Elle est restée sur le canapé. Evidemment qu’elle n’est pas rentrée, qu’elle n’en a pas eu le cœur, et qu’elle a trouvé l’excuse de veiller sur lui comme étant toute trouvée - autant que la pure vérité, parce que l’inquiétude qu’elle nourrit au sujet de Ken est véridique. Il a vécu une journée difficile et elle sait à quel point il a parfois du mal à être maître de ses émotions, surtout quand il ne peut pas tout contrôler, comme tel est le cas dans cette situation. Charlie a dérobé des vêtements qu’elle lui volait déjà à l’époque et elle a remonté sur ses épaules une simple couverture pour passer la nuit. Elle ne s’est pas plainte, elle n’a pas râlé. Elle n’a pas joué à ce jeu-là, pas alors qu’elle a ordonné à Ken d’aller dans sa chambre pour y trouver le sommeil.

Elle est restée sur le canapé au maximum une heure ou deux, en réalité. C’est sans arrière-pensée qu’elle a fini par trouver sa place auprès de Ken, après l’avoir entendu se retourner à trop de reprises, après l’avoir aussi entendu marmonner et se plaindre dans son sommeil, qu’elle devinait de fait être tout sauf réparateur. Les bruits étaient à peine audibles, à peine reconnaissables, et pourtant elle a le sommeil bien trop léger pour ne pas le remarquer. Sur la pointe des pieds, elle a fini par se glisser sur le côté du lit qui a toujours été le sien, qu’il a toujours laissé libre. Sans un mot, elle prend place entre des draps moites et tâtonne dans le noir jusqu’à ce que sa main trouve la nuque de Ken contre laquelle se lover, près de ses cheveux entre lesquels elle fait glisser ses doigts. Son front avance jusqu’à trouver le sien ; elle a une respiration calme qu’elle aimerait qu’il suive par esprit de mimétisme. Sa main libre remonte le long du bras du brun pour chercher ses doigts, qu’elle finit à leur tour par caresser avec la même tendresse et le même désir de bien faire. Pendant de longues minutes, elle s’applique à le rassurer et elle se rassure à son tour en entendant sa respiration se calmer peu à peu, jusqu’à ce qu’elle reconnaisse celle d’une personne endormie. Ce n’est qu’à cet instant qu’elle se retourne pour lover son dos contre le ventre de Ken, se recroquevillant et se faisant assez petite pour penser qu’il ne la chassera pas de là. Cela ne l’empêche pas de lâcher sa main, surtout alors qu’elle préfère au contraire nouer davantage leurs doigts et laisser le bras de Ken passer par-dessus elle, leurs mains posées sur le ventre de la blonde.

* * *

Charlie se réveille de son côté du lit, cette fois. Bien trop longtemps après s’être endormie pour que cela puisse être raisonnable, elle ouvre les yeux avec l’impression d’être pleine d’énergie, pour la première fois depuis longtemps. Au moment d’ouvrir les yeux, elle s’étonne pendant une seconde de la présence d’une autre personne à ses côtés et elle s’étonne d’autant plus que cette personne soit Ken - avant de se souvenir, avant que toutes les images de la veille ne lui reviennent à l’esprit. Ce matin, pourtant, elle prend le temps, elle laisse le temps aux choses d’exister. Si elle voulait partir sans être vue, elle sait bien qu’il est déjà trop tard. « J’ai eu froid. » L’excuse est tout trouvée, pas formée par une once de vérité. Elle ne parle pas des cauchemars qui ont dû fatiguer Ken, elle ne parle pas de la façon dont elle s’est enfin sentie complète à nouveau seulement au moment où elle a retrouvé ses côtés. « Fais moi un café et je m’en vais. » Elle acte simplement, d’un ton blanc. Ils ne peuvent prétendre à rien, ils ont perdu ce droit, et elle veut simplement qu’il comprenne qu’elle l’a bien compris à son tour. Pas d’illusions. Plus d’illusions.

