’’Eh, tu fais quoi là ?’’ oh, il sait très bien ce que Kip’ fait, puisque le miroir du dressing lui renvoie l’image de son ami qui fourre ses mains dans le carton pour récupérer les affaires que le pianiste a emballé sans grand ménagement, il faut bien le reconnaître. ’’Remets cette merde là où tu l’as prise.’’ il lui ordonne en se retournant vers lui, l’air sévère bien que posant paradoxalement un regard indulgent sur son visage, puisqu’il n’est porteur d’aucune colère — du moins, celle-ci n’est pas dirigée contre l’homme de loi. S’il comprend sa difficulté à se débarrasser des dernières affaires d’Andrew, il juge aussi nécessaire de les éradiquer bien assez vite de son lieu de vie. L’éternel volage a perdu le privilège d’exister entre ces murs à la seconde où il s’est envolé pour Paris (presque) sans un mot pour son entourage, en compagnie d’un photographe français qu’il a rencontré grâce au pianiste. Et pour cette raison, Izan ne sait pas s’il est le bienfaiteur ou le responsable de leur rupture : a-t-il (enfin) libéré Kip’ d’une relation toxique ou l’a-t-il plongé dans un profond désespoir, et ce sans le vouloir ? S’il a d’abord été l’ami d’Andrew — en réfutant ses avances un bon paquet de fois, il est devenu, au fil des années, celui de Kip’, jusqu’à ne ressentir qu’un profond mépris pour l’autre. Alors, lorsque le goujat l’a appelé avant son vol pour lui annoncer son départ, l’hispanique ne s’est pas gêné de le couvrir d’insultes et de reproches, n’ayant pas peur de lui dire les vérités qu’il contenait depuis bien longtemps, par égard pour celui qui a présentement le coeur brisé. ’’Écoute…’’ jetant une vieille casquette usée dans le carton ouvert, il soupire en se rapprochant de son ami, sans trop savoir jusqu’à quel point il peut lui rappeler qu’il n’a pas perdu grand-chose dans cette sordide histoire ’’C’était un connard. Tu mérites bien mieux et tu le sais !’’ il ne l’engueule pas, mais il aimerait bien que Kip réalise qu’Andrew ne l’a jamais considéré à sa juste valeur, et qu’il le traitait d’une façon totalement négligeable, enchaînant les amants et les beuveries avant de se rappeler à lui lorsque le confort d’une vie luxueuse lui manquait ; un sale type de la pire espèce, donc, et ce n’est certainement pas Izan qui va pleurer son absence ’’On va mettre toutes ses vieilleries dehors et on va y foutre le feu, ce sera un bon moyen pour exorciser ta douleur.’’ il n’est pas psy mais c’est ce que les gens font dans les films donc ça doit être bénéfique, non ? ’’Arrête de tirer la tronche, t’as déjà des rides faudrait pas aggraver ton cas.’’ parce que leur amitié n’en serait pas une s’ils n’échangeaient pas quelques vacheries, et ce n’est certainement pas son chagrin d’amour qui va l’adoucir ; en réalité, il est presque sûr que Kip’ lui en tiendrait rigueur de le ménager ’’Bon, on s’y remet ? Il reste quoi à jeter ?’’ parce qu’il est tout bonnement hors-de-question que son ami débourse un seul billet pour lui expédier ses affaires en Europe ; qu’il aille se faire foutre qu’il dirait.

