Quelques mois plus tôt, Micah aurait ri si on lui avait prédit qu'il serait dans cette position aujourd'hui, à se dénuder dans une pièce à quelques mètres seulement de Jo, avec une paroi de fortune pour les séparer. Depuis le temps, Micah avait appris à ne pas être pudique, car le temps passé dans les coulisses était précieux, et se réduisait souvent au minimum pour optimiser les tournages. Il avait au moins le luxe de ne pas être parqué avec le reste des figurants, qui eux devaient effectuer leurs essayages à la chaine, dans l'effervescence et la tension que Jo, en tant que réalisatrice, leur réservait certainement. La pièce dans laquelle se trouvait Micah était petite, rétrécie par le nombre de portants chargés de costumes de toutes les coupes et de toutes les couleurs, dont certaines faisaient plisser d'aversion le nez de l'acteur. Tout lui allait certes mais il fallait quand même respecter son sens de la mode et du détail. Chaque fois qu'il sortait de derrière le paravent, la styliste s'exclamait toujours plus fort, si bien qu'il se demandait jusqu'où elle serait capable d'aller après la troisième ou quatrième tenue. Elle s'empressait de venir ajuster ses épaules, inspecter sa ceinture, ou encore l'ourlet de son pantalon en se baissant progressivement. Il n'y avait pas de meilleur moment pour débarquer dans la pièce tant chacune de ses vérifications, observées d'un certain angle, dégageaient quelque chose de sexuel. De part et d'autre de la pièce, des miroirs donnaient une illusion de grandeur, mais surtout l'irrésistible envie à Micah de s'examiner sous toutes les coutures. Ce costume gris était élégant, mais la matière trop basique à son goût. Jo aurait le dernier mot, d'ailleurs Micah ignorait encore la plupart des détails du script, qu'il avait forcé auprès de son agente. Il était prêt à tout pour elle à ce stade, même à se mettre dans une position ridicule, ou à mourir vulgairement comme elle semblait l'avoir prévu. Ce rôle, c'était le meilleur cadeau qu'elle aurait pu lui faire, la preuve indélébile qu'à ce moment précis de leur vie et de sa carrière, leur relation était de nouveau apaisée.

Micah se doutait que Jo y avait réfléchi, au caractère irréversible de sa figuration dans ce clip qu'elle aurait tout le loisir de mépriser dans quelques années, si jamais leur amitié devait subir d'autres coups durs. A vrai dire, c'était surtout Midas qui l'inquiétait. Jo avait beau jouer la carte de l'indifférence et prôner son libre arbitre, elle n'ignorait pas que son petit-ami, dont la jalousie n'était plus à prouver, verrait d'un mauvais œil ce tournant de sa carrière. Quoiqu'elle dise, Midas était trop fier pour lui céder cette bataille. Cette certitude n'inquiétait pas Micah, qui savait contrairement à lui faire la part des choses entre la réalité de leur vie privée et le pouvoir marketing de leur relation. Jo était intelligente et savait capitaliser sur les moindres scandales qui éclaboussaient sa carrière. Bien-sûr elle avait proposé ce rôle à Micah par amitié, mais aussi en grande partie parce qu'elle savait très bien ce qu'attendait le public depuis leur prise de bec par écrans interposés. Avec ce raisonnement en tête, Micah se sentait bien moins coupable d'avoir accepté de tourner dans ce clip en dépit de toutes les implications, que ce soit l'avis divergeant de Midas ou les accusations de récupération dont ils feraient l'objet. Il entreprit de se déshabiller sans même prendre la peine de se cacher, après avoir mis son veto sur ce costume dans lequel pas même les talents de couturière de la styliste pourraient le mettre en valeur, lui intimant de lui proposer autre chose de plus classique et intemporel. Comme par hasard, ce fut lorsque sa chemise fut entièrement déboutonnée que Jo débarqua conquérante dans la pièce. Un sourire carnassier étira les lèvres de l'acteur lorsqu'il releva la tête. « Voilà je suis prêt. » dit-il en ôtant sa chemise. Jo avait vu son torse un nombre incalculable de fois, comme des millions de personnes sur Instagram, si bien qu'il n'y avait plus aucune réserve entre eux. « Tu as fini les retouches du script ou bien ça va durer jusqu'au jour du tournage ? Parce que je peux aussi improviser, je suis sûr que t'as vu ma performance au SNL. »

like a feather
@Micah Tomlinson (crédit gif/ssoveia)