C’est Charlie qui a fini par le réveiller à la fin du film, film dont Kendall n’a vu que les vingt premières minutes. L’épuisement a eu raison de lui après la journée affreuse qu’il a dû encaisser. La présence de Charlie, aussi inattendue qu’elle a pu être, a cependant été le soutien dont il avait besoin. Il lui a proposé de rester dormir, ou plutôt il a proposé à demi-mots qu’ils dorment ensemble mais elle a refusé. Il n’a pas insisté, respectant parfaitement son choix tout en lui proposant quand même de lui laisser son lit pour la nuit. La blonde ne lui a pas laissé le choix, l’envoyant se coucher dans sa chambre. Le bouclé l’a donc laissée dans le salon avec un plaid et un coussin avant d’aller dans sa chambre où il s’est écroulé sur le lit avant de sombrer à nouveau dans les bras de morphée.

Si le sommeil de Ken était profond et paisible pendant qu’ils regardaient Pulp fiction, le sommeil de Kendall seul dans son lit est très agité. Il se tourne encore et encore, n’arrivant pas à trouver une position agréable pour dormir. Des cauchemars arrivent rapidement troubler le policier qui se met à parler dans son sommeil. Quelques Non et des mots inintelligibles sortent de sa bouche et l’angoisse provoquée par ses rêves viennent crisper les traits de son visage. Des souvenirs se mêlent à l’imagination de son cerveau, mettant en scène son père lui faisant tout un tas de reproches, notamment sur son absence. En sueur et la respiration haletante, Kendall subit ce cauchemar auquel il n’arrive pas à faire face. Et puis la main de Charlie passe dans sa nuque et petit à petit, le poids qu’il ressent sur la poitrine s’évanouit. Sa respiration calme et ses caresses sur son bras réussissent progressivement à l’apaiser. Le cauchemar se dissipe, plongeant Ken dans un sommeil plus calme. Comme un vieux réflexe ses bras entourent Charlie qui est venue se lover contre lui. Ses doigts entremêlés à ceux de la blonde l’aident à reprendre pied tout comme le ventre de Charlie qu’il sent se soulever et qui le berce.

***

C’est Ken qui se réveille le premier, observant la silhouette de Charlie de l’autre côté du lit. Il est un peu surpris de la voir à côté d’elle, ne se souvenant pas du moment où elle l’a rejoint dans le lit mais ce n’est pas déplaisant, au contraire. Il reconnaît aussi rapidement le t-shirt qu’elle porte, il l’a vue le porter à de très nombreuses reprises dans le passé. “Salut toi.” Il lui dit, un bras entourant l’oreiller et un petit sourire qui étire ses lèvres. « J’ai eu froid. » Il n’est pas convaincu par son explication mais il n’a pas envie de la contrarier. “T’as pas besoin de te justifier, t’en fais pas.” Il aimerait lui dire qu’il était heureux de la voir à ses côtés au réveil ce matin, dans un de ses t-shirts comme au temps où tout allait bien entre eux, mais ce n’est pas le moment. Kendall n’a aucune envie de braquer Charlie ou de briser la petite bulle qu’a été cette soirée et cette nuit. « Fais moi un café et je m’en vais. » Kendall se redresse avant de s’étirer et de se lever. “Je t’amène ça.” Il se lève, le dévoilant juste en sous-vêtements alors qu’il attrape un t-shirt et un short. Il n’est pas gêné face à la blonde qui le connaît sous toutes ses coutures. La seule différence depuis la dernière fois sont de nouveaux tatouages : un héron sur son dos et une abeille sur son bras droit. Après quelques minutes passées dans la cuisine, il revient un mug de café dans chaque main. Il en tend une à Charlie. “Un long, sans sucre.” Il connaît ses habitudes par cœur, il n’a pas eu besoin de lui demander quoi que ce soit. Il s’assied dans le lit à ses côtés et tout en la regardant droit dans les yeux avant de lui dire. “Merci d’être restée cette nuit…” Il cherche un peu ses mots pour tempérer un peu ses émotions et ne pas aller sur un chemin glissant avec Charlie après tout le mal qu’ils ont pu se faire dans le passé. “ça m’a fait du bien en tout cas.” Il finit par lui dire avant de poser sa tasse de café brûlante sur la table de chevet.

