Force est d’admettre que revenir à Brisbane après sa tournée promotionnelle est bien moins limpide qu’il ne l’avait espéré, le pianiste qui n’arrive plus à faire valser les touches blanches et noires sans éprouver l’envie de refermer le pupitre à tout jamais. Certes, il fallait être naïf pour croire que quelques malheureuses semaines à écumer les plus grandes villes du globe lui seraient suffisantes pour chasser les souvenirs accumulés au cours des derniers mois, mais il avait quitté le sol australien en pensant disperser les morceaux de son coeur malade aux quatre vents, les semant sur son passage en espérant ne jamais les retrouver : le Petit Poucet du chagrin a échoué à la tâche visiblement, puisqu’ils sont toujours là, les morceaux de son coeur gangrénés par le chagrin. Parce qu’il a tout donné de lui dans cette histoire qui n’était rien d’autre qu’un mensonge, il s’y est jeté corps, coeur et âme, il a sauté d’une falaise en plongeant dans l’inconnu sans même se demander ce qu’il y avait en contre-bas, convaincu qu’il ne pourrait tomber dans le vide.

Il aurait dû.

Et maintenant qu’il a rencontré le vide, encore faut-il se relever. La question étant de savoir comment, puisque le processus de désamour lui paraît être une affaire bien trop ardue pour qu’il puisse l’exécuter avec brio aussi rapidement. Ce soir encore, il s’est présenté devant un public en agissant comme un robot programmé pour accomplir la besogne qu’on lui réclamait : il a traversé la scène sans les regarder, s’est installé face à son instrument, l’a considéré d’un bref regard (hésitant) avant de faire courir le bout de ses doigts sur le clavier, en se détachant autant que possible des mélodies qu’il a pourtant lui-même composé ; elles sont laides à ses oreilles, à présent, et la tension s’accumule tellement dans ses épaules que, à la fin de la représentation, elles sont devenues douloureuses. Retirant subitement ses mains des touches comme si celles-ci l’avaient brûlé, il ravale sa salive avant de se lever prestement, saluant sans effort les applaudissements du public avant de disparaître dans les coulisses en tirant machinalement sur le col de sa chemise blanche, ayant comme l’impression que l’air s’est raréfié tout à coup et que c’est la faute de sa tenue mais, le tissu ne l’opprime pas suffisamment pour étreindre sa gorge. Alors, quoi ? Il préfère ignorer cette sensation de noeud qui l’opprime et, sortant de sa loge quelques minutes après son entrée, il achève d’enfiler son sweat noir par-dessus son jean avant de faire vagabonder ses yeux de gauche à droite, à la recherche du seul visage qu’il a envie de croiser ce soir : celui de son ami. Et c’est finalement à l’extérieur qu’il le voit enfin, reconnaissant sans mal sa silhouette et n’hésitant pas bien longtemps avant de se rapprocher de lui, en oubliant presque la sensation de lourdeur dans le haut de son torse et en trouvant suffisamment de raisons de lui sourire. ’’Salut…’’ souffle-t-il d’une petite voix, en étant vraisemblablement bienheureux d’être en compagnie de quelqu’un qui lui est rassurant ’’Je suis content que tu sois venu.’’ c’est presque un ‘’merci’’ déguisé, même si Izan sait qu’il n’a pas besoin de formuler cette sentence de gratitude, mais les dernières semaines n’ont pas été tendres avec Charlie non plus alors, qu’il fasse l’effort de se déplacer est loin d’être dérisoire, bien au contraire ’’Pitié, me dis pas qu’on va rester là…’’ inclinant légèrement son menton sur le côté en maintenant son sourire sur ses lèvres, il fait quelques pas sur le trottoir en signant son envie de fuite et, de préférence, le plus loin possible.

