Visiblement, la vie n’avait pas fini de lui réserver son lot de surprises. Les choses changent parfois à une vitesse. Lucas le sait, son métier le lui a appris. Mais là, il s’était laissé surprendre. Lorsque Joshua, son frère, lui a annoncé son retour définitif à Brisbane, le pompier avait senti que quelque chose ne tournait pas rond. Pourquoi maintenant ? Pourquoi si soudainement ? Bien sûr, il aimait son frère, sa belle-soeur, ses neveux et nièces. Toutefois, il ne s’était pas du tout préparé à leur retour. Il avait essayé de tirer les vers du nez de Josh, sans succès. Il lui avait promis de tout lui expliquer dès que lui et sa famille se seraient installés. Et il avait tenu sa promesse.
Deux choses angoissaient particulièrement Lucas. D’une part, il n’avait absolument pas dit toute la vérité à son frère. Sur son état de santé, sur sa vie qui avait basculé. Bien sûr, il lui avait dit pour son accident. Mais les conséquences de ce dernier l’ont rattrapé, la descente aux enfers a été rapide et il n’a pas trouvé le courage, ni les mots pour lui dire la vérité. Tant que son frère continuait sa vie londonienne, il avait encore le temps d’y réfléchir. Mais son retour précipité avait remis en question toutes ses certitudes. D’autre part, les raisons pour lesquelles Joshua avait rapatrié femme et enfants pouvaient être nombreuses, mais Lucas craignait qu’elles ne soient d’ordre familiales. Et cela pouvait changer énormément de choses dans sa vie. Ses parents, à qui il n’avait pas adressé un mot depuis plus de quinze ans maintenant, ne pouvaient pas être étranger à ce retour imprévu de Josh à Brisbane.
Son frère n’avait pas tardé à répondre à ces questionnements, autour d’un verre. L’annonce de la maladie d’Allen père, une maladie dégénérative, avait secoué le pompier. Il se serait attendu à ce que son ressentiment prenne le dessus, et pourtant. Il s’était trouvé désemparé et n’avait pas réellement su comme réagir. Lucas aurait aimé se sentir indifférent à cette nouvelle, sans y parvenir, et ça le perturbait bien trop, à son goût.
L’anxiété l’avait donc gagné ces derniers jours et il savait que s’il n’en parlait pas à quelqu’un, sa sobriété risquait d’en pâtir. Il avait donc sollicité, en panique, son ancien capitaine de caserne, Joaquin. Il s’en sentait coupable, néanmoins, sachant les soucis de santé qui étaient les siens. Mais il avait répondu présent à son appel, sans hésiter.
L’accolade de son ex-supérieur hiérarchique lorsqu’il lui a ouvert la porte de son domicile a calmé ses inquiétudes, l’espace d’un instant. Joaquin est ce qu’il a de plus proche d’un figure paternelle et même si ce dernier n’allait certainement pas lui apporter de solutions, il allait au moins lui offrir une oreille attentive. « Un truc pour calmer les nerfs. T’as ça en stock ? » Il lui offre un sourire crispé, avant de s’asseoir sur une chaise non loin. Il se prend la tête dans les mains, essayant de garder les idées claires. « Je suis désolé. J’imagine que t’as certainement d’autres chats à fouetter… Je savais pas qui appeler. », s’excuse-t-il, sincèrement. Le Joaquin qu’il avait en face de lui avait perdu de sa superbe, comparé au capitaine de caserne qu’il avait connu, lorsqu’il était encore sous ses ordres. La maladie l’avait amoindri, même s’il restait encore fort, et Lucas ne pouvait empêcher de sentir son propre estomac se nouer à cette seule pensée. « Je sais pas trop par où commencer… », dit l'ancien pompier, en se raclant la gorge. Il soupire, passant ses doigts noueux dans ses cheveux, nerveusement. Une chose à la fois, pense-t-il. Raconter les choses dans l’ordre. « J’ai vu Joshua, il y a quelques jours. Il a fini par me dire pourquoi ils sont revenus vivre à Brisbane, si vite. » Les mots ont du mal à sortir, il réalise que c’est la première fois qu’il en parle à voix haute. « Mon… mon père est malade. J’ai pas tout bien compris, mais j’imagine que si mon frère a décidé de revenir, c’est que c’est pas bon signe. » Ses lèvres se pincent. Il doit garder la tête froide, c’est ce qu’il n’arrête pas de se répéter depuis plusieurs jours maintenant. Tellement de choses sont enjeu, il ne peut pas craquer. Il lève les yeux vers le capitaine, comme s’il espérait y trouver la solution à tout ses soucis. Il n’avait que lui pour l’aider, là, tout de suite.

