The inner light. w/  @Angelo Welch

Qui aurait cru qu’un jour Norah allait s’inscrire sur un site de rencontre. Il était vrai que la Sawyer était d’un naturel sociable et avenant, en tant que tel elle n’avait pas vraiment de problème à discuter avec les autres, même les personnes qui lui étaient étrangères. Justement, elle appréciait découvrir de nouvelles silhouettes de son paysage, étant à la fois engageant mais aussi enrichissant. Alors pourquoi un site de rencontre, alors qu’elle semblait avoir toutes les armes pour y parvenir seule. Le marketing, tout simplement. Victime des campagnes publicitaires qui circulaient partout en ville, elle en entendait parler de manière si récurrente qu’elle ne put s’empêcher d’y jeter un coup d’œil. A un moment où certains de ses amis se ventaient de leurs matchs, l’étudiante en droit téléchargea l’application et y créa un profil. Face à l’engouement de son entourage, ses réticences se dissipaient et elle se prenait au jeu, si bien qu’elle s’annonçait ornithorynque. Animal totem de ceux qui cherchaient à se laisser porter par le destin, elle s’investissait jusqu’au bout car au final, elle n’avait rien à perdre. Loin des apriori qu’elle aurait pu avoir quelques semaines auparavant, elle soigna sa présentation puis rendit visible son profil.

Norah était à l’université lorsqu’elle reçut la notification de BrisBuddies. Portant son téléphone à hauteur d’yeux, son étonnement accompagné d’un sourire était clairement visible sur son visage. « Oh la vache, j’ai un match. » Chuchota-t-elle à ses camarades d’amphithéâtre, déjà dissipés et plus du tout en train d’écouter le cours. L’attention portée sur la fameuse compatibilité de la Sawyer avec un parfait inconnu, elle découvrait son nom – Angelo Welch – mais également le cadre dans lequel ils allaient faire le date. Un cours de peinture de nus. De nouveau un choc, elle dut porter sa main sur sa bouche pour ne pas rire de malaise. « Comment ça de nus ?? Bon ça va que c’est de la peinture mais le nus quoi… » Passionnée de peinture, elle avait l’habitude d’en faire même si les sessions se raréfiaient avec le temps. Cependant, elle était plutôt paysages, fleurs et ciels, pas portrait et encore moins nu. Heureusement qu’elle était avide de challenge car elle entreprit la conversation et envoya le premier message. Même si elle ne reçut pas immédiatement de réponse de son match, elle avait la patience de son côté.

Patience qui fut récompensée puisque les premiers échanges finirent par arriver et son interlocuteur avait l’air tout à fait sympathique et audacieux. Quelques points en commun se dessinaient et plusieurs sujets avaient été initiés. Norah abordait le date avec sérénité et même une certaine excitation, impatiente de rencontrer le garçon qui avait su la faire rire plus d’une fois, seule devant son écran de téléphone. Ils convenaient d’un horaire il n’y avait plus qu’à. Le jour fatidique et comme à son habitude, elle arrivait en avance dans ce qui avait tout l’air d’une école artistique au centre-ville de Brisbane. Entrant dans une bâtisse à l’architecture typique des plus anciens ouvrages australiens, elle se laissait guider par les multiples affichages à l’intérieur jusqu’à une sorte de patio. Le lieu avait tout l’air d’un cadre idéal pour n’importe quel peintre puisqu’il était spacieux, l’ouverture au plafond offrant une lumière naturelle qui éclairait la pièce entière. Plusieurs chevalets étaient placés en arc de cercle devant une plateforme en pierre, sûrement l’endroit où était placé les objets – ou les corps – que les élèves de cette école devaient peindre. Bouche bée, elle prit quelques instants pour analyser les lieux avant de s’approcher d’un des chevalets. Et c’est là qu’elle vit une silhouette assise derrière la toile qu’elle convoitait. « Oh, salut ! », initia-t-elle en se plaçant jusqu’à côté du chevalet. Un sourire rieur sur son visage, elle faisait face à un garçon qui ressemblait somme toute à la photo de profil du fameux Angelo. « Attend. Tu serais pas mon date par hasard ? » Question rhétorique alors qu’elle déposa ses affaires sur le tabouret juste à côté, attentive et surtout curieuse de ce qui allait se tramer par la suite.

La pub pour Brisbane Buddies avait poppé à plusieurs reprises quand son doigt faisait défiler les publications sur son fil d'actualité. Son algorithme Facebook était visiblement au courant de ses recherches actives pour trouver l'amour. Enfin, l'amour. Quelqu'un en tous cas. Quelqu'un qui ne soit pas provisoire. Quelqu'un avec qui il pourrait construire quelque chose de plus d'une semaine. Il ne souhaitait pas réitérer le rencard on-va-se-marier-dès-qu'on-sort-de-ce-premier-date avec Alice, mais il avait effectivement en tête la volonté de créer une relation plutôt longue - selon le feeling. Si ça passe, tant mieux. Sinon, il remettrait sérieusement en question le fait de trouver sa future chérie via une appli. D'autant qu'il n'en avait jamais vraiment eu besoin ces dernières années, il avait fait tellement de rencontres que tout s'était fait assez naturellement. C'est seulement depuis qu'il est de retour sur Brisbane qu'il s'y est mis, et quel fiasco jusqu'ici !

Après avoir hésité une fois, puis deux, il s'était finalement décidé à télécharger l'application. Super cool ce concept, qu'il avait pensé en voyant qu'un date original leur serait proposé. Son match était plutôt mignonne, elle avait du répondant et ils avaient déjà bien échangé par message avant de convenir d'un horaire pour aller peindre avec des modèles nus - et non pas peindre nus comme il avait lu la première fois. Ça l'avait fait marrer d'ailleurs, parce que ça l'aurait pas forcément gêné, Angelo. Il est carrément à l'aise avec son corps (un peu trop parfois), pas pudique pour un sou, et aurait trouvé ce rencard vraiment original pour le coup. Bon, ce qui avait été proposé sortait du commun aussi et il était ravi de pouvoir découvrir une nouvelle activité.