La vision de son ami, même perdu au milieu de la foule qui s’éparpille, est d’un réconfort hautement symbolique pour celui qui, acclamé et adulé dans le monde rigoriste de la musique classique, considéré comme un prodigue depuis son enfance, exposé sur les plus grandes scènes avant d’avoir atteint l’âge de dix ans, se sent misérablement seul depuis quelques semaines. C’est un paradoxe étonnant qu’est le rouage de la célébrité, aussi spécifique soit-elle le concernant : il a beau être attendu et entendu par des milliers de personnes qui se nourrissent des sonorités produites par ses mains, il ne s’est jamais senti aussi désarmé, dépouillé et orphelin que ce soir, derrière son piano qui n’a plus le rôle du bouclier, qui n’est plus celui qui protège, qui n’est plus la langue dans laquelle il s’exprime le mieux, mais qui est l’instrument des sacrifices, de la douleur et du deuil. Nombreux sont ses rivaux qui voudraient le voir tomber, et Izan ne peut s’empêcher de penser que c’est une prophétie qui va peut-être se réaliser sous peu, sans savoir s’il doit s’en sentir soulagé ou non. Mais le soulagement s’impose de lui-même lorsqu’il arrive auprès de Charlie, dont la présence fait instantanément taire les pensées moroses qui chahutaient dans son crâne, pendant qu’il lui offre un sourire qui n’est point forcé, mais que l’on sent usé, épuisé, tiraillé par les sentiments contraires sous lesquels il est submergé comme un noyé qui tente de s’accrocher à une épave pour survivre. Heureusement, au milieu du chaos, il y a son ami, fidèle au poste, sans l’ombre de la trahison pour ternir la confiance aveugle et immense qu’il lui accorde, et qui dégaine un sourire assez franc pour que celui-ci ricoche sur ses traits. « Tout le monde était ravi, moi y compris. » ça l’oblige à expulser un petit air amusé par le nez, mais il attend d’avoir hoché son menton de haut en bas avant de répondre, d’une voix calme ’’Du moment que monsieur Beauregard est ravi, tout va bien. C’est le critique le plus exigeant et sévère, paraît-il.’’ le fait qu’il soit de nouveau capable de faire preuve d’une pointe de malice est plutôt une bonne nouvelle, même si les syllabes joueuses sont prononcées sans grande conviction : il n’a pas franchement envie de rire, Izan, mais il est prêt à faire semblant pour ne pas éveiller les soupçons de l’inquiétude chez Charlie. « On va absolument pas rester là, je suis beaucoup trop bien habillé pour faire le trottoir. » considérant que c’est une invitation à détailler la dite tenue, le musicien glisse les mains dans les poches de son jean tout en faisant rouler ses billes mordorés de haut en bas, jaugeant de la tenue élégante de son ami par un ’’T’as rendez-vous avec l’huissier ?’’ qu’il laisse planer quelques secondes avant de rétablir un ’’Tu es très beau, comme ça. J’fais pitié à côté, du coup ! Fallait me prévenir, je serais resté en costume…’’ ou pas rien qu’à l’idée de porter cette chemise qui lui comprime la gorge, il grimace, Izan, mais il accepte volontiers de s’éloigner en marchant aux côtés de Charlie, bienheureux de s’éloigner de cette énième mascarade où il doit jouer l’ombre de la neutralité et de la retenue afin de satisfaire et préserver les apparences « Je crois qu'il y a un cabaret drag dans la rue, ça te tente ? » à en juger par le pas pressé de l’ancien journaliste, c’est une idée qui convient parfaitement à Charlie alors, le musicien lui emboîte le pas en hochant de nouveau son menton, se laissant bercer par un nouveau sourire qui se veut plus malicieux alors qu’ils progressent sur leur chemin ’’Tu connais toutes les adresses, ma parole. C’est pas une salle de sport que tu devrais tenir, mais plus un guide touristique de la ville.’’ il ne croit pas avoir prononcé autant de mots à autrui depuis sa rupture, mais il n’y a rien d’étonnant à ce que sa langue se délie auprès du brun, n’est-ce pas ’J’te suis parce que je ne connais pas le chemin’’ faut dire qu’il n’a jamais eu le sens de l’orientation, alors lui confier la gestion de l’itinéraire c’est presque le risque de se retrouver à mille lieux ’’Au fait, t’as pu faire réparer les dégâts dans la salle ? On peut y revenir bientôt ? Mes muscles fondent, là…’’ et quitte à jouer la carte dramatique jusqu’au bout, il surenchérit, en arborant un air délicieusement enfantin ’’Tu ne veux toujours pas reconsidérer ma demande pour l’aquaponey ?’’

