« NE ME DIS PAS DE ME CALMER ! » Ce qu’elle m’énerve quand elle gueule comme ça. Je pense à mes nouveaux colocs qui doivent me maudire en ce moment et qui doivent regretter d’avoir accepté mon dossier. Je suis là depuis à peine deux semaines. « Je t’ai demandé une chose, UNE SEULE CHOSE, c’était de FERMER TA FICHUE PORTE ! » Je pince l’arrête de mon nez tout en me répétant reste zen, reste zen “MAIS JE L’AI FERMEE.” Je soupire, franchement fatigué par cette conversation et par cette énième dispute. Depuis qu’Emery a emménagé dans ma chambre c’est l’enfer. On se marche dessus, on se dispute tout le temps mais aujourd’hui c’est d’un niveau jamais vu. J’étais habitué au “t’as pris toute la couverture” ou “mais fais ton lit le matin bordel” ou encore le fameux “range ta chambre”, mais me faire traiter comme du poisson pourri à cause de ses bestioles c’est nouveau. « Bordel Cesar, ton coloc a UN CHIEN ! T’as une idée de ce qu’il ferait s’il tombait sur un des bébés ? Je t’épargne la réflexion, IL LE BOUFFERAIT ! Je te jure que si jamais il est arrivé quoique ce soit à Ultra, je… » En acceptant d’héberger Em j’ai aussi accepté qu’elle ramène les serpillères qu’elle appelle “ses bébés”. J’y fais attention parce que je sais qu’elle y tient énormément mais ce matin je ne sais pas ce qu’il s’est passé. Je suis sûr d’avoir fermé la porte et je n’y suis pour rien si la bête a décidé de se faire la malle. “Mais écoute moi bordel. Je te dis que je l’ai fermée cette foutue porte. Il y a du avoir un coup de vent ou J’EN SAIS RIEN MOI.” Le ton monte. J’ai beau avoir fait des efforts de communication ces derniers temps j’ai été habitué à grandir dans les discussions animées et à parler fort. Et par-dessus tout je ne compte pas me marcher sur les pieds quand je sais que j’ai raison dans l’histoire. « Tu feras pareil si on a des gosses un jour, tu laisseras la porte d’entrée ouverte pour les laisser partir explorer le monde ?? » Elle a vraiment dit le mot “gosses” ou je rêve ? J’ai l’impression d’avoir ma mère en face de moi et c’est en train de me faire péter les plombs. “Mais c’est quoi ce raccourci que tu fais ???” Je la regarde en secouant la tête en signe de désapprobation. “ça n’a rien à voir. Et je te dis que JE. L’AVAIS. FERMEE” Je lui lance en articulant avec exagération pour que le message rentre bien dans sa tête. “Il doit pas être loin c’est bon on va le retrouver pas besoin de faire une scène comme ça.” Il faut dédramatiser un peu. Elle me parle comme si j’avais tué quelqu’un, j’y suis pour rien si son cochon d’inde avec le cerveau de la taille d’une cacahuète a décidé de faire n’importe quoi.