Après avoir mangé au salon avec Rina, il s'éclipse pour pouvoir rejoindre l'école artistique où se déroule le rendez-vous. À l'accueil du bâtiment, des affichettes indiquent la pièce où il doit se rendre. Il trouve sans mal, une femme l'accueille avec un sourire chaleureux et il se demande si c'est elle qui va se mettre à poil dans cinq minutes. Après de cordiaux échanges, il s'installe derrière un chevalet au pif alors qu'il aurait préféré être au fond de la salle : malheureusement pour lui, les organisateurs de la séance ont prévu de placer tout le monde en arc de cercle. Il n'attend pas longtemps avant que des pas se fassent entendre derrière lui. Une voix féminine l'interpelle. C'est Nora. "Heyyyy", qu'il répond en se levant pour enlacer la brune. Intrusif comme premier bonjour ? À peine. Pour Angelo, c'est tout à fait normal. Elle s'installe et il prend le temps de l'observer : elle ressemble à ses photos sur l'appli, c'est déjà un bon début. "T'es prête à voir mes bonhommes bâtons gagner la compétition ?" Évidemment qu'il allait perdre, que le tableau de Nora allait être bien plus beau que le sien, mais il voulait surtout voir si la brune avait toujours le même répondant que derrière son écran.

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orah abordait ce rendez-vous avec beaucoup de curiosité, déjà parce qu’il s’agissait d’une première pour elle mais aussi parce qu’elle se questionnait sur la manière dont l’application fonctionne. Elle se doutait que l’animal choisi lors de la création du profil devait compter pour une bonne partie – histoire que les deux personnes soient sur la même longueur d’onde au moment du date – mais quels étaient les autres critères ? Sûrement la description qu’il fallait donner en plus, voire la photo de profil. Mais une autre question parasitait son cerveau : y avait-il un humain derrière la création des matchs ou était-ce le fruit de calculs faits par un robot ? Dans les deux cas, la Sawyer demanderait la grille de lecture mais malheureusement, elle ne pouvait pas le faire et si elle faisait, la probabilité qu’on lui réponde était très faible. Ainsi, la seule option était de se laisser porter et découvrir les choses par elle-même, d’autant plus qu’avec son caractère il fallait le faire pour la braquer et lui faire mauvaise impression. Pour le coup, cela ne semblait pas du tout être le cas d’Angelo, le garçon avec lequel elle avait matché, puisqu’ils avaient pu entamer le dialogue très facilement, si bien que des premiers atomes crochus apparaissaient alors qu’ils ne se parlaient que par message. Donc forcément, l’étudiante en droit avait quelques attentes, que ce date en réel se passe aussi bien, voire mieux.

Elle qui avait l’habitude d’être la première arrivée peu importe les circonstances, le garçon avait fini par la devancer. Une première surprise suivie d’une seconde puisqu’il se leva de son tabouret pour l’enlacer en guise de salut. Peu habituée à une telle proximité en tout cas pour le premier échange, elle resta stoïque sans trop savoir quoi faire, un sourire manquant presque de se transformer en rire lorsqu’elle vit sa propre réaction à travers la porte vitrée à côté d’eux. Sa paume vint juste faire une tape dans le dos de son interlocuteur dans un geste réflexe mais rien de plus. Cela lui permit toutefois de réaliser à quel point il était grand par rapport à elle, il devait y avoir au moins une tête de différence entre les deux. Un bon point, la taille étant sûrement l’un des seuls critères physiques qu’elle avait. « Ok donc on zappe le ‘comment tu vas ?’, ‘t’as pas trop galéré à trouver ?’ et ‘c’est quoi ta couleur préférée ?’ pour directement parler compét ? » Un rire après une moue faussement choquée, elle reprit non sans un brin de malice. « Il faut pas me dire ça, je vais être sans pitié. » Un sourire en coin, son esprit de compétition pouvait vite se révéler et encore plus lorsque cela concernait une de ses passions. Elle finit par s’assoir elle aussi sur un tabouret à quelques centimètres d’Angelo, se tournant vers lui. « En parlant de ça, j’ai une théorie. » Pause purement théâtrale pour créer du suspense, elle poursuivit. « Je pense que tu dis que tu sais faire que des bonhommes bâtons mais en réalité, tu sais faire beaucoup plus que ça. Mais tu le dis pas justement pour m’amadouer et pour que je me retienne. » Joueuse, ce scénario semblait complètement alambiqué pour autant, cela l’amusait vraiment. Alors qu’elle remarqua les quelques pinceaux et palettes en dessous de leur chevalet, Norah ne tarda pas à grimacer et à empoigner son propre matériel. « J’ai quand même bien fait de prendre mes affaires… Tiens, qu’on parte à armes égales. » Clin d’œil alors qu’elle lui tendit deux pinceaux, certes plus usés par le temps mais gage de leur qualité. Elle fixa le garçon du regard, croisant par la même occasion le sien. La regardait-il intensément ou était-ce une simple coïncidence, elle sourit avant de replacer une de ses mèches derrière son oreille. « Tu vas bien ? » Car même s’ils avaient sauté les questions courantes en début de dialogue, cela ne voulait pas pour autant dire qu’ils ne pouvaient se les poser après. Attentive aux réponses d’Angelo, elle paraissait ravie de le voir et ce, sans aucune trace de malaise. C’était bon signe, surtout pour un début.

Elle répond à peine à son accolade mais il s'en fout, Angelo, il ne change rien à son attitude habituelle : un peu trop confortable et tactile avec les gens même s'ils sont inconnus et cent pour cent authentique. Il ne veut pas la rendre plus mal à l'aise, alors il enchaîne rapidement sur l'activité du jour en la défiant, cherchant par la même occasion à voir si la fluidité de leurs messages se ressentait aussi de vive voix. Et bingo. Elle rentre dans le jeu sans hésitation. "Boarf, trop barbant ces questions bateau", il répond de manière désinvolte, comme s'il était le pro des dates. "Puis je trouve que ça montre une vraie facette de la personne, ce côté compet'", complète-t-il, un sourire en coin, observant la brune pour savoir si elle était du même avis que lui. Et il n'est pas déçu, encore une fois, elle adhère complètement à son plan. "Très bien, je ne veux pas de ta pitié, je n'en ai pas besoin", qu'il rétorque. Un vrai gamin.

