Match point

@Evan Campbell & Savannah Williams

La maison est particulièrement calme en ce vendredi soir. Le départ de Mathis pour la semaine de garde chez son père a souvent cet effet là, et c'est une ambiance, qui, bien que reposante, n'est pas si appréciable à mes yeux. Le calme peut parfois être inquiétant, c'est probablement pour cette raison que le son de la télévision occulte ce silence en bruit de fond, alors qu'elle est loin de recueillir mon attention. Pour autant, les occupations sont multiples, notamment pour les tâches quotidiennes que je néglige davantage la semaine lorsque mon petit bonhomme est dans les parages. Il doit être un peu plus de 19h lorsque la sonnerie de mon téléphone retentit, et dans un vieux réflexe, je viens poser le panier à linge afin de découvrir le message en question. Et c'est ce cher Evan, que j'ai quitté quelques heures plus tôt, qui me rappelle notre marché de l'autre jour, et qui m'indique qu'il m'attendra à 9h sur le cours de tennis près de chez lui. Si le message parvient à étirer mes traits et nourrir une certaine satisfaction à la femme joueuse que je suis -et je ne parle pas là de partie de tennis-, j'ai cette petite voix de la raison qui tente de me ramener à la raison par ce danger auquel je m'expose volontairement. Est-ce si déraisonnable que de vouloir partager un moment hors des bureaux avec mon patron? Sans aucun doute. Mais je suis probablement bien trop impliquée pour avoir un avis objectif et le recul nécessaire pour l'accepter. Nous avions vécu tous deux des mois bien compliqués, des situations bien difficiles à gérer, bien différentes l'une de l'autre, mais liées par un seul et même événement. La découverte de ce projet interdit. Un événement qui aura probablement permis de prendre du recul sur cette relation complexe que nous partageons depuis nos retrouvailles sur le territoire australien, et d'amoindrir certains de ses agissements passés. Occuper la place de Evan durant plus d'un an m'aura donné l'occasion de prendre conscience du travail que cela demande de gérer cette société, et de comprendre qu'il puisse être si attaché à l'image qu'il renvoie, et qui est indispensable pour sa réussite professionnelle. Une place pas si évidente malgré le pouvoir et l'argent qu'elle procure. Une admiration que j'éprouvais déjà auparavant, mais qui s'est vue s'accroître par la force et le courage dont il fait preuve au quotidien. Est-ce cette raison qui me pousse finalement à faire preuve d'indulgence et à baisser ma garde, ou encore ma séparation d'avec Cade, qui d'une certaine façon, ne me lie plus à aucune obligation que de devoir me tenir à distance de celui qu'il semblait craindre? Je relève le visage, hésitante, et prends une brève inspiration pour m'armer de courage et d'un semblant de confiance en confirmant ma présence pour le lendemain, non sans une légère touche d'humour.

Le chant des oiseaux s'élève dans ce silence royal, alors que je constate en m'approchant que je suis la première arrivée sur le terrain. N'a t-il pas osé me faire faux bon pour oser me balancer par la suite un prétexte tout aussi étrange que cette rencontre? Sa voix, reconnaissable d'entre toutes, se hisse derrière moi , et me surprend alors qu'un sourire soulagé s'invite sur mes traits. « C'est presque indécent de m'faire venir si tôt un week-end» commençais-je, ayant ce besoin naturel d'instaurer un climat décontracté pour éviter de confronter la situation tel qu'elle est, autrement dit, moi qui accepte de partager un moment loin des bureaux avec mon patron qui se trouve être aussi mon ex. C'est inconscient.Pour autant, nous avons su montrer à plusieurs reprises notre capacité à échanger sans que cela ne prenne des tournures alarmantes, et on pourrait très bien associer cette rencontre à une sorte de sortie d'équipe organisée par le chef afin de resserrer les liens, faisant abstraction que je suis la seule conviée à ce moment de détente. Mes yeux ne peuvent s'empêcher de le détailler, troublée de le voir en tenue de sport, qui reste pourtant indispensable dans ce contexte. «J'avais presque oublié cette vision de toi sans ton costume» Et au vu de ce petit sourire faussement moqueur, je parviens pourtant à apprécier ce changement. «Ca te va pourtant bien les baskets» J'en rajoutais peut-être un peu, mais je ne pouvais que reconnaître qu'il était séduisant en toute circonstance, pourtant, le voir lâcher du lest sur son apparence en adoptant un look plus décontracté lui était tout aussi bénéfique. «Tu m'excuseras pour ma part, je n'ai pas eu la chance de recevoir la tenue sponsorisée par les établissements Campbell. Étrange d'ailleurs» Une ironie qui rappelle pourtant les quelques fois où j'ai eu la chance d'être vêtue par de grands créateurs grâce aux petites attentions qu'il avait eu à mon égard pour des évènements auxquels je devais me rendre dans le cadre du travail. Aujourd'hui, cela ne m'a cependant pas empêché de m'amener ici avec une robe blanche prévue pour ce sport, et qui laisse entrevoir une bonne partie de mes jambes. «Ron n'a pas daigné venir pour compter les points?» Ron. L'un des conseillers financiers avec lequel Evan semblait apprécier échanger, et qui aurait probablement enlevé tout contexte tendancieux que cette rencontre représente, bien malgré elle. «J'me dois d'être honnête, je n'ai pas joué depuis si longtemps que je suis probablement rouillée.»