« ET C’EST ULTRA QUI EST ALLÉ L’OUVRIR AVEC SES PETITES PATTES PEUT-ÊTRE ??? » J’aime énormément Emery. C’est la fille la plus brillante, drôle et canon que je connaisse. Mais putain ce qu’elle peut être têtue et chiante quand elle s’y met. Elle me hurle dessus et je refuse de supporter qu’on me parle comme si j’étais un foutu paillasson alors que je n’ai rien fait. Je lui réponds qu’il s’agit sûrement d’un coup de vent et que la porte s’est ouverte, ce qui est le plus plausible selon moi. « Un coup de vent. Avec une fenêtre fermée. » Je soupire. Oui la fenêtre est fermée, mais je l’ai ouverte tout à l’heure, alors ça a peut-être ouvert la porte sans que je le vois. J’en sais rien en tout cas j’ai pas laissé la porte ouverte intentionnellement. Elle se met ensuite à parler de nos futurs enfants et là je ne comprends pas quel virage elle prend. Pourquoi est-ce qu’elle parle d’un truc aussi sérieux et improbable alors qu’on parle d’un foutu cochon d’inde. « Je considère juste jusqu’où tu peux te montrer irresponsable. » Je soupire tout en pinçant l’arrête de mon nez avant de marmonner. “Por Dios*” Je suis mal barré et je sais qu’elle ne me lâchera pas tant que sa serpillère à quatre pattes ne reviendra pas. J’ai toujours supporté voire apprécié ces bestioles, mais là je suis en train de me faire pourrir parce qu’il a décidé de partir en exploration. Ultra, tu parles, Ultra con. « NON TU NE L’AVAIS PAS FERMÉE ! » C’est bon j’en ai assez : elle veut crier ? Alors je vais crier aussi. Et chez les Gutiérrez, sang mexicain oblige, on sait très bien faire. “T’AS TOUJOURS RAISON DE TOUTE FAÇON.” Si je n’étais pas chez moi, dans ma chambre je me serais barré depuis un moment. Elle va me filer une migraine d’enfer. « Pas besoin de faire une scène ? PAS BESOIN ? » Et elle se met à me menacer avec…une carotte ? Heureusement qu’on s’embrouille pas dans la cuisine. “NON PAS BESOIN.” Si elle compte me faire peur avec une carotte c’est mal barré, ça ne me calmera pas. « C’est facile pour toi, tu n’en as rien à foutre ! Mais au cas où tu n’aurais pas remarqué, je tiens à ces petites créatures, moi ! » On se connaît depuis deux ans. Deux ans que je reçois tous les jours des photos de ses “petites créatures”. Deux ans que je l’aide pour l’entretien, que je me retrouve à nettoyer une litière à 8h du mat un dimanche. Là depuis deux semaines elle squatte ma chambre avec tout son élevage alors qu’on a à peine la place de bouger ? Et elle ose me dire que j’en ai rien à foutre ? Elle se fout de ma gueule. “Tu crois que j’avais pas remarqué que t’y tenais ? Comment je pourrais ne pas les remarquer y en a PARTOUT. C’est plus une chambre, c’est une ANIMALERIE ce truc. Et j’accepte, je ferme ma gueule pour TE faire plaisir, mais ça tu le vois pas bien sûr.” Si l’heure est aux reproches alors j’ai aussi le droit de dire ce que je pense de cette coloc. Je viens à peine d’aménager, j’ai même pas eu le temps de défaire tous mes cartons qu’elle est venue avec tout son bazar. J’avais envie de la dépanner mais elle ne se rend pas compte à quelle point ça peut être une plaie de supporter tout ça. « Tu sais quoi, j’en ai ma claque. T’es invivable, on voit que tu sors de chez ta mère. » Je fais les gros yeux, j’ai vraiment entendu ce qu’elle vient de dire ?  “T’es sérieuse là?” Mais la discussion s’arrête brusquement quand Ultra relou refait surface. « Hey bébé… viens là… » Elle le prend dans ses bras et à ce moment-là on pourrait croire que la tempête est passée. Mais ce serait mal connaître Emery. « Il faut croire qu’on va devoir te mettre en sécurité le temps de retrouver un toit. » Elle veut déménager ? Pour une histoire de porte mal fermée ? “Ah donc tu remets tout en question maintenant. Bah super.” Je secoue la tête en signe de désapprobation, elle est trop impulsive. “Et tu comptes aller où ? Y aucun hôtel qui voudra de tout ça je te rappelle.” Je désigne les cages des bestioles du doigt ainsi que tout le matériel qu’elle a ramené pour s’en occuper.

