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@Loan Hartmann & @Axel Hartmann

C'était la toute dernière étape d'un périple qui avait duré pas moins de vingt-quatre heures. Périple, dont j'étais pas certain de ce que je pourrais trouver à l'arrivée. Est-ce que ça allait bien se passer ? Est-ce qu'on allait se faire une accolade comme dans ces films de merde, que je détestais ? Ou est-ce qu'on allait se regarder comme deux inconnus dans le blanc des yeux ?
C'était un peu ce qu'on était, fondamentalement. Fallait pas se leurrer.

Moi, j'étais rincé. Lessivé et fatigué. Alors, que je tentais de passer par tous les scénarii possibles, sans qu'ils soient catastrophiques. Et, y'en avait pas des masses qui se finissaient bien, pour être un tant soit peu honnête. J'envisageais l'apocalypse, parce que j'étais pas habitué à d'autres trucs. Puis, c'était aussi chercher un peu la merde, que de pas s'annoncer avant d'arriver ... ça aussi, fallait pas se mentir. Inspirant et expirant doucement, je tentais de repousser l'inévitable, mon casque vissé sur mes oreilles, alors que je pianotais en rythme sur le tissu sombre de mon sac à dos, sans me préoccuper de ce qui se tramait autour.

Y'avait juste ce paysage qui m'intéressait et que je connaissais pas. Ou si, parce que je l'avais vu seulement en photos, quand je m'étais renseigné sur le lieu de villégiature du cousin. Loan, de son petit prénom. Et, dont j'avais un cliché que j'avais tant de fois malmené entre mes doigts, lui laissant une forme de cicatrice éphémère sur le visage. À défaut de la mienne. Mais là, c'était un peu comme si on se ressemblait et que ça pouvait que nous rapprocher. Haussant mes épaules, je laissais ma tête reposer contre la vitre de la navette que j'avais pris en sortant de l'aéroport pour me rendre là, où il bossait. Ça aussi, cette information, je l'avais eue en même temps que le tirage.

Tout en me frottant l'arête du nez, je voyais bien que j'allais pas tarder à arriver. Parce que je voyais apparaître dans mon champ de vision, l'énorme édifice. Évidemment, j'aurais pu directement me rendre chez Loan Hartmann, -là aussi je la connaissais l'adresse-, mais force était de constater que j'avais opté pour un lieu neutre, pour une première rencontre. Me redressant, j'empoignais mon sac à dos et récupérais ma valise, présente dans la soute. Jusqu'à la traîner sur le parking de l'hôpital tout en m'en grillant une. Enfin.

Un sourire venait de naître sur mes lèvres, alors que je soufflais la fumée blanchâtre dans l'air et que ça me faisait encore retarder l'échéance. De quelques secondes ? Quelques minutes. Parce qu'à peine la première cigarette terminée, je m'en allumais une deuxième. M'adossant contre le mur de l'entrée, pas encore convaincu de pénétrer à l'intérieur du bâtiment.
Ouais. Je devais avouer que ça me foutait un peu les boules de rencontrer un mec qui portait le même nom de famille que moi et que j'avais jamais vu. Enfin si, en photo.

- Vous avez besoin d'aide jeune homme ? Perdu dans mes pensées, j'avais pas vu l'infirmière. Ou du moins, ce qui y ressemblait. ... vous êtes blessé ? Vous venez rendre visite à quelqu'un ?
- Je viens voir le Docteur ... Hartmann.

C'était clair et concis. J'avais abattu mon principal atout de toute façon.
Tant et si bien que la jeune femme me fixa avec un air circonspect tout en m'exhortant à entrer.

- Vous êtes un patient du Docteur Hartmann ?
- Je suis plus que ça, à vrai dire. Avec un sourire, je laissais planer une forme de quiproquo. Conscient qu'il y aurait mésinterprétation de la chose. Mais honnêtement, qu'est-ce que j'en avais à foutre à cette étape-ci ? Rien.

Tout ce qui m'importait, c'était qu'elle me conduise au bureau du Docteur Hartmann. Le reste, c'était accessoire. Ce fut lorsque j'attendis dans un fauteuil non loin de ce même bureau portant l'identité de mon cousin, que je pris conscience de la réalité de cet état de fait. Que j'allais pas tarder à le rencontrer mais que je m'attendais à rien. C'était bizarre comme sentiment.