Il ne fit même pas semblant d’être désolé, se contentant de glisser discrètement le bracelet dans sa poche au lieu de le remettre dans le carton comme il le prétendait. « Tu as une tache sur le nez... » dit-il en soupirant, ses yeux bleus balayant les cartons éparpillés dans la pièce. Sa vie de couple se résumait maintenant à ces six cartons marron. Douze ans de vie commune, réduits à rien de plus que quelques boîtes. Cette pensée lui serra le cœur, un poids lourd et oppressant qu'il n'arrivait pas à ignorer. Il savait que le jeune pianiste tentait de l’aider, et malgré la douleur qu’il ressentait, Kipplin lui en était sincèrement reconnaissant. Pourtant, un sentiment d’abandon le submergeait, enveloppant chaque recoin de la pièce. Il haussa les épaules, un geste empreint de lassitude, avant de se laisser tomber sur le lit, tel un pacha en quête de réconfort. Le matelas s'affaissa sous son poids, et il étendit ses bras, fixant le plafond d'un regard vide, son esprit flottant entre le passé et le présent. Après un moment, il tourna la tête pour poser un regard scrutateur sur l'Hispanique qui se tenait près de lui, une lueur d'envie et de nostalgie dans les yeux. S’il avait eu dix ans de moins, s’il avait rencontré Izan avant que ce dernier ne soit en couple… Ces pensées firent naître un léger sourire sur ses lèvres, un sourire empreint d'un regret doux-amer. Il laissa ce moment fugace s'évanouir avant de revenir à la réalité, pointant un doigt nonchalant vers son ami, une étincelle malicieuse dans les yeux. « Tu dis ça... Mais tu n’en crois pas un mot. N’oublie pas que je t’ai vu pendant ta rupture et après ta réconciliation. On s’en fiche s'il était fait pour moi ou pas. Je suis amoureux. Et rien ne peut changer ça. Rien. Et tu es bien placé pour le savoir. »

Il se redressa lentement pour récupérer la casquette que Izan voulait brûler et fronça le nez en la regardant. « QUOI ? Il est hors de question qu’on brûle des vêtements Chanel ! T’es pas bien ??? Si certains te plaisent, garde-les, donne les autres… Mais ne brûle pas… » Avec une moue de désapprobation, il enfonça la casquette sur ses cheveux d’ébène, ajustant le bord avec soin. « Je n’ai pas de rides. Tu es juste jaloux de mon éclat. » Il approcha son visage de celui d’Izan, un sourire provocateur étirant ses lèvres. « Toi par contre… Tu savais que tu avais des cheveux blancs... » D'un mouvement brusque, il se leva du lit, renversant un carton au passage. Le bruit d’un objet se brisant se fit entendre, mais il fit mine de ne rien remarquer, ignorant les fragments de sa vie qui se dispersaient autour de lui. Sans se retourner, il quitta la pièce d’un pas rapide. « J’ai besoin de vin. Tu veux un verre ? » lança-t-il par-dessus son épaule. De toute façon, il n’attendit pas de réponse et disparut dans la cuisine. En chemin, il prit soin de cacher quelques cadres photos et petits objets, les dissimulant rapidement pour éviter qu’Izan ne les jette dans un carton anonyme.

Une fois dans la cuisine, il ouvrit une bouteille de vin qu’il avait sortie de sa cave en prévision de la visite de son ami. Le liquide rouge sombre coulait doucement, remplissant deux grands verres à vin avec une précision presque rituelle. Le bruit du vin glissant contre le verre apportait un curieux apaisement, une pause bienvenue dans le tourbillon émotionnel de la journée. Il prit un instant pour observer les verres, leur contenu vibrant sous la lumière douce de la cuisine, avant de les emporter pour rejoindre Izan. Il tendit un verre à son ami et vient faire cogner le sien contre celui du pianiste.  “За ваше здоровье!” (Za vaché zdarovié) Dit-il en russe avant de prendre une grande gorgée de son vin. “Tu vas vider toutes les pièces de mon loft ? Ou tu comptes me laisser quelque chose ? Ne va pas dans mon bureau, j'ai enfermer Miss Pacman là bas avant que tu arrives, comme je sais que tu as peur.”

