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A place for my head

@Loan Hartmann & @Axel Hartmann

C'était la toute dernière étape d'un périple qui avait duré pas moins de vingt-quatre heures. Périple, dont j'étais pas certain de ce que je pourrais trouver à l'arrivée. Est-ce que ça allait bien se passer ? Est-ce qu'on allait se faire une accolade comme dans ces films de merde, que je détestais ? Ou est-ce qu'on allait se regarder comme deux inconnus dans le blanc des yeux ?
C'était un peu ce qu'on était, fondamentalement. Fallait pas se leurrer.

Moi, j'étais rincé. Lessivé et fatigué. Alors, que je tentais de passer par tous les scénarii possibles, sans qu'ils soient catastrophiques. Et, y'en avait pas des masses qui se finissaient bien, pour être un tant soit peu honnête. J'envisageais l'apocalypse, parce que j'étais pas habitué à d'autres trucs. Puis, c'était aussi chercher un peu la merde, que de pas s'annoncer avant d'arriver ... ça aussi, fallait pas se mentir. Inspirant et expirant doucement, je tentais de repousser l'inévitable, mon casque vissé sur mes oreilles, alors que je pianotais en rythme sur le tissu sombre de mon sac à dos, sans me préoccuper de ce qui se tramait autour.

Y'avait juste ce paysage qui m'intéressait et que je connaissais pas. Ou si, parce que je l'avais vu seulement en photos, quand je m'étais renseigné sur le lieu de villégiature du cousin. Loan, de son petit prénom. Et, dont j'avais un cliché que j'avais tant de fois malmené entre mes doigts, lui laissant une forme de cicatrice éphémère sur le visage. À défaut de la mienne. Mais là, c'était un peu comme si on se ressemblait et que ça pouvait que nous rapprocher. Haussant mes épaules, je laissais ma tête reposer contre la vitre de la navette que j'avais pris en sortant de l'aéroport pour me rendre là, où il bossait. Ça aussi, cette information, je l'avais eue en même temps que le tirage.

Tout en me frottant l'arête du nez, je voyais bien que j'allais pas tarder à arriver. Parce que je voyais apparaître dans mon champ de vision, l'énorme édifice. Évidemment, j'aurais pu directement me rendre chez Loan Hartmann, -là aussi je la connaissais l'adresse-, mais force était de constater que j'avais opté pour un lieu neutre, pour une première rencontre. Me redressant, j'empoignais mon sac à dos et récupérais ma valise, présente dans la soute. Jusqu'à la traîner sur le parking de l'hôpital tout en m'en grillant une. Enfin.

Un sourire venait de naître sur mes lèvres, alors que je soufflais la fumée blanchâtre dans l'air et que ça me faisait encore retarder l'échéance. De quelques secondes ? Quelques minutes. Parce qu'à peine la première cigarette terminée, je m'en allumais une deuxième. M'adossant contre le mur de l'entrée, pas encore convaincu de pénétrer à l'intérieur du bâtiment.
Ouais. Je devais avouer que ça me foutait un peu les boules de rencontrer un mec qui portait le même nom de famille que moi et que j'avais jamais vu. Enfin si, en photo.

- Vous avez besoin d'aide jeune homme ? Perdu dans mes pensées, j'avais pas vu l'infirmière. Ou du moins, ce qui y ressemblait. ... vous êtes blessé ? Vous venez rendre visite à quelqu'un ?
- Je viens voir le Docteur ... Hartmann.

C'était clair et concis. J'avais abattu mon principal atout de toute façon.
Tant et si bien que la jeune femme me fixa avec un air circonspect tout en m'exhortant à entrer.

- Vous êtes un patient du Docteur Hartmann ?
- Je suis plus que ça, à vrai dire. Avec un sourire, je laissais planer une forme de quiproquo. Conscient qu'il y aurait mésinterprétation de la chose. Mais honnêtement, qu'est-ce que j'en avais à foutre à cette étape-ci ? Rien.