J'avais pas les mains moites. J'étais pas anxieux. J'étais juste curieux. Parce qu'à première vue, on se ressemblait pas plus que ça, quoi. Mais y'avait peut-être moyen de voir des similitudes autre part, non ? C'était cette idée qui me frappa l'esprit quand je le vis débouler devant moi. Là par contre, j'avais la bouche sèche et un manque de répartie flagrant.

- Salut. Wow.

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La journée s’était, jusqu’à présent, déroulée sans trop de difficultés. Rendez-vous. Café. Suivi opératoire. Re-café, pour calmer l’agacement d’avoir été sollicité pour opération des amygdales (à quoi servent les années de spécialisation si on vous demande un acte chirurgical faisable par un enfant de 10 ans ?). Point sur mes prochains rendez-vous, professionnels et personnels. Déjeuner. Réponse à un message de Nieves.

Le reste de mes heures de travail aurait dû passer sur un rythme comparable, avec au moins le même niveau de non-excitation, jusqu’à ce qu’on me laisse enfin trouver un apaisement mental dans quelques longueurs.

C’était sans compter le sens de l’humour de l’univers.

« Docteur Hartmann ? »

Je lève vers l’infirmière qui a frappé à la porte un regard qui n’invite pas aux confidences détaillées sur l’état de son mariage ou sur l’état des couches de son dernier né. Elle ne fuit pas pour autant, malheureusement ; ce n’est pas mon prochain rendez-vous, il est dans une demi-heure, et il est de notoriété publique que les patients se trouvant suffisamment importants pour débarquer quand ça leur chante ne sont pas accueillis plus tôt dans mon bureau.

« Il y a… votre… »

Je plisse les yeux. Est-elle plus rouge qu’à l’ordinaire ? Fait-elle un accident cardio vasculaire dans mon bureau ? Il lui semble impossible de former une phrase complète, alors même que mon regard doit lui signifier que ma patience commence à s’épuiser.

« Eh bien ? Mon ? »

Elle s’étrangle visiblement, ce qui me prouve qu’elle a encore toutes ses capacités de cognition.

« Un jeune homme demande à vous voir. »


« Mon planning est à jour. Voyez avec lui pour un créneau de rendez-vous. »

Faut-il que je donne ce genre de consignes, à présent ? Ne devrait-elle pas être au courant de ce genre de procédures ? C’est quand même incroyable qu’il faille-


« Il demande à vous voir pour des raisons personnelles. »

Il y a un long blanc. Elle en profite pour s’éclipser, avec un couinement ressemblant à ‘ilattendsurlesfauteuilsdelasalled’attente’. Et je me trouve seul à fixer une porte restée ouverte, et à m’interroger sur ce nouveau rebondissement imprévu et non désiré. Hm. Bien…Allons voir.

L’inconnu part avec le handicap de l’agacement que me procure la perspective d’être dérangé de façon inopinée. Mais je n’exclus pas qu’il puisse s’agir d’un ancien camarade de formation, qui aurait besoin d’aide ; la probabilité qu’un tel camarade m’ait marqué est faible, mais pas nulle. Voyons.

La salle d’attente est déserte, parce que mon prochain patient a une conscience claire de sa propre importance ; impossible, donc, de me méprendre sur l’identité de l’inconnu qui se permet de requérir ma présence. Un jeune homme assis sur un des fauteuils, l'air à la fois blasé et peut-être tendu, un sac à dos à ses pieds ; grand, mince, cheveux bruns courts et regard perçant. Pas un ancien camarade. Pas un patient. Et à vrai dire, pas un visage sorti du passé et pourtant… quelque chose d’indescriptiblement familier qui parvient à me troubler, sans que, bien sûr, je choisisse de le montrer.

Le jeune homme, par sa réaction, semble éprouver un trouble comparable, mais ce n’est rien qui puisse m’indiquer ce qui se trame. Aussi, je lui tend la main, offrant une poignée de mains qui prouvera probablement à la direction de l’hôpital que je suis attaché à un accueil humain et respectueux de nos patients, et autres âneries qui font partie depuis quelques semaines de mes objectifs personnels annuels.

« Je suis le Docteur Hartmann. A qui ai-je l’honneur ? »

Pas ‘en quoi puis-je vous aider’ ; il n’a qu’à prendre rendez-vous de façon régulière, comme tout le monde.

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J'avais la désagréable impression d'être un Fou, sur l'échiquier même de la vie. La mienne, en l'occurrence. Avec des déplacements, toujours erratiques, propres à ma condition. Parce que c'était comme ça, que j'étais, fondamentalement. Me mouvant de quelques cases, sans trop me poser de questions. Ou peut-être, un peu trop ? Parce que c'étaient en partie à cause d'elles, que je me retrouvais ici, dans cette salle d'attente, à provoquer un destin que je n'aurais jamais cru possible.
Et, quel destin, putain !