« Tu as une tache sur le nez... » la parade de Kip’ ne prend pas, et Izan le toise d’un air sérieux en ayant ses poings appuyés sur ses propres hanches pendant quelques secondes, avant de tendre l’une de ses mains vers lui en rétorquant, presque sévère ’’Et toi, tu as quelque chose dans ta poche.’’ ses doigts longs et fins effectuent un repli rapide contre sa paume comme pour réclamer le bracelet dérobé, puisqu’il n’a aucunement l’intention de laisser la moindre trace d’Andrew dans cette maison. ’’Je sais que c’est difficile,’’ puisque se détacher des affaires de l’ex-infidèle de manière définitive implique de rendre la séparation concrète, et lui-même n’a pas été capable de jeter les affaires de Ash au cours de leurs deux ruptures, mais il juge que les situations ne sont clairement pas comparables — il n’a pas été trompé pendant douze ans en l’acceptant les yeux fermés, lui, alors cette mascarade de couple a suffisamment perduré ’’Mais ce sera plus facilement de tourner la page et l’oublier s’il n’est pas présent dans chaque pièce de ta baraque.’’ mais il va le trimballer partout dans son coeur, oui, jusqu’à ce que le temps fasse son oeuvre et dissipe son souvenir, il faut l’espérer. Son ami étant à présent allongé sur son lit, Izan en profite pour vider les tiroirs des objets encombrants puisque Kip’ a eu la bonne idée de lui indiquer les parcelles du dressing ayant appartenu à son tocard d’ex, les effets de ce dernier étant balancés dans un carton sans lui permettre de remarquer le regard curieux qu’on pose sur lui. ’’C’est à toi ou à lui, ça ?’’ vu la grimace qu’il arbore, dans tous les cas, il juge que le t-shirt est de mauvais goût et qu’il faut s’en débarrasser au plus vite « Tu dis ça... Mais tu n’en crois pas un mot. N’oublie pas que je t’ai vu pendant ta rupture et après ta réconciliation. On s’en fiche s'il était fait pour moi ou pas. Je suis amoureux. Et rien ne peut changer ça. Rien. Et tu es bien placé pour le savoir. » il roule des yeux en appuyant sa main sur le meuble à côté de lui, ne tardant pas à reprendre la parole pour rectifier le tir, puisqu’il n’admet pas qu’on puisse comparer Ash et Andrew ’’C’est pas pareil. Il ne m’a pas trompé pendant des années sous mon nez.’’ et je ne l’ai pas accepté sans rien dire qu’il se retient de rajouter, n’étant pas désireux de piquer davantage celui qui est blessé ’’Ce que je veux dire… C’est que je sais que t’es amoureux et que tu as vraiment cru à votre histoire mais, reconnais que ce n’était pas normal comme situation, et que tu mérites mieux qu’un mec comme ça. N’importe qui mérite mieux.’’ balançant la casquette immonde dans le carton, il s’apprête à faire la même chose avec un assortiment de cravates datant sûrement d’avant la naissance de Kip, mais il se rend rapidement compte que son ami fait toujours de la résistance « QUOI ? Il est hors de question qu’on brûle des vêtements Chanel ! T’es pas bien ??? Si certains te plaisent, garde-les, donne les autres… Mais ne brûle pas… » il émet un grognement agacé avant de capituler, relevant ses deux mains en déclarant : ’’Ok, ok, on va aller les déposer dans une association, ça te va ?’’ s’il accepte sans broncher le compromis, puisque son but est que les objets déguerpissent le plancher, il ne manque pas de récupérer la casquette prise par son ami, la remettant à sa place dans le carton avant de le refermer. « Je n’ai pas de rides. Tu es juste jaloux de mon éclat. Toi par contre… Tu savais que tu avais des cheveux blancs... » secouant légèrement son menton sur le côté en tordant sa bouche dans un demi-sourire amusé, il marmonne un ’’C’est à chaque fois que je te côtoie.’’ qu’il minaude en rapprochant également son visage, avant de s’éloigner avec son carton pour le mettre en sûreté avec les autres. ’’Qu’est-ce que t’as renversé ? Pire qu’un gosse…’’ si le juge s’emploie à ignorer sa maladresse, Izan revient sur ses pas pour s’agenouiller, récupérant les débris pendant que son hôte part se chercher un verre. ’’Ouais, si tu veux’’ profitant ainsi d’être seul dans la chambre et le dressing, Izan s’empresse de faire le tour du propriétaire en récupérant tous les objets qu’il sait appartenir à Andrew, les enfonçant dans les cartons et refermant ces derniers avec un ruban adhésif pour que son ami ne vienne pas les récupérer — il a compris son petit manège, ouais.