« Te fous pas de moi, y'a pas plus tendre que moi comme critique. » - ’’Parce que tu n’y connais rien ?’’ qui sonne à la fois comme une question diplomatique et une affirmation taquine, sans l’ombre d’un quelconque défaut puisqu’il se fend même d’un sourire malicieux en levant légèrement le menton, tel un enfant bien trop fier de sa blague pour avoir la décence de l’apprécier avec discrétion. « En fait si, fous-toi de moi tant que tu veux, tu sais que tu peux tout me dire hein ? » la soudaine gravité de la demande, formulée avec cette oeillade baignée d’une empathie qui n’a pas besoin de bruit pour se faire entendre, l’oblige à prendre une inspiration de courage puisque, lui, pensait plutôt se défaire de sa peine en la laissant sur le trottoir, espérant qu’elle ne soit pas suffisamment accrochée à ses vans pour lui laisser quelques heures de répit ’’Je suis juste un peu fatigué.’’ qu’il daigne concéder avec un mouvement d’épaule qui semble vouloir dire il n’y a rien de plus à avouer tout en sachant, au fond, que Charlie est loin de se laisser berner par son masque d’indifférence, quand bien même l’a-t-il suffisamment récité pour le maîtriser à la perfection. Il peut faire avaler sa parade de neutralité aux journalistes et à tous ceux qui viennent l’écouter mais, Charlie, lui, le connaît sans doute trop bien pour ne pas débusquer la farce de la paix qu’il brandit sans la posséder. Mais l’idée même d’être démasqué ne l’empêche pas de poursuivre son oeuvre, en s’attaquant désormais à la tenue somme toute élégante de son ami, venu l’écouter en se vêtissant avec un raffinement qu’il ne lui connaît pas - faut dire que le costume, c’est pas franchement pratique dans une salle de sport « J'avais pas le choix, sinon tu m'aurais clairement renié. Ou on m'aurait recalé à l'entrée, je sais pas ce qui aurait été le plus embarrassant. » - ’’Le fait que j’ai l’air d’être un pouilleux à côté de toi, peut-être ?’’ machinalement, il baisse le menton vers sa propre tenue, composée aussi simplement que possible « Ecoute on jouera à la princesse et la grenouille pour ce soir, c'est pas grave. Je te laisse deviner qui est qui. » une grimace vient corrompre ses traits avant qu’il ne réalise que ’’La grenouille, c’est le prince, n’est-ce pas ?’’ ou bien c’est le crapaud ? Bon, c’est la même créature immonde qui fait un bruit tout aussi infect, donc, ça marche ’’Ça me va ! Le prince, c’est un rôle qui me va bien au teint.’’ qu’il dit en emboîtant le pas à Charlie, appréciant secrètement, pour une fois, de ne pas avoir les rênes de la situation dans les mains, se laissant seulement porter par celui qui, sans le savoir, lui fait le plus grand bien. « Brisbane born and raised. Bon clairement pas dans les quartiers queer, ça c'est grâce aux bons conseils qu'on me file à la salle. Il y a un adhérent qui se produit là-bas parfois, peut-être qu'on aura droit à un verre gratuit. Et tu connais ma résistance à l'alcool, il m'en faudra pas plus. » marchant un pas en arrière, il étouffe un rire en baissant légèrement le menton, comme pour dissimuler l’amusement que cette réplique lui provoquait ’’Tu vas te mettre à danser sur la table ? Voilà qui me donne encore plus envie de venir.’’ en réalité, il aurait même suivi Charlie dans un endroit moins agréable, puisque la seule chose qui comptait en cet instant était d’être en sa compagnie, d’oublier le piano, d’oublier tous ces gens qui attendent qu’il soit parfait, puisqu’un prodigue ne peut décemment pas être autre chose : avec l’ancien journaliste, Izan n’a pas besoin d’être le musicien sans défaut, il a juste besoin d’être lui-même, et c’est largement suffisant. Mais s’il est assez en confiance pour ne pas chercher à masquer sa personnalité, il n’a pas envie de s’épancher sur le caractère déprimant de ses tourments amoureux : sa rupture est effective, tout son entourage est au courant du pourquoi et du comment, alors, que peut-il dire de plus ? Admettre qu’il a l’impression que des mains invisibles froissent son coeur à chaque instant ne l’aiderait pas à dissiper cette sensation, tout comme avouer qu’il se sent putain de con d’avoir été aveugle au point de ne pas