Preference Sheets.
Les globes ont fait le tour des orbites et ont croisé à quelques reprises le point d'émergence du nerf optique dans leur course débridée. Pas de silence franc, que des soupires, des reniflements, la chaotique mélodie de ce qui se profile — le championship des fuckery, dans ce que l'occident chrétien a légué de plus anxiogène : hôtellerie-restauration-café (transposé sur milieu aquatique - exit les grands lacs suisses, bienvenido ulcération de la paroi gastrique traitée à coup de "nah, i'm fine" et de pepto bismol entre deux infarctus maitrisés).
Le secteur tertiaire s'est tant et si bien développé au cours du siècle dernier que Cornelia Peach Crow , esclave new gen, se découvre quotidiennement une nouvelle pathologie stress-induite. Dans l'espace détente du super yacht, les coudes appuyés sur la table en formica s'affaissent - Capitain, Bosun , Chief Stew et Chef cuistot délibèrent; cherchent à déterminer avec relative exactitude à quelle nouvelle plaie ils s'exposent.
A regarder les profils dressés sur le fascicule distribué au début de l'entrevue, probablement un panachage de peste bubonique, cholera et variole - engoncé entre des intolérances au lactose, allergies imprononçables, phobies en tout genre, veganisme sauvage. La couleur annoncée promet un charter survitaminé - et des tourments susceptibles de conduire chaque membre du crew sur le divan scandinave premier choix d'un psy. Mais tout va bien, tant qu'ils gardent le contrôle de leur appareil digestif et que les sourires qu'ils ont appris à esquisser séduisent la clientèle huppée qui se joint à eux.
Cornelia dont la risette s'élargit voit l'interrogation prendre forme sur les traits exaspérés du capitain qui sait exactement que les statistiques sont loin de bien présenter : tout tend à les désigner comme les prochaines victimes du sort.
Le primery guest, l'héritier d'un empire de caoutchouc et d'adjuvants, de futurs investisseurs fortunés ayant probablement plus d'exigence que les services d'immigration d'un pays à fort PIB accompagnés par nul autre que Heath Wilson, dirtbag planétaire, possède plus de conditions que toutes les divas du monde musical réunies (et pour en avoir fréquenté à quelques reprises au cours de sa courte carrière de princesse de la country, le been there, done that ne relèverait pas de l'exagération).
Assise là, Cornelia Crow, hôtesse en chef, est unapologetically à l'origine de l'arrangement de dernière minute - par conséquent de ce qu'ils sont tous sur le point de déguster, ce qui explique que les œillades dans sa direction soient plus appuyées et porteuses de ressentiment plein-ton qu'à l'habitude. Elle enfonce à peine le cou entre les omoplates, n'a même pas le bon sens de paraitre penaude alors que son regard croise brièvement celui du chef (complètement perdu depuis les mentions 'gluten free', 'no red meat').
Les prochaines quarante huit heures promettent de tester leur patience et même quelques théories conspirationnistes. Ils se dispersent vite sur quelques formalités et l'échange d'un regard équivoque, celui qui porte le "everything is going to be alright" en talisman épinglé sur la poitrine contre l'insidieuse clientèle - tout droit tirée de l'Exode.  Ils n'ont plus que deux heures ,avant l'arrivée des invités, pour fignoler les derniers préparatifs - chaque centimètre du bateau briqué renvoie déjà leur reflet mais la guerre contre la moindre molécule de poussière ne s'arrêtera pas avant que le taux d'alcoolémie des guests n'ait atteint un chiffre indécent. Le 'into your whites' résonnant à travers la radio la fait brièvement sursauter, Cornelia se précipite dix minutes plus tard sur le main deck, un plateau sur lequel tiennent en équilibre six cocktails trop sucrés entre les mains, une jupe deux fois trop petite comme rempart contre la nudité. Toute l'équipe alignée démontre que si un mésopotamien moyen n'avait pas un jour décrété que ce serait 'ultra cool d'accueillir des gens',  et ce après avoir inventé l'écriture et la roue, hein,  - peut-être qu'ils ne se seraient pas retrouvés sous un cagnard de plomb à observer une petite troupe d'individus grisonnants exhiber des montres hors de prix, variétés de lin et veneers dernier cri , sur le béton balisé d'une marina australienne. Ils auraient été dans les champs, n'auraient surement pas connu les répercussions directes des  grands conflits mondiaux - entre autres, la conquête spatiale, le vegemite ou bien même, doux Jésus, Cate Blanchett. Cornelia Crow n'aurait pas eu le plaisir de regarder Blue Jasmine. - Zaddy à midi, souffle la stewardess qui la flanque par la gauche pour que seules les oreilles horrifiées de l'ancienne starlette l'entendent. Le Zaddy en question, Heath Wilson, walking définition - cliché, à quelques occasions également. Les salutations débutent, Cornelia présente le plateau, se rapproche du vieux loup, les cils battent un poil plus longtemps. - Une boisson fraiche, monsieur Wilson - le début probablement d'un intermède interminable.