Jo débordait d’idées. Dans son entourage, personne n’estimait que c’était un défaut. Elle en avait d’autres, des plus casse-couilles que ça, diraient certains avec poésie, aussi ça contrebalançait très certainement la somme de ses travers qui lui valaient d’être vue comme la diva qu’elle savait qu’elle était. Elle avait pris l’habitude qu’on réponde à ses caprices, faisant planer la menace d’une bataille féroce contre ceux qui jugeaient bon lui dire non sans redouter qu’elle le prenne mal. Ils avaient tort, de toute évidence. Le dernier en date, de ses caprices, elle l’avait amené précautionneusement sur la table, petite souris fière de ses idées certes, qui savait toutefois que celle-ci, elle allait devoir être négociée avec soin. En conséquence, elle s’en était donnée les moyens, et avait fait les choses bien en apportant des arguments à sa maison de disque, mais surtout en tâtant le terrain auprès de son équipe pour qu’ils adhérent à sa cause alors qu’elle se proposait pour prendre les choses en main, motivée par l’idée d’imposer l’univers qu’elle avait en tête, se sentant plus que jamais capable de le transposer à l’écran. Clou du spectacle ? Elle  avait vendu son idée au principal concerné en sachant pertinemment qu’il ne pouvait rien lui refuser, recueillant son soutien sans même se sentir honteuse d’anticiper sur la décision finale qui n’était pas de son fait, quoi qu’elle prétendrait. Le gros avantage avec Micah, c’était qu’il croyait tellement au talent de Jo qu’il était capable de tout, même de brader son amour-propre pour avoir le plaisir de la voir évoluer dans le bon sens, aussi encourageant que fier ce qu’elle était devenue, n'étant jamais le dernier à vouloir l’accompagner sur le chemin du succès sur lequel ils avaient tant fantasmé à l’époque de leur rencontre : il lui avait fallu que quelques textos pour le convaincre, ça avait été plus facile que tout le reste, ça l’avait rendue plus heureuse que tout le reste. Finalement, tout le monde avait été impressionné par l’entrain qu’elle mettait à faire de ce nouveau projet quelque chose de marquant, et le gain de cause lui avait été accordé, la confiance qu’elle avait soudainement gagné, bien que quelques mois à peine de ça, on lui avait refusé une vraie tournée, ça avait donné un coup de fouet à son assurance, posé définitivement un pansement rose-pailleté sur la blessure faite à son égo pendant qu’elle préparait ses premières dates de concerts — pas de vraie tournée donc, mais ils le regretteraient déjà, ça se sentait à plein nez, étant donné le succès des premières ventes de billets. Il ne fallait pas chercher bien loin, c’était pour ça que personne n’avait cherché à discuter autour du clip de Feather : il était tant d’accorder du crédit à Jo Carter, merde. Personne n’était né idiot dans son entourage, tous le savaient, que ça titillerait l’intérêt de ceux qui n’avaient pas encore été contaminé par le virus, et que ça confirmerait aux fans qu’ils faisaient bien de la suivre parce qu’elle en avait sous la semelle, leur idole ; c’était tout ce qui intéressaient les gens qui travaillaient avec elle, Jo n’était pas assez naïve pour l’ignorer, mais elle s’en foutait, ravie de pouvoir enfin tenir les rênes de son destin et d’esquisser les prémices d’une mythologie autour du personnage qu’elle jouait. Après son duo avec Midas, le cameo de Micah dans cette vidéo, ça rendrait officiel qu’elle préparait un coup médiatique au moins une fois par année : de quoi attiser le feu et faire spéculer sur ce qu’elle était capable de faire pour faire parler d’elle, et ainsi forcer la plèbe à s’intéresser à sa musique autant qu’à sa vie privée.

