Comme l’avait dit Shakespeare, « le passé est un prologue ». Lincoln repensait à ses mots qu’il avait lus dans un bouquin, il y a quelques années maintenant. Des mots qui raisonnaient encore plus aujourd’hui, depuis qu’il venait d’apprendre qu’une enquêtrice était sur le sol australien de manière officieuse pour retrouver son frère. Le frère de Lincoln avait disparu depuis qu’il avait tué leurs parents, il y avait un peu plus de cinq ans. L’avocat était allongé sur son lit, le regard perdu dans l'immensité du plafond de sa chambre. Le crépuscule jetait des ombres douces sur les murs, des ombres qui semblaient danser au rythme de ses pensées tourmentées. Sur sa table de chevet, à demi cachée sous un livre de droit épais, se trouvait une photo de famille. Lincoln l'attrapa avec une délicatesse infinie, comme si ce simple geste pouvait rouvrir des blessures encore vives. Ses yeux se posèrent sur l'image : ses parents, rayonnants de bonheur, et son petit frère dont le sourire innocent démentait la tragédie familiale. Lincoln se rappelait chaque détail de ce jour-là, les éclats de rire, la chaleur de l'étreinte familiale, une époque où tout semblait possible.

Mais ce même sourire de son petit frère, si angélique sur la photo, lui rappelait inexorablement le cauchemar éveillé qui avait suivi. Cinq ans auparavant, ce frère tant aimé, dans une explosion de rage incompréhensible, avait mis fin aux jours de leurs parents, plongeant Lincoln dans une douleur incommensurable et une quête sans fin pour comprendre ce qui avait pu les conduire à cette tragédie. Des larmes silencieuses roulèrent sur les joues de Lincoln, des larmes chargées d'un chagrin profond et d'une colère qu'il ne pouvait maîtriser. Chaque regard sur cette photo ravivait la blessure, un rappel cruel de ce qui avait été perdu et de ce qui ne pourrait jamais être réparé. La douleur était telle qu'il pouvait presque sentir la présence de ses parents dans la pièce, entendre leur rire fantôme et les murmures doux de leur affection. Il se demanda, comme il l'avait fait tant de fois auparavant, après le meurtre de ses parents, si quelque chose aurait pu être différent, si un signe quelconque avait été ignoré, si une parole non dite aurait pu changer le cours des événements. Mais ces pensées ne faisaient qu'alourdir son cœur déjà accablé. Lincoln serra la photo contre sa poitrine, comme pour garder un morceau de ce passé vivant en lui. Il savait que le pardon, pour son petit frère, pour lui-même, était un chemin ardu, semé d'embûches. Et pourtant, au fond de son cœur brisé, il espérait qu'un jour, il trouverait la force de marcher sur ce chemin. Pour l'instant, il restait seul avec ses souvenirs, perdu entre la douleur du passé et l'incertitude de l'avenir.

Soudain, son téléphone se mit à sonner, sortant Lincoln de la pénombre de ses pensées, son regard se dirigeant alors sur le portable qui se trouvait non loin de lui. Séchant rapidement les quelques larmes qui coulaient sur ses joues, se raclant la gorge, il reposa la photo sur la table de chevet et prit son téléphone en main, répondant à l’appel. Un appel professionnel concernant un dossier quelque peu compliqué qui était à la charge d’un collègue et ce dernier semblait avoir besoin de conseils. Pendant plus d’une heure, les deux avocats échangèrent sur la manière dont il fallait aborder ce dossier, sur les preuves, les différentes lois qui pouvaient être utilisées. Lui adressant une formule bienveillante quant à la gestion de ce dossier, Lincoln raccrocha, prenant alors une profonde inspiration avant d’expirer l’air qui avait pénétré son corps. Cette petite parenthèse professionnelle dans sa journée off semblait lui avoir fait quelque peu du bien. Se relevant alors de son lit, il descendit rapidement les marches pour se rendre au rez-de-chaussée, comme si une idée soudaine venait de lui avoir traversé l’esprit et qu’il devait la réalité. Et ce fut le cas. Rester dans la villa n’était pas supportable pour l’avocat qui décida d’aller prendre l’air, se libérer l’esprit de toutes ces mauvaises pensées, bien qu’il savait que cela n’allait pas totalement chasser son petit frère de son esprit pendant les prochains jours. Mais au moins pour quelques heures. Et pendant ce laps de temps, il prit la décision d’aller au port. Il paraissait que l’atmosphère marine pouvait être source de bien-être. Direction donc le port de Brisbane.