*Por dios = Bon sang/la vache

« C’EST PAS COMPLIQUÉ AVEC TOI ! » Plus elle crie et plus elle me donne envie de crier en retour. Je fais des efforts au quotidien pour contenir mon émotivité mais elle me pousse trop à bout. “OUI JE ME PRENDS PAS LA TETE MOI” Si elle veut jouer au jeu de qui peut crier le plus fort elle va perdre, crier chez les Gutiérrez c’est une mauvaise habitude qu’on a depuis toujours. « Tout ce que je vois, c’est que j’aurais préféré que tu refuses plutôt que de devoir m’inquiéter pour eux. » Je hausse les yeux au ciel. Emery est toujours extrêmement dramatique. Les bestioles sont en sécurité dans cet appartement, elle fait tout un plat de pas grand chose. Le chien féroce dont elle parle c’est un golden retriever qui passe plus de temps à dormir et baver qu’à chasser le cochon d’inde. Mais ça bien sûr elle ne veut pas l’entendre, elle préfère me mettre toute la faute dessus et surréagir. « Quoi, parce que maintenant que je connais le fond de ta pensée, je devrais rester ? » Je souffle sans retenue. Dans l’état d’esprit où elle est je pourrais dire n’importe quoi, ça ne changerait pas sa décision. Et je refuse de me mettre à genou et de m’excuser pour quelque chose que je n’ai pas fait. “Fais comme tu veux, de toute façon tu feras comme tu l’as décidé et tu m’écouteras pas.” Je n’avais qu’une envie en rentrant de notre entrainement de boxe : prendre une douche et me poser devant un film avec elle. En résumé, j’avais envie d’un moment calme pas d’une putain de tornade et d’un drame comme celui qu’elle est en train de faire. « Un hôtel, hein ? J’ai un scoop pour toi, Cesar. T’es pas la seule personne dans ma vie. T’es clairement pas mon dernier recours, et je peux déjà penser à une liste de gens qui me feront pas vivre une frayeur pareille. » Je ne peux pas me retenir d’avoir un petit rire nerveux. “Ah bah si t’as des amis qui peuvent accueillir toute l’arche de Noé comme ça tant mieux hein” Elle pense vraiment ce qu’elle avance ? Je n’en suis absolument pas convaincu de mon côté, elle est complètement à côté de la plaque. “Mais bon courage pour trouver quand même.” Elle ne se rend pas compte de la place que ces bestioles peuvent prendre : entre les cages et tout le matériel il y a de quoi occuper une pièce entière et je ne sais franchement pas qui serait prêt à accueillir une telle ménagerie. Il faut ajouter à ça les odeurs en tout genre et les bruits de rongeurs très aléatoires en pleine nuit. Il faut une bonne dose de patience que j’ai eu pendant un moment mais je ne suis pas sûr que beaucoup de personnes tiendraient plus d’une journée. “Parce que déjà tes potes qui sont en coloc tu peux oublier, je me suis bien embrouillé avec mes colocs quand ils ont vu tout ça tu vois ? Surtout que je viens d’arriver.” Je ne lui en avais pas parlé mais j’ai mis mes colocs devant le fait accompli. Je leur ai parlé d’Emery, j’ai demandé si cela les dérangeait qu’elle squatte quelque temps, et ce n’est pas quelque chose qui posait problème. J’ai simplement passé sous silence l’existence des bestioles. Ce petit mensonge m’a valu une discussion franchement pas agréable avec un des colocs qui a eu l’impression d’être pris pour un con et qui m’a mis en garde de veiller à ce que ça ne fasse pas de nuisances et de problèmes. Il ne m’a pas dit explicitement qu’ils me vireraient au moindre soucis mais ça reste une option. “Ils auraient pu me foutre dehors tu vois.” J’essaie de lui faire comprendre qu’elle ne réalise pas à quel point j’ai pris des risques pour elle.