“T’as pas besoin de te justifier, t’en fais pas.”
« Je me justifie pas. »

Charlie rétorque donc, toujours aussi égale à elle-même et ce même dès le réveil. Elle ne veut pas qu’il pense qu’elle a cherché une excuse pour passer la nuit à ses côtés, tout ça parce qu’elle en aurait eu besoin ou même envie. Ce n’est pas ce dont il s’agit, même si elle n’en profite pas non plus pour lâchement souligner qu’il est celui ayant passé une nuit difficile: elle refuse de tomber aussi bas, la blonde. Au moins ils s’expriment sur la nuit passée et au mieux ce sera pour tout le monde, à n’en pas douter. Pourtant, et malgré sa promesse de s’en aller dès son café bu, elle ne fait aucun effort en ce sens pour commencer à se préparer en l’absence de Kendall. Elle traîne, rêvasse, observe la vue qu’il a de la ville depuis la fenêtre de sa chambre. Elle se dit qu’elle pourrait s’y habituer, et elle se dit que l’idée est aussi dangereuse qu’elle est attirante. “Un long, sans sucre.” Elle prend la tasse en le remerciant d’un simple mouvement de tête. “Merci d’être restée cette nuit… ça m’a fait du bien en tout cas.” Elle serre les dents, incapable de savoir quoi penser de ces mots auxquels elle est loin d’être habituée. Ken ne remercie pas ses proches, et il avoue encore moins quand il a besoin de quelqu’un ou quelque chose. Être ce quelqu’un procure pourtant un immense sentiment de satisfaction à Charlie, qui nourrit l’impression d’être enfin pleinement utile. « Je te l’ai dit, j’avais froid. » Elle répond sobrement le même mensonge déjà exposé quelques minutes plus tôt, avant de se réfugier dans une gorgée d’un café aussi noir que réconfortant.

Elle a besoin de longues secondes de réflexion et autant de temps passé à gratter le palais de sa langue pour trouver quoi répondre. « Tu sais que c’est une mauvaise idée Ken. » Elle souffle finalement, doucement, désolée. Elle en a envie, il en a tout autant envie, mais c’est un chemin aussi glissant que dangereux qu’ils ont emprunté à bien trop de reprises pour encore se donner le bénéfice du doute. Elle sait qu’ils vont replonger dans leurs sentiments aussi vite que toutes les fois d’avant, et elles sait qu’ils vont se briser le coeur ; comme toutes les fois d’avant. « Joue pas à ça. » Ne me fais pas espérer, s’il te plaît. Pire que tout, elle lui demande de ne pas le rendre nostalgique.