Lorsque Kip’ revient dans la salle, trois cartons supplémentaires ont rejoint les autres, et Izan est suffisamment fier de sa manoeuvre pour se saisir du verre qu’on lui tend avec un petit sourire satisfait. « За ваше здоровье! » - ’’Tout pareil, ouais.’’ apportant sa boisson à ses lèvres pour en boire une gorgée, il tourne son menton vers les cartons en ne sachant pas tellement ce qu’il boit parce qu’il est toujours aussi nul en matière de vin, et il n’essaie même pas de faire semblant « Tu vas vider toutes les pièces de mon loft ? Ou tu comptes me laisser quelque chose ? Ne va pas dans mon bureau, j'ai enfermer Miss Pacman là bas avant que tu arrives, comme je sais que tu as peur. » - ’’C’est sympa pour ton cleb’s’’ qu’il dit en buvant une autre gorgée de sa boisson, qu’il considère d’un bref regard désintéressé avant de dire, plus calmement ’’On peut déjà se débarrasser de ces cartons, qu’est-ce que t’en penses ? Et ça te ferait prendre l’air.’’

Le nez de Kip se tord légèrement, ses narines frémissant d'agacement, tandis qu'il toise Izan du regard, ses yeux lançant des éclairs d’irritation. Après un instant de tension palpable, il pousse un long soupir, levant les yeux au ciel comme s’il cherchait à invoquer la patience divine. Finalement, avec un geste brusque et rageur, il tend le bracelet qu’il tentait de récupérer, ses doigts tremblant de frustration, et le pose entre les mains chaudes d'Izan. Le bijou brille faiblement à la lumière.
“Tu es pire qu’un chien truffier…” marmonne-t-il, la voix lourde de sarcasme et de reproche. Kip serre les lèvres, visiblement luttant contre l'envie de lancer une insulte en russe. Son regard sombre s'accroche un instant sur le visage de son ami, avant qu'il ne se pince les lèvres, ses traits se crispant. “Ce n'est pas pianiste que tu devrais être,” continue-t-il, la voix plus mordante, presque tranchante, “mais gardien de prison. Tu ferais un malheur dans la contrebande…”

Il appuie ses mots d’un regard lourd de sous-entendus, comme s’il voyait déjà Izan en uniforme, fouillant méticuleusement chaque recoin, chaque poche, chaque esprit. Pourtant, à peine a-t-il imaginé la scène qu'il décide qu'il valait mieux ne pas s’imaginer Izan, avec sa prestance habituelle et ses doigts agiles de pianiste, habillé d’un uniforme austère. Kip soupire, et la tension se dissipe d’un coup, comme un ballon dégonflé. Il n’était pas fait pour les accès de colère prolongés; la frustration, chez lui, n’était jamais que de passage. Izan, toujours avec ce même sourire en coin, fouille parmi les affaires éparpillées. Son regard tombe sur un tee-shirt hideux, aux couleurs criardes et à la coupe démodée. "C’est à toi ou à lui, ça ?" demande-t-il en levant le vêtement avec un dédain exagéré. Kip sent une pointe de vexation à l’idée qu’on puisse le croire capable de porter un tel chiffon. "Ni à moi… Ni à lui…" répond-il sèchement, mais il ne termine pas sa phrase. Ce qu'il ne dit pas flotte entre eux comme un nuage invisible mais lourd : c'était sûrement à l'un des amants de son ex. Il détourne le regard, ses yeux glissant sur le sol, comme s’il cherchait à éviter une vérité trop douloureuse. "Je sais ce qu’on dit dans mon dos," commence Kip, sa voix brisée d'une amertume à peine dissimulée, "et je sais ce qu’on pense de moi. Kip l’idiot qui a laissé un homme le tromper pendant des années." Il laisse échapper un autre soupir, plus long, plus résigné, jouant distraitement avec une vieille casquette qu’il a récupérée dans le désordre. L’objet est usé, presque déformé, mais il semble y puiser un peu de réconfort, un ancrage à ses pensées tourmentées. Il continue, le regard perdu quelque part dans le lointain, à travers la fenêtre, où il voit la ville s’étendre. “Je ne regrette pas d’avoir joué à l’idiot pendant ces années. Parce que j’étais heureux. Et Andrew avait ses bons côtés. Il me gardait toujours du café au chaud, savait quand j’étais fatigué, et me préparait toujours un thé le soir quand je rentrais d’une longue journée. Il avait toujours une petite attention… et on ne me retirera pas de l’esprit qu’il m’aimait. À sa façon...” Sa voix se brise légèrement, et il se mord la lèvre, comme pour contenir une vague d’émotion.

