au sol, pour quelques minutes encore, à taper sur les boutons de sa manette dans le plus grand des hasards. « Ils terminent mon contrat dans deux mois. » Et après ça, l’armée ne sera plus qu’un lointain souvenir. Et Atlas se sentait tout simplement chuter à l’idée de perdre sa carrière. « Je sais pas ce que je vais faire… » Plus de missions, plus d’entraînement, plus de camaraderie, plus de statut. Plus rien, si ce n’est le silence et ses pensées, parfois trop sombres.

Ce n’était pas vraiment qu’ils avaient cessé de se voir complètement, plutôt que même lorsqu’ils étaient ensemble, Atlas semblait toujours absent. Et il y avait parfois des moments où il se sentait réellement lui-même, mettant de côté ces années oubliées de sa vie qui étaient finalement insignifiantes pour ceux qui l’avaient toujours connu. Difficile à dire, parce que lui seul savait réellement ce qu’il ressentait face à tout cela. La seule chose que Lewis pouvait encore faire était de souligner les évidences, sans jamais s’attendre à une réponse sincère de son frère. « Ouais. » Il avait choisi de ne pas plaisanter, et cette réponse-là lui avait forcément fait chaud au coeur. « Désolé Lewis. » « Nan, nan, faut pas. » Il avait tourné son visage vers lui juste un instant pour qu’il constate qu’il lui souriait. Comment pourrait-il lui en tenir rigueur ? S’il avait eu le choix, Atlas aurait préféré garder l’ensemble de ses souvenirs intacts - les bons comme les mauvais, probablement. « Et elle a un copain, cette fameuse Shiloh ? » Il n’avait visiblement pas perdu sa répartie malgré la tragédie qui laissait des séquelles chez chacun des Siede ce qui avait eu le don de faire rire son petit frère. « Elle a un copain, cette fameuse Shiloh ? » avait-il répété en déformant sa voix. « Je croirais entendre papa je te jure c’est flippant… » Il savait très bien que ce petit jeu ne suffirait pas à mettre la question de côté et que plus il hésiterait à y répondre, plus Atlas y verrait une évidence. « Je crois pas qu’elle en ait un non, et peu importe. » Il avait haussé les épaules, alors que la savoir en couple lui avait déjà fait un pincement au cœur et que la suite de l’histoire l’avait presque rendu fou, au point de renier tous les principes qu’il accordait à sa profession pour lui venir en aide. Lewis aurait voulu confier l’intégralité de ce qu’il savait à son frère, lui demander conseil, mais l’histoire était trop personnelle et il avait préféré profiter de ce moment pour parler de Shiloh de manière positive.