Une fois arrivée, Lincoln laissa sa voiture non loin du port, faisant le reste à pied. Cela faisait bien longtemps qu’il n’avait pas juste marché dans Brisbane sans être pressé par un rendez-vous ou tout autre chose professionnelle. Il semblait prendre du temps pour lui-même, quelque chose de bien rare dans l’emploi du temps de l’avocat. Il s’arrêta chez un glacier où il commanda une glace à la pistache et au caramel qu’il dégusta sans perdre une minute. Un petit plaisir qui n’était pas arrivé depuis fort longtemps. Regardant les vagues venir se briser sur la jetée du port, Lincoln entendit bon nombre de choses autour de lui : des individus conversant de la pluie et du beau temps, des bateaux qui partaient sur les flots et des oiseaux qui semblaient communiquées entre eux. Puis les bruits devinrent de moins en moins imposants, laissant place au calme et simplement aux bruits marins. Sa glace finie, son regard se posa alors sur une demoiselle qui avait un comportement quelque peu étrange. Retirant sa veste et ses chaussures, Lincoln se montra interrogateur et resta pendant plusieurs secondes, figé. Que comptait-elle faire ? Voulait-elle plonger alors que c’était risqué ? Et une pensée lui traversa alors l’esprit, se disant sans trop réfléchir qu’elle voulait peut-être mettre fin à ses jours. Une hypothèse tirée par les cheveux, mais vu le monde dans lequel évoluait les individus, cela n’était pas si farfelu que cela. Ne voulant pas être témoin d’un tel acte, il ne pouvait pas rester sans rien faire et détourner son regard. Alors il se mit à courir en direction de la jeune femme qui plongea dans l’eau. Et sans même hésité une seule seconde, il fit de même, plongeant dans l’eau qui n’était pas spécialement chaude ce jour-là et s’enfonça légèrement dans l’eau, voyant assez rapidement la demoiselle. Il nagea en sa direction, lui attrapant alors le bras et la fit remonter hors de l’eau, ne prenant pas le temps de comprendre la situation. Et une fois la tête sortie de l’eau, Lincoln regarda la jeune femme sans même se soucier de ses vêtements trempés. « Est-ce que vous allez bien madame ? Mais qu’est-ce qui vous a pris de sauter à l’eau ? C’est extrêmement dangereux voyons ! » Souligna-t-il en regardant derrière lui l’endroit où ils allaient, tous les deux, pouvoir sortir de l’eau.


@Phoebe Jensen

La bonne action de la journée. Voilà ce que le jeune homme se disait après avoir sauvé la jeune femme de la possible noyade. Enfin, c’était ce qu’il pensait car la réalité semblait être toute autre. Toujours dans l’eau, la demoiselle lui expliqua qu’elle allait bien et que si elle avait plongé, cela n’avait rien de suicidaire, mais simplement pour récupérer son téléphone portable qu’elle venait d’échapper et qui avait fini au fond de l’eau. Et sur le coup, même s’il ne pouvait pas deviner cette information, l’avocat se sentit cependant gêné car il avait supposé trop vite des choses bien sombres. Mais après tout, il valait mieux prévenir que guérir comme on disait non ? Tout cela partait d’un bon sentiment, ce qui pouvait quelque peu le sauver de cette situation, non pas délicate, mais plutôt cocasse finalement. « Je … Oui ça parait logique. Le téléphone au fond de l’eau. Mais où avais-je la tête ? » Dit-il en utilisant une pointe d’humour pour décomplexifier la situation dans laquelle il venait de se mettre. Ce fut alors qu’elle lui demanda son aide, lui proposant de remonter sur la terre ferme et de lui indiquer la position du téléphone vu qu’elle ne le voyait plus. « Bonne idée. Je vais remonter et vous dire ça de suite. » C’était bien le moins qu’il pouvait faire, l’ayant empêché de le récupérer une première fois en la remontant de force, il fallait le dire ainsi. Et puis, il ne voulait pas non plus être responsable de la pollution des eaux australiennes. Même si ce n’était pas l’écologiste de la première heure, Lincoln croyait au réchauffement climatique et à ce qu’entrainait la pollution des sols, des eaux et de tant d’autres choses. Il respectait la planète sur laquelle il vivait. C’était bien la moindre des choses qu’il pouvait faire.