Elle s'installe et il la regarde poser son gros sac qui contient le matériel qu'elle avait promis de ramener. Pour l'instant, il n'est absolument pas déçu de ce qu'il voit de Norah, il est même plutôt intrigué car elle paraît plus osée en vrai que derrière son écran. Elle relance sur les bonhommes bâtons et le côté compétitrice de Norah qui ressort le fait sourire. "Hm, peut-être bien. Mais tu verras après tout. Puis ça se trouve que je veux pas te dévoiler mon talent d'artiste dès le premier rendez-vous aussi", répond-il d'un air innocent. Il avait dit vrai, Angelo, il est sacrément nul en dessin. Peut-être qu'il se débrouillera mieux en peinture, mais cet art a l'air encore plus complexe. En conclusion, il n'a aucune chance contre Norah.

Elle lui tend son matériel comme une adversaire qui se veut fairplay et il aquiesce de la tête, comme pour la remercier. Il fait comme s'il était touché par le geste mais ce n'est pas deux pinceaux de professionnelle qui changeront la donne : son tableau ressemblera à un travail d'art plastique fait par un gamin de deux ans et demi et il le sait déjà. En prenant les outils, son regard croise réellement celui de la brune pour la première fois. Il la fixe un instant, happé par ses yeux noisettes accentués par son trait d'eye liner et il en serait presque troublé. Elle est vraiment jolie, Norah. Elle remet une mèche derrière ses cheveux et il se recoiffe à son tour. Eh alors p'tit Welch, on est gêné ? La voix de la jeune femme l'ancre à nouveau sur terre. Peut-être cherche-t-elle à combler le silence gênant qu'Angelo venait de leur imposer ? Il tente de reprendre contenance alors que son pinceau tombe au sol, toujours troublé par les iris de son date. Un rire, puis il ramasse l'objet. "Euh, ça va bien, merci. J'ai mon weekend de libre, donc ça ne peut qu'aller bien !" Il ment un peu, Angelo. Parce qu'il aime bien être occupé, il aime bien être auprès de sa soeur dans son salon de thé, il aime bien ne pas avoir à chercher comment combler son temps libre. Oh oui, il déteste ça, ne rien faire, il s'ennuie vite et se sentir improductif est insupportable pour lui. Ce weekend, il n'a rien prévu de particulier, si ce n'est passer sur la tombe de sa grand-mère. La plupart de ses amis sont en vadrouille ou occupés, alors il faudra qu'il occupe son dimanche tout seul. "J'passerais peut-être à la Gallery of Broken Hearts demain tiens, je suis sûr qu'on peut y trouver des trucs un peu drôles. T'en as entendu parler ?" Cette sorte de brocante vide grenier où on y vend les affaires de son ex ne pouvait être que fun à ses yeux. "Et toi, comment vas tu ? T'as dû finir tes examens non ?" qu'il lui demande, se rappelant à quel point la période de juin-juillet pouvait être éprouvante pour les étudiants.

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Cette rencontre était somme toute surprenante car son déroulé actuel ne ressemblait en rien à ce qu'elle avait pu imaginer. Déjà, elle était en face d'un garçon qui était encore plus en avance qu'elle, chose qu'elle n'avait pas l'habitude de voir tellement elle faisait en sorte de tout planifier au détail près. Norah ne s'attendait pas non plus à une accolade en guise de salut, sûrement une habitude chez son interlocuteur. Mais ce qui l'étonnait en réalité était ses premières paroles, bien loin de celles que l'on pourrait s'attendre à un date. Et elle adorait ce genre de surprises. « C'est pas faux. Je me demande quelles seront les prochaines. » Car maintenant qu'Angelo avait su piquer sa curiosité, elle ne s'attendait pas à une conversation banale, mise à part quelques classiques politesses ici et là. « Totalement d'accord, la motivation déjà mais aussi si la personne est mauvaise perdante ou non. » Il ne le savait pas encore - ou peut-être pouvait-il déjà le supposer - mais Norah détestait l'échec. « Tu es sûr ? Il n'y aura pas de retour en arrière possible malheureusement. » Un grand sourire, même sans la compétition qu'ils avaient eux-mêmes installée, Norah ferait en sorte de produire une belle œuvre à l'issue de ce cours du fait de sa passion pour l'art pictural.

Impliquée dans le défi qu'ils se lançaient, la Sawyer découvrit que son interlocuteur avait une répartie similaire à celle qu'il avait par message, ce qui n'était pas pour lui déplaire. Elle s'installa calmement à côté de lui - pourquoi irait-elle ailleurs au vu des circonstances - alors qu'à l'intérieur, plusieurs questions se bousculaient, impatiente à l'idée de découvrir le beau garçon avec lequel elle avait matché. Sa parole l'amusa davantage, alors qu'elle finissait d'exprimer sa théorie tout droit sortie d'une série de mauvais enquêteurs. « Premier date ? Ça implique qu'il y en aura d'autres ? » Cela dépendrait certainement de comment se termine celui-ci mais elle se montrerait ravie s'il n'excluait pas d'emblée cette possibilité. « Je te rappelle que tu m'as parlé de karaoké. » Clin d'œil, elle avait soigneusement enregistré certains passages de leur dialogue sur l'application de rencontre et celui qui concernait cette activité qu'elle n'avait jamais eu l'opportunité de faire avant. Ainsi s'était-il proposé gentiment de lui faire découvrir cet univers. Surtout que sur le papier elle pourrait adorer, d’autant plus en compagnie d’une personne qui en avait l’habitude.