« Je me justifie pas. » En bon esprit contradictoire Charlie n’admet pas ouvertement qu’elle se cherche des excuses. Kendall savait pertinemment qu’elle réagirait comme ça et c’est pour cette raison qu’il préfère ne pas relever au risque de créer une dispute complètement inutile qui viendrait briser la bulle dans laquelle ils ont réussi à se retrouver depuis hier soir. A la place il s’habille et se lève pour aller lui chercher le café demandé. A son retour Charlie est toujours sous ses draps et dans son t-shirt. Elle n’est visiblement pas aussi pressée qu’elle essaie de le faire croire. Après avoir tendu le mug à la blonde, il tient à la remercier, chose dont il n’a absolument pas l’habitude. La perte de son père et toute la souffrance qui l’accompagne lui a fait ouvrir les yeux sur ses proches et leur soutien. Et pour une fois Ken avait pris conscience que leur présence n’était ni un dû ni quelque chose d’acquis ce qui l’a rendu reconnaissant. C’est donc pour cette raison qu’il tient à remercier Charlie de sa présence. Elle n’y était absolument pas obligée, surtout après leur rupture et leurs rapports professionnels rendus conflictuels par le retour du bouclé sur Brisbane. « Je te l’ai dit, j’avais froid. »  Il n’est pas plus convaincu que la première fois, ce qui le fait légèrement hausser les épaules avant de lui répondre. “Si tu le dis” Kendall prend aussi quelques gorgées de café qu’il repose ensuite sur la table de chevet avant de reporter son attention sur la blonde. « Tu sais que c’est une mauvaise idée Ken. » Le cœur de Ken se serre quand elle prononce cette phrase. Au fond de lui, il sait qu’elle a raison. Leurs mille et une séparations ont prouvé qu’ils ne peuvent pas rationnellement envisager une relation stable et durable. Il la regarde les yeux dans les yeux et avant qu’il n’ait eu le temps de dire quoique ce soit elle ajoute : « Joue pas à ça. » Il sait très bien ce qu’elle veut dire par là mais elle fait fausse route. S’il a déjà pu jouer avec ses sentiments et sa patience ce n’est plus le cas, surtout avec l’épreuve qu’il doit désormais traverser. “Je voulais te remercier, c’est tout.” La tentation de l’embrasser et retomber dans leurs vieilles habitudes lui a bien sûr traversé l’esprit, elle est d’ailleurs toujours présente mais il lutte aussi pour ne pas les faire souffrir davantage. “Je sais que c’est une mauvaise idée, on le sait tous les deux et je vais pas essayer de te convaincre du contraire.” Les années ont rendu Kendall un peu plus lucide sur sa vie amoureuse plus que mouvementée. “Si tu veux finir ton café, partir et qu’on se recroise juste à la machine à café je comprendrais. Vraiment.” Une situation qui serait douloureuse pour l’un ou pour l’autre surtout après avoir retrouvé un peu de leur proximité naturelle cette nuit. Il ne la met pas dehors, bien au contraire, il lui fait comprendre que c'est elle qui décide et qu'il respectera ses choix du mieux qu'il pourra, quels qu'ils soient. “En tout cas, je serai là si tu as besoin de moi.” Elle a été le pilier dont il a eu besoin pendant la cérémonie et il se propose d’être le lien s’il elle en ressent le besoin. Une façon d’honorer leur promesse du petit doigt faite il y a dix ans et qu’elle a honoré en mettant leur rancœur de côté pour le soutenir.

“Si tu le dis” Elle ne reviendra pas dessus. Elle a bien trop d’ego pour nourrir une telle idée. Ce qu’elle annonce est acté: elle avait froid, il n’y a aucune autre raison qui aurait pu la pousser à quitter son canapé pour se retrouver aux côtés de Kendall. Son annonce est enrichie par sa vision des choses, par l’aspect évident qui se cache derrière leur conversation: elle peut et doit rester professionnelle, parce qu’ils ont déjà essayé d’être amis, amants, amoureux et jamais rien de bon n’a su en réchapper. Ils se sont brisés, encore et encore, sans jamais arrêter. “Je voulais te remercier, c’est tout.” Il campe sur ses positions et elle en fait de même, buvant chaque gorgée de café sans jamais quitter le brun des yeux - la faute à ses yeux, notamment, d’un bleu aussi profond que ceux de Charlie et dont elle ne se lasse pas.

“Je sais que c’est une mauvaise idée, on le sait tous les deux et je vais pas essayer de te convaincre du contraire.” Un discours qu’elle n’a pas pour habitude d’entendre de sa part, le démontre aisément les rides du lion naissant sur son visage en même temps qu’elle fronce doucement les sourcils. “Si tu veux finir ton café, partir et qu’on se recroise juste à la machine à café je comprendrais. Vraiment. En tout cas, je serai là si tu as besoin de moi.” - « Je… - » Ce n’est pas le discours qu’elle attendait et ce n’est pas le discours qu’elle souhaitait non plus. Depuis quand Kendall accepte son sort sans broncher ? Depuis quand Kendall accepte de ne pas posséder son jouet préféré et ne fait pas le moindre caprice ? Depuis quand Kendall ne se bat pas pour elle, tout simplement ? « Mais t’es sérieux ? » Elle débute, sa colère peu à peu évidente et assez existante pour qu’elle en vienne à déposer sa tasse sur la table de chevet à côté d’elle. « Depuis quand ? » Depuis quand Kendall Harding n’essaye pas de la convaincre qu’il est le meilleur parti, qu’il est particulièrement beau, qu’il baise particulièrement bien (un argument qui arrive souvent en tête de liste) et, surtout, qu’il l’aime comme personne n’en sera jamais capable. « Tu… tu vas juste accepter comme ça, on devient amis amis et c’est ok ? » Ca ne l’est pas pour elle. Ça lui brise le cœur, encore plus que de repenser à tous les moments où il lui a justement brisé le cœur en annonçant la fin de leur couple. « J’ai pas juste envie de te voir à la putain de machine à café, Ken. Je veux te voir tous les jours. » Tous les jours, tout le temps, dès que possible. Elle n’a jamais su aimer à moitié et ça aussi, il le sait, même alors qu’elle se replie sur elle-même et utilise le mur comme dossier, ses jambes remontant jusqu’à son torse pour qu’elle puisse poser ses coudes sur ses genoux. Ses mains cachent son visage, non pour le cacher mais bien pour ne pas avoir à observer la réaction de Ken si jamais elle n’est pas celle qu’elle pouvait espérer. « T’es vraiment un mec, sans déconner. » Ce qui, de sa bouche, n’est qu’un synonyme bien particulier pour lui dire qu’il est complètement stupide.