Si le sujet était joyeux, Lewis le maîtrisait assez mal pour détourner la discussion presque par réflexe. « Un berger allemand. » Il avait pincé les lèvres, venant valider le choix fait par son frère non sans prendre le temps de plaisanter. « C’était pas l’idée, Lewis, je prends un chien pour me tenir compagnie, pas pour l’abandonner chez toi. » « Peut-être que je disais ça pour te suggérer l’idée justement. Tu vas l’appeler comment ? » avait-il ajouté, s’il adorait les chiens, il se sentait loin d’être capable d’en assumer un. C’était une discussion légère, préambule à quelque chose de plus profond. Lewis avait pris une grande inspiration pour oser poser les vraies questions. « Pour que tu t’inquiètes ? C’est pas la peine, Lewis. » Il avait soupiré, s’il avait anticipé la réaction de son grand frère, il aurait préféré en obtenir une autre. « Je t’ai déjà dit que j’étais plus un gamin, je veux juste être présent pour toi comme tu l’as toujours été pour moi. » Ils s’amusaient comme de grands enfants mais ils n’en demeuraient pas moins deux adultes et puisqu’Atlas avait été celui qui avait traversé cette épreuve, il était logique que le plus jeune devienne celui qui prenait soin de lui. Le problème était qu’Atlas ne lui en laissait jamais l’occasion. « Ils terminent mon contrat dans deux mois. » Ses lèvres s’étaient entrouvertes devant l’annonce, alors qu’il s’étonnait presque plus qu’il ait enfin fait un pas en avant que du fond de ce qu’il venait dire. « Je sais pas ce que je vais faire… » Être pilote était plus qu’une vocation, c’était une passion qui l’avait toujours animé et les sacrifices qu’il avait dû faire pour bâtir sa carrière étaient bien trop conséquents et notoires pour sa famille que Lewis ne pouvait pas rester insensible. Pourtant, il était impossible de corriger le passé et Atlas n’irait pas de l’avant en s’appitoyant sur son sort.« Te reposer, prendre du temps pour toi… Faire ce qu’il faut pour remonter la pente. » Il semblait distrait, à lister ces banalités en venant renforcer son emprise sur la manette pour passer un niveau plus que simple. Il se vengeait sur le jeu dans lequel il déversait toute sa frustration d’être incapable d’apporter une solution immédiate aux douleurs de son frère, qu’elles soient physiques ou mentales. « T’es bien plus que le Capitaine Siede, Atlas. C’est injuste, mais le mal est fait et tu sauras rebondir. Ils ne pouvaient pas te confier un poste au sol ? » Administratif ou autre, il n’en savait rien, il cherchait juste un espoir même si l’intonation d’Atlas et la fin du contrat laissaient penser qu’il n’y en avait plus aucun. Cette fois-ci il avait lâché la manette, avait fixé le game over qui flottait sur l’écran avant de se décider à pivoter pour faire face à son frère. Son visage criait le désespoir et il aurait eu envie de le prendre dans ses bras s’il n’avait pas encore l’impression qu’un immense mur se dressait entre eux. « Je suis désolé, Atlas. » Et incroyablement furieux de cette fatalité qui s’était abattue sur leur famille, venant briser la carrière de l’aîné qui avait tout fait pour accomplir ses rêves. La vie était merdique, mais méritait amplement sa chance aux côtés des bonnes personnes.

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« Nan, nan, faut pas. » Le sourire de son petit frère se voulait doux et Atlas lui rendit la pareille. Il n’était pas nécessaire de créer une quelconque tension, ce n’était pas son souhait. Il avait à cœur de passer un bon moment avec son frère, rien de plus, mais il semblait que Lewis voulait parler, échanger, et Atlas n’allait pas lui refuser cela. Alors, il écouta avec attention, ce que Lewis cherchait à lui dire dans des sous-entendus qui l’amusèrent. « Elle a un copain, cette fameuse Shiloh ? » Il était à deux doigts de lui tirer la langue pour cette moquerie. « Je croirais entendre papa je te jure c’est flippant… » Il haussa les épaules amusé par la comparaison. « Y’a pire. » Leur père était son exemple, la personne dont il voulait suivre les pas, et il n’y avait rien d’horrible à être comparé à lui. Mais ce n’était pas le sujet et il avait bien l’intention de tirer les vers du nez de Lewis au sujet de la blondinette. « Je crois pas qu’elle en ait un non, et peu importe. » Il eut un nouveau sourire amusé alors que Lewis s’entêtait à regarder ailleurs comme si cela allait cacher la manière dont ses expressions avaient changé à la simple évocation de son amie. « Peu importe ou pas vraiment ? » Ils n’avaient jamais réellement parlé de cela tous les deux. Il y avait bien eu un moment où Atlas s’était obligé à avoir une conversation avec son cadet, pour lui rappeler de se protéger et tout ça, mais ils n’avaient pas pour habitude de s’épancher sur leur relation. « Elle te plaît ? » Il allait sûrement lui demander de s’occuper de ses affaires, mais il n'y avait pas de mal à tenter de le faire parler.