Norah l’avait remarqué, ce jeu de regard. Ses prunelles qui laissaient transparaître la plupart de ses émotions, elle avait au fur et à mesure appris à se perdre dans celles des autres. Par curiosité mais aussi pour jauger ce que pouvait bien penser son interlocuteur. Les siennes montraient un signe d’intérêt sans équivoque – sinon elle aurait quitté cette bataille de regard bien plus tôt – d’autant plus que sa vue était très appréciable. Un grand sourire sur son visage, n’allait-elle pas mettre un terme à ce moment contemplatif mais agréable ? Forcément, car l’étudiante en droit était naturellement bavarde. Et en voyant la réaction d’Angelo, elle s’en voulait légèrement d’avoir écourter la première parenthèse de leur date. Toutefois, il répondit et son enthousiasme était communicatif. « C’est vrai que tu travailles dans un salon de thé ! Tu y es souvent les week-ends ? En tous cas, j’espère que tu pourras en profiter. » Sincère, elle pouvait facilement imaginer les contraintes des métiers de la restauration et travailler en fin de semaine alors que la majorité des travailleurs se reposaient devait en faire partie. « Qui sait, peut-être que je pourrais y passer un jour. » Elle pinça ses lèvres, l’espièglerie se retrouvait dans son regard. Au-delà du fait qu’ils semblaient tout deux dans l’offensive durant ce début de date – pouvaient-ils mettre cela sur le compte de leur compétition, la Sawyer adorait le thé, boisson qu’elle trouvait beaucoup plus à son goût que le café. « Oh oui, c’est plutôt drôle comme concept d’ailleurs ! » Un ricanement avant de reprendre. « Je vais sûrement y faire un tour, tu y chercheras quelque chose en particulier ? » Pour le coup, elle n’arrivait même pas à imaginer ce qui pouvait être vendu dans une telle galerie, menant très certainement à des objets particulièrement insolites. La question lui fut retournée et une moue agréablement surprise était perceptible. Quand bien même elle parlait aisément de ses études, son entourage lui demandait très peu comment elles se passaient. Probablement parce que, connaissant Norah, elle faisait en sorte que tout soit carré. « Ça va merci. C’est gentil de demander, oui j’ai eu mes tous derniers examens à l’université là ! C’est une page qui se tourne. » Un sourire, son cursus n’était tout de même pas encore terminé puisqu’elle devait maintenant suivre une formation sur le terrain.

Angelo accaparait tellement son attention qu’elle ne se rendit pas compte que les autres personnes venant assister au cours s’installèrent à leur tour, tout comme la professeur et deux silhouettes vêtues d’un peignoir. Son regard qui se détacha quelques instants de son interlocuteur pour inspecter de nouveau la salle avant d’y revenir, elle essayait de contenir son rire. « Pardon mais je vais vraiment exploser de rire quand ça va se passer. », désignant les deux personnes qui allaient être leurs modèles de l’après-midi. « Je pourrais me cacher derrière ton chevalet si jamais ? » Un sourire joueur, il fallait bien qu’elle ait une solution de repli au cas où les modèles se mettraient juste devant elle. Et puis, si cela lui permettrait de voir son date de plus près, elle n’allait pas se gêner.

Elle s’étonne du fait qu’il rentre directement dans le vif du sujet de la compétition et il ne se fait pas prier pour poursuivre de plus belle. Elle a l’air dans le même état d’esprit que lui, et cherche même sans doute à savoir comment sera Angelo lorsqu’il aura perdu le défi, mais il répond simplement d’un jeu de sourcil et d’un sourire narquois. Il sait d’avance qu’il n’a aucune chance contre elle, mais il aime cette perspective de compétition quand il voit qu’elle répond pleinement à son jeu. Il fait comme s’il pouvait être un adversaire de taille, qui cache ses atouts, et laisse échapper l’éventualité que ce rendez-vous pourrait aboutir à d’autres.

C’est s’avancer rapidement, ce move, mais quand une belle connexion se fait aussi rapidement, ce petit monsieur Welch s’emballe facilement. C’est qu’il a l’habitude de rencontrer du monde avec tous ses voyages, de nouer des liens avec les autres, et par conséquent, de vivre à cent pour cent les expériences qui lui sont présentées. Bien souvent d’ailleurs, les relations ne durent jamais plus de quelques semaines car les itinéraires diffèrent, les attentes aussi. Alors Angelo, il a pris l’habitude de beaucoup donner de sa personne, d’y aller à fond, de profiter jusqu’à la dernière minute. Il n’a pas peur de se lancer et de jouer les amoureux transi puisqu’il sait que c’est éphémère. Et comme il ne sait pas pour combien de temps il va rester sur Brisbane, il a bien évidemment gardé ses habitudes avec sa nouvelle partenaire pour cet après-midi. “Hmmmm… Pour le second date, j’attends de voir comment tu accueilles ta défaite.” Elle se souvient qu’il lui a parlé de sa passion pour le karaoké, il sourit. “Mais bon, c’est vrai qu’il faut remédier à ta culture karaoké…” Il a du mal à envisager comment c’est possible qu’une personne n’en ait jamais fait : c’est beaucoup trop cool pour qu’on passe à côté de l’activité.

Et alors qu’elle lui tend les outils pour peindre, ils échangent longuement des regards qui déstabilisent Angelo. C’est elle qui vient briser le silence et il tente alors de reprendre rapidement contenance, de camoufler ce sourire qui peine à s’effacer de son visage, de se concentrer sur ce qu’il dit plutôt que sur les yeux noisettes de Norah. “Mon emploi du temps dépend vachement de ma soeur en fait.” Eh oui, comment aborder sa vie sans évoquer Rina, sa jumelle qui ne partage pourtant pas son sang. “Je suis revenu sur Brisbane depuis peu en fait, du coup je bosse dans le salon de thé de ma sœur en ce moment. Enfin, je “bosse”... Je dépanne surtout, parce qu’il commence à avoir une petite réputation et il y a de plus en plus de clients, donc je pense que ça nous arrange tous les deux que je sois dispo, haha. Donc j’occupe un peu tous les postes, selon les besoins, donc mon emploi du temps est pas vraiment fixe.” Et comme Rina est trop gentille et qu’elle ne veut pas trop l’exploiter, elle lui donne quand même au minimum un jour de congé forcé dans la semaine. Parce qu’elle sait très bien que si elle ne lui impose pas, il pourrait y être tous les jours, ne serait-ce que pour tenir compagnie à sa jumelle. “Mais oui avec plaisir, je serai ravi de te recevoir et te faire découvrir les différents thés du salon ! On dirait pas comme ça mais y’en a une plâtrée.”