Match point

@Evan Campbell & Savannah Williams

Certains trouveraient ma présence ici bien trop crédule, révélant une fois encore la naïveté d'une innocence à laquelle il me semble si possible de croire à ses côtés. Nos antécédents devraient pourtant me mettre en garde, être le signal d'alerte sur lequel je me suis toujours arrêté. Je devrais être en mesure de refouler chacune de ses tentatives, chacune de ses approches, si banales puissent-elles paraître, parce qu'il est une sorte de rapace, qui parvient à endormir sa proie avant de l'attaquer par surprise, et que je le sais assez pour en avoir déjà fait l'amère expérience moi aussi. Mais à cet instant, il n'est pas uniquement question de répondre à la demande de mon supérieur, pour lequel je me suis plus ou moins dévouée en reprenant un temps les rênes de sa propre société, il n'est pas question de jouer la parfaite petite employée, mais de m'emparer de cette petite occasion pour retrouver le temps de quelques heures, la simplicité de nos échanges. Mon quotidien est loin d'être évident, j'ai l'impression d'affronter des problématiques de façon successives, et ce besoin de souffler, j'ai besoin de le retrouver auprès des personnes qui ont comptées pour moi et qui me rappelleront peut-être qui je suis vraiment, puisque cette sensation de me perdre en chemin semble plus présente que jamais. Qu'importe le mal que nous avons pu nous infliger, nous avons su nous prouver que cette relation déchue avait une base suffisamment solide pour conserver ce lien particulier. Cela fait-il de nous des amis en devenir? Je n'en ai pas la moindre idée, et cet aspect est loin d'être primordial pour le moment. Si Evan a su se montrer fourbe et diantrement manipulateur depuis nos retrouvailles, il n'en reste pas moins cet homme capable de me faire sourire en évoquant l'une de ses nombreuses anecdotes, cet homme qui parvient à se défaire du sérieux qu'entraîne son statut professionnel pour savourer la légèreté et simplicité d'un moment qui s'offre à lui, celui qui parvient à apporter une distraction à lui tout seul et me faire oublier combien la vie peut être complexe et lassante.