Ils avaient chacun une certaine maîtrise de la conversation pour se permettre quelques détours, mais Atlas savait pertinemment que son frère n’allait pas lâcher l’affaire aussi simplement. « Peut-être que je disais ça pour te suggérer l’idée justement. Tu vas l’appeler comment ? » - « Je penserai à toi alors, si j’ai besoin. » Peut-être qu’avoir un chien allait lui permettre de renouer les liens avec son cadet. « J’avais pensé à Maverick. » Cela se voulait cruellement clicher, mais il s’était fait à l’idée et il était difficile de changer d’avis désormais. La conversation aurait pu continuer ainsi, de manière simple, sans prise de tête, mais il avait oublié à quel point le plus jeune de la fratrie se voulait têtu parfois. « Je t’ai déjà dit que j’étais plus un gamin, je veux juste être présent pour toi comme tu l’as toujours été pour moi. » Il était touché par ses paroles, conscient que son frère n’était plus un gamin, mais bel et bien un adulte en capacité de comprendre les enjeux qui pesaient dans la balance. Il n’était pas facile d’aborder ce sujet, de prononcer ces mots qui mettaient fin à sa carrière. Mais il devait au moins cela à Lewis. Lui faire savoir que tout son avenir lui paraissait horriblement flou et particulièrement complexe désormais. « Te reposer, prendre du temps pour toi… Faire ce qu’il faut pour remonter la pente. » Il eut un rire presque mauvais. « Super. » Est-ce qu’ils se connaissaient si peu que cela ? Il n’avait aucun désir de rester chez lui, de ne rien faire, de se reposer. Ce n’était pas dans les plans, ce n’était pas ce qu’il avait prévu, pas ce pourquoi il avait tant sacrifié dans sa vie. « T’es bien plus que le Capitaine Siede, Atlas. C’est injuste, mais le mal est fait et tu sauras rebondir. Ils ne pouvaient pas te confier un poste au sol ? » - « Non, justement Lewis, je suis que ça. » Le Capitaine Siede. Il avait sacrifié vingt ans de sa vie pour cela, il n’avait pas de compagne, pas d’enfants, rien d’autre que sa carrière. « J’ai tout donné pour en arriver là. » Et il lui était si difficile de devoir accepter de laisser tomber. « C’est moi qui refuse un poste au sol. » Il était pilote, pas un administratif, pas quelqu’un fait pour rester dans un bureau pour le reste de sa carrière. « Je suis désolé, Atlas. » - « C’est pas ta faute. » Il n’avait rien à voir dans tout cela. Il ne pouvait rien faire pour éviter cet accident, pour redonner toutes ses capacités à Atlas. Un soupir lui échappa alors qu’il planta ses coudes sur ses cuisses, prenant son visage entre ses mains pour respirer un instant. Il avait conscience de la tension qui était en train de naître dans cette chambre et il se détestait pour avoir laissé les choses s’envenimer à ce point. « C’est moi qui suis désolé, petit frère. » Il releva la tête pour tenter de croiser le regard de Lewis. « Je sais que j’ai pas été cool avec toi. » Est-ce que son frère allait confirmer ses peurs ? Est-ce qu’il allait lui avouer que ce fossé entre eux était devenu dur à supporter ? Il en avait peur, mais il ne le lâchait plus du regard, prêt à avoir cette conversation.

« Y’a pire. » avait-il simplement répondu à son imitation de leur père, et Lewis avait haussé les épaules, comme ce gamin que l’on reprenait. Il n’avait aucun mal à voir son frère lui rappeler les bonnes manières avec toute cette douceur qui le qualifiait, au contraire, il était ravi de le voir prendre le temps de le faire à nouveau. Sa réaction n’était de toute façon qu’un réflexe alors qu’ils avaient entamé un chapitre qui le mettait extrêmement mal à l’aise. « Peu importe ou pas vraiment ? » C’était son frère, alors évidemment qu’il lui confiait parfois tout ce qui lui passait par la tête au point parfois de regretter ses paroles. Alors sa perte de mémoire avait parfois du bon, lui laissant l’opportunité de reprendre ce qu’il avait dit, et de se laisser le temps de comprendre s’il voulait réellement se confier sur ces différents sujets. Sur celui de Shiloh, Lewis était de plus en plus timide, et probablement parce qu’elle était maintenant revenue dans les environs, alors il s’était contenté de secouer la tête en riant. La réponse n’en était pas une mais suffirait à ce qu’Atlas comprenne, il en était convaincu. Les moments de silence qu’ils avaient connu leur permettaient d’avoir assez de sujets de discussion pour en éclipser un lorsque celui-ci devenait trop dérangeant et c’était avec un soulagement qu’il dissimulait difficilement que Lewis avait laissé Atlas parler de son futur chien. « Je penserai à toi alors, si j’ai besoin. » Un sourire s’était dessiné sur son visage, l’idée d’avoir un animal de compagnie sans les contraintes qui allaient avec le réjouissait déjà. « J’avais pensé à Maverick. » « Sérieux ? Plus cliché tu meurs… Mais j’adore ! » Un nom qu’il n’aurait pas honte de scander dans les parcs publics si le chien tardait à revenir, un nom qui laisserait un souvenir de sa carrière à Atlas. Bien sûr qu’il s’était moqué, pour la forme, mais son sourire attendri trahissait à quel point il validait tout ce projet.