Je savais pas quoi en penser de tout ça. Ni comment il serait. Et surtout, si on se ressemblait, malgré les années d'absence et du fait pur et dur, de ne pas les avoir passées ensemble. Ça, c'était un peu ce qui me vrillait l'âme sans que je m'épanche là-dessus. Parce que de toute manière, j'en aurais certainement pas le loisir et nullement le temps. Mais ... est-ce qu'en face de moi, j'aurais un Fou aussi ? Ou plutôt un Roi ? Dont il me faudrait lui porter allégeance, pour que je puisse être accepté dans sa cour ?
Je n'avais pas la prestance d'une Reine blanche pour mettre en péril le Roi noir, et lui faire mordre la poussière, comme un vulgaire Échec et Mat.

C'était pire. Pire au fur et à mesure, que les minutes s'envolent et que je reste assis comme un con, sur cette chaise qui n'a rien de confortable. Frottant la cicatrice qui barrait depuis des années ma joue droite, j'étais toujours en train d'élaborer des scénariis. Tous aussi détestables les uns que les autres. Parce que je me doutais, qu'on allait clairement pas se prendre dans les bras, juste se mater dans le blanc des yeux. Comme de vulgaires inconnus.
Ça, ça tournait dans ma tête. Depuis le début.

Rejetant ma tête aux boucles brunes, sur le dossier, j'inspirais. Tendu. Curieux. Pas apte à faire une première rencontre de cette manière. Tout en me frottant l'arête du nez, je me disais que j'avais bien besoin d'une clope pour détendre tous mes muscles.
... ça attendra, manifestement.
Parce qu'il s'était manifesté et face à moi, j'avais donc bien un Roi. Et, je restais un Fou.

Fou, qui n'avait aucune idée de comment engager la conversation, mise à part avec ce seul mot de salutations, qui avait réussi à franchir la barrière de mes lèvres. Ça, et une poignée de main, que je ne pus qu'accepter. Constatant qu'on se ressemblait. D'aussi peu, que pouvaient l'être, des étrangers. Note que j'avais bien envie de continuer sur ma lancée du début, en soufflant que j'étais potentiellement l'amant de ce type qui me faisait face. Mais, la blague serait assez mal réceptionnée par le principal concerné.
Vu sa gueule, j'en étais plus que conscient.

- Hum. Moi, Axel Hartmann, j'étais généralement pas trop connu pour tourner autour du pot. Surtout ... quand je la jouais aussi gros. Et ici, c'était le cas. ... je suis comme qui dirait, un proche. Très proche. Je suis ton cousin, Axel. J'eus un sourire en coin, alors que j'ouvrais la plus grande poche de mon sac à dos, pour en sortir une pochette plastifiée où se terrait mon acte de naissance. Au cas où, hein. C'était estampillé de la clinique de luxe où j'avais poussé mon tout premier cri. Assorti à ça, plein de papiers en plus.

Tout ce que je détestais. Passé ces formalités, j'attendais avec une certaine impatience de voir la réaction qui naîtrait dans les iris bruns de mon vis-à-vis. Car, c'était bien ça, le plus important, hein.

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Un nouveau blanc. Alors que ce jeune homme prouve une certaine audace, en affichant un sourire qui, diront les mauvaises langues, a un petit quelque chose de familier.

Croit-il que l’on dispense les diplômes de médecine au hasard, à des ignares incapables de logique ?

« Est-ce la nouvelle approche en matière d’arnaque ? Mes parents n’ont pas répondu à vos courriels mentionnant un prince africain, alors vous avez décidé de jouer le tout pour le tout dans l’espoir de partager l’héritage de mon grand-père ? »

Juste assez de froid dans mes mots pour signifier que ma phrase ne doit pas être prise comme une plaisanterie et que si je n’ai pas encore appelé la sécurité de l’hôpital, c’est uniquement pour m’éviter le scandale et les qu’en-dira-t-on dans la salle de repos de ces dames.