Elle était en charge, ça la stimulait au point que les considérations des autres au sujet de cette collaboration, elle ne les prenait pas en compte, de moins en moins encline à faire preuve de bonne foi quand ce n’était pas réciproque. Elle savait ce qu’elle faisait, c’était encore tout ce qui comptait pour l’heure, entendre dire que c’était un manque de respect, de la provocation, ou elle ne savait quelle niaiserie de ce genre encore, elle n’était pas apte à l’entendre, encore moins apte à imaginer que ça puisse lui porter préjudice tant c’était calculé pour faire buzzer évidemment, ça restait toutefois d’une innocence qui allait avec le ton léger de la chanson que cette vidéo s’apprêtait à promouvoir. C’était du business pur et dur, une façon aussi de tourner la page sur le scandale qui la plaçait au milieu de deux grands garçons têtus qu’elle aimait bien différemment, c’était une certitude. Elle s’appliquait à le répéter, non sans être heureuse que sa relation avec Micah ce soit assez apaisée pour qu’être à sa proximité ne la rende plus malheureuse. Il avait soulevé l’avis de Midas à ce sujet, Jo l’avait rassuré avec une pointe de naïveté, pensant au fond que s’il n’était pas capable de comprendre la stratégie derrière l’apparition de Micah — quelques secondes à peine, la plus courte de sa carrière —, elle ne pouvait rien pour lui. Elle évitait d’y penser, concentrée sur ce que donnerait le rendu final de cette vidéo dont le tournage avait commencé depuis quelques jours déjà.

Elle roula des yeux "Ça surprendra qui au juste, si tu tombes la chemise ? Range-moi ça." L’air sérieux, Jo fronça les sourcils en écoutant ce que Micah était en train de lui dire et se dirigea vers le premier portant qui se dressait sur son chemin pour aller fureter du bout des doigts dans la sélection de costumes qu’elle avait sous les yeux, sachant exactement ce qu’elle voulait pour le jeune homme. Et ce n’était rien de ce qu’elle voyait, aussi c’est sans appel qu’elle fit à l’habilleuse présente "Vous pouvez remballer ceux-là, on n’en aura pas besoin. Ça aérera un peu l’espace, on étouffe ici." Véridique ou alimentée par sa nervosité latente, celle qui la bouffait depuis des mois malgré le travail qu’elle faisait sur elle-même, Jo se débarrassa du surplus de vêtements qu’elle portait, elle aussi, se débarrassant de son manteau pour mieux accorder de nouveau un regard à Micah avant de s’attaquer au deuxième portant, prenant enfin le temps de lui répondre "Ton apparition est déjà réglée du début à la fin, c’est la seule scène qui était si claire dans ma tête qu’on l’a à peine retravaillée avec l’équipe quand il a fallu parler du script. Ça va être parfait, carrèment plus que ta performance au SNL." Et elle était fière d’elle, c’était une certitude qui flottait sur son visage, le sourire qu’elle lui offrit en se retournant avec un cintre à la main rendant évidente la malice entourée de mystère qu’elle lui offrait chaque fois qu’il essayait d’en savoir plus sur son rôle "T’as la trouille de ce que je vais te faire jouer ?" qu’elle lui demanda, posant le costume bleu marine qu’elle avait choisi sur le sofa à proximité, et s’attaquant maintenant à la chemise qui allait avec, se déportant de quelques pas pour changer de portant, le bruit de ferraille des cintres sur la barre en guise de métronome.