Il ne savait pas à quel moment il avait décidé de percer cette bulle de positivité, mais Lewis saisissait chaque opportunité qu’il avait de faire sortir son frère de sa coquille. « Super. » Se reposer n’avait jamais fait partie de son vocabulaire et Lewis regrettait qu’il ne voit cela que comme une torture alors qu’il avait cruellement besoin de prendre du temps pour lui. « Non, justement Lewis, je suis que ça. » Le cadet avait soupiré, déjà las de démarrer une discussion qu’il savait stérile. « J’ai tout donné pour en arriver là. » « Je sais, Atlas. Je sais. Mais te lamenter changera malheureusement pas les choses. » Et il était désolé de lui dire, alors il avait évoqué les possibles solutions. « C’est moi qui refuse un poste au sol. » Il aurait aimé demander pourquoi, mais il savait pertinemment qu’il refusait qu’on lui coupe des ailes qu’il préférait s’arracher lui-même d’un coup sec. C’était ce qu’il était en train de faire, mais la douleur émanait de chaque partie de son être et le voir feindre que tout allait bien devenait insupportable. « C’est pas ta faute. » C’était la faute de ce fichu destin qu’ils n’avaient pourtant jamais provoqué de la sorte. « C’est moi qui suis désolé, petit frère. » Il s’était perdu un instant dans ses pensées, avant de relever la tête vers son grand frère suite à ces mots inattendus. « Je sais que j’ai pas été cool avec toi. » « T’avais tout à fait le droit d’être en colère, on l’aurait tous été à ta place. » Une place qu’il était difficile de s’imaginer occuper. Avec une carrière brisée et une partie de son passé dérobée, Atlas ne devait plus se sentir comme la moitié de lui-même et rien que le simple fait de tenter de l’imaginer donnait le tournis à son petit frère. Alors bien sûr qu’il tolérait ce ton un peu plus abrupt qu’il employait avec lui et ses excès de colère, mais si Atlas s’étonnait probablement de voir que Lewis restait malgré tout à ses côtés, cela ne l’autorisait pas à le repousser. « Mais t’as pas le droit de nous rejeter quand on essaye de t’aider. » Sa voix s’était faite plus basse, alors que ses yeux avaient retrouvé le sol qu’ils étaient venus fixer parce qu’il n’assumait pas pleinement de s’autoriser à s’imposer ainsi devant son aîné. « De toute façon, plus tu m’envoies chier, plus je vais être chiant, tu le sais bien nan ? » C’était bien plus facile de détourner ce moment de confession en une plaisanterie, comme si cela empêcherait Atlas de rétorquer. Il lui en avait fallu du temps, mais Lewis lui avait enfin dit tout haut ce qu’il avait vécu comme un déchirement, et malgré la nervosité qu’il ressentait en attendant la réponse d’Atlas, il se sentait tout de même un peu plus léger.

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Il voit bien que son petit frère n’est pas vraiment enclin à poursuivre la conversation au sujet de son amie. Cela le fait doucement sourire. Lewis a toujours été discret sur le sujet, il n’est pas le genre de garçon qui collectionne les conquêtes et parfois Atlas se demande s’il n’a pas projeté un mauvais exemple auprès de son petit frère à ce sujet. Mais il voit bien dans son regard que Shiloh s’avère être plus qu’une amie, si cela le démange d’insister, il se retient malgré tout. Il serait trop dommage de voir Lewis se braquer alors que, pour une fois, la conversation se veut relativement fluide entre eux. Alors, il détourne l’attention en parlant de son chien. Le tour de passe-passe n’efface en rien ce qu’il vient d’apprendre, mais cela laisse un peu de répit à Lewis. « Sérieux ? Plus cliché tu meurs… Mais j’adore ! » Il lève les yeux au ciel juste pour se plaindre en silence. « Ginny veut l’appeler Bradley, alors avoue que mon idée est quand même la meilleure. » De toute manière, ce n’est pas comme s’il avait vraiment le choix, question de solidarité fraternelle ou quelque chose du genre.