Parce que les fléreurs de gros poissons sont eux-mêmes contraints à une certaine éducation, le jeune homme semble avoir anticipé les éventuelles remises en question du scénario proposé. Il me tend un document. Je ne l’accepte qu’avec trois secondes de retard et avec un commentaire en guise de point final à son argumentaire :

« Si j’avais un cousin, je crois que je m’en rappellerais. »

Cependant, je commets l’erreur de baisser les yeux vers le document. Il me faut l’étudier de plus près. La contrefaçon n’offre pas de défaut visible de prime abord, elle est d’excellente facture. Jusqu’au tampon apposé par un représentant de l’établissement, qui me parait semblable à celui que j’avais pu voir sur mon propre acte de naissance. Ce genre de marque, néanmoins, peut se falsifier, de même que le reste du papier, tout comme la mention « copie certifiée conforme » ; pour être certain de la véracité de ce document administratif, il me faudrait faire la démarche moi-même auprès des autorités compétentes. Restent les autres informations mentionnées. Les prénoms des parents ne m’évoquent rien ; le patronyme du père est semblable au mien, et la clinique n’est pas ouverte à n’importe quel péquin, de par ses tarifs.

A nouveau, ce sentiment que le réel a trébuché.

Je suis de moins en moins amusé.

« Attendez ici. »

Je ne lui rends pas le dit document, et je plante le garçon.

Il n’est pas seulement question, ici, de le décontenancer, s’il a eu le culot de venir jusque-là, annonçant ce genre de choses sans trembler, il ne va pas s’effondrer parce que je le laisse mariner une demi-heure. Je n’espère donc trop rien de ce côté-ci. En revanche, je prends le temps de prendre en photo le document, d’en adresser copie à mon géniteur, assorti d’un message court, et efficace : « Un commentaire ? »

Le téléphone sonne moins de 10 minutes plus tard.

Les explications de mon père sont…. efficaces. Elles génèrent un agacement, de part et d’autre de la ligne.

Néanmoins, si je perdais mes nerfs pour des révélations familiales, je ne mériterais pas d’exercer en tant que chirurgien.

Je m’accorde quelques instants, avant de retourner dans le couloir, rendant au garçon le papier, sans pour autant manifester d’autres sentiments. Le laisser mariner, voir comment il réagit. Puis :

« Votre numéro de téléphone et adresse. Nous allons organiser une entrevue avec Hartmann senior. C’est lui que vous auriez dû contacter en premier. »

Et je me réserve le droit de faire procéder à une enquête par un homme qui a suffisamment de temps libre et d’affinités avec les forces de l’ordre pour en faire son métier.

Un dernier point, bien qu’il soit clair que le jeune homme puisse mentir :

« Pourquoi venir me trouver aujourd’hui ? Pourquoi maintenant ? Et pourquoi moi ? »

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À tout instant, je me disais que je pouvais encore faire marche arrière. Que je pouvais reculer, sans que ça déclenche une troisième guerre mondiale ou un truc du genre. À tout moment, que je pouvais rebrousser chemin et repartir bêtement d'où j'étais venu. Que tout ça, c'était qu'une mascarade et que j'étais dans une merde telle, que j'avais chopé la photo d'un type qui me ressemblait vachement pour monter une putain d'arnaque ...

... aaaah baaaah, j'étais techniquement pas le seul à le penser.
C'était tellement gros, que ça se voyait peut-être à des kilomètres. Que j'avais peut-être des complices dans cette sordide affaire mais que j'avais monté ça tout seul, comme un grand. J'avais pas eu besoin d'aide pour me rendre ici et de toute manière, j'avais plus trop eu le choix. Si ce n'est d'attendre la réaction (vive) de mon cousin. Réaction, qui me déclencha l'un de mes sourires ironiques. Un de ceux qui faisait partie intégrante de ma personnalité.

Parce que c'était comme ça. Parce que c'était plus facile.

- J'ai une tête de magouilleur, ou quoi ?! Non, je perdais pas mon calme. J'en voyais pas l'intérêt. En revanche, ma patience, elle, déjà extrêmement minime fondait comme neige au soleil.

Or, j'avais joué tapis. Et j'avais foutu dans les mains de mon cousin, un document qui attestait à lui seul de notre lien de parenté. C'était incontestable. Inconcevable qu'il y croit pas une seule seconde, même si ... je pouvais pas vraiment lui donner tort : s'il avait un cousin, il s'en rappellerait.
Pinçant mes lèvres, je faisais bonne figure. Accusant chaque coup du Destin, ou chaque coup silencieux que le dénommé Loan, me foutait en pleine gueule. Ça, je pouvais le comprendre que ça faisait pas un bien fou, de voir sortir de nulle part, un type inconnu au bataillon. Moi, je savais très biiiiien, que je l'aurais eu mauvaise.
Peut-être qu'il croyait que j'en voulais à sa thune ? Moi, je voulais juste un semblant de famille.