Puis il se souvient avoir son dimanche en repos aussi, alors il évoque Gallery of Broken Hearts. C’est pas qu’il est particulièrement attiré par le concept, c’est simplement qu’il est curieux et qu’il cherche à occuper son jour de congé au maximum. “Non, pas vraiment, j’voulais juste voir ce que les gens y vendent.” C’est qu’il est aussi un peu commère sur les bords, Angelo. Et ça aurait été une bonne occasion de discuter avec des gens et de découvrir un peu de leur histoire, c’est tout ce qu’il aime. “Bah si t’y vas, fais moi signe, on pourra peut-être se retrouver là-bas.” Fidèle à lui-même, il lui propose carrément un date pour demain alors que celui-ci vient à peine de débuter. Un troisième rendez-vous de proposé en l'espace de dix minutes, ça peut effrayer Angelo, fais gaffe. Il change toutefois bien vite de sujet et l’interroge sur ses examens et sa vie d’étudiante. Elle sourit, il croit comprendre qu’elle s’y plait dans ce domaine. Quand lui était étudiant, il ne parlait pas de ses examens en souriant. “T’auras les résultats quand ? Tu pars pour une année de pratique du coup là, c’est ça ?” qu’il demande, intéressé.

Et s'ils sont tous les deux absorbés par leur discussion, autour d’eux, la salle commençait à se remplir et visiblement, ils auraient deux modèles nus pour cet après-midi : un homme et une femme. Au moins, ça fait deux morphologies différentes, s’il en rate une (et il ratera), il pourra toujours espérer se rattraper sur l’autre. Norah menace de pouffer et lui, tout aussi gêné, il ne se retient pas de se marrer en se cachant derrière son chevalet. “Ah non mais si tu commences à je vais pas pouvoir m’arrêter”, qu’il rétorque en riant de plus belle. Allez Angelo, on se reprend. Il tente de contenir son rire en observant les autres artistes installés autour d’eux, mais ceux-là ont l’air plus que sérieux. C’est encore pire pour lui de voir qu’il est le seul mal à l’aise avec Norah.

La personne qui anime l’activité prend la parole et présente le déroulé : ils ont en tout trois heures pour réaliser leur tableau, et ils peuvent bien évidemment demander des conseils. Elle laisse volontairement peu d’indications pour réaliser l'œuvre, de façon à ce que chacun puisse explorer son art, mais elle doit bien s’apercevoir qu’il y en a un dans la salle qui ne sait pas ce qu’il fout ici parce qu’il n’a aucune compétence dans le domaine. Angelo acquiesce tout de même quand elle termine ses explications, et le chrono se lance. Il lance un regard vers Norah, il ne sait même pas par quoi commencer, alors il reste comme un idiot, crayon de papier en main en attendant de voir comment les autres se débrouilleraient.

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Norah se demandait si son interlocuteur était habitué aux défis, à la compétition qui s’installait alors que tout portait à croire qu’il s’agirait d’un date plutôt calme. La peinture demandait de la concentration, de l’inspiration et normalement ne laissait pas la place à la concurrence. Car l’art pictural était personnel, deux artistes peignant la même chose ne produiraient pas la même représentation. Forcément, cette approche à contre-courant plaisait beaucoup à la Sawyer, pour laquelle la nouveauté était vibrante, exaltante. D’autant plus dans de telles conditions puisqu’elle avait appris la peinture en autodidacte et qu’elle n’avait jamais suivi de cours. Les astres semblaient donc s’aligner pour que cet après-midi soit mémorable. Maintenant qu’elle se trouvait à côté d’Angelo, son sourire avait du mal à s’estomper. Elle a toujours été très souriante mais force est de constater qu’elle semblait beaucoup apprécier que le garçon lui tienne compagnie. L’idée d’un second date ne lui déplaisait donc pas, alors même que le premier venait tout juste d’être amorcé. « Ah donc toute cette compétition est en fait un test pour savoir s’il y en aura un second, je vois. » L’étudiante pouffa un rire et reprit aussitôt. « Je peux avoir le barème ? Pour maximiser mes chances, bien sûr. » Clin d’œil, cette parole pouvait s’appliquer également à ses études et elle aurait clairement pu demander la même chose à un professeur, en prévision d’un examen. En plus de son esprit de compétition, elle avait l’envie de bien faire et ce, tant professionnellement que dans sa vie de tous les jours. Surtout, elle réussissait tous ses tests, toujours. « Un passionné comme toi laisserait une ignorante de karaoké comme moi dans la nature ? » C’était à son tour de provoquer le défi chez son interlocuteur, lui qui avait réussi à piquer la curiosité de la Sawyer vis-à-vis d’une de ses passions. « Sauf si t’as peur que je gagne contre toi mais cette fois-ci dans ton élément. » Un sourire en coin, elle se voyait à son tour gagnante de cet après-midi et extrapolait même à ce qui s’annonçait comme leur deuxième rendez-vous.

Un sourire tendre lorsqu’il évoque sa sœur, elle ne pouvait s’empêcher de se sentir envieuse. Norah était loin de sa famille – de ses frères et sœurs – et parfois, le manque était tel qu’elle s’imaginait près d’eux. « C’est trop cool que tu travailles avec ta sœur. » Pour elle, malgré quelques tensions avec ses aînés, travailler avec des membres de sa famille avait tout d’une situation idéale car au-delà des liens de longue date, ils se connaissaient par cœur. « Et ça te plaît ? Vous avez l’air très proches en tout cas. » Elle apprit par la même occasion que son retour à Brisbane ne datait pas d’il y a très longtemps, se rappelant qu’il aimait beaucoup voyager. « Où est-ce que tu étais avant de revenir ici ? » Là encore, elle l’enviait. Car outre les trajets mondains, elle n’avait jamais pris l’avion, ni était allée à l’étranger. Et elle ne pouvait qu’imaginer ce que cela lui avait apporté, des souvenirs plein la tête. « J’adorerais, surtout s’il commence à devenir populaire ! » Référence à la réputation qu’il évoquait, ceci était généralement un gage de qualité. Et avant tout, elle était une grande adoratrice de thé. Tous ces éléments faisaient qu’elle devrait grandement apprécier ledit lieu.