Tout ce qui m'importait, c'était qu'elle me conduise au bureau du Docteur Hartmann. Le reste, c'était accessoire. Ce fut lorsque j'attendis dans un fauteuil non loin de ce même bureau portant l'identité de mon cousin, que je pris conscience de la réalité de cet état de fait. Que j'allais pas tarder à le rencontrer mais que je m'attendais à rien. C'était bizarre comme sentiment.

J'avais pas les mains moites. J'étais pas anxieux. J'étais juste curieux. Parce qu'à première vue, on se ressemblait pas plus que ça, quoi. Mais y'avait peut-être moyen de voir des similitudes autre part, non ? C'était cette idée qui me frappa l'esprit quand je le vis débouler devant moi. Là par contre, j'avais la bouche sèche et un manque de répartie flagrant.

- Salut. Wow.

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La journée s’était, jusqu’à présent, déroulée sans trop de difficultés. Rendez-vous. Café. Suivi opératoire. Re-café, pour calmer l’agacement d’avoir été sollicité pour opération des amygdales (à quoi servent les années de spécialisation si on vous demande un acte chirurgical faisable par un enfant de 10 ans ?). Point sur mes prochains rendez-vous, professionnels et personnels. Déjeuner. Réponse à un message de Nieves.

Le reste de mes heures de travail aurait dû passer sur un rythme comparable, avec au moins le même niveau de non-excitation, jusqu’à ce qu’on me laisse enfin trouver un apaisement mental dans quelques longueurs.

C’était sans compter le sens de l’humour de l’univers.

« Docteur Hartmann ? »

Je lève vers l’infirmière qui a frappé à la porte un regard qui n’invite pas aux confidences détaillées sur l’état de son mariage ou sur l’état des couches de son dernier né. Elle ne fuit pas pour autant, malheureusement ; ce n’est pas mon prochain rendez-vous, il est dans une demi-heure, et il est de notoriété publique que les patients se trouvant suffisamment importants pour débarquer quand ça leur chante ne sont pas accueillis plus tôt dans mon bureau.

« Il y a… votre… »

Je plisse les yeux. Est-elle plus rouge qu’à l’ordinaire ? Fait-elle un accident cardio vasculaire dans mon bureau ? Il lui semble impossible de former une phrase complète, alors même que mon regard doit lui signifier que ma patience commence à s’épuiser.

« Eh bien ? Mon ? »

Elle s’étrangle visiblement, ce qui me prouve qu’elle a encore toutes ses capacités de cognition.

« Un jeune homme demande à vous voir. »


« Mon planning est à jour. Voyez avec lui pour un créneau de rendez-vous. »

Faut-il que je donne ce genre de consignes, à présent ? Ne devrait-elle pas être au courant de ce genre de procédures ? C’est quand même incroyable qu’il faille-


« Il demande à vous voir pour des raisons personnelles. »

Il y a un long blanc. Elle en profite pour s’éclipser, avec un couinement ressemblant à ‘ilattendsurlesfauteuilsdelasalled’attente’. Et je me trouve seul à fixer une porte restée ouverte, et à m’interroger sur ce nouveau rebondissement imprévu et non désiré. Hm. Bien…Allons voir.

L’inconnu part avec le handicap de l’agacement que me procure la perspective d’être dérangé de façon inopinée. Mais je n’exclus pas qu’il puisse s’agir d’un ancien camarade de formation, qui aurait besoin d’aide ; la probabilité qu’un tel camarade m’ait marqué est faible, mais pas nulle. Voyons.

La salle d’attente est déserte, parce que mon prochain patient a une conscience claire de sa propre importance ; impossible, donc, de me méprendre sur l’identité de l’inconnu qui se permet de requérir ma présence. Un jeune homme assis sur un des fauteuils, l'air à la fois blasé et peut-être tendu, un sac à dos à ses pieds ; grand, mince, cheveux bruns courts et regard perçant. Pas un ancien camarade. Pas un patient. Et à vrai dire, pas un visage sorti du passé et pourtant… quelque chose d’indescriptiblement familier qui parvient à me troubler, sans que, bien sûr, je choisisse de le montrer.

