Ok. Ce date-là, il ne le sentait pas.
Il ne savait même pas si c’était un date, dans le sens du flirt, ou une simple sortie entre « amis ». Emphase sur le mot amis, car Jesse n’était pas tout à fait sûr de considérer Constantine Ambrose comme un ami.
L’échange sur Brisbuddie avait déjà été étrange. Jesse ne s’était pas senti très à l’aise comme il avait pu l’être avec d’autres garçons avec qui il avait pu matcher. Des garçons comme Axel avec qui l’échange avait coulé tel le cour tranquille d’une rivière zigzagante.
Et c’était comme si l’univers s’était mis à lui envoyer des signes voulant lui dire de décommander ce rendez-vous.
Le premier signe avait été la surcharge de travail qui avait surgi de nulle part en milieu d’après-midi. Un travail urgent qui l’avait retenu plus tard que d’habitude. Le deuxième s’était manifesté une fois rentré chez lui : il oublia pendant un certain temps ce rendez-vous. Enfin, le troisième, sur le chemin vers le Jazz Club où lui avait donné rendez-vous Rose : une panne sur la ligne de métro.  Des signes que Jesse prit soin d’ignorer.
Résultat : au lieu d’arriver à 20h, Jesse arriva à 20h45 au lieu de rendez-vous. Tout au long du chemin, il avait envoyé des messages à Rose lui assurant qu’il arrivait très bientôt. Cela dit, il avait un doute quant au fait que Rose ait vraiment eu la patience de l’attendre pendant trois-quart d’heure. Doute évacué quand il reconnut la silhouette de Rose dans le Club, assis seul à une banquette. Sans perdre une seconde superflue de plus, il s’approcha de son… date.
« Bonsoir ! Je suis super super désolé d’arriver aussi tard. J’étais parti à l’heure » Un peu en retard, quand même. « mais il y a eu des problèmes de métro. Il était entre deux stations pendant des plombs. J’ai cru que j’allais y rester la nuit. »
Et si on se fiait aux informations officielles de la société de transport, Jesse n’avait pas été bloqué plus de quinze minutes. Mais ça lui avait semblé bien plus long que ça.

Il n’a eu de cesse de penser que Jesse le prenait sacrément pour un con, ce qui l’a conforté dans son désir d’envoyer des messages à Ruben comme s’il n’y avait rien de plus normal, logique et sensé à faire lors d’une soirée supposée être un véritable date. Après tout, si Jesse et lui ont parlé sur une application telle que Brisbuddies, il n’est pas né de la dernière pluie pour penser que quiconque sur cette application cherche réellement à rencontrer des “amis”. Ceux qui mettent ça n’ont simplement pas le courage de statuer qu’ils cherchent en réalité le grand amour ou, plus plausible, des coups d’un soir. Lui oscille entre les deux idées, pourtant incapable de considérer Jesse comme étant le grand - le grand amour lui donnera des enfants de son sang, ce qui prouve bien par un plus deux que ce ne peut pas être l’homme en question. La seconde raison à cela se situe sans doute dans l’idée qu’ils n’ont pas eu le moindre coup de foudre et, en toute vraisemblance, pas la moindre alchimie non plus. Preuve en est, il le fait désormais attendre trois quart d’heures, ce qui laisse le temps à Ambrose d’enchaîner les cigarettes sans plus les compter - le seul minuscule point positif qu’il trouve à sa vie depuis la mort de Norman est celui de ne plus compter l’argent dépensé. Il ne roule pas sur l’or, mais il sait qu’il n’a plus de quoi s’inquiéter de rien.

« Bonsoir ! Je suis super super désolé d’arriver aussi tard. J’étais parti à l’heure. » Sa cigarette écrasée depuis qu’il est revenu à l’intérieur du club, il regrette déjà sa présence entre ses doigts. ”Hm, hm.” Il maugrée sans chercher à faire d’efforts. Il ne vient pas accuser Jesse de mentir, mais il ne cache pas son manque d’enthousiasme face à l’idée. « mais il y a eu des problèmes de métro. Il était entre deux stations pendant des plombs. J’ai cru que j’allais y rester la nuit. » - ”Rien de grave j’espère.” Il répond avec nonchalance et une politesse d’habitude, faussement concerné par le sort de la veuve et de l’orphelin. Il souhaite sincèrement que rien de mal ne soit arrivé à personne, mais en réalité il doute surtout que les problèmes du métro puisse porter sur ses épaules tout le retard de l’homme face à lui. ”Si ça t’intéresse pas vraiment, tu aurais pu cancel dès le départ.” Il rétorque avec un sourire en coin, lequel vient agrémenter des mots particulièrement semblables à une provocation. Il n’en pense pas moins, mais il y avait sans doute bien d’autres façons d’aborder le sujet. Ainsi, au moins, ils ne perdent pas davantage de temps à tourner autour du pot - et puisqu’il a déjà perdu presque une heure, il aimerait autant ne pas en perdre davantage. ”J’aurais pu mettre ma main au feu et penser que t’étais en couple, quand on s’est rencontrés.” Il rajoute simplement, sans réellement savoir si ces mots méritent une réponse. Il le précise simplement, son observation ayant été faite par simple curiosité.