« Je… - » Les yeux de Ken scrutent le visage de Charlie en essayant de décrypter ce qu’elle peut bien ressentir. Il sait très bien qu’en lui disant qu’il est prêt à respecter sa décision de rester amis voire même simples collègues, il la surprend, il la prend de court. « Mais t’es sérieux ? » La stupeur fait rapidement place à la colère et il l’observe poser brusquement le mug de café sur la table de chevet. Il ne répond pas : il la connaît trop bien et sait qu’il vaut mieux qu’elle vide son sac et qu’elle aille au bout de ce qu’elle a à lui dire. « Depuis quand ? » Il fronce les sourcils, ne voyant pas vraiment où elle veut en venir. « Tu… tu vas juste accepter comme ça, on devient amis amis et c’est ok ? » Il prend une grande inspiration tout en la regardant alors que sa main se crispe sur les draps. Non il n’acceptera jamais d’être simplement ami avec Charlie. Il a essayé à de nombreuses reprises sans succès pour retomber à chaque fois sur le même constat : avec Charlie il ne peut pas y avoir d’entre deux. Ils ne peuvent pas être juste amis, soit ils s’aiment intensément, soit ils se détestent. L’amitié n’a jamais eu de place entre eux et, il le sait au fond de lui-même, elle n’en aura pas non plus à l’avenir. « J’ai pas juste envie de te voir à la putain de machine à café, Ken. Je veux te voir tous les jours. » Le cœur de Kendall se serre en entendant la voix de Charlie se briser et en la voyant se replier sur elle-même. Il ne la quitte pas des yeux lorsqu’elle cache son visage, complètement désespérée par sa réaction. « T’es vraiment un mec, sans déconner. » Il soupire en constatant à quel point elle peut être contradictoire : c’est elle qui lui demandait de s’éloigner, de ne pas franchir la ligne rouge entre eux, pour finalement lui reprocher de ne pas l’avoir fait deux minutes plus tard. Mais comment pourrait-il pu lui en vouloir ? Il la comprend trop bien : ils ont essayé de se comporter en adultes et non plus comme des ados. Ils ont essayé de faire le choix de la raison en acceptant que rien de sain ou de solide ne pourrait jamais les lier. Comme à chaque fois, les sentiments sont plus fort que la raison et les bonnes résolutions ne sont pas vouées à durer. Kendall colle lui aussi son dos contre le mur et se met dans la même position que Charlie, les bras posés sur ses genoux. “Charlie tu crois vraiment que ça me ferait plaisir ?” Sa voix est calme, posée ce qui tranche avec les discussions houleuses qu’ils avaient l’habitude d’avoir dans le passé. “Tu crois que ça me ferait rien de passer à côté de toi comme si t’étais une inconnue ? Ou de parler de la météo ou une connerie du genre comme si de rien n’était ?” Il secoue à nouveau la tête avant de soupirer encore une fois avant de se redresser, le dos toujours appuyé sur le mur. “Tu crois que ça me fait pas déjà chier de t’imaginer avec quelqu’un d’autre ? De me dire qu’il y a peut-être un enfoiré qui te mérite même pas qui pose ses sales pattes sur toi ?” Son cœur bat trop fort et trop vite dans sa poitrine alors qu’il lui dit ce qu’il a sur le cœur depuis maintenant des mois. C’est d’ailleurs pour ça qu’il anticipait autant son retour à Brisbane : il savait pertinemment que côtoyer Charlie le ferait replonger et ferait voler en éclat les “plus jamais ça.” Et ça n’a pas loupé, la jalousie l’avait souvent empêcher de dormir tout comme l’envie de lui parler comme avant lui avait brûlé les lèvres à de nombreuses reprises au commissariat. Son poing toujours est crispé sur les draps et ses yeux sont brillants à la simple idée d’imaginer Charlie faire sa vie avec quelqu’un d’autre comme s’il n’avait jamais existé et qu’il n’avait jamais compté pour elle. "Alors bien sûr que non j'en ai pas envie." D'être juste amis. Plus il y pense et plus il se demande ce qui serait le pire : ne plus parler à Charlie du tout, remettre les voiles à l'autre bout du pays pour faire comme si elle n'existait plus ou devoir la voir tous les jours en faisant semblant de ne plus rien ressentir pour elle.