Le jeune homme, par sa réaction, semble éprouver un trouble comparable, mais ce n’est rien qui puisse m’indiquer ce qui se trame. Aussi, je lui tend la main, offrant une poignée de mains qui prouvera probablement à la direction de l’hôpital que je suis attaché à un accueil humain et respectueux de nos patients, et autres âneries qui font partie depuis quelques semaines de mes objectifs personnels annuels.

« Je suis le Docteur Hartmann. A qui ai-je l’honneur ? »

Pas ‘en quoi puis-je vous aider’ ; il n’a qu’à prendre rendez-vous de façon régulière, comme tout le monde.

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J'avais la désagréable impression d'être un Fou, sur l'échiquier même de la vie. La mienne, en l'occurrence. Avec des déplacements, toujours erratiques, propres à ma condition. Parce que c'était comme ça, que j'étais, fondamentalement. Me mouvant de quelques cases, sans trop me poser de questions. Ou peut-être, un peu trop ? Parce que c'étaient en partie à cause d'elles, que je me retrouvais ici, dans cette salle d'attente, à provoquer un destin que je n'aurais jamais cru possible.
Et, quel destin, putain !

Je savais pas quoi en penser de tout ça. Ni comment il serait. Et surtout, si on se ressemblait, malgré les années d'absence et du fait pur et dur, de ne pas les avoir passées ensemble. Ça, c'était un peu ce qui me vrillait l'âme sans que je m'épanche là-dessus. Parce que de toute manière, j'en aurais certainement pas le loisir et nullement le temps. Mais ... est-ce qu'en face de moi, j'aurais un Fou aussi ? Ou plutôt un Roi ? Dont il me faudrait lui porter allégeance, pour que je puisse être accepté dans sa cour ?
Je n'avais pas la prestance d'une Reine blanche pour mettre en péril le Roi noir, et lui faire mordre la poussière, comme un vulgaire Échec et Mat.

C'était pire. Pire au fur et à mesure, que les minutes s'envolent et que je reste assis comme un con, sur cette chaise qui n'a rien de confortable. Frottant la cicatrice qui barrait depuis des années ma joue droite, j'étais toujours en train d'élaborer des scénariis. Tous aussi détestables les uns que les autres. Parce que je me doutais, qu'on allait clairement pas se prendre dans les bras, juste se mater dans le blanc des yeux. Comme de vulgaires inconnus.
Ça, ça tournait dans ma tête. Depuis le début.

Rejetant ma tête aux boucles brunes, sur le dossier, j'inspirais. Tendu. Curieux. Pas apte à faire une première rencontre de cette manière. Tout en me frottant l'arête du nez, je me disais que j'avais bien besoin d'une clope pour détendre tous mes muscles.
... ça attendra, manifestement.
Parce qu'il s'était manifesté et face à moi, j'avais donc bien un Roi. Et, je restais un Fou.

Fou, qui n'avait aucune idée de comment engager la conversation, mise à part avec ce seul mot de salutations, qui avait réussi à franchir la barrière de mes lèvres. Ça, et une poignée de main, que je ne pus qu'accepter. Constatant qu'on se ressemblait. D'aussi peu, que pouvaient l'être, des étrangers. Note que j'avais bien envie de continuer sur ma lancée du début, en soufflant que j'étais potentiellement l'amant de ce type qui me faisait face. Mais, la blague serait assez mal réceptionnée par le principal concerné.
Vu sa gueule, j'en étais plus que conscient.

- Hum. Moi, Axel Hartmann, j'étais généralement pas trop connu pour tourner autour du pot. Surtout ... quand je la jouais aussi gros. Et ici, c'était le cas. ... je suis comme qui dirait, un proche. Très proche. Je suis ton cousin, Axel. J'eus un sourire en coin, alors que j'ouvrais la plus grande poche de mon sac à dos, pour en sortir une pochette plastifiée où se terrait mon acte de naissance. Au cas où, hein. C'était estampillé de la clinique de luxe où j'avais poussé mon tout premier cri. Assorti à ça, plein de papiers en plus.