Un nouveau rire s’échappa des lèvres de Norah lorsqu’il évoquait la Gallery of Broken Hearts, galerie où n’importe qui pouvait se séparer d’objets du passé. Elle qui affectionnait la décoration et les vide-greniers, on pouvait aisément supposer qu’elle s’y rendrait tôt ou tard. Au final elle partageait cette curiosité avec son interlocuteur et il lui proposait même qu’ils s’y retrouvent. « Et pour ça tu n’attends pas de voir comment ‘j’accueille ma défaite’ ? » Elle ricana en mimant les guillemets avant de reprendre simplement, toujours ce sourire sur son visage. « Pourquoi pas. » Elle se laisserait sûrement le temps de cet atelier peinture pour se décider mais l’issue semblait déjà positive. Car au-delà des points communs qui se révélaient, la situation l’amusait beaucoup. Elle retrouvait un air un peu plus sérieux lorsque la question portait sur ses études, sans pour autant que son sourire ne faiblisse. « Dans quelques jours, normalement. Et oui, c’est ça ! J’ai hâte, en plus j’ai déjà une piste pour un stage dans un cabinet au centre-ville. » Norah avait appris à apprécier le droit mais maintenant que sa formation théorique touchait à sa fin, elle en attendait beaucoup du terrain. Elle se doutait que cela serait différent de ce qu’on pouvait voir dans les séries mais elle avait un bon pressentiment. « Est-ce que tu as des projets, toi ? » Par là, elle faisait référence aux possibles raisons qui avaient poussé Angelo à revenir à Brisbane. Peut-être était-ce lié au salon de thé tenu par sa sœur ou avait-il en plus des envies plus personnelles.

Le professeur de peinture finit par arriver avec les deux modèles et Norah eut du mal à se contenir. Visiblement, elle ne pourrait pas compter sur Angelo pour la calmer puisque les deux avaient eu la même réaction : retenir leur rire. De suite, elle comprit que rester sérieux tout le long de la session serait un véritable challenge, que ce soit pour l’un ou pour l’autre. Un regard dirigé vers Angelo après sa dernière parole, elle inspira profondément alors que ses lèvres se débattaient pour rester closes. Elle put toutefois compter sur l’énoncé des consignes du professeur pour se focaliser sur autre chose et par automatisme, Norah entra dans l’exercice, même physiquement. Elle se redressa sur son tabouret, dressa sa chevelure en une queue de cheval pour éviter qu’une mèche vienne la déranger plus tard et régla la hauteur de son chevalet. Les trois heures de peinture étaient lancées et les modèles, installées au centre de la pièce, laissaient tomber leur peignoir. Une main vint couvrir sa bouche pour camoufler un rire réflexe, la seconde venant se positionner au dessus de sa toile de manière à masquer les deux silhouettes de son champ de vision. C’était trop tôt pour elle, elle ne pouvait pas les voir, pas maintenant. Elle avait conscience que c’était complètement puérile, mais c’était plus fort qu’elle. Alors, elle allait commencer par l’environnement, ce qu’elle avait l’habitude de peindre et qu’elle affectionnait tout particulièrement. Quand elle retrouva son calme, sa main quitta sa bouche pour empoigner un pinceau et un crayon, outils créatifs dont elle aurait besoin.

Tout ce temps, elle observait les réactions de son interlocuteur qui était sensiblement les mêmes que celles de la Sawyer, sauf au moment où le cours commençait véritablement. Angelo se tétanisa sur place et Norah lisait dans son regard qu’il était totalement perdu. Une moue attendrissante, elle n’allait pas le laisser comme ça pendant trois heures, malgré la compétition qu’ils s’étaient lancés. Elle se leva et déplaça son chevalet de telle manière que leurs toiles forment un continuum, s’asseyant à côté de lui. Faisant attention à replacer sa main de sorte qu’elle n’ait pas à voir les modèles, elle expliqua à son interlocuteur quelques astuces s’il voulait – tout comme elle – commencer par dessiner l’espace plutôt que les deux personnes. Un sourire aux lèvres et le tout en chuchotant pour ne pas déranger les autres, elle lui introduisait les notions de point de fuite, de lignes de perspective et d’horizon, indispensables pour que la représentation d’un espace soit cohérente. « Tu veux qu’on le fasse ensemble ? » Elle glissa la mine de son crayon sur sa toile, prête à y tracer lentement les lignes pour qu’il la suive s’il le désirait. Au fur et à mesure, l’espace se segmentait pour faire apparaître un plafond, des murs et le sol. Même si elle se montrait très appliquée, elle n’oubliait par pour autant qu’ils étaient en date. « Qu’est-ce qui t’as poussé à t’inscrire sur cette appli du coup ? », demanda-t-elle entre deux coups de crayon et un grand sourire sur le visage. Son regard croisant le sien, la question était inévitable alors qu’ils faisaient connaissance. Attentive aux éléments qu’il apporterait, Norah s’attendait à ce que la question lui soit retournée, et sa réponse à elle dépendrait sûrement de celle d’Angelo. Ses prunelles espiègles, elle se réjouissait d’avoir posé la question en première, du coup.

Evidemment qu’il lui propose un second rendez-vous alors que celui-ci n’est pas terminé. Bien typique du Welch qui se lance toujours à mille à l’heure sans penser aux conséquences derrière. “Merde, j’avais pas prévu que tu me demandes la grille barème moi… J’peux pas faire ça de façon totalement arbitraire ?” qu’il répond en prenant son air le plus sérieux. Si le reste du date se poursuivait de façon aussi fluide, il n’aurait aucune envie de la laisser filer sans lui proposer un second rendez-vous. Il prend son air outré quand elle le menace de le battre à son propre loisir. “Y’a qu’une seule façon de savoir j’ai envie de te dire, hum.” Elle n’a même plus le choix de la réponse, elle va devoir accepter de l’accompagner tenir un micro et se casser la voix.