Il était inutile de le nier : Ambrose n’était pas le genre de mec qui intéressait Jesse en temps normal. Lisez « en temps normal », comme si là était l’exception qui confirmait la règle. Abus de langage, très chers ! Ambrose ne faisait pas l’exception. Jesse le trouvait un peu arrogant, et pas assez transparent. Il n’allait pas jusqu’à dire qu’il avait l’air un peu barbant mais… if the shoe fits, comme on dit. De toute évidence, Jesse n’avait jamais su mener une relation durable comme il le désirait avec le type d’homme qui l’attirait. Qui sait ? Ça pouvait fonctionner avec Ambrose.
Jesse arriva à ce rendez-vous avec beaucoup de retard. Ça commençait mal, on en conviendra. Mais croyez en sa bonne foi : il pensait réellement qu’il allait arriver à temps en partant à l’heure à laquelle il était parti. Il pensait réellement qu’il allait arriver « bientôt ». Et si on lui disait que le métro n’avait été retenu que quinze minutes, il aurait été complètement incrédule.
« Non, ça va. Juste un problème de signalisation. » répondit-il en s’installant en face d’Ambrose.
Il ouvrit grand les yeux au commentaire de ce dernier, un sourire confus se dessinant sur ses lèvres. Il craignait de ne pas comprendre l’insinuation. Était-ce une vraie remarque ? Une plaisanterie ?
« Mais si, ça m’intéresse. Pourquoi j’aurais annulé ? »
Jesse essayait vraiment d’être optimiste. S’il avait un mauvais pressentiment, ce n’était pas un mauvais pressentiment. C’était juste lui qui se faisait des films parce qu'il avait des a-prioris. Et les a-prioris faisaient passer à côté de plein de belles expériences. Il devait se laisser une chance d'apprendre à connaître Rose.
« Vraiment ? Qu’est-ce qui t’as fait penser ça ? Crois-moi que je suis bien célibataire, très célibataire même. Enfin, toi aussi, je suppose - j’espère. Tu n’as pas précisé, sur l’appli. Mais s’il y a quelqu’un d’autre, j’aimerais le savoir. »
Il parlait vite, sans réfléchir aux mots qui sortaient de sa bouche. Si Ambrose était un partenaire décent, évidemment qu’il était célibataire. Ou bien, il aurait été très transparent en précisant qu’il était dans un couple libre. Voyez comment Jesse n’était sûr de rien avec cet homme.
« Soyons clairs et honnêtes dès le départ. »

« Non, ça va. Juste un problème de signalisation. » La tête d’Ambrose bascule légèrement sur la côté, signe de son attention pleine et entière. En temps normal, du moins. Sur l’instant, il s’agit surtout du signe de son analyse plus approfondie de ses mots autant que de la situation : comment au juste peut-il espérer trouver autant de passion dans les discussions avec autrui que celles avec Mavis ou Ruben ? Il en est réduit à parler de problèmes de signalisation, un enjeu généralement discuté uniquement lors de ses entrevues à son travail. Puisqu’il ne s’agit pas d’un dîner relatif à son travail, il se permet de commenter sans retenue le manque d’engouement certain de l’homme face à lui. « Mais si, ça m’intéresse. Pourquoi j’aurais annulé ? » La remarque fait mouche, de toute évidence. Elle semble même piquer en plein ego l’homme face à lui, ce qui fait sourire Ambrose sans qu’il prenne un plaisir particulier pour autant. Il est simplement amusé de ses réactions autant que de son envie sincère de lui faire croire qu’il avait hâte de le retrouver. Il n’y a sûrement rien de vrai dans tout ça, et cela contribue à piquer quelque peu l’ego de Constantine, habitué à être le centre de toute l’attention et de tout le désir de Ruben.


L’instant suivant, Ambrose tente d’aller de l’avant pour nourrir une véritable discussion et surtout ne pas se contenter de parler transports en commun durant toute la soirée. Ce n’est de toute évidence pas ce qui l’intéresse. « Vraiment ? Qu’est-ce qui t’as