Remontant alors sur le ponton avec ces habits mouillés, ce qui allait possiblement lui donner la crève, l’avocat regarda alors devant lui pour essayer de trouver le téléphone de la demoiselle. « Attendez ! Je crois que je le vois. Sur votre gauche. » Il se pencha légèrement en avant pour être sûr que c’était le téléphone en question et quelques micros secondes après, s’aperçut que ce n’était pas le cas finalement. « En fait non, j’ai rien dit. Je crois plutôt que c’est un animal … Mais je ne sais pas trop ce que s’est. » Des propos très rassurants de la part du jeune homme qui continua ses recherches avec sa vue de félin – ou pas. Prenant le temps de bien regarder, après plusieurs longues secondes, la localisation de l’objet semblait être trouvée. « Légèrement à votre droite … Oui ! Vous êtes au-dessus. Plus qu’à aller le chercher donc. » Et pour le coup, il ne comptait pas interférer avec cela, restant sur la terre ferme et essayant de profiter du soleil pour sécher un peu. Malheureusement, à ce rythme, il allait attraper un sacré coup de soleil avant que ses vêtements ne soient secs. Mais c’était sans compter sur un commerçant du coin, qui venait de la boutique de location pour ceux et celles qui voulaient aller à la plage, faire de la plongée ou autre qui arriva à son niveau, voulant être sûr que tout allait bien. « La situation est sous contrôle. Juste la mademoiselle qui avait échappé son téléphone dans l’eau. » Expliqua-t-il au commerçant qui lui tendit alors deux serviettes ainsi que de quoi se changer. Il lui expliqua qu’il avait observé Lincoln, au loin, se jeter dans l’eau et que ce n’était pas le premier à faire cela avec ses vêtements en prime. Et que souvent, dans ces cas, il prêtait des vêtements de rechange à condition que la personne les ramène. Chose qui se produisait dans 99 % des cas. « Promis, je vous ramènerai les serviettes quand on aura fini de nous sécher et les vêtements, une fois que je me serai changé chez moi. Vous pouvez compter sur moi. D’ailleurs, bon elle est mouillée, mais tenez, voici ma carte. » Comme preuve de bonne foi, Lincoln donna sa carte de visite de son cabinet au commerçant pour lui donner son identité et son numéro de téléphone par la même occasion. Et une fois que le commerçant prit le large en direction de sa boutique, le regard de Lincoln se concentra de nouveau dans l’eau et vit la demoiselle remonter à la surface, avec son téléphone il espérait. « J’espère que vous avez pu trouver votre téléphone et sauver les océans par la même occasion. En tout cas, j’ai trouvé des serviettes pour nous sécher. Enfin ce sont plutôt elles qui m’ont trouvées. Enfin un commerçant … Bref, de quoi nous éviter d’attraper la grippe. » Finit-il par dire, en laissant la demoiselle rejoindre le ponton. Pendant ce temps-là, Lincoln se déshabilla sans trop regarder s’il y avait du monde autour et se retrouva rapidement en boxer, se passant un coup de serviette un peu partout sur le corps pour enlever l’humidité qu’il y avait dessus avant d’enfiler un simple short et un t-shirt qu’on venait de lui prêter, ce qui allait bien sûr faire l’affaire.

@Phoebe Jensen