@Joaquin Bates

Lucas est perdu. Le retour de son frère a eu l’effet d’un tremblement de terre dans sa vie qu’il essayait tant bien que mal de maintenir à flot à bout de bras. Il sait que Joaquin saura l’écouter, l’aider à y voir plus clair. Et il commence en lui posant les bonnes questions. « Je sais pas trop, je crois… », finit par répondre l’ancien pompier après un bref silence. Le problème est bien là : il se trouve assailli d’émotions et de sentiments contradictoires, au point qu’il ne sait même plus lequel domine. « En même temps, je suis… en colère et… un peu jaloux. », avoue-t-il, un peu honteux. Il a du mal à soutenir le regard de son ancien capitaine. Il sait qu’il ne le jugera jamais, mais mettre ainsi à nu ce qu’il ressent n’est pas dans ses habitudes, même avec ses plus proches amis. Si les barrières de la relation hiérarchique entre eux n’existent plus aujourd’hui, Lucas ne peut s’empêcher de ressentir de la pudeur à l’exercice de l’expression de ses émotions auprès de Joaquin. « J’adore mon frère. Vraiment. Et je peux pas le blâmer de pas être revenu plus tôt à Brisbane, quand j’en avais besoin, parce qu’il savait pas ce que je traversais. Mais… » Allen marque une pause, comme si parler à voix haute de ce qui le tracasse réellement bloque ses cordes vocales. Il essaie de maîtriser ses émotions et pourtant, une colère sourde investit sournoisement ses veines depuis quelques jours maintenant. La rancoeur, la colère sont des émotions qui lui étaient assez étrangères auparavant mais depuis son accident qui lui avait coûté son métier, il a l’impression de les côtoyer bien trop souvent. « Mon père, ma mère, j’en ai vraiment chié avec eux quand j’étais gosse, c’est pas pour rien que je me suis barré. Il le savait. Et là, dès que le vieux a un problème, Josh rapplique en vitesse. Comme si de rien n’était. », lâche alors Lucas. Il s’en veut de ressentir de la rancoeur envers son grand frère, qui n’y est pour rien, au final. « Ça me soule… », soupire l’ancien pompier, dépité, la tête dans les mains. En réalité, il est abattu, en colère contre le monde entier et contre lui-même de se retrouver dans cette situation. Et le pire dans tout ça, c’est que de savoir que la santé de son paternel bat de l’aile l’atteint plus qu’il ne le voudrait. « Et en même temps, ça me fait quand même chier que mon père soit malade. Je pensais trop que ça allait rien me faire, et je suis là, complètement perdu de savoir qu’il va mal. », confesse le brun, désabusé. Il peste intérieurement contre sa faiblesse, contre cette empathie qui a fait de lui un si bon pompier par le passé et qui le rattrape aujourd’hui. « Et j’ose même pas imaginer ce qu’il va se passer quand Josh va apprendre la vérité sur ce que je suis devenu… » Un addict, un menteur. Un mec incapable de dire à son propre frère qu’il a connu la pire des descentes aux enfers lorsque son rêve s’est brisé sous ses yeux, impuissant. « Je suis trop désolé, je viens me plaindre de mes petits problèmes alors que… » Alors que Joaquin est réellement malade. Ses petits soucis doivent lui paraître bien dérisoires face à qu’il a vécu, ce qui l’attend encore. Cette réalité là, Lucas ne doit pas l’oublier, se dit-il. Il doit prendre du recul, essayer de prendre sa vie en main et l’empêcher de déraper à nouveau. « Enfin, je veux dire, j’imagine que je me fais sûrement une montage de pas grand chose. », finit-il par dire, passant sa main dans ses boucles brunes. Il ose enfin plonger ses prunelles sombres dans celles de son ancien capitaine. Il tente un sourire, avant de lui dire : « Tu veux pas me mettre un gentil coup de pression, comme à l’époque ? Histoire que ça me remette les idées en place. »