“C’est un peu ma faute, si je l’avais demandé en mariage, si j’avais passé moins de temps au travail,” admet-il enfin, ses mots à peine plus qu’un murmure. Il sait qu’il aurait pu, qu’il aurait dû peut-être, mais c’est trop tard pour changer ce qui est déjà fait. Enfin, il n’était pas fait pour ça. Même s’il adorait qu’on le plaigne, il partit et revint avec du vin. Il rit un peu en voyant qu’Izan ne le savourait pas du tout. “Dire que j’ai sorti une de mes meilleures bouteilles pour toi et que tu bois ça comme si c’était de la piquette…” Il trempa de nouveau ses lèvres dans le liquide purpurin. Un éclat passa dans ses yeux bleus et il observa les cartons, Izan, puis se tourna pour se regarder dans le miroir. “Prendre l’air ?” Il leva les yeux vers sa penderie. “Je dois me changer…” Il posa son verre en équilibre sur un carton avant de se perdre dans ses tenues. “Bon, sinon...” Il retira son tee-shirt sans gêne et attrapa une chemise qu’il enfila, se tournant vers son ami en attachant les boutons. “Quand est-ce que je rencontre ton magnifique Anglais ?” Il attendit une réponse pour sa question et un avis sur sa tenue.

Les yeux de Kip’ parlent bien avant sa langue, prévenant silencieusement que le comportement du pianiste ne lui convient pas ; soit, cela n’ébranle nullement celui qui, mis en faute, maintient sa positon et son regard jusqu’à ce que le conjoint répudié capitule, lui permettant de récupérer la gourmette qui achève sa course dans un coin du carton, disparaissant entre les autres affaires dans un léger tintement aigüe. « Tu es pire qu’un chien truffier… » la voix pleine de reproches glisse sur sa susceptibilité sans l’effleurer, créant même un léger sourire amusé qui flotte sur ses lèvres durant quelques secondes puisque, il ne compte pas s’offusquer de la hargne qui est jeté à ses pieds ; dans le fond, Izan sait que cette colère n’est pas totalement dirigée contre lui, et il est prêt à endosser le mauvais rôle si cela permet à son ami de se défaire de l’ombre de son tocard exilé à Paris. « Ce n'est pas pianiste que tu devrais être, mais gardien de prison. Tu ferais un malheur dans la contrebande… » en d’autres circonstances, il n’admettrait sûrement pas qu’on lui parle sur ce ton mais, comme il a lui-même expérimenté le chagrin amoureux il y a peu, il se montre particulièrement conciliant quant à l’agressivité de Kip’, se contentant de prendre une fine inspiration pour puiser l’indulgence nécessaire, expiant son amour-propre attaqué en refermant le carton d’un geste sec. ’’Je sais quoi faire si je veux changer de métier, dans ce cas. Merci du conseil, monsieur le juge.’’ qu’il rétorque avec un calme étonnant en plantant son regard dans le sien, sans répondre à l’agressivité muette que le juge lui renvoie. Il a été élevé par des yeux insensibles et austères, Izan, alors ce n’est assurément pas Kip’ qui peut le faire vaciller.