Tout aurait pu continuer ainsi, à déconner comme lorsqu’ils étaient encore des adolescents et que Lewis le suivait de partout à la trace. Ils auraient pu lancer la partie de leur jeu et ne parler de rien d’autre, si ce n’est de lancer des noms d’oiseaux dès que l’un tue le personnage de l’autre. Il faut croire que Lewis a le goût du risque aujourd’hui. La conversation se veut bien moins joyeuse, à deux doigts de pousser Atlas à se lever et partir sans un mot. Il n’aime pas parler des conséquences de son accident, encore moins de l’impact que cela a eu sur sa carrière. Personne ne semble véritablement comprendre ce qu’il traverse, et une fois encore, il le sait, la conversation va tourner au vinaigre. « Je sais, Atlas. Je sais. Mais te lamenter changera malheureusement pas les choses. » Il jette un regard noir à son frère, prêt à lui rappeler qu’il ferait mieux de se taire, mais face au regard de Lewis, c’est Atlas qui finit par trouver le courage de se taire. Pour une fois, Lewis paraît prêt à déverser tout ce qu’il semble avoir gardé pour lui et Atlas se tient prêt à l’écouter. Qu’importe si l’issue lui déplaît. « T’avais tout à fait le droit d’être en colère, on l’aurait tous été à ta place. » Il rit nerveusement. « C’est plus que de la colère. » Il s’agit d’une rage qu’il a bien du mal à définir encore aujourd’hui. Quelque chose qui fait bouillir le sang dans ses veines et lui donne des envies d’excès de violence incontrôlé. Atlas sait se gérer, il a appris toute sa vie d’adulte à gérer ses émotions, mais parfois le verre d’eau se veut un peu trop plein. « Mais t’as pas le droit de nous rejeter quand on essaye de t’aider. » Il ferme les yeux, conscient que son petit frère a cherché à lui tendre la main à plusieurs reprises. « De toute façon, plus tu m’envoies chier, plus je vais être chiant, tu le sais bien, nan ? » Et cette fois, son rire se veut bien plus franc. « T’as toujours été une vraie sangsue. » Ce n’est pas vrai, mais l’image l’amuse un peu. Il se passe une main sur le visage, abandonnant sa mannette sur le lit. « J’ai encore mal. » Physiquement et psychologiquement, Lewis pourra choisir sa version, c’est pas comme si cela avait une quelconque importance. « J’ai l’impression que rien ne bouge Lewis, ça va faire 2 ans, je peux plus faire ce que j’aime, je peux même pas aller courir pour me défouler et j’ai essayé de reprendre la boxe, ça a été un cauchemar pendant des jours après. » Son corps ne tient plus le rythme et c’est ce qui lui mine le moral au quotidien. « J’ai pas quatre-vingts ans, je vais faire quoi de ma vie maintenant ? » Il passait son temps dehors, à faire des exercices physiques, à repousser les limites de son corps, et maintenant ? Il n’est même plus capable de faire une balade de plus d’une heure avec son chien. « J’ai l’impression d’être un grabataire bon à jeter à la poubelle. » Il n’avait jamais été aussi honnête avec quelqu’un de sa famille. « Et si je déteste cette image de moi, je déteste encore plus l’idée de te présenter ça comme modèle. » Parce qu’il s’est toujours vu ainsi, celui qui doit guider ses frères et sœurs et pas l’inverse. Un défaut, sûrement, mais une psychologie qui jusqu’à présent n’avait fait que fonctionner pour eux. « Je dis pas que c’est bien, mais vous tenir à distance, c’était juste plus facile. » Et désormais, il s’en veut sincèrement, d’avoir autant repousser celui qui lui tend la main depuis le début.