Quand il prend le temps de se poser à ses côtés, elle jure qu’elle pourrait le tuer d’être aussi calme et mesuré alors qu’elle ne l’est justement pas le moins du monde de son côté. “Charlie tu crois vraiment que ça me ferait plaisir ?” Elle croit beaucoup de choses à son sujet, du plus terre à terre au plus rocambolesque. “Tu crois que ça me ferait rien de passer à côté de toi comme si t’étais une inconnue ? Ou de parler de la météo ou une connerie du genre comme si de rien n’était ?” C’est pourtant ce à quoi il s’est appliqué, non ? Elle ne trouve pas l’idée si folle ni impossible, et cela la met d’autant plus en colère. “Tu crois que ça me fait pas déjà chier de t’imaginer avec quelqu’un d’autre ? De me dire qu’il y a peut-être un enfoiré qui te mérite même pas qui pose ses sales pattes sur toi ?” Elle voudrait lui dire qu’elle n’est pas une gamine fragile et qu’elle choisit qui a le droit de la toucher, qu’elle n’a pas besoin de lui pour la défendre sur ce point, et pourtant elle continue de rester muette. "Alors bien sûr que non j'en ai pas envie." Très bien. [color:a24b=#crimson]« Très bien. » Elle laisse déjà une place vide à ses côtés, ses talons nus battant la cadence sur le sol alors qu’elle rejoint le salon et échange rapidement le t-shirt de Kendall contre le sien, prenant uniquement le soin de rester dos à lui lorsqu’elle se rhabille.

Elle s’est promis qu’elle ne retomberait pas dans ses bras en un claquement de doigts et c’est ce qu’elle fait donc. « Je vais aller trouver quelqu’un pour mettre ses sales pattes sur moi, vu que ça arrive si souvent. » Elle est du genre injuste et elle le sait. Elle est du genre sanguine et elle le sait. Elle est du genre particulièrement injuste et ça aussi, elle le sait. Elle aurait pu se laisser aller à une nouvelle vie à ses côtés pour tous les autres mots qu’il a eu le courage de partager avec elle, mais force est de constater que ceux-ci en particulier étaient de trop et qu’elle digère mal de passer pour celle qui se fait sauter à tout va, et surtout par le premier venu. « On se voit demain, collègue. » Ils se verront autour de la machine à café, ils parleront de la pluie et du beau temps, ils feront mouche au milieu de tous les autres employés du poste et il n’y a aucune autre option que Charlie arrive à envisager pour le moment. Elle veut vivre une histoire avec lui, oui, évidemment. Simplement, elle ne veut pas en vivre une comme ça, sur ce ton, de cette manière. Merde, ils méritent mieux. « On sera pas amis, juste collègues. C’est ok comme ça. » Elle continue à argumenter avec amertume, occupée à regrouper ses maigres affaires, prête à s’en aller aussi rapidement qu’elle est venue.