Heureusement, l’atmosphère s’allège quand la colère se dissipe dans le regard de son ami, et Izan le suit machinalement des yeux, se demandant quelles pensées ont adouci les remontrances que Kip’ nourrissait à son égard. « Ni à moi… Ni à lui… » bifurquant ses iris mordorés sur le t-shirt tout bonnement affreux qu’il tient dans une main, il fronce ses sourcils en donnant l’impression de ne pas comprendre le sous-entendu plaintif ; il lui faut quelques secondes pour réaliser que le vêtement appartient à un amant de passage, et la colère de savoir qu’il a osé le ramener dans la maison de son ami gonfle ses poumons en le forçant à rouler le t-shirt en boule pour le froisser avec rage et dégoût, le pianiste s’en débarrassent sans égard aucun dans un nouveau carton, en maudissant intérieurement Andrew. « Je sais ce qu’on dit dans mon dos, et je sais ce qu’on pense de moi. Kip l’idiot qui a laissé un homme le tromper pendant des années. » il est certain que la largesse de complaisance de Kip’ force à la fois l’admiration et l’irrationnel puisque peu de personnes auraient pu rester auprès d’un homme infidèle, et le pianiste s’inclue bien sûr dans le lot. « Je ne regrette pas d’avoir joué à l’idiot pendant ces années. Parce que j’étais heureux. Et Andrew avait ses bons côtés. Il me gardait toujours du café au chaud, savait quand j’étais fatigué, et me préparait toujours un thé le soir quand je rentrais d’une longue journée. Il avait toujours une petite attention… et on ne me retirera pas de l’esprit qu’il m’aimait. À sa façon... » les « petites attentions » citées lui semblent être peu de choses en comparaison aux trop nombreuses infidélités perpétrées par Andrew, si bien que Izan ne sait pas trop comment réagir pour ne pas l’enfoncer davantage ; rappeler que lui servir un thé est la moindre des choses après avoir sucé un autre mec n’est probablement pas la phrase la plus ingénieuse pour réconforter quelqu’un ’’À sa façon, ouais. On est d’accord là-dessus.’’ - « C’est un peu ma faute, si je l’avais demandé en mariage, si j’avais passé moins de temps au travail, » s’il fait preuve d’une éminente compassion, il ne peut décemment pas admettre la bêtise d’une telle culpabilité et, fixant son ami avec une forme d’abattement et de critique muette, il soupire avant de parler : ’’T’es sérieux, là ?’’ il pose la question même s’il n’a besoin que Kip’ confirme qu’il est soudainement devenu con ’’Si tu l’avais demandé en mariage, il aurait été capable de te tromper durant votre nuit de noces.’’ cela ne lui fait pas plaisir d’être porteur de tel message incisif, mais Izan ne peut pas rester muet face à de telles aberrations, ne voulant pas que son ami s’enlise dans une responsabilité qui ne peut lui être amputer, et encore moins se rendre complice de cet accablement par son silence ’’Je peux entendre que tu l’aimais au point de lui pardonner,’’ qu’il commence à dire dans un souci d’apaisement, sans pouvoir aller au bout de sa démarche puisque, finalement, il secoue son menton de gauche à droite en fronçant légèrement ses sourcils au-dessus de ses yeux dorés, revenant sur son affirmation ’’Non, en réalité, je ne le comprends pas. Mais ce n’est pas parce que moi je n’aurais pas été capable de l’accepter que je te juge, Kip’. Je crois même qu’il a eu beaucoup de chance d’être aimé par toi de cette façon, puisque peu de personnes auraient pu s’accommoder de ses infidélités et, au fond, tu dois t’en douter. Mais ça te faisait souffrir, quand même, non ?’’