« Ginny veut l’appeler Bradley, alors avoue que mon idée est quand même la meilleure. »
« Déjà qu’elle te supporte, t'aurais au moins pu lui laisser choisir le nom du chien. »

Le cadet avait appris à nager en eaux troubles, Atlas ne lui laissant que l’opportunité d’ajuster son discours afin de trouver le bon. Lewis était fatigué de peser ses mots et de s’assuer que ce qu’il dirait serait juste assez incisif pour forcer son frère à parler mais pas au point qu’il ne se referme complètement. Il n’avait jamais été le genre de personne à l’aise pour discuter, à l’image d’Atlas, finalement, mais il réalisait à quel point il était opposé à lui. Le fossé s’était creusé entre eux et de bien des façons différentes. « C’est plus que de la colère. » Difficile de s’imaginer que le pilote qu’il était devenu, fort et fier, capable de gérer ses émotions et d’intérioriser la moindre de ses réactions face aux difficultés tienne un tel discours. Et Lewis comprenait peut-être enfin ce qui l’obligeait à rester à l’écart, parce que c’était un déchirement que de le voir aussi abattu. C’était pourtant la réalité, celle qui découlait d’un coup du destin, et il était évident qu’aucun membre de la famille Siede refuserait de faire preuve de la même force mentale qu’Atlas pour gérer le problème.

Se persuadant de ce point, Lewis avait poursuivi, ajoutant juste assez d’auto-dérision à son discours pour empêcher Atlas de laisser parler ce regard noir qu’il lui lançait. « T’as toujours été une vraie sangsue. » Le jeu était terminé depuis bien longtemps et il était temps de se défaire des manettes qui n’étaient plus qu’un leurre, quelque chose leur permettant d’avoir le sentiment de ne pas être entrés à pieds joints dans une discussion qu’ils avaient tant refusé d’avoir. « J’ai encore mal. » Il avait grimacé, comme si l’entendre le dire tout haut lui avait permis de ressentir exactement la même douleur. Il était resté silencieux, jamais n’aurait-il anticipé qu’Atlas se décide enfin à déverser tout ce qu’il enfouissait depuis l’accident, là, au milieu d’une chambre d’adolescent qui ne regorgeait que de bons souvenirs. « J’ai l’impression que rien ne bouge Lewis, ça va faire 2 ans, je peux plus faire ce que j’aime, je peux même pas aller courir pour me défouler et j’ai essayé de reprendre la boxe, ça a été un cauchemar pendant des jours après. » Le moment était venu d’être fort comme le lui avait appris son grand frère : pas de cette façon toxique que choisissait parfois certains hommes, simplement de la manière la plus équilibrée qui soit, celle qui lui permettrait d’être présent pour ses proches. Il pouvait flancher, n’avait aucun mal à le faire, mais pas lorsque son tour était venu d’être courageux pour deux. Son regard s’était planté dans celui d’Atlas, sa mâchoire serrée l’empêchant de montrer le moindre signe de faiblesse, la moindre réaction à un discours qui lui perçait pourtant le coeur. « J’ai pas quatre-vingts ans, je vais faire quoi de ma vie maintenant ? » La question était rhétorique, et heureusement, Lewis ne possédait aucune réponse. « J’ai l’impression d’être un grabataire bon à jeter à la poubelle. » Cette fois-ci, son cadet s’était autorisé à secouer la tête, le choix des mots venant ajouter un peu de légéreté à un discours poignant. C’était leur façon commune de gérer les choses, une pointe d’humour qui n’avait absolument pas sa place au milieu de la discussion et qui, pourtant, leur permettait de la poursuivre. « Et si je déteste cette image de moi, je déteste encore plus l’idée de te présenter ça comme modèle. » Ce point là avait été plus difficile à accepter que tous les autres, la situation était assez difficile pour ne pas qu’il y ajoute le poids de la culpabilité envers sa famille. Et un instant, Lewis l’avait ressentie lui-même, alors qu’il avait tant insisté pour être inclus, tant critiqué les agissements d’Atlas. « Je dis pas que c’est bien, mais vous tenir à distance, c’était juste plus facile. » Il avait attendu un instant pour s’assurer qu’il avait terminé, ce genre de moment étant bien trop précieux car attendu depuis plusieurs mois pour le gâcher en parlant trop vite. « Je comprends, enfin je peux essayer de comprendre que t’aies cette impression. Mais si je peux pas te dire que c’est faux parce que je suis pas à ta place, je peux au moins parler pour moi. Ça change en rien l’image que j’ai de toi tu sais, tu seras toujours Attie à mes yeux. » Bien sûr qu’il validait ses propos et que son insistance pour être présent n’était pas une façon de remettre en question la façon dont il souhaitait remonter la pente. Il était le seul décisionnaire, pourtant, les conseils qui lui étaient donnés n’étaient pas tous bons à jeter. « Le but a jamais été de te faire culpabiliser ou te donner le sentiment de devoir te justifier mais de te faire comprendre que tu sortirais pas de ça tout seul. » Ses mots étaient maladroits, il n’avait jamais réussi à en être autrement, mais ils étaient extrêmement sincères. Assez pour les plonger dans un silence gênant que Lewis avait rompu en feignant de parcourir sa bibliothèque, comme s’il y cherchait un livre en particulier, avant d’ajouter. « Ouais, ouais, je sais, je suis qu’un gamin. Mais ça m’a fait grandir tout ça, j’te jure ! » Une touche d’humour venant déguiser une vérité : Lewis n’était plus le gamin incapable de s’affirmer qu’il était encore à l’approche de ses trente ans.