Elle est restée silencieuse, trop silencieuse pour que ça soit bon signe. Kendall a beau râler quand elle lui fait des reproches, qu’elle lui fait une scène pour un oui ou pour un non, mais le silence c’est encore pire. Son silence est éloquent et il prend conscience qu’il la déçue. Et puis la sentence tombe. « Très bien. » Il la regarde se lever en quatrième vitesse pour quitter l’appartement. “Charlie !” Il essaie de l’appeler pour la stopper dans son élan tout en la suivant jusque dans le salon où il la trouve en train de se changer. Le t-shirt de Ken retombe sur le canapé comme une vieille chaussette alors qu’elle remet sa tenue de la veille. “Charlie ?!” Il n’a même pas le temps d’en dire davantage qu’elle lui coupe l’herbe sous le pied. « Je vais aller trouver quelqu’un pour mettre ses sales pattes sur moi, vu que ça arrive si souvent. » Il n’y a pas meilleur résumé pour Charlie : tout foutre en l’air sans raison  alors que les choses commençaient à s’arranger entre eux. Elle lui tape sur les nerfs quand elle réagit comme ça avec son impulsivité légendaire. “J’ai pas dit ça.” A l’écouter il vient de la traiter de la salope et ce n’est absolument pas ce qu’il a dit. Il lui a dit que la jalousie le rendait dingue et il n’y avait rien de surréaliste à imaginer que Charlie ait refait sa vie avec un autre mec. De son côté Ken a enchaîné les conquêtes, pourquoi n’aurait-elle pas fait pareil ?« On se voit demain, collègue. » Le mot collègue est comme un coup de poing dans le ventre. “T’es sérieuse ?” Son cœur bat fort presque au point d’en être douloureux quand il prend conscience qu’elle est on ne peut plus sérieuse et qu’il n’est qu’à un cheveu de la perdre, encore. Il la connait par cœur, il connaît son caractère de tête de mule et il sait qu’elle s’y tiendra, au moins quelques jours pour le faire chier, pour le punir. « On sera pas amis, juste collègues. C’est ok comme ça. » Il la regarde, complètement médusé que la situation ait basculé en si peu de temps. Il y a même pas cinq minutes elle portait un de ses t-shirts dans son lit et maintenant elle s’apprête à claquer la porte. “Mais bien sûr que non c’est pas ok !” S’il a réussi à la traîter à peu près comme une collègue pendant plusieurs semaines c’est parce qu’il était en colère contre elle et le fait qu’elle l’ait encore une fois largué sans donner plus d’explications. S’il doit recommencer aujourd’hui il sait très bien qu’il en est incapable après la nuit qu’ils ont passé. Il se glisse devant la porte avant qu’elle n’ait eu le temps de l’atteindre pour lui faire barrage pour essayer de rattraper la situation du mieux qu’il le peut. “Charlie arrête s’il te plaît. Je suis désolé ok ?” Alors qu’elle lui fait face il lui prend la main et la regarde dans les yeux pour voir qu’il est sincère et que la voir partir en étant en colère de cette façon le touche. Il la regarde en sachant très bien qu’il y a de fortes chances qu’elle lui dise d’aller se faire foutre en le poussant pour qu’elle puisse partir pour de bon.

“Charlie !” Les mots tombent dans l’oreille d’une sourde et elle ne risque pas de revenir sur sa décision simplement parce qu’il vient de scander son prénom. Elle en attend plus, bien plus. C’est à peine une goutte d’eau dans l’océan. “Charlie ?!” Toujours pas, et la voilà plutôt qui lui renvoie ses mots pour traduire l’amertume qu’est la sienne au sujet de ce qu’il a eu le malheur d’insinuer de son côté, faisant d’elle une femme dormant chaque nuit dans le lit d’un nouvel inconnu. “J’ai pas dit ça.” Mais il le pense, et ça lui suffit pour qu’elle le déteste à la même hauteur de l’amour qu’elle lui porte. “Mais bien sûr que non c’est pas ok !” Il hurle et se débat contre les conclusions prises par Charlie mais cela n’émeut pas davantage la blonde. Elle ne compte pas revenir sur sa décision et ce même alors qu’il se glisse entre elle et la porte d’entrée du domicile. “Charlie arrête s’il te plaît. Je suis désolé ok ?” Lorsqu’il attrape sa main dans la sienne, elle accroche son regard au sien une seconde de plus que de raison. Pendant cette même seconde, ses certitudes vacillents et elle déglutit, ayant besoin de toute sa force et de tout son courage pour ne pas revenir sur sa décision. Elle prend la bonne décision, elle le sait.