Avec un soupir, mon regard sombre le vit embarquer le dit document, tandis que je me frottais la nuque, me penchant encore plus en avant sur ce putain de siège inconfortable. L'attente, elle me parut durer une éternité, jusqu'à ce que je vis de nouveau apparaître le jeune homme dans mon champ de vision, disposé à me rendre mon extrait de naissance. Extrait de naissance, que je rangeais de nouveau, précieusement.
Fronçant légèrement mes sourcils, j'eus un sourire en coin. Il voulait m'avoir à l'usure, c'est ça ? Pour me tester ? Pour faire je sais pas quoi, avec mon mental, là ?

Alors je rivais mon regard sombre à ses prunelles, gardant sur mes lèvres, ce même sourire provocateur qui m'avait valu quelques déboires par le passé. (Qui m'en valait toujours d'ailleurs. Aha.)

- Le numéro en soi, c'est fastoche. Mais pour le reste ... Je créchais à l'hôtel quoi. ... j'ai pas d'adresse fixe. D'où, la valise en fait. Grosso merdo : ouais, c'était un peu la merde. On peut faire cette entrevue, chez toi ? J'étais pas culotté, j'étais pragmatique. Nuance.

Par contre, pour les dernières interrogations ... j'avais pas vraiment de réponse. Ça, c'était fait globalement au feeling, mais allez dire ça à un type qui a l'air d'un gros psycho' qui enferme des nanas dans sa cave.
L'instinct, il a pas l'air de connaître. Même le feeling, hein. Mais autant jouer, cartes sur table. Et refaire un tapis.

- Si je suis venu aujourd'hui, c'est parce que ça fait pas longtemps que je sais que j'ai un cousin sur Brisbane. Et, qu'il m'a fallu process l'info'. Déso mais pas déso' hein. Un silence. Alors que putain, comment que j'avais envie d'une clope là. D'une bonne dizaine même. ... toi, parce qu'on est pas si éloignés en âge ... et que j'ai pensé qu'il y aurait un bon feeling.

Sauf s'il allait me découper dans sa cave, ça, ça serait moins fun pour les prochaines cousinades.

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Alors même que les éléments qui m’ont été fournis lors de ces dernières minutes sont convaincants, il parvient à se tirer une balle dans le pied.
 
Pour le lui témoigner, je lui offre un haussement de sourcils, et un commentaire qui, je le pense, sera parlant, une invitation à ce qu’il corrige le tir ou à ce qu’il cesse la mascarade finement exécutée :
 
« En somme, vous êtes sans domicile fixe. Et vous souhaitez être invité dans des quartiers plus confortables qu’un foyer. »
 
A quoi joue ce garçon exactement ? Si j’en crois mon géniteur, il est tout à fait possible qu’il s’agisse réellement d’un cousin issu d’une branche de l’arbre proche mais qui a cassé. Mais le voilà qui plante lui-même les graines du doute dans un terreau fertile : je ne crois pas aux belles histoires. S’il s’agit simplement d’un jeune qui a entendu parler de la bonne information et compte capitaliser dessus, il est tombé sur la mauvaise famille.
 
Ma décision est rapidement prise.
 
« Nous nous retrouverons pour dîner au Bristol. 19h, ce soir. Je me charge de faire en sorte que mes parents soient présents. Et nous partagerons la note. »
 
C’est un test. Le Bristol est un des établissements les plus côtés de cette ville. Une moitié d’olive y coûte une journée de salaire de n’importe quel ouvrier. S’il compte profiter, il va lui falloir avancer certains frais.
 
Sa réponse suivante, cependant, parait honnête. Je n’y sens pas de volonté de dissimuler ou de tromper. Rien qu’une forme de naturel désinvolte qui a, étrangement, quelque chose de désarmant. Il est culotté, sans doute ; mais sans conteste, il est jeune. Je devine un chien fou, qui ne semble cependant pas dénué de neurones.
 
« Nous avons malgré tout quelques années d’écart. Et l’âge ne fait pas tout. »
 
Même à moi, cette réponse pourrait paraître insensible. Imaginez ce que ça donnera en salle de repos des infirmières. Si elles ne sont pas déjà en train de jacasser sur cet épisode. Je secoue la tête. Désolé pour ces dames, mais je ne serai pas le sujet de conversation des prochaines 24 heures. Qu’elles s’achètent un compte Netflix ou qu’elles s’intéressent au dernier Harlequin.
 