voir qu’il était utilisé ne fera pas disparaître cette humiliation alors, il préfère taire ses émotions, les ravaler, les enfouir et les enterrer, évoquant plutôt un sujet qui ne risque pas de briser sa carapace « Oui ça y est, tout est flambant neuf. Il a fallu liquider tout l'argent que Rhett avait récolté à son match de rugby caritatif mais bon. Au moins j'ai pas eu besoin de trop piocher dans mes propres économies. On sait toujours pas qui a fait ça, ni pourquoi. Je crois qu'on saura jamais. Un homophobe frustré sans doute. » il hausse ses sourcils, partagé entre une colère sourde qui n’est pas suffisamment forte pour se manifester, et l’apitoiement déplorable que cette vérité lui concède. Charlie soulève une hypothèse qui est sans nul doute la plus plausible, même si Izan aimerait croire que le caractère inclusif de la salle n’est pas la raison d’une telle attaque ciblée ’’T’as fait installer des caméras de surveillance, à l’extérieur ? Sait-on jamais.’’ cela pourrait être utile pour une prochaine attaque, même s’il espère que celle-ci est la première et la dernière que Charlie aura a essuyé. Mais, bien décidé à ne pas laisser le caractère tragique prendre le dessus sur leurs échanges, il ne tarde pas à faire preuve d’une malice salvatrice qui englobe son interlocuteur, sans lui faire perdre de vue son objectif premier. Il n’a même pas le temps de rétorquer pour les poneys - qu’il exige toujours, ne faisons pas semblant - que la question le prend de court en lui causant une expression d’étonnement. « Et toi alors ? Les dégâts ? » le choix du mot est particulier, puisqu’on l’utilise généralement après une catastrophe pour évoquer les dommages engendrés. Est-ce que sa rupture est comparable à un tremblement de terre ? Une tempête ? Une tornade ayant tout ravagé sur son passage ? Il ravale difficilement sa salive en venant frotter l’arrière de sa nuque, haussant ensuite ses épaules comme pour minimiser la situation, livrant un premier ’’Je vais bien, je t’assure.’’ qui est trop mensonger pour convaincre, et puisque lui-même s’en rend compte, il poursuit ’’J’vais pas te dire que je morfle pas… J’avais pas à être aussi con et aveugle, écoute. On va dire que j’ai bien retenu la leçon.’’ ou pas, puisqu’il va recommencer la même erreur d’ici peu de temps, histoire d’achever les morceaux de sa personne qui tiennent encore debout. ’’On est encore loin ?’’ qu’il demande, juste pour changer de sujet, puisque le précédent lui donne l’impression de se couvrir de ridicule.

« Laisse-moi au moins avoir ça ce soir, monsieur le virtuose. » dans la bouche de Charlie, le dernier mot ne résonne pas avec la lourdeur oppressante habituelle, si bien qu’il n’en ressent point les aiguilles de l’aigreur mais se targue plutôt d’un sourire complaisant, dans lequel viennent danser quelques accents amusés ’’T’as de la chance que je sois sacrément magnanime, quand même.’’ parce que celui qui se désigne comme un prince doit forcément avoir quelques valeureuses qualités afin que l’on oublie ses sombres défauts, n’est-ce pas « Tu perds pas le nord. Mais ça me rassure un peu. Tu es clairement un prince, et ça personne peut te l’enlever. » il préfère ne pas se demander pourquoi son attitude malicieuse rassure Charlie, puisque poser explicitement la question le conduirait peut-être à aborder le fameux sujet douloureux qu’il préfère éviter ; il n’a pas franchement envie que sa rupture vienne sur le tapis, ayant préféré l’enfouir en s’accordant le luxe de feindre l’indifférence à tout-va, s’affichant avec l’élan de la désinvolture comme si ignorer ses maux pouvait les faire réellement disparaître, tout en sachant fort bien qu’il ne fait que retarder le moment où ils vont lui exploser à la figure « J’ai une réputation à tenir… évidemment que je vais danser sur la table, j’ai même pas besoin de boire pour ça. » l’image qui s’impose dans son esprit lui fait baisser le menton en même temps qu’il laisse vivre le petit rire dégelé qui glisse sur ses lèvres espacées, sans qu’il n’ait besoin de forcer sa venue : avec Charlie, il délaisse progressivement le rôle du pianiste qui doit être solennel et guindé en toutes circonstances, étant le reflet d’un héritage classique que l’on considère comme noble, le troquant pour son air mutin qui est davantage filé avec la personne qu’il est réellement. ’’Je me ferai un plaisir d’immortaliser ce moment.’’ qu’il promet en enfouissant ses mains dans les poches de son sweat, en lançant un regard vers son ami qui n’a guère été épargné, lui non plus, au cours des dernières semaines. En règle générale, la vie n’a pas été tendre avec Charlie, est il est toujours admiratif de la bienveillance, de la résilience et de la pondération dont ce dernier fait preuve, toutes ces belles caractéristiques comptant dans les raisons qui font qu’Izan le considère avec autant d’estime. Et au regard de sa manière à gérer l’attaque dont sa salle de sport a été la cible, on peut aisément rajouter déterminé et combattif à la longue liste de ses qualités. « Il y en avait déjà de base, mais le vandale était cagoulé, la police a jamais réussi à l’identifier. Je pense aussi qu’ils ont pas voulu faire trop d’efforts, mais au bout d’un moment il fallait choisir mon combat… » il glisse la pointe de sa langue sur ses dents du haut en prenant une fine inspiration presque tendue, partageant son indignation muette concernant la légèreté avec laquelle les autorités ont géré cet incident ; puisqu’il n’y a pas eu de dégradations physiques mais seulement matérielles, sans nul doute que ce n’était pas une priorité mais, le ressenti de Charlie est totalement légitime, surtout quand on sait à quel point cet endroit est symbolique pour lui, et pour beaucoup d’autres adhérents. ’’Au moins, personne n’a été blessé.’’ c’est peut-être un maigre lot de consolation par rapport à l’attaque subie, certes, mais Izan n’a pas vraiment le temps de chercher un autre argument pour poursuivre la discussion en ce sens, Charlie se chargeant de lui couper l’herbe sous le pied en lui lançant des mots qui sont comme une boule de bowling lancée sur les quilles pour effectuer un strike « Tu vas pas bien Iz, mais j’imagine que c’est mieux que rien si tu essayes de te convaincre du contraire. On n’est pas obligés d’en parler si t’as pas envie, mais s’il-te-plait fais pas semblant devant moi. Si c’est trop, ou si tu as envie de partir à n’importe quel moment, tu me le dis. » il soutient son regard mais ne trouve pas grand-chose à redire, heurté par l’idée qu’on le considère comme une petite chose fragile incapable de tenir le coup — et la question n’est pas de savoir si c’est une inquiétude fondée ou non, mais plutôt qu’il n’est pas assez maître de ses expressions pour le cacher. Ses doigts se repliant contre ses paumes dans ses poches tandis qu’il ralentit machinalement le pas devant la file d’attente, il s’apprête à se glisser docilement derrière les dernières personnes lorsque, Charlie, visiblement maître en son royaume, l’invite à le suivre sans trop s’attacher aux regards noirs qu’on leur lance. ’’T’es sûr que…’’ même pas le temps de mener à bout son interrogation que, déjà, la porte s’ouvre pour les laisse passer : assez impressionné, Izan hausse ses sourcils en tournant son menton vers Charlie, sans formuler ce que ses yeux pétillants traduisent : il est privilégié,  le bougre ! « T’es jamais venu ici ? » - ’’Jamais.’’ qu’il concède en baladant son regard ici et là pour découvrir l’endroit qui, il faut bien le reconnaître, est très différent des lieux qu’il fréquente d’habitude. ’’Je ne vous savais pas si dévergondé, monsieur Beauregard.’’ qu’il vient murmurer discrètement à son oreille en se penchant légèrement vers son épaule, un petit sourire mutin courbant ses lèvres tandis qu’ils s’installent à une table confortable, Izan investissant la banquette capitonnée sans même savoir si son ami voulait s’y installer — fallait être plus rapide, qu’il dirait ’’Bon alors, tu as l’air de connaître les lieux comme ta poche alors, tu me conseilles de boire quoi ?’’ il le demande en prenant tout de même la carte pour zieuter sur les cocktails proposés, sans intention aucune de rebondir sur les phrases bienveillantes restées sans réponse : ce soir, il est en compagnie de Charlie, alors le reste attendra devant la porte du cabaret.