Jesse n’avait trouvé le sommeil que depuis deux petites heures quand il connut le réveil le plus désagréablement abrupt qui fut. En un soudain sursaut, il ouvrit les yeux sous les coups tapageurs portés à sa porte d’entrée. Dans la foulée, et le cœur battant, en alerte, il se redressa dans son lit. Il jetait un coup d’oeil furtif à l’heure sur son téléphone portable qui affichait environ six heure du matin. Qui venait ainsi cogner à sa porte aussi tôt ?
Jesse hésitait à aller ouvrir. Ça n’avait pas du tout l’air d’être une bonne idée. Il s’extirpa de son lit, sur le qui-vive. Vêtu de seulement sa tenue de nuit consistant en un T-shirt XXL et un short de pyjama bien trop court, il se sentait très vulnérable. Il enfila alors un peignoir de pyjama à motifs colorés reminiscents des seventies, comme si ça allait d’avantages le protéger d’une éventuelle attaque.  Alors qu’il allait dans son salon pour se rapprocher de l’entrée, il entendit une voix masculine crier en l’appelant par son prénom.
Il reconnaissait la voix. C’était celle de Bran. Il se sentit un peu apaisé, mais pas totalement. En fait, c’était surtout la colère qui commençait à faire surface. La colère de se faire réveiller de la sorte à six heure du matin. Qui faisait ça ? Bran, vraisemblablement. Il ouvrit la porte, découvrant le visage emprunt de rage de son ex.
« Bran ?! Qu’est-ce que tu fiches ici à cette heure ? T’es un malade, ça va pas de réveiller les gens comme ça ! Je te signale qu’il y a des voisins ! »
Un échange cordial s’annonçait. Jesse n’était déjà pas du tout une personne matinale de nature. Un tel réveil et Bran ne pouvaient qu’empirer son humeur.
Jesse occupait un appartement d’une taille tout à fait suffisante pour une seule personne. La décoration se caractérisait par sa variété de couleurs, mises ensemble sans réel regard pour la cohérence globale. Il achetait les objets qui lui tapaient à l’oeil. Quelque part, ça avait un côté cool. La nature désordonnée de Jesse se retrouvait aussi à travers les divers objets abandonnés çà et là, et des penses-bêtes oubliés sur le réfrigérateur. Une tasse à moitié remplie sur la petite table. Un drapeau arc-en-ciel, reste du mois des fiertés passé, reposant sur le dossier d’une chaise. Des pièces de monnaie éparpillées. Des documents administratifs en attente d’être traités.

Jesse n’avait sincèrement aucune idée de ce que Bran lui voulait.
Il lui semblait juste ne l’avoir jamais vu avec une telle expression de colère. Pourtant, ils s’étaient beaucoup disputé quand ils étaient ensemble. Cette colère, elle était contagieuse, elle atteignait Jesse qui se la prenait en pleine face.
D’une façon peu délicate, Bran le poussa pour pouvoir rentrer. « Eh !! » Ça ne servait à rien : Bran ne l’écoutait pas. L’espace d’une une seconde, Jesse se demandait s’il n’avait pas bu. Il ferma la porte pour ne pas que tout l’immeuble profite de leur dispute. Puis, il se retourna vers Bran, ses bras croisé refermant son peignoir contre lui. Bran se remit à crier sur lui, l’air de lui reprocher quelque chose.
« Bah oui, tu m’as réveillé ! »
Ne pas savoir ce qui lui était reproché l’énervait d’autant plus. Il se faisait crier dessus gratuitement.
Après quelques secondes d’un silence pesant, Bran se remit à parler, à un volume bien plus bas, en se rapprochant de lui. Même s’il avait baissé le volume, Jesse n’appréciait pas du tout la façon dont il s’adressait à lui, en le pointant du doigt. D’un revers de la main, il lui dégagea son doigt impoli.
« Ok, déjà tu vas baisser ton doigt. Tu me pointes pas comme ça, surtout pas chez moi, où tu n’as pas été invité. »
Il ne criait pas, mais s’efforçait d’être aussi ferme possible, s’alignant avec le nouveau ton de voix de Bran. On ne pouvait pas dire qu’il s’était radouci, ni qu’il était plus aimable par rapport à la minute d’avant. Il lui parlait comme à un ex indésirable qui venait le réveiller en hurlant très tôt le matin, l’accusant d’il-ne-savait-pas-quoi.
« Et je ne sais pas du tout de quoi tu parles. Je dis beaucoup de choses à beaucoup de monde, il va falloir être plus précis. » lui répondit-il, irrité.
Ça faisait belle lurette que Jesse avait bloqué Bran sur toutes les plateformes, et qu’il avait son possible pour ne plus voir son pseudo ou sa face dans des recommandations. La rupture avait été douloureuse, il ne voulait juste plus le voir même à travers son écran.