« Venez plutôt à 18h30 au Bristol. Avant que mes parents n’arrivent, je veux entendre qui vous êtes. Quel a été votre parcours. Ce que vous faisiez avant de débarquer ici sur un coup de tête, accompagné seulement de votre valise. »
 
Puis, pour provoquer autant que pour voir sa réaction :
 
« J’espère que vous n’avez rien contre les tests ADN. »
 
Il n’y a pas que de la malice, dans cette phrase : ce qui est une boutade provocatrice est aussi une vérité. Il faudra en passer par là. La biologie offre la seule preuve qui ne se falsifie pas. Je peux me procurer sans difficulté un kit de prélèvement, et faire jouer quelques relations pour obtenir des résultats de façon prioritaire.
 
« Attendez-moi là. »
 
Je me dérobe une nouvelle fois, ignorant totalement le reste de mon emploi du temps. Plus que les résultats, je suis curieux de voir s’il m’a réellement attendu, alors que je reviens, armé du matériel adapté aux prélèvements biologiques.

« Prêt ? »


Alors seulement, nous nous séparerons quelques heures, pour nous retrouver autour d'un excellent vin coûtant le prix d'une bourse mensuelle d'étudiant.

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Mouais. J'avais cette satané impression d'être dans un mauvais film de série B, ou dans un putain de mauvais soap opéra ou drama coréen. Pas que j'en sois un grand fan devant l'éternel, mais ç'avait été mon petit plaisir coupable à l'internat, que j'avais jamais dévoilé. Ou plutôt que ceux qui se soient risqués à le découvrir se parent d'un beau coup de poing dans la gueule.
... mais là, c'était ma foi assez différent. Face à moi, j'avais le membre d'une famille qui m'avait été dérobée. Dans le genre film tragique, avec les violons et tout le bordel.

Il s'appelait donc Loan, avec un nom de famille identique au mien mais avec le même sarcasme qui coulait dans ses veines. Ça au moins, c'était la marque de fabrique familiale qui faisait dire que t'étais un bon Hartmann ou pas. Même si, mes parents eux, avaient jamais été friands de cet état de fait, ces imbéciles.

- Ouais. Grosso merdo, c'est ça. Soufflais-je entre mes dents, parce que basiquement et surtout techniquement, c'était l'exacte vérité. Y'avait pas plus vrai, avec ma valise, ma gueule enfarinée et l'attente inespérée d'une famille.

Et, je devais avouer que j'avais risqué gros. En mettant cartes sur table, mes intentions les plus fondées. Mon interlocuteur, il était somme toute pas dupe et devait croire à un sale canular, que lui offrait ma présence en plein milieu de son lieu de travail.
Mais, j'agissais sur l'impulsion moi. Et, je me serais pas permis d'attendre plus longtemps. Même si, j'étais pas assuré d'avoir un futur cousin en plus d'un futur toit au-dessus de ma tête.

... nice.

- Okay. Aaaah bah celle-là, autant dire que je l'avais pas vue venir honnêtement. Alors que je me doutais là aussi, que le dit Bristol, il allait fatalement me coûter un rein mais ... pour ainsi dire, étant donné que j'étais l'Héritier confortable de ma branche, ça me posait pas énormément de problème.

... juste peut-être le fait de le rencontrer en compagnie de ses parents à lui. Là, par contre, je sentais poindre une forme d'angoisse que je détestais sentir. Et que, foncièrement, j'avais jamais eu.
Or là, c'était en quelque sorte, mon avenir qui se jouerait autour d'un alcool onéreux et d'une cuillère de caviar. Le tout englobé de beaux discours avant probablement la décision de me jeter ...
J'avais hâte, tiens.

- Je pense que l'âge, dans ce cas ci, fait tout. Déso' de te contredire. Voilà, quand je me sentais un poil acculé, voilà ce que ça donnait. J'étais bien plus mordant et bien plus mutin, parce que j'étais piqué au vif et que ça me faisait chier, cette putain d'histoire.

Hormis ce voile désagréable d'incertitude, je l'aimais bien Loan. Il avait l'air cool comme cousin. Cependant, s'apprivoiser ... uuurgh, ç'allait pas être des plus faciles, s'il me laissait pénétrer son espace vital, comme je lui laisserais pénétrer le mien. J'avais pas l'habitude de ça moi. Mais fallait bien croire qu'il fallait que je le fasse en ce jour. Humpf.