Avec un peu d'expérience dans le milieu, il était évident que l'insistance de Jo pour réaliser et produire son clip dénotait d'une envie de ne plus brider la direction artistique qu'elle voulait prendre. Micah était même étonné de constater qu'elle avait eu gain de cause, quoiqu'il ne doutait pas une seconde de l'obstination dont elle pouvait faire preuve. Moins qu'une marque de confiance, il considérait plutôt la complaisance de son label comme une leçon qu'on voulait lui donner si jamais sa vision ne trouvait pas le public qu'ils s'étaient efforcés d'engager avec cet album. Au fond, il était sûr que tous les dirigeants de sa maison de disque misaient sur un échec de sa part pour mieux se flatter plus tard d'avoir toujours fait les meilleurs choix pour elle, comme si finalement le succès se mesurait en chiffres plutôt qu'en éloges critiques. Si le meilleur art était le plus accessible, le monde pourrait se targuer d'avoir des goûts d'élite, mais ce n'était pas le cas, et Micah avait lui-même appris tout au long de sa carrière à jongler entre films grand public et projets plus intimes pour ne pas être étiqueté comme un acteur monotone. C'était d'ailleurs ce qu'il faisait en acceptant ce rôle dont il ignorait encore tous les contours, mais que Jo lui avait vendu comme un acte d'auto-dérision plus qu'une performance dramatique. A ce stade, Micah s'était préparé à devoir mourir comme Marion Cotillard dans Dark Knight et à l'assumer avec autant d'aplomb que ses abdos sur Instagram. Lorsque Jo était entrée dans la pièce, la lourdeur des essayages s'était déportée sur d'autres épaules que celles de Micah. Il était ravi, mais la styliste qui s'était chargée de lui ne pouvait pas en dire autant, faisant mine de s'affairer à trouver une pièce plus consensuelle. Malgré les sarcasmes avec lesquels Micah avait accueilli Jo, cette dernière ne voulait pas en démordre ou renoncer à l'autorité sérieuse qu'elle incarnait face à tout le monde depuis le début du tournage. « Je sais pas si ça surprendra, mais ça ferait une très belle vignette sur Youtube. » dit-il avec un air nonchalant, son regard glissant sur ses muscles contractés.

La chanteuse, réalisatrice auto-proclamée, ne se laissa pas déconcentrer et entreprit d'endosser désormais le rôle d'habilleuse. Son dévouement arracha un sourire amusé à Micah. « Avoue que tu jubiles, de pouvoir donner des ordres en toute légitimité. » Sans se faire accuser d'être une diva, comme si c'était une insulte d'avoir des exigences et un avis sur des décisions qui la concernaient directement. « Vous devriez faire ce que demande la dame. » conseilla-t-il à la styliste qui s'exécutait déjà en tirant le portant à l'extérieur de la pièce encombrée. Micah n'était pas étonné de l'assurance avec laquelle Jo décrivait son projet. Il avait un faible pour les gens fermes et affirmés, ce qui avait manqué à ses yeux dans les précédents choix que lui avait dicté son label. « J'apparais combien de temps ? Plus ou moins que dans Mad Max où il fallait me chercher pour me voir ? » Il se souvenait encore de la durée insolente du tournage de sa scène, tandis que le reste du casting avait dû subir la chaleur du bush australien pendant des semaines. Et du cachet tout aussi insolent qu'il avait perçu pour cette apparition exigée par le réalisateur lui-même, qui tenait à faire figurer des acteurs locaux pour remercier l'état d'avoir prêté ses paysages à son film. « Franchement j'ai la trouille de rien. J'ai bizarrement confiance en toi. Pour tout dire, j'ai surtout hâte de voir la réaction et les spéculations des fans. » rétorqua-t-il en inspectant la veste de costume qu'elle avait déposée sur un fauteuil à proximité. « Toi t'as toujours pas la trouille ? De la réaction de Midas ? Ou qu'on t'accuse de complaisance envers un mec toxique ? » demanda-t-il, davantage pour se rassurer que pour entendre Jo le contredire sur sa nature profonde. Du bout des doigts, il effleura le tissu du costume qui lui apparaissait déjà moins bon marché. « Donna m'a déconseillé de le faire. Elle a jamais été aussi catégorique sur mes choix artistiques. Je vais probablement changer d'agence. » En vérité, c'était moins un différend artistique qui avait motivé son choix que la sympathie qu'il éprouvait désormais envers son agent. La collaboration avec son père lui avait appris qu'il valait mieux séparer les affaires de la vie privée, et Micah tenait à conserver son amitié avec la jeune femme bien plus qu'il n'avait besoin de bénéficier de son expérience redoutable dans le milieu. « Je doute que tu te sentes coupable de quoique ce soit, mais si c'est le cas t'en fais pas, ça faisait déjà des semaines que ça me pendait au nez. »

like a feather
@Micah Tomlinson (crédit gif/ssoveia)