@Joaquin Bates

Lucas ne s’était pas rendu compte jusqu’à aujourd’hui à quel point le Capitaine Bates a été un pilier dans sa vie. Il l’a vu grandir, de ses débuts de jeune pompier, jusqu’à l’obtention de son grade de Sergent. Il l’a vu devenir un homme, faire ses propres choix. Il a assisté à ses erreurs, ses échecs, mais aussi à ses joies et ses victoires. Plus qu’un ami, il est devenu au fur et à mesure du temps une vraie figure paternelle pour lui. Une figure à l’exact opposé de celle qu’il a connu jusqu’à ses dix-sept ans.
L’ancien pompier se sent toujours rassuré, en la présence de Joaquin. Il est celui qui arrive à éclaircir ses idées lorsqu’il est perdu, qui l’aide à trouver son calme, comme un phare au milieu d’une tempête. Et là, tout de suite, c’est ce qu’il attend de lui. Sa réponse ne se fait pas attendre et les sages paroles du capitaine s’insinuent lentement en lui. Lucas essaie de ne pas réagir trop prématurément, même s’il aimerait parfois contredire son ami. Viennent alors les encouragements et la main du quarantenaire sur son épaule le réconforte. Un léger rire s’échappe de sa gorge, pour masquer sa gêne et sa pudeur face aux compliments de son ancien capitaine de brigade. « Je me dévalorise pas… », balbutie-t-il, un léger sourire aux lèvres. Il sait que ça ne sert à rien de le contredire, il perdrait à en débattre face à l’autorité bienveillante de Joaquin. Le brun se sent soudain coupable de se morfondre devant ce dernier, dont la santé s’est vraiment dégradée ces derniers temps. Et pourtant, il est là, devant lui, solide, trouvant les mots justes pour l’aider. Lucas se fait alors la promesse de devenir comme cet homme en face de lui, juste, droit, courageux. Il le regarde boire son verre d’eau, avant de dire : « Oui, mais… Il ne faut pas que ça t’empêche d’être honnête avec moi. Concernant ta santé, je veux dire. » Il est ravi de savoir que la capitaine va mieux, mais il espère aussi sincèrement que Joaquin ne cherche par à minimiser les choses pour le préserver. La conversation dévie de nouveau sur son frère et sa famille. Lucas aimerait être d’accord avec lui, mais leurs deux visions de la famille semble bien éloignées. Il considère que ses amis sont sa vraie famille, à l’exception de son frère. Et ce frère est bien tout ce qu’il lui reste. L’idée qu’il lui tourne le dos à son tour l’effraie et le paralyse. « Je ne sais pas du tout comment il va réagir… J’ai envie de lui dire, quand on se voit, j’ai envie de tout avouer. », commence-t-il. « Mais, à chaque fois que je suis sur le point de me lancer, c’est comme si les mots restaient coincés dans ma gorge. Et plus j’attends, plus ça devient difficile de dire la vérité. », confesse l’ancien pompier, nerveux. « Qu’est-ce qu’il va se passer, s’il veut plus me parler ? S’il m’abandonne, lui aussi ? », finit-il par demander, des noeuds dans la gorge. C'est la première fois qu’il formule ses craintes à voix haute ; la possibilité que Joshua disparaisse lui aussi de sa vie. Et ça le terrifie.

@Joaquin Bates

Lucas écoute les paroles de Joaquin en silence, la gorge serrée par l’émotion. Il est touché par la confiance que le pompier place en lui, mais il peine encore à croire à ces mots. Douze ans qu’ils se connaissent… Lucas se rappelle de la première fois qu’il a mis les pieds à la caserne, un gamin de vingt-et-un ans, plein de rêves et d’illusions. Joaquin a tout de suite pris sous son aile le jeune pompier en devenir. Depuis, le capitaine a toujours été un repère pour lui, comme un père de substitution. Son accident l’avait brisé, non seulement physiquement, mais aussi intérieurement. Il avait perdu son métier, sa vocation, et avec cela, une partie de son identité. Mais Joaquin a toujours su être là pour lui, comme maintenant. Lucas soupire doucement et baisse les yeux sur la table. Il a envie de croire son ancien capitaine, de se convaincre que Josh, son frère, ne le rejettera pas. Mais la peur est là, persistante, enracinée. Il se passe une main dans les cheveux, hésitant. « Je… je sais pas, Jo. Peut-être que t’as raison. Peut-être que je me fais des films. Mais… » Sa voix se casse un instant et il inspire profondément, essayant de retrouver son calme. « Josh a toujours été celui qui est resté fort, celui qui a tout supporté, mais… j’ai peur que cette fois, ce soit trop. », avoue-t-il. Il relève les yeux vers Joaquin, cherchant dans son regard un réconfort qu’il n’ose pas formuler. « Et si je lui dis tout… sur moi… sur ce que j’ai vraiment traversé après l’accident, il pourrait bien se dire que c’est trop lourd à porter, non ? Il a déjà tellement de trucs à gérer de son côté. » Lucas se rend compte qu’il tremble légèrement, nerveux à l’idée de tout avouer à son frère. Il a déjà perdu tant de personnes dans sa vie, et l’idée de perdre Josh, celui qui a toujours été là, lui est insupportable. « Je veux pas le décevoir. Pas lui. », finit-il par prononcer. Il voit Joaquin froncer les sourcils, visiblement en désaccord avec ses craintes, mais le pompier reste patient. Lucas admire cette qualité chez lui. Il sait quand pousser, et quand simplement écouter. Il inspire à nouveau, ses pensées tourbillonnant. Il sent qu’il est à la croisée des chemins, mais il est paralysé par cette peur sourde qui l’empêche de prendre une décision. Il tente de se raccrocher aux sages paroles de son aîné, les fait tourner en boucle dans son esprit. « Mais je vais essayer de penser à tout ce que tu m’as dit, quand j’aurai le courage de tout avouer. » Un silence s’installe entre eux. Lucas n’a jamais parlé aussi ouvertement de ses sentiments, et c’est à la fois libérateur et terrifiant. « Heureusement que t’es là. Toujours aussi sage et avisé, papi. », lance-t-il alors au capitaine, un sourire malicieux aux lèvres.

@Joaquin Bates