« Dire que j’ai sorti une de mes meilleures bouteilles pour toi et que tu bois ça comme si c’était de la piquette… » il hausse ses sourcils en posant un regard perplexe sur son verre, donnant l’impression de reconsidérer sa boisson même s’il n’y connait rien ’’C’est une grande bouteille, ça ? Après tu m’excuseras, je suis plus branché mezcal que vin de messe.’’ d’ailleurs, il ne s’inflige pas une nouvelle gorgé du liquide vermeil et dépose plutôt le verre sur le meuble, en proposant de sortir de cette baraque pleine de (mauvais) souvenirs « Prendre l’air ? Je dois me changer… » - ’’Comme tu préfères.’’ tirant une chaise pour s’y asseoir, il courbe son dos en appuyant ses coudes sur ses genoux, ses deux mains massant sa nuque qu’il sent aussi endolorie que lourde. Il ne devrait pas être si fatigué, pourtant, puisqu’on peut dire que l’insomniaque rattrape le sommeil perdu en dormant plus que de raison mais, il a l’impression que l’épuisement est davantage psychologique que physique, et il ne sait pas comment mettre son esprit au repos « Bon, sinon... » levant ses longs cils noirs vers Kip’, il l’observe faire d’un oeil presque inattentif, tout en jouant inconsciemment avec la bague qui orne son annulaire gauche. « Quand est-ce que je rencontre ton magnifique Anglais ? » l’évocation de son fiancé fait aussitôt naître un sourire radieux sur ses lèvres, et il se tasse soudainement sur sa chaise en répondant, sur un ton partagé entre la douceur et la gaieté ’’Bientôt. D’ailleurs, en parlant de lui…’’ il presse ses lèvres l’une contre l’autre en se levant finalement de sa chaise, sans trop savoir si c’est le bon moment ou non pour faire cette annonce ; est-ce que ceux qui sont frappés par le malheur devienne allergique au bonheur des autres ? ’’Comment dire…’’ il sait très bien comment le dire mais, redoutant de remuer le couteau dans la plaie — surtout après les paroles de regrets formulées par Kip’, il s’éternise dans son silence en se rapprochant de lui, ayant bien du mal à ternir le sourire épanoui qui flotte sur sa bouche ’’Il m’a demandé de l’épouser.’’ puisqu’il porte encore l’alliance offerte et qu’il arbore le visage de ceux qui ont le coeur bercé de douceur et de ravissement, il ne pense pas avoir besoin de préciser qu’il a dit oui à l’homme de sa vie, mais il se garde bien de quelconque effusion euphorique, par égard pour celui qui a perdu le sien.

Kipplin est un homme dont la colère est souvent fugace, éphémère, surtout lorsqu'il s'agit de sa vie personnelle. Elle apparaît, s'enflamme brièvement, puis s'éteint presque aussi vite qu'elle est venue, comme une flamme agitée par le vent. Ses traits se crispent alors l’espace d’un instant, ses yeux se durcissent, mais déjà l’orage passe et laisse place à un calme réfléchi. Dans son travail, en revanche, Kipplin peut se montrer beaucoup plus acide. Cette sévérité n’est pas gratuite ; elle naît d’un profond sens du devoir. Dans son bureau, aux murs ornés de dessins d’enfants, défilent les petits visages dont il doit assurer le bien-être. Là, il se transforme en une figure protectrice, parfois intransigeante, un gardien qui ne tolère aucun écart. Sa voix se fait plus tranchante, ses gestes plus nets, comme s'il érigeait une barrière infranchissable autour de ceux qu’il considère sous sa responsabilité. Il ne tolère aucun compromis lorsqu'il s'agit de leur sécurité et de leur avenir ; ses mots deviennent des lames affûtées, toujours dirigées contre ceux qui pourraient représenter une menace. Et puis, au fond, Kipplin sait qu’Izan, avec son tact maladroit, fait et dit les choses pour l’aider. Izan est une présence rassurante, bien qu'il ne soit pas toujours très délicat dans sa façon d'intervenir. Il est comme un roc à la mer, indifférent aux vagues de l’émotion ; chaque remarque, chaque conseil qu’il prodigue résonne comme une cloche de bon sens dans l'esprit de Kipplin, même si celui-ci a parfois du mal à l’admettre. Izan a cette manière brutale, mais honnête de poser les vérités sur la table, sans détours ni fioriture, une franchise qui écorche, mais soigne à long terme.