« Mérite moi, Kendall. »

Qu’il arrête de lui briser le cœur à outrance et peut-être qu’enfin ils auront la latitude nécessaire pour construire une relation viable et durable. Peut-être qu’à force, enfin, ils pourront avoir le temps de donner forme à leurs rêves autrement que des paroles en l’air sur l’oreiller, à refaire le monde. « Invite moi un soir, chez toi. » Qu’il leur fasse un dîner ou qu’ils commandent des pizzas, elle s’en moque bien. Ce n’est pas ce qui importe, elle ne demande pas non plus un dîner hors de prix. Elle veut simplement une soirée entre eux, juste eux deux. Une soirée où ils prennent le temps des choses. Une soirée comme n’importe quel putain de couple normal. Après, et seulement après, ils pourront discuter. Pour l’heure, elle n’attend pas sa réponse avant de reprendre son chemin jusqu’à la sortie et quitter cet appartement.

Il essaie de la retenir en criant son nom tout en sachant que c’est inutile et que dans des moments pareil Charlie développe une ouïe sélective et l’éviter. Le seul moyen qu’il trouve pour la faire sortir de son élan de colère c’est de se mettre devant la porte pour la bloquer en espérant qu’elle redescende en pression -ce qui est beaucoup demander-. Quand il prend sa main il voit bien dans son regard qu’elle hésite et c’est au moins ça de gagné. « Mérite moi, Kendall. » Ce sont des mots auxquels Kendall ne s’attendait pas. Il est pris de court, ne sachant pas trop comment répondre à ça. Il ne la quitte pas des yeux alors qu’elle attrape son sac rangé à la va-vite pour quitter l’appartement. « Invite moi un soir, chez toi. » La porte claque avant qu’il n’ait eu le temps de lui donner sa réponse. Il expire bruyamment à cause de l'ascenseur émotionnel qu'elle vient de lui faire vivre avant de retourner dans sa chambre pour s’affaler sur son lit. Allongé dans les draps qui ont encore l’odeur de Charlie, les pensées se bousculent dans la tête de Ken. Il finit par se dire qu’elle a sûrement raison. Il n’a pas été irréprochable avec elle, loin de là. S’il devait lister le nombre de fois où il s’est comporté comme un salop avec elle, la liste serait longue, trop longue. Il sait qu’elle a raison, qu’il doit lui prouver qu’elle peut lui faire confiance et qu’il n’est plus là pour de jouer avec ses sentiments. Lui montrer qu’il a changé, qu’il a grandi et appris de ses erreurs -ou qu'il essaie du moins-. Elle est la seule qui le comprend sans qu’il ait besoin de parler, la seule qui l’apaise autant par sa simple présence. Ken l’a toujours su bien qu’il l’ait minimisé à de nombreuses reprises, mais aujourd’hui, il en a plus conscience que jamais. Il sait que s’il merde cette fois il la perdra pour de bon et cette simple idée lui fait mal au cœur. Les deux mains derrière la tête, il fixe le plafond. S’il n’est pas sûr de pouvoir garantir qu’il sera à la hauteur cette fois, il a au moins envie d’essayer.

1 heure plus tard

Il attrape son téléphone pour lui envoyer un message. C’est peut-être trop tôt, il a peut-être l’air d’être désespéré mais il a envie de lui montrer qu’il l’a entendue et qu’il est prêt à faire des efforts.

Ken
19 h chez moi vendredi ? J’ai une bonne bouteille de blanc et de quoi faire un risotto.