« Je t’écouterai quand tu auras quelque chose de mature à dire. » Elle a vraiment osé me faire ce coup-là ? J’en ai marre qu’elle me parle comme si j’étais un gamin tout en se prenant pour une adulte parfaitement responsable. “C’est vrai que t’es un exemple de sagesse, pardon j’avais oublié.” Elle est loin, très loin de pouvoir me critiquer là-dessus. Il n’y a repenser à son comportement avec Reid où elle a passé des mois à essayer de me rendre jaloux à coups de stories instagram. Mais visiblement elle veut se servir de ses trois ans de plus pour me prendre de haut. « J’aurais dû commencer par eux plutôt que te demander à toi. » Si elle l’avait fait, elle n’aurait eu que des refus, mais elle est bien trop bornée pour voir la vérité en face. Je lui explique ensuite un peu plus la situation de mon côté : à peine entré dans l’appartement j’ai dû négocier avec mes colocs pour qu’Emery puisse squatter quelques temps. C’était risqué, surtout que j’avais juste parlé d’Emery, j’avais passé sous silence l’animalerie qu’elle trimballe avec elle, ce qui a créé quelques tensions. « Donc attends, t’es en train de me dire que t’as pas eu les couilles d’être honnête avec tes colocataires dès le début et qu’ensuite on te l’a reproché ? Qu’il y aurait pu y avoir des… conséquences ?? Wow. » Je déteste l’air qu’elle prend, comme si elle parlait au plus grand demeuré que la Terre ait jamais porté. “Oui parce que je voulais te rendre service tu vois ? Je voulais pas te laisser dans la merde.” Le ton monte et mon agressivité avec. « Tu m’expliques en quoi c’est mon problème ? Parce que quand tu m’as dit ok pour m’héberger, tu connaissais exactement les implications. » Je rêve où elle a bien dit “en quoi c’est mon problème ?”. Je mords l’intérieur de ma joue pour ne pas laisser échapper des insultes en espagnol, elle est réellement en train de me pousser à bout. Elle se prend pour le centre du monde et elle ne pense absolument pas à moi dans cette histoire. “Je pensais pas que tu serais si….” Pénible, chiante, invivable. Les synonymes tournent en boucle dans ma tête mais je fais un effort pour en choisir un moins violent. “Exigeante. Je pensais que ça se passerait mieux que ça.” Je pensais qu’elle serait plus compréhensive, qu’elle comprendrait qu’avec l’espace qu’on a il faut que chacun mette de l’eau dans son vin pour que la cohabitation se passe bien. Mais non, c’est trop demander visiblement. « C’était quoi, au fond ? Tu me pensais désespérée ? Tu croyais que je pourrais pas accepter que tu me dises non ? » Je soupire à nouveau, elle mélange tout au lieu de prendre cinq secondes pour réfléchir rationnellement. “Mais tu m’écoutes quand je te parle au moins ? Je voulais te rendre service C’EST TOUT.” C’est plus facile de me mettre toute la faute dessus plutôt que de se remettre en question pour Em, comme d’habitude. « T’embête pas. C’est bon. J’ai pigé. » La discussion dérape à un point où je n’ai même plus envie de discuter. “T’as rien pigé du tout. Mais je sais pas pourquoi je me fatigue. Je pense que si je parlais à Eugene j’aurais une discussion plus constructive.” J’attrape mon sac de sport avant d’enlever mes vêtements d'entraînement sales en les balançant par terre pour les remplacer par les premiers vêtements que j’attrape : un tshirt, un pantalon, un caleçon et une paire de chaussette, ou plutôt une chaussette orphelin par inadvertance. Je n’ai aucune envie de rester là à subir la colère d’Em qui ne veut pas arranger la situation, j’ai besoin de changer d’air. Je ferme le sac de sport dans la précipitation avant de dire à Emery “J’ai besoin de prendre l’air, je vais dormir chez Alma ce sera mieux.” Mieux pour éviter de dire des choses sous le coup de la colère que je vais encore regretter plus tard.