- C'est toi qui mènes la danse. J'ai bien compris. Et globalement, ça m'emmerdait sans que je le conscientise ou le verbalise. Octroyant juste un sourire crispé à mon vis-à-vis pour la peine. ... mais ça me va. Pour dérouler mon parcours et tout ce qui va potentiellement avec. Même si, pour être un tant soit peu honnête, j'avais aucune idée de par où commencer mon futur laïus.

À mes réflexions pour le moins poussées, je le vis s'éclipser comme un Roi, alors que tel son Bouffon, j'étais toujours assis sur ma chaise, ayant haussé un sourcil à la mention de test ADN.
C'était quoi encore, cette connerie là ?! J'étais pas un putain de cobaye et j'aimais pas la tournure que prenait ces évènements.
... mais, si je me barrais ... j'étais pas certain d'avoir une seconde chance à saisir à la volée, pour le coup. Et ça, c'était hors de question que je la loupe.

Du coup, enjoy le truc qui se faufilait une place dans ma bouche pour prélever un échantillon de ce que je suis. Et, qui, par pure volonté de rébellion ... me fit froncer violemment les sourcils.
Que c'était désagréable sa merde, encore plus que s'il me l'avait fichue dans le nez mais passons.

... de toute manière, j'étais bel et bien à l'endroit du rendez-vous, quelques heures plus tard. Ayant laissé ma valise à l'accueil du restaurant. Étant arrivé assez en avance, pour me prendre à boire, un Martini avec trois olives. Faisant un signe à mon cousin, lorsque je le vis pénétrer dans l'établissement.

- Rebonjour. Et ... tu bois quoi ? Et ... pose-moi tes questions. J'aime pas tout balancer d'un coup. J'ai toujours trouvé ça hyper naze. Puis surtout, je savais pas par où commencer, elle était là, la vérité.

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Il s’est plié à l’examen, malgré un regard de défi. Peut-être est-ce cela, qui me convainc de lui laisser sa chance, plus que les perspectives des résultats de l’ADN. Il a parfaitement compris à quoi rime tout cela, il a compris mes intentions et pour autant, il ne cherche pas à travestir les faits. Au moins est-il honnête dans la lecture de la situation ; il ne cherche pas à me servir une version alternative, ne cherche pas à me servir de beaux discours. En résumé, ce n’est pas un crétin.

Pour autant, il n’est pas obséquieux. Je hausse un sourcil lorsqu’il vient contredire une de mes affirmations, mais je ne rebondis pas. Surtout, il n’essaie pas de prétendre que la séance de prélèvement l’enchante. Il est évident que toute l’opération le fait suer, mais qu’il s’y soumet comme un ado qui n’en pense pas moins.

Etrangement, cela me le rend sympathique. Non par esprit de contradiction, mais parce que son attitude m’a renseigné plus sur son véritable caractère que toutes les plaidoiries et toutes les simagrées n’auraient pu le faire.

Je ne sais si son histoire est vraie, mais au moins est-il divertissant.

Quelques heures plus tard, l’envie de rire m’est passée.

Je suis d’humeur massacrante, quand je me présente à l’heure et à l’endroit de notre rendez-vous.

Je ne dispose pas des résultats de l’analyse génétique, et pourtant cette impossibilité d'obtenir rapidement les conclusions du laboratoire n'a pas eu d'incidences sur mon état d'esprit ; j'avais intégré dès le prélèvement les contraintes de délais incompressibles. En revanche... Le temps qu’il m’a fallu pour faire le trajet entre l'hôpital et le Bristol, j’ai eu une éclairante conversation avec ce qui me sert de géniteurs. Je ne m’étendrai pas sur le contenu de celle-ci. J’ai grillé un feu rouge, et il me semble que cela résume parfaitement le ton de l’échange qui s’est produit.

Pour évacuer une partie de mon agacement, j’ignore royalement le chef de salle qui tente de m’accueillir. Abruti.

Le jeune vagabond ne s’est pas découragé. Il est arrivé en avance à notre entretien, qu'il n'ait rien eu à faire ou qu'il cherche à reprendre le contrôle de cet échange.

Je m’installe face à lui, le regard sombre. Le décor est grandiose ; je n’y jette pas un regard. Néanmoins, je fais à mon vis-à-vis la grâce d’une réponse.


« Lillet blanc. »

Puis, parce que j’ai l’impression d’avoir aboyé plus qu’autre chose, et qu'il n'est pas réellement responsable de tout cela, je prends une lente respiration, et détaille :

« Je serai seul pour cet entretien. »


Nul besoin de lui préciser que mon avis est, en réalité et au vu des éléments qui viennent de m’être précisé, déjà fait. Je l’observe.