« Ils... » commença Bran sans parvenir à finir.
Il prit son téléphone pour chercher quelque chose dessus. Mais Jesse s’impatientait déjà, se fichant de la difficulté manifeste que Bran avait à lâcher l’information.
« Ils quoi ? »
Bran lui mit son téléphone juste devant les yeux, beaucoup trop proche pour qu’il soit en mesure de lire quoique ce soit. Il eut un mouvement de recul pour être capable de discerner quelque chose tandis que Bran lui cracha la raison de sa colère avant de lui retirer l’écran des yeux, ne lui laissant pas le temps de lire.
Une personne avait dit à un média que Bran était gay, ce média l’avait partagé. Il entreprit ensuite de lui lire les messages homophobes qu’il recevait depuis. Tous sonnaient familiers à Jesse qui restait pourtant de marbre. Certes, c’était nul pour Bran. Mais Jesse ne parvenait pas à ressentir de l’empathie pour son ex-petit-ami. L’argument des parents de l’émut pas d’avantages. Tout ce qu’il trouva à répondre fut :
« Parce que c’est faux ? »
Il ne cherchait même pas à l’apitoyer sur son sort, à lui dire des choses comme ‘Je suis tellement désolé que ça t’arrive’, ou ‘C’est horrible !’. Il savait que c’était très problématique ce qui arrivait à Bran, qu’il aurait dû se sentir au moins désolé. Il n’y arrivait juste pas.

Bran s’éloigna de lui, arpentant son salon un peu en désordre (comme d’habitude). Jesse ne savait pas vraiment où se mettre. C’était un comble : il était chez lui ! Mécaniquement, sans y faire attention, il se mit à stimmer avec un pan de son peignoir, laissant ses doigts parcourir les coutures de l’ourlet. Il releva la tête quand Bran reprit enfin la parole. Il haussa les sourcils, puis les fronça successivement à ce qu’il entendait. L’indifférence, la surprise, l’incompréhension et la colère.
« Attends attends…  Tu crois que c’est moi qui ai balancé ça sur toi ?! Tu m’accuses de ça ?!! »
Bran cherchait son téléphone. Jesse le prit par le bras et tira dessus pour qu’il arrête de retourner ses affaires.
« Arrête ! Tu ne vas pas prendre mon téléphone, je ne vais appeler personne ! Je n’ai rien à voir dans cette histoire ! Pourquoi ce serait moi qui t’aurais balancer ? »
Jesse avait du mal à voir l’intérêt qu’il aurait eu à révéler sa sexualité deux ans après leur rupture alors qu’ils ne s’étaient pas adressé la parole une seule fois depuis.

« Rien, je pense juste que tu devrais arrêter de te mentir à toi-même. »
Même si Bran n’était pas gay, Jesse considérait qu’il ne pouvait pas se définir comme hétéro. Dès le moment où il avait commencé à ressentir des sentiments et du désir pour un autre homme, il ne pouvait plus se considérer comme hétéro. Certes, il pouvait ne pas vouloir l’admettre aux autres, mais il pouvait au moins se l’admettre à lui-même.
Ce qui révoltait le plus Jesse dans tout ça, c’était que Bran puisse penser qu’il l’ait outé et ne le croit pas quand il dément cette accusation. Il était le seul homme avec qui Bran avait eu ce genre de relation, il était donc le seul en mesure de délivrer ces informations à des journalistes. Ce n’était pas illogique, mais Jesse trouvait ce résonnement injuste.
« Je ne sais pas ! »
Il ne le savait vraiment pas. Il ne pouvait pas répondre autrement à cette question. Bran s’entêtait à trouver son téléphone pour forcer à appeler le média pour démentir cette rumeur. Jesse essayait de plus ou moins argumenter, essayant de stopper sa recherche de toute façon vaine – son téléphone était dans sa chambre.