Le ton était léger, la nervosité de Jo ne transparaissant que dans les ordres qu’elle donnait à l’habilleuse présente dans la pièce "Je reste la star de mon propre show, espère pas être mis plus en avant que tu le mérites." Remettre les pendules à l’heure pour que l’ego de Micah ne prenne pas plus de place qu’il n’en prenait déjà, c’était dans les cordes de Jo. Dans une certaine mesure, elle l’utilisait et il consentait à l’accepter sans rechigner. Elle n’essayait pas de comprendre davantage pourquoi, c’était somme toute normal pour elle étant donné qu’elle savait parfaitement que son affection lui dictait la marche à suivre et que la fierté qu’il éprouvait à l’égard du parcours qu’elle menait depuis quelques mois maintenant ne faisait qu’alimenter son envie de la suivre dans tout ce qu’elle lui proposerait, même en ne sachant pas tout à fait ce qu’elle lui réservait. Et ce n’était rien d’humiliant au demeurant. Micah avait assez d’humour pour considérer que celui de Jo lui serait salutaire sur la durée, l’auto-dérision dont il ferait preuve en permanence, alors qu’il ne cessait d’être vilipendé à cause de ses erreurs, n’en finissant plus de le rendre plus sympathique que l’image qu’on lui avait collé sur le dos ces derniers mois. Elle pourrait se sentir mal à l’aise, s’en vouloir de baser leur collaboration-surprise sur son envie non seulement de faire parler, mais aussi de tourner définitivement la page de quelque chose qui avait pris des allures d’épine dans son pied depuis trop longtemps pour qu’elle n’aspire pas à cesser de boiter. Elle crevait de retrouver un équilibre où elle pourrait enfin vivre en paix son amitié avec le jeune homme qui mettait le doigt sur la jubilation qu’elle éprouvait en se comportant comme la diva qu’elle était déjà d’habitude, de toute façon. Elle ne se sentait pas mal à l’aise Jo, elle n’avait pas l’impression de faire quelque chose de subversif en utilisant toute cette histoire pour servir sa propre cause, la détournant pour se la réapproprier et en tirer des avantages parce que merde, on racontait déjà assez de saloperies à propos de tout ça, ils avaient bien le droit de s’en octroyer une part, et la meilleure de toutes, n’est-ce pas ? Elle ne bouda pas sa mine malicieuse, fit jouer l’une de ses épaules pour poser la pointe de son menton dessus "Je parlerais qu’en présence de mon avocat." Qui s’arracherait bientôt les cheveux en devant traiter avec les doléances des différents archevêques des environs dont la foi sera offensée par sa petite danse innocente en tutu devant leur sacro-saint autel — comme s’ils n’avaient pas d’autres choses à foutre que de s’affoler qu’une fille dans son genre salisse leur église, comme si leurs prêtres un peu trop tactiles ne le faisaient pas déjà.

Elle suivit le départ de l’habilleuse du regard, installa son illustre fessier sur l’accoudoir du canapé qui était installé dans la pièce et laissa Micah disposer du modèle de costume qu’elle avait choisi pour lui en l’écoutant partager avec elle les causes de la trouille qu’elle l’accusait d’avoir. Elle était touchée de la confiance qu’il lui accordait, lui en était suffisamment reconnaissante pour ne pas vouloir faire de sarcasme dessus, et le rassura presque, en lui disant sans délai "Une vingtaine de secondes. On va bien te traiter : t’auras une scène complète avec moi, ce sera pas de la figuration." Elle hocha la tête, continua calmement sur sa lancée "Je te promets que tu regretteras pas de me faire confiance. C’est pas un piège tu sais." Tout ça, ça n’était rien d’autre qu’une tentative de sa part d’aller de l’avant et de reprendre le contrôle narratif d’une histoire qui, à son goût, avait pris trop de place dans sa vie au cours de l’année écoulée, et pas seulement parce que la presse et les fans s’étaient jetés dessus comme des crève la dalle. À croire que Micah avait un accès direct à ses pensées puisqu’il cita celui qui traversa les siennes à l’instant où elle se demandait comment elle allait bien pouvoir expliquer son choix à Midas qu’elle avait tenu à l’écart de ça avec un soin particulier ; le même dont elle fit preuve quand elle préféra rebondir sur la seconde moitié de la question de Micah, ne répondant pas à la première sur laquelle elle n’avait guère envie de méditer pour l’heure. Un problème à la fois, c’est ce qu’elle se répéta pour se convaincre qu’elle faisait les choses bien "Tu sais ce qui est toxique ? C’est de faire des suppositions sur les intentions d’autrui en partant d'un évènement auquel on participe même pas et d’en faire toute une histoire — fausse, qui plus est." Ainsi, sa moue revêtit des allures de rejet de l’idée que Micah était l’homme que dépeignait les internautes, bien qu’elle l’avait cru à un moment ; elle avait pris un peu de recul, elle avait réfléchi, et si elle ne lui donnerait plus jamais le bon Dieu sans confession, encore blessée par la manière dont il refusait de s’excuser auprès de l’homme qu’elle aimait, elle ne pouvait décemment pas plus insister que ce qu’elle avait déjà fait. Micah avait son libre-arbitre, et même si ça l’emmerdait de devoir l’avouer, elle n’avait pas assez de contrôle sur lui pour le contraindre à quoi que ce soit. Elle poursuivit "T’es pas toxique. T’es un abruti, c’est vrai." Le petit mouvement de tête qu’elle fit pour accompagner cette vérité était ferme "Mais t’es pas toxique." Pas plus que d’autres en tout cas, c’est ce qu’elle se dit en se demandant brièvement si elle, elle l’était.

Elle se leva de l’accoudoir du canapé pour s’approcher du jeune homme qui avait passé la veste de costume qu’elle lui avait choisie. Consciencieuse, elle l’observa sous toutes les coutures, puis se plaça devant lui "J’aime bien. La couleur te va pas mal au teint." Elle le lui affirma avec les sourcils froncés, sa mine de femme d’affaire concentrée réfléchissant à quoi ajouter pour qu’elle puisse mieux imaginer le tableau complet tandis qu’il lui apprenait quelque chose qu’elle ignorait et qui la fit tiquer et lever la tête pour le regarder en face. Elle observa ses traits, chassa l’ombre d’un mouton de laine qui traînait sur son visage d’un pouce quid disparu très rapidement pendant qu’elle l’interrogeait "C’était quoi ses arguments pour te l’interdire ? Je savais qu’elle pouvait pas me voir en peinture, mais j’avais espoir que ce soit que de la jalousie mal placée." Cette mal baisée de Donna, qu’elle pensa en fronçant le nez, se détournant de Micah pour aller fureter sur le portant qui restait dans la pièce histoire d’y pêcher une chemise blanche qu’elle l’enjoint à enfiler sans lui demander son avis "Ça a été aussi critique que ça ? Vous vous êtes engueulés à cause de moi ?" lui demanda-t-elle. Elle connaissait le rapport que Micah avait toujours entretenu avec son agente, ça ne devait pas être évident de se séparer d’elle maintenant qu’il était décidé à reprendre son image en main. Elle ne s’en voulait pas, mais elle se questionna — et questionna Micah — sur la conjoncture de cette séparation qui, d’un oeil extérieur, lui paraissait plutôt disproportionnée.