« Combien de temps restes-tu à Brisbane ? J’imagine que l’on n’interrompt pas des études pendant des semaines sur un coup de tête. »

Le ton est plat, parce qu’il se cache plusieurs questions en une, en réalité. Voyons s’il a l’esprit assez vif pour les percevoir.


« Je suis à peu près certain de n'être pas le seul Hartmann sur Linkedin ; comment as-tu appris l’existence de membres de ta famille alors que tu vis… où exactement ? »

Je me suis déjà formé une petite idée sur le comment. Voyons s’il la confirme. Dans l’intervalle, je ne le quitte pas des yeux, tandis qu’une barmaid anonyme fournit un verre exécuté correctement, ce qui est la moindre des choses au vu de l’établissement pour lequel elle exerce.

(c) tumblr

A place for my head

@Loan Hartmann & @Axel Hartmann

Même si, j'avais détesté ce foutu bâton de merde qu'il m'avait foutu dans la bouche pour faire son test à la con, force était de constater que j'avais dû m'y plier sous peine de ... potentielles représailles ? Parce que c'était toujours comme ça, que je les voyais les figures d'autorité, et que je les aimais pas foncièrement. Ou plutôt, j'avais pas l'art de les écouter et les défier, serait plus exact.
À l'internat, ça m'avait valu quelques heures de colle que j'avais fait rapidement sauter, parce qu'en-dehors d'être un élève piqué par la sacro-sainte souveraineté, je demeurais un élève brillant dans toutes les matières.

... en plus de casser quelques gueules. Mais ça, c'était accessoire et mon cousin, il avait pas vraiment besoin de le savoir.
Sauf, s'il se mettait à vouloir en savoir plus et à appeler le Wellington College et là, probablement, je serais peut-être un peu dans la merde et j'aurais pas d'autre choix que de m'expliquer.
Or, pour l'instant, son analyse de ma personne ... elle s'arrêtait juste au simple fait d'avoir prélevé un échantillon de ma salive pour la faire analyser, le reste ... je me devais tout de même de l'anticiper.

Ce que je n'avais pas anticipé, en revanche, c'était cette gueule pour le moins contrariée que j'accueillis sur notre lieu de rendez-vous. Loan, m'avait l'air furieux sans que je n'en sache la réelle raison profonde et instantanément, je me vis froncer les sourcils. Non pas que je m'inquiète pour les autres en définitive, j'en avais strictement rien à foutre et c'en était même devenu une bien triste habitude, mais ici ... je savais pas quoi en penser.
Il était ma famille retrouvée et instinctivement, j'aimais pas le voir comme ça.

... urgh, c'était affreusement bizarre.

- Okay. Je faisais signe à la serveuse de lui apporter ce qu'il désirait et en vitesse, parce que sinon, je sentais qu'il allait me planter son scalpel dans la jugulaire, là. ... seul ? Je prenais pas ça personnellement. Après tout, ça m'aurait étonné que ses propres darons veuillent rencontrer le gars que je suis avec ses valises et avec aucun endroit pour dormir.
La seule option étant : l'appartement de leur propre fils.

AH.
La voilà, la question qui pique.
Et à laquelle, je répondis par un sourire en coin, un brin trop confiant de cette esbroufe que j'allais lui sortir. Sauf que- jusqu'à présent, être honnête avec lui, ne m'avait jamais desservi. Alors autant continuer.

- Un moment. Pour être franc. Et, je compte reprendre les études que je faisais à Londres, de toute façon. Une gorgée de mon Martini que j'avais presque terminé à ce stade. ... surtout que pour être totalement franc, je vais m'installer ici.

Dans mes palabres, y'avait l'assurance que l'installation, elle se ferait chez lui. Qui a dit qu'un peu de culot, faisait du mal hein ? Personne, à ce que je sache.

- J'ai payé quelqu'un. Pour faire des recherches. Le genre détective privé. Pas le type totalement weird sur le Dark Web, ou un truc du genre. Le gars, il était genre noté cinq étoiles sur Google, baaah moi ... j'ai pas pu résister. J'esquissais un sourire derrière mon verre à pied. ... et où je vis ? Je crois que foncièrement, tu dois avoir la réponse à cette question épineuse. Je me vois mal vivre dans l'aéroport de Brisbane ou même à la gare.

Un petit trait d'humour, pour tenter de dérider mon cousin qui m'avait l'air d'être une statue de glace, personnifiée.
Ça me faisait pas peur moi. Bien au contraire, même.