Le thème du boulot est abordé, et donc forcément, le thème Rina l’est également. “Ouais, c’est vraiment cool de pouvoir bosser ensemble”, répond-il, un sourire ému aux lèvres. Ces dernières années, les jumeaux avaient fait en sorte de se croiser plusieurs fois au cours de l’année, mais avec tous les voyages d’Angelo, il avait fallu faire des concessions. Alors se retrouver sur une période indéfinie, même si le contexte initial n’était pas si joyeux, ça lui faisait beaucoup de bien. “Proches ? Huh, on est plutôt inséparables, haha.” Si elle voulait en savoir un peu plus sur lui, c’est bien auprès de Catarina qu’elle pourrait avoir des informations compromettantes. “On a le même âge, elle a été adoptée par nos parents quand elle était petite mais du coup on a vraiment grandi ensemble. Tout le monde nous considère comme des jumeaux.” Et eux les premiers ! “T’as des frères et sœurs toi ?” C’est important pour Angelo, la famille, et il souhaiterait à tous ceux qui croisent son chemin d’avoir une relation aussi unique avec les membres qui composent ce noyau si spécial.

Il élabore davantage sur son boulot et elle rebondit sur le fait qu’il soit de retour sur Brisbane depuis peu. “J’étais en Chine juste avant.” Juste avant qu’un coup de fil ne lui annonce que sa grand-mère était décédée. Juste avant qu’il ne saute dans le premier avion pour revenir sur le sol Australien après l’avoir quitté depuis six mois pour aller faire des galipettes avec Yara dans un van, perdus dans les montagnes. C’était chouette, cette expérience, mais la redescente l’a beaucoup moins été. Il ne veut pas plomber l’ambiance, ni évoquer ce sujet encore sensible pour lui, alors il retourne vite sur le sujet du salon de thé, et invite Norah à venir lui rendre visite si l’envie lui prend, avant d’enchaîner sur son programme du lendemain. Un autre rendez-vous de proposé pour la brune, elle pique à nouveau, mais finit par accepter. Evidemment, tous deux s’avancent sur ces plans, mais tous deux savent qu’il faudra attendre la fin de ce date pour savoir quoi faire par la suite.

“Oh, c’est cool ! Tu dois être contente”, répond-il lorsqu’elle évoque son stage, avant qu’elle ne lui retourne la question. Est-ce qu’il avait des projets, lui ? Il a beau avoir plusieurs années de plus qu’elle, des projets, il en avait bien moins. Aucune perspective d’avenir, aucun plan B. Angelo, il avait l’habitude de vivre au jour le jour, d’agir sur des coups de tête, de ne rien prévoir justement pour pouvoir faire ce qu’il voulait quand une nouvelle idée venait germer dans son petit crâne. “Euh…” Et le timing tombe à pic puisque l’activité commence, la question est laissée en suspens et ça lui convient bien. Les deux gosses se retiennent de rire mais, bien vite, ils finissent par se concentrer sur leur tâche. Norah prend l’atelier peinture au sérieux, elle prend position sur son tabouret derrière son chevalet, cheveux attachés, à moitié sérieuse puisqu’il remarque bien la gêne sur ses traits quand le peignoir atterrit sur le sol. Et alors qu’il se retrouve complètement perdu face à ce qu’il devait faire, la brune vient se positionner à côté de lui. Mignon. Très mignon même. Elle lui donne quelques tips pour commencer sa toile, et lui propose même de l’aider davantage. Pas un son ne sort de sa bouche, mais son regard la remercie.

Il est concentré, parvient à dessiner les objets dans une dimension presque correcte, puis se met à attaquer les contours des corps. Là, il rencontre davantage de difficultés. C’est elle qui brise le silence en mettant sur la table le sujet le plus évident : les raisons qui l’ont amené à s’inscrire sur l’application. “Hm, en vrai ? J’sais pas trop”, débute-t-il, sincère. Il laisse un blanc alors qu’il essaie de dessiner le biceps du figurant : difficile de faire plusieurs choses à la fois pour monsieur. Une fois satisfait de son trait, il reprend. “Y’a une pub qui a pop sur mon fil d’actu Facebook, et j’me suis dit que le concept était cool.” Facebook, ouais. Pas Insta, pas Snap, non, Facebook. C’est dire à quel point il était nul en nouvelles technologies. “Puis j’avais envie de rencontrer des nouvelles personnes, donc j’me suis dit que c’était l’occas.” Il avait coché toutes les catégories de rencontres possible, ouvert à toute possibilité, même s’il ne faisait pas vraiment confiance à ce genre d’outil pour rencontrer une personne avec qui ça pourrait réellement matcher sur le plan émotionnel et amoureux. Mais peut-être que Norah pourrait lui faire changer d’avis. “Et toi ?” Évidemment qu’il lui retourne la question. Il lui semble avoir vu la case “amour” de sélectionné pour la brune, et il se demandait si elle pensait vraiment pouvoir trouver quelqu’un de fiable sur une application de rencontre. D’autant qu’elle était encore à la fac, c’est à cet endroit qu’on rencontrait beaucoup d’amours ou d’amants, non ? “Tu cherchais quoi déjà ?” qu’il complète, un faux air naïf, curieux.

The inner light. w/  @Angelo Welch

Norah, de par son naturel organisé, aimait lorsque les choses qu'elle n'était pas à même de contrôler soit encadré. Que ce soit lié à un manque de confiance ou une difficulté à lâcher prise, les règles la rassuraient. Pour ce qui était de les respecter en revanche, elle pouvait ne pas être très assidue et là se révélait son grain de folie. C'est pour cela qu'elle ne semblait pas si impactée par la réponse d'Angelo quant à un pseudo barème lui permettant d'évaluer si ce date valait le coup d'en organiser un second. « Je vois... Et tu te considères plutôt indulgent ou strict ? Que je réajuste mes propres critères du coup. » Un sourire amusé, elle n'avait pas tant de critères que ça, peut-être qu'elle se refuse d'en avoir. Ce serait se priver de potentielles belles rencontres. En revanche, cela lui permettait aussi de rappeler que son ressenti à elle pesait également dans la balance. Mais ce n'était que le début et ces premiers échanges avaient l'avantage de beaucoup la divertir. « Donne moi une date, un lieu et c'est parti. » La voix pleine de défi, elle jouait de son excès de confiance mais en réalité, s'aventurer dans l'inconnu pouvait aisément la mettre mal à l'aise. Heureusement que c'était le but du karaoké de ne pas se prendre au sérieux.