D’un geste qui avait l’air presque désespéré, Bran empoigna les deux pans du peignoir de Jesse en le priant de le faire. Le ‘s’il-te-plait’ frappa Jesse d’autant plus, tellement il sonnait inhabituel de la bouche de son ex-petit-ami. Et comment Bran se tenait face à lui. Celui-ci était bien plus grand que lui, mais paraissait presque petit. Cet instant fut toutefois bref, avant que Bran ne se ressaisisse. Il ne criait plus, changeait d’approche. Il ne croyait toujours pas en son innocence. Le petit semblant de sympathie qu’avait ressenti Jesse disparut aussi vite qu’il était apparu.
« Je te dis que je n’ai rien à voir là-dedans ! Je ne suis pas un menteur. Je ne peux rien faire ! »
S’il était un menteur, il était un mauvais menteur. Assez ironique, pour un acteur. Le problème était surtout qu’il ne savait pas maintenir un mensonge sur la durée, et que l’acte de mentir le dérangeait profondément.
« Et peut-être que si ça t’arrive, c’est que tu le mérites. T’as un mauvais karma, et je ne suis certainement pas la seule personne qui voudrait te faire du tort. Sauf que moi, j’ai autre chose à foutre de ma vie. » poursuivit-il froidement en prenant les mains de Bran pour qu’elles lâchent son peignoir avant de les lâcher dans le vide.
A leur rupture, il aurait pu être capable de balancer de tels dossiers sur Bran. Il n’aurait pas fait les choses à moitié. Surtout avec toutes les pièces à conviction dans son téléphone portable. Ça aurait été ridiculement facile.

C’était de la faute de personnes comme Bran que tant de personnes étaient effrayées de faire leur coming out. Il participait à la construction d’un environnement hostile pour tout ceux et celles qui pouvaient être différent.e.s de la norme archaïque et traditionnelle. Alors oui, Jesse lui en voulait pour ça. Il avait même du mal à se sentir mal pour lui qui était tout aussi bloqué que les autres. Il avait juste la communauté qu’il méritait. Une communauté étroite d’esprit et haineuse.
Sa réponse, brutalement transparente, eut l’effet de ranimer la colère rouge de Bran qui leva la main, prêt à l’attaquer physiquement. Jesse eut peur sur le coup, ayant le réflexe de se figer sur place, sans rien dire. Il avait peur. Il ne voulait pas se faire frapper, mais il ne voulait pas non plus se dégonfler face à Bran. Il n’avait jamais levé la main sur lui, et une part de lui attendait qu’il ne commence pas maintenant. Il pu respirer de nouveau quand l'offenseur baissa sa main.
« Alors ça te fait plaisir, c'est ça ? Je le mérite ? » lui répondit ce dernier à la place, s’éloignant, regardant autour de lui.
« …. Oui. »
Bran empoigna avec véhémence le drapeau des fiertés reposant sur le dossier d’une chaise sous le regard méfiant de Jesse qui le sentait encore très agressif.
« Bran, arrête. »
Bran lança un regard à Jesse. Et il jeta le bout de tissu au sol...
« ARRÊTE ! »
... puis cracha dessus.

Jesse se sentit très mal à cette vision. Ça pouvait sembler stupide et disproportionné. Ce ne l’était pas à ses yeux.
Ce n’était pas juste un drapeau sur lequel Bran avait craché. Et ils le savaient tous les deux que ça allait au-delà de ça.
Ça revenait à insulter Jesse, lui et plein d'autres personnes, sa façon d’aimer, d’être et de vivre. Lui dire qu’il ne méritait pas le respect. S’il lui avait craché directement dessus, il ne l’aurait pas pris différemment.
Franchement, qu’est-ce qu’il y avait à aimer, là ?
Bran avait un sous-ton sombre dans sa voix, tandis qu’il menaçait implicitement Jesse qui avait les larmes aux yeux et dont la colère montait de seconde en seconde.
« Dégage de chez moi. »
Là, il n’en avait plus rien à faire. Agressivement, il se rapprochait de Bran pour le pousser littéralement vers la sortie. Bran s'y dirigeait de lui-même. Pas assez vite au goût d'un Jesse furieux.
« DEGAGE ! »
Il n’avait pas de patience. Quand l’indésirable fut sorti, il continua de lui crier à travers le couloir, reprenant l'injure qui lui avait été dite juste avant.
« TOI VAS TE FAIRE FOUTRE ! IL PARAÎT QUE TU KIFFES CA EN PLUS ! NE PENSE MÊME PAS A REVENIR CHEZ MOI OU J’APPELLE LA POLICE ! »
Il aurait pu le menacer d’autre chose, mais la police était la première chose qui lui était venue à l’esprit.