« Quelle joie d’avoir une assistante aussi ponctuelle et investie. » Mon regard se relève pour croiser le sien, avec une pointe d'amusement que je ne peux réfuter. Il faut dire que cette réplique, si véridique soit-elle, soulève un professionnalisme hors pair, preuve en est avec cette jolie tenue que j'arbore fièrement sous les premiers rayons du soleil. «Tu devrais en profiter, ça doit pas arriver souvent pour les hommes de ton rang» Un sourire mi-provocateur flirte avec mes lèvres, lui rappelant un contexte presque inédit pour des personnes comme nous. Inutile de confirmer cette hypothèse en mentionnant cette liaison qui nous a lié il fut un temps, je suis persuadée que l'idée est venue se planter dans son esprit sans le vouloir à lui aussi. Je dois cependant reconnaître qu'il sait se montrer particulièrement généreux en compliment lorsqu'il me concerne, ce qui est loin de me déplaire, bien que cela puisse provoquer la jalousie de bons nombres de mes collègues qui souhaite recueillir son attention par des actions similaires aux miennes. «J'avais presque oublié cette vision de toi sans ton costume. Ca te va pourtant bien les baskets» Je l'observe minutieusement, forcée de reconnaître que le jeune homme d'affaires dégage une classe à toute épreuve, même en portant une simple paire de baskets. Son charisme ne s'arrête donc pas à ses multiples chemises, ça en devient presque rageant de le trouver tout aussi séduisant dans cette tenue de sport. Cette apparence décontractée me rappelle cependant des moments que nous avions pu passé en dehors des bureaux, des moments qui mêlaient complicité et démonstration affective au beau milieu de cadres romanesques. «Tu m'excuseras pour ma part, je n'ai pas eu la chance de recevoir la tenue sponsorisée par les établissements Campbell. Étrange d'ailleurs» Un reproche qui n'en est pas un, mais qui exprime à lui seul les petits soins qu'il parvient toujours à m'apporter et qui ne sont probablement pas justifiés à ce stade. Pour autant, je semble être parvenue à opter pour une tenue à la hauteur de ses espérances à en juger par le plaisir lisible sur ses traits. « C’est une erreur que je compte bien réparer la prochaine fois. Ça te va tellement bien ce style sportif que j’en ai presque l’impression que je pourrais perdre face à toi. » Un rire s'échappe de mes lèvres en détournant un bref instant le regard. «Méfie-toi, j's'rai capable de vouloir en profiter» répondis-je, toute aussi provocante que lui. «Ron n'a pas daigné venir pour compter les points?» Me suis-je attendue un seul instant à ce que nous soyons rejoints par une tierce personne? Pas le moins du monde. Mais par cette question, j'aspire à lui faire prendre conscience du malaise que pourrait engendrer une situation comme celle-ci en temps normal. « Aujourd’hui, c’est un séminaire un peu spécial. Disons.. individuel. Voyons ça comme un entretien annuel. Si tu te débrouilles bien, t’auras peut-être même le droit à une augmentation. » Je souris, attrapant la raquette qu'il me tend, et m'amusant à passer celle-ci d'une main à l'autre. « Si j'avais sû, je me s'rais préparée» Un haussement de sourcils avant d'effectuer quelques étirements et d'avancer le long du filet en rejoignant le milieu du terrain. «J'me dois d'être honnête, je n'ai pas joué depuis si longtemps que je suis probablement rouillée.» Si j'aime me montrer provocante, et joueuse, je ne peux que le prévenir sur la possible issue de cette rencontre, qui ne me sera pas favorable. Bien évidemment qu'il ne m'aurait pas convié à l'affronter à un sport qu'il ne maîtrise pas. « Sois rassurée et fais appel à la mémoire du corps. Bluffe. Utilise tes atouts, quels qu’ils soient, et ne t’avoue pas vaincue, même si tu perds un point. Puis deux, puis trois. » Je l'observe attentivement, bois chacune de ses paroles comme s'il était l'exemple à suivre. « Toi et moi savons que tu ne peux pas me battre mais cela ne signifie pas que tu dois me rendre la tâche facile. » Je lâche un rictus, venant poser une main sur ma hanche. «Évidemment…, Quel serait l'enjeu si ce n'est pouvoir nourrir ton égo?» Un haussement de sourcils pour appuyer mes mots. « Prends cette balle et montre-moi ce que tu vaux Sav’. » J'observe la balle, faussement hésitante, et finit par l'attraper en prenant place sur le court. En proie à une concentration extrême, je me pince les lèvres, et tente un service, qui sera un terrible échec. Le balle ne passe pas le filet, à mon plus grand désarroi. Je n'ose croiser le regard d'Evan, sachant très bien qu'un possible air moqueur de sa part pourrait avoir raison de moi. La deuxième tentative s'avère tout aussi infructueuse, alors que je rage intérieurement, prenant sur moi pour ne pas le laisser paraître, bien que mon impatience se lit à travers ma gestuelle. «C'est à partir de combien de tentatives que l'on peut considérer que j'suis en train de me ridiculiser?» demandais-je en secouant la tête, cherchant à me libérer de toutes ces pensées négatives qui ne me seront d'aucune utilité. Mes chances sont normalement épuisées, et le service doit lui revenir de droit, accompagné d'un joli point,j'en suis pourtant à m'entêter à un troisième tir, qui cette fois parviendra jusqu'à mon adversaire. Un échange de quelques frappes, avant que la balle ne me file entre les doigts, lamentablement. Je l'observe, et cet agacement s'est dilapidé face à ce progrès, si futile et rapide fût-il, preuve en est alors qu'un semblant de sourire cherche à s'immiscer sur mes lèvres. «Je t'interdis de te moquer» Le menaçais-je faussement en le pointant de l'index