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« Déjà qu’elle te supporte, t'aurais au moins pu lui laisser choisir le nom du chien. »
« Ouais… Revois la définition de qui supporte qui dans cette histoire. »

Il adore avoir Ginny chez lui, il ne va pas le cacher, mais parfois il se languit de son ancienne vie où personne ne mettait le nez dans ses affaires. Autumn était une colocataire bien plus discrète que ne peut l’être Ginny. Elle s’étale de partout, donne son opinion sur tout et cherche même à révolutionner sa vie quand Atlas aimerait simplement pouvoir ruminer dans son coin sans jamais avoir à quitter le confort de son canapé.

Et s’il était plus simple de choisir la plaisanterie, Atlas a bien compris que, sous son air innocent, Lewis cherche des réponses. Il ne sait pas ce que son petit frère veut véritablement entendre, mais pour une fois, il choisit de n’avoir aucune retenue et de lui donner un tour d’horizon de son quotidien. Il n’y a rien d’amusant dans le fait de dresser un constat affreusement négatif, mais la réalité se situe entre ses lignes. Atlas se sent diminué, affaibli, plus capable de suivre le rythme qui a été le sien pendant près de vingt ans, et cela n’aide en rien à soigner son moral. Il a besoin de bouger, de se défouler, de faire du sport, de quelque chose de physique, mais désormais son corps refuse de le suivre. Chaque effort est accompagné de plusieurs jours de douleurs lancinantes et ce n’est pas vraiment la vie qu’il souhaite mener. Atlas s’enfonce, une part de lui en a parfaitement conscience, mais la spirale se veut si infernale qu’il ne sait plus comment prendre le problème. Alors, il se laisse couler et il l’avoue, enfin, à demi-mot, à son frère. « Je comprends, enfin je peux essayer de comprendre que t’aies cette impression. Mais si je peux pas te dire que c’est faux parce que je suis pas à ta place, je peux au moins parler pour moi. Ça change en rien l’image que j’ai de toi tu sais, tu seras toujours Attie à mes yeux. » Attie. Pendant des années, il a détesté ce surnom, avant de finir par s’y habituer. Il n’y a que Lewis qui s’amuse encore à l’appeler ainsi, et parce que petit, c’était tout simplement plus facile pour lui. La marque d’affection lui tire un sourire, c’est au moins cela de gagné. Mais Atlas s’entête à être persuadé de ne plus être un exemple pour son frère, malgré tout. « Le but a jamais été de te faire culpabiliser ou te donner le sentiment de devoir te justifier, mais de te faire comprendre que tu sortirais pas de ça tout seul. » Il soupire conscient que Lewis n’est désormais plus un gamin et qu’il comprend bien plus que ce qu’il n’en laisse voir. « Ouais, ouais, je sais, je suis qu’un gamin. Mais ça m’a fait grandir tout ça, j’te jure ! » Un léger rire lui échappe. « Ça fait bien longtemps que t’es plus un gamin, faudrait peut-être que j’ouvre les yeux sur ça aussi… » Lewis a trente ans, il n’est plus l’adolescent qui le regardait avec des étoiles dans les yeux. « Je vais essayer, okay ? » Ce n’est pas réellement une promesse, mais un début de quelque chose malgré tout. Une tentative de main tendue qui s’évanouie rapidement lorsque Atlas pousse l’épaule de son frère. « Mais d’abord, je te mets une râclée à ce jeu. » Parce qu’il est toujours plus simple de redevenir deux grands enfants au sein de la maison qui les a vu grandir tous les deux.