Tout ce que je détestais. Passé ces formalités, j'attendais avec une certaine impatience de voir la réaction qui naîtrait dans les iris bruns de mon vis-à-vis. Car, c'était bien ça, le plus important, hein.

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Un nouveau blanc. Alors que ce jeune homme prouve une certaine audace, en affichant un sourire qui, diront les mauvaises langues, a un petit quelque chose de familier.

Croit-il que l’on dispense les diplômes de médecine au hasard, à des ignares incapables de logique ?

« Est-ce la nouvelle approche en matière d’arnaque ? Mes parents n’ont pas répondu à vos courriels mentionnant un prince africain, alors vous avez décidé de jouer le tout pour le tout dans l’espoir de partager l’héritage de mon grand-père ? »

Juste assez de froid dans mes mots pour signifier que ma phrase ne doit pas être prise comme une plaisanterie et que si je n’ai pas encore appelé la sécurité de l’hôpital, c’est uniquement pour m’éviter le scandale et les qu’en-dira-t-on dans la salle de repos de ces dames.

Parce que les fléreurs de gros poissons sont eux-mêmes contraints à une certaine éducation, le jeune homme semble avoir anticipé les éventuelles remises en question du scénario proposé. Il me tend un document. Je ne l’accepte qu’avec trois secondes de retard et avec un commentaire en guise de point final à son argumentaire :

« Si j’avais un cousin, je crois que je m’en rappellerais. »

Cependant, je commets l’erreur de baisser les yeux vers le document. Il me faut l’étudier de plus près. La contrefaçon n’offre pas de défaut visible de prime abord, elle est d’excellente facture. Jusqu’au tampon apposé par un représentant de l’établissement, qui me parait semblable à celui que j’avais pu voir sur mon propre acte de naissance. Ce genre de marque, néanmoins, peut se falsifier, de même que le reste du papier, tout comme la mention « copie certifiée conforme » ; pour être certain de la véracité de ce document administratif, il me faudrait faire la démarche moi-même auprès des autorités compétentes. Restent les autres informations mentionnées. Les prénoms des parents ne m’évoquent rien ; le patronyme du père est semblable au mien, et la clinique n’est pas ouverte à n’importe quel péquin, de par ses tarifs.

A nouveau, ce sentiment que le réel a trébuché.

Je suis de moins en moins amusé.

« Attendez ici. »

Je ne lui rends pas le dit document, et je plante le garçon.

Il n’est pas seulement question, ici, de le décontenancer, s’il a eu le culot de venir jusque-là, annonçant ce genre de choses sans trembler, il ne va pas s’effondrer parce que je le laisse mariner une demi-heure. Je n’espère donc trop rien de ce côté-ci. En revanche, je prends le temps de prendre en photo le document, d’en adresser copie à mon géniteur, assorti d’un message court, et efficace : « Un commentaire ? »

Le téléphone sonne moins de 10 minutes plus tard.

Les explications de mon père sont…. efficaces. Elles génèrent un agacement, de part et d’autre de la ligne.

Néanmoins, si je perdais mes nerfs pour des révélations familiales, je ne mériterais pas d’exercer en tant que chirurgien.

Je m’accorde quelques instants, avant de retourner dans le couloir, rendant au garçon le papier, sans pour autant manifester d’autres sentiments. Le laisser mariner, voir comment il réagit. Puis :

« Votre numéro de téléphone et adresse. Nous allons organiser une entrevue avec Hartmann senior. C’est lui que vous auriez dû contacter en premier. »

Et je me réserve le droit de faire procéder à une enquête par un homme qui a suffisamment de temps libre et d’affinités avec les forces de l’ordre pour en faire son métier.

Un dernier point, bien qu’il soit clair que le jeune homme puisse mentir :

« Pourquoi venir me trouver aujourd’hui ? Pourquoi maintenant ? Et pourquoi moi ? »