cracked bells and washed-out horns
@Cornelia Crow ☆ crédit/timothyolyphant

On a besoin de se détendre. Oui, cette petite virée de quelques jours avec du bleu partout autour de vous, c'était ton idée. Et comme à chaque fois que tu as une idée, tu essayes d'entrainer Miles, ton petit frère avec toi. Parce qu'il reste la personne vers laquelle tu peux te tourner, qu'il pleuve ou qu'il vente. Cela tu le sais, c'est une vérité immuable, c'est comme dire que le ciel est bleu ou que l'herbe est verte. Tu peux compter tes amis avec les doigts d'une seule main, et les gens avec qui tu as envie de trainer avec encore moins de doigts, alors oui, tu es le mec qui entraine son petit frère dans ses magouilles. Mais évidemment, tout ne se passe pas comme tu le voudrais. Déjà, tu aurais dû te douter qu'il y avait un problème quand Miles n'a pas protesté autant que d'habitude. Il a admis que oui, il travaillait beaucoup, la pression pas du tout amusante et qu'il avait besoin de tout oublier. Donc oui, pourquoi pas une de ses croisières de luxe dont il a toujours entendu parler, après tout, vous pouvez vous le permettre, non ? Cette pure question de rhétorique t'a fait pouffer à l'autre bout de Brisbane, téléphone pressé à ton oreille, alors que tu as répondu: ouais, Miles on peut se le permettre. Sauf que le mot a été passé, et en plus de Miles, vous devez aussi vous taper Charles Wilson, premier du nom. Ce n'est pas l'idée de ton père de vous rejoindre, mais celle de sa conjointe du moment. Tu as oublié son prénom, hors de question de te souvenir du prénom de toutes les hyènes qui tournent autour de ton père et de sa carte de crédit. Celle-ci est persistante que t'a dit Miles, ça fait plus de huit mois qu'ils sont ensemble.
"Oh donc elle veut vraiment notre héritage? Bon à savoir." Tu l'as dit bien haut et fort, alors que vous avez grimpez sur ce yatch, ton père, sa bimbo qui a cinq ans de moins que lui (il ne fait pas tout dans le cliché) et deux autres personnes qu'elle a invité. Ça ne te plait pas du tout et comme à chaque fois que tu es en présence de ton père, tu redeviens un gamin chiant. Ta mère n'est pas là pour faire tampon et ce n'est pas le rôle de Miles. Tu voulais te détendre, merde. Tu es déjà excédé en trouvant ta cabine, mais tu te changes rapidement, c'est cliché mais le tout blanc est presque attendu dans un tel contexte. Lunette de soleil sur le nez, tu sors de ta chambre pour retrouver l'air. Si tu dois passer deux jours en mauvaise compagnie, tu comptes le faire selon tes termes, pas ceux de ton père et de sa compagne. La vue est tout de ce suite mieux ici et quand on t'approche, tu as une grimace.
"Oh, alors déjà, monsieur Wilson, c'est mon père... et vu qu'ils ne sont pas encore là, on va éviter." Tu es le premier arriver alors ouais, tu te serres, tu attrapes un verre, pensif. "Utilise le surnom que vous m'avez trouvé, ouais, je sais comment fonctionnent les serveurs, ou Heath." Tu as assez d'argent pour savoir que pour des gens comme elle? Tu es ridicule et même un connard fini, ils n'ont pas si tort que ça. En fait, ils ont raison, mais du moment que personne ne crache dans ta soupe à toi, tu te moques du reste. "Cornelia." Tu lis le nom sur son uniforme, là, sur le badge de l'hôtesse, son visage te dit quelque chose, si tu fronces bien les sourcils, tu peux te rappeler d'elle et de son battement de cil. Peut-être que c'est les jambes? Ouais, sûrement, tu le sais, tu l'as déjà vue, ça ne fait aucun doute à tes yeux. "Pas la première fois que je te vois dans ce genre de trucs..." Tu fais référence à son boulot de manière bien légère, tu le sais, ça fait de toi quelqu'un de trop privilégié, mais ça, tu ne peux pas le changer d'un claquement de doigts. Tu ne voudrais pas le changer et ce, même si ça faisait de toi une meilleure personne.
"Le job paye bien au moins ou dès qu'on est pas là vous allez retourner les matelas pour trouver quelques dollars?" Tu es curieux alors que tu prends une longue gorgée de la flûte. "Oui, j'ai besoin de distraction, sinon je risque de pousser mon père par-dessus bord." Un sourire. "Il va me falloir un alibi au cas ou, tu vois?"