Cependant, lorsque Kipplin pense à son ex, un autre type de colère refait surface, une colère muette et sourde, mêlée de tristesse. À toutes ces années passées ensemble, son cœur se serre. Il se revoit, des souvenirs se mêlant au présent : lui, les yeux baissés, ses iris bleus fuyant la réalité qu’il refusait d’affronter. Kipplin avait souvent fermé les yeux sur les agissements de l’homme qu’il aimait, se mentant à lui-même pour préserver ce qui restait de leur amour. Il avait feint de ne pas sentir l'odeur des amants de son ex qui s'attachait à ses cheveux et à ses vêtements, ce parfum étranger qui flottait dans l'air, entêtant, trahissant des moments passés ailleurs. Il avait fait semblant de ne pas remarquer les absences prolongées, les retards inexpliqués lors de leurs rares rendez-vous, se racontant des histoires pour étouffer l'amertume qui rongeait peu à peu son cœur. Ces souvenirs le hantent parfois, venant troubler la sérénité qu'il tente de maintenir. Ses épaules se voûtent légèrement, comme sous le poids d'un fardeau invisible. Et pourtant, même dans ces instants de faiblesse, Kipplin trouve la force de se redresser, de puiser dans cette expérience douloureuse une sorte de résilience, une raison de se montrer plus fort, pour lui-même et pour ceux qui comptent sur lui. Mais la solitude, la solitude lui fait peur. Le vide dans sa vie et dans son cœur l’effraie.
’’T’es sérieux, là ? Si tu l’avais demandé en mariage, il aurait été capable de te tromper durant votre nuit de noces. Je peux entendre que tu l’aimais au point de lui pardonner, non, en réalité, je ne le comprends pas. Mais ce n’est pas parce que moi, je n’aurais pas été capable de l’accepter que je te juge, Kip’. Je crois même qu’il a eu beaucoup de chance d’être aimé par toi de cette façon, puisque peu de personnes auraient pu s’accommoder de ses infidélités et, au fond, tu dois t’en douter. Mais ça te faisait souffrir, quand même, non ?’’ Kipplin ferma les yeux un instant, tentant de calmer les saignements invisibles de son cœur. La douleur était là, tapie, prête à resurgir au moindre mot. Ses épaules se détendirent légèrement, ses mains s’agrippant plus fort à son verre à vin. Puis, un petit sourire se dessina sur ses lèvres, un rictus chargé de nostalgie et d’ironie. “Je me souviens pourtant d’une époque pas si lointaine où toi aussi tu as pardonné à Asher, alors que tout ton entourage te disait de ne pas le faire.” Kipplin tourna la tête vers Izan, ses yeux bleus luisant d’une lueur douce. “ Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point” poursuivit-il d’une voix posée, en articulant chaque mot avec une précision mesurée. Il marqua une pause, savourant la sonorité du Français qui roulait sur sa langue, presque parfait. "Tu es jeune, Izan. J’ai quarante-quatre ans.” Il laissa échapper un rire sans joie, secouant légèrement la tête. “ Je ne me fais plus d’illusions sur mon futur sentimental… “ Sa voix s’éteignit sur ces derniers mots, empreinte d’une résignation douce, mais inflexible. Son regard se perdit à travers la fenêtre, et alors qu’il venait de se plaindre qu’Izan ne savourait pas le vin, lui-même avala son verre cul sec.

Alors qu’il se changeait, Izan lui apprit une bonne nouvelle. Et si son visage était souriant, ses yeux eux étaient emplis de douleur, c’était égoïste, mais il ne pouvait pas s’empêcher de penser à sa propre situation. Pourtant, il s’approcha d’Izan pour le serrer fort dans ses bras. “Toutes mes félicitations Izan. Je vous souhaite tout le bonheur du monde et même plus. Est-ce que je vais avoir la chance de le rencontrer avant que tu lui passes la bague au doigt ? ” Il se recula pour observer son ami, qui semblait être sur un petit nuage, et Kipp aurait dû le voir avant, s’il n’avait pas été autant aveuglé par sa propre douleur. “On doit fêter ça. Au diable les cartons, je t’invite quelque part.”