Alors qu’ils prenaient leurs marques dans ce nouvel espace, le sujet de la famille fut abordé. Curieuse à l’idée d’en apprendre davantage sur sa sœur qu’il avait lui-même évoqué, elle s’imaginait tenir un commerce avec son petit-frère, dernier de la fratrie avec lequel elle s’est toujours très bien entendu – trop même. Surtout que son interlocuteur en parlait avec un grand sourire, de quoi le communiquer à Norah. « Oh mais c’est trop mignon ! » L’histoire qu’il lui comptait l’émut tellement que sa voix craqua à la fin de sa parole. Au-delà du fait qu’elle enviait ce genre de relations, il n’en fallait pas plus pour attendrir son cœur déjà moelleux. Elle finit tout de même par se canaliser – elle n’allait tout de même pas pleurer à un premier date – complétant ses mots. « Je me suis toujours demandée ce que ça faisait d’avoir un jumeau ou une jumelle. » Ce qu’elle ne disait pas, c’est qu’elle aurait adoré en avoir. Elle avait lu des articles, regardé des reportages traitant de la connexion quasi télépathique qui reliaient des jumeaux. Et elle consommait ce contenu avec un éclat dans les yeux tellement il lui paraissait incroyable. « Oui, un grand-frère, une grande-sœur et un petit-frère. » Un sourire, elle n’en disait pas plus car le récit de sa fratrie n’était pas aussi beau que celui d’Angelo, loin de là.

« Tu rigoles ? La Chine ? » Son visage laissait place à de l’admiration. Si n’importe qui revenant de voyage pouvait obtenir une telle réaction de la part de la Sawyer, elle l’était davantage lorsqu’il était question de destination qui la faisait rêver. Il y avait l’Amérique latine, l’Europe et enfin l’Asie, forcément la Chine n’y faisait exception. « Tu y es resté longtemps ? » Norah se raccrocherait au moindre détail que son interlocuteur pouvait lui donner, car à la différence des images qu’elle pouvait voir sur les réseaux sociaux, elle appréciait les documentaires mais surtout lorsque les voyageurs partageaient leurs souvenirs. La dimension émotionnelle rendant le tout encore plus captivant, elle pouvait visionner des heures et des heures de vidéo récap de voyage. « Tu voyages seul ? » Cela aussi il fallait le prendre en compte car l’expérience pouvait être totalement différente.

Hochant la tête lorsqu’il lui parlait de la fin de ses études, elle était heureuse de pouvoir clore un chapitre de sa vie, même s’il lui restait encore un stage à faire. Pourtant, lorsqu’elle lui retourna la question, elle ne reçut pas de réponse ou du moins, pas dans l’immédiat puisqu’ils furent stopper par l’arrivée du professeur de peinture et les deux modèles. Modèles que Norah n’était pas prête à peindre puisqu’en conseillant Angelo, elle se focalisait uniquement sur le décor. La mine du crayon se baladait, occupait la toile pour en faire ressortir des fenêtres, des ornements muraux et des étagères. L’étudiante était particulièrement méthodique et consciencieuse, dessinant les objets avec un certain niveau de détails. Par contre, il y avait une zone totalement vide au centre de la toile, dédiée aux deux personnes qui prenaient la pose devant eux. Se tournant alors du côté de son interlocuteur, son regard croisa celui du garçon après avoir jeté un coup d’œil sur sa toile. Pour un novice – parce qu’il n’y avait maintenant plus aucun doute sur son niveau – il se débrouillait très bien. Un signe de la tête pour le rassurer, elle fignola quelques éléments de son tableau sans pour autant s’éloigner ni d’Angelo, ni de la conversation qui s’installait. « Facebook ?? » Elle pouffa un rire, se moquant presque. Pour le coup, elle n’avait jamais eu de compte et elle ne comptait pas en avoir un de sitôt. Une main devant sa bouche pour contenir son reflexe, elle ne voulait pas non plus le déstabiliser alors que leurs échanges étaient beaucoup plus sérieux. Il voulait faire de nouvelles rencontres, ce à quoi Norah répondit d’un grand sourire. Pour le coup, elle partageait la même envie. Elle aimait être entourée et découvrir de nouvelles personnes, et il en faisait sans doute partie. « Moi ? Pour les mêmes raisons, en réalité. Et aussi parce que ça a bien marché pour des amis. » Pour le coup, elle s’était toujours montrée particulièrement hermétique vis-à-vis des applications de rencontre, mais voyant son efficacité chez les personnes de son entourage, elle avait fini par se lancer. « Un peu tout, ornithorynque quoi ! » Référence à l’animal totem qu’elle avait sélectionné au moment de son inscription, elle se laisserait porter par le destin. « Et toi ? » Le sourire sur son visage ne la quittait pas, s’accentuait lorsqu’ils se regardaient entre deux coups de crayon. A cet instant, elle en oubliait même l’exercice et c’est en se rendant compte qu’elle dessinait sans vrai objectif depuis quelques minutes qu’elle décida de passer à la peinture. « Tu as déjà fait des rencontres ? » Curieuse, de son côté il s’agissait de la première fois. Ouvrant sa palette et empoignant son pinceau, elle apportait de la couleur à sa toile. Un vrai moment libérateur, elle adorait passer à cette étape, repoussant encore le moment où elle devrait s’occuper des modèles. Les murs étaient sombres, les étagères végétalisées, les puits de lumière étaient équilibrés. Elle faisait en sorte que sa création soit la plus réaliste possible. « Tu te débrouilles super bien ! » Admirative qu’Angelo tente déjà de dessiner un des modèles, elle comprit qu’elle devrait le faire tôt ou tard et mettre sa gêne de côté. « Je crois pas que tu m’aies répondu sur tes potentiels projets, si c’est pas trop indiscret. » Elle posa son pinceau au bort de son chevalet comme pour prendre une pause, Norah se tourna vers Angelo pour capturer sa réaction. Elle l’écouterait attentivement s’il lui en faisait part, tout comme elle respecterait son choix s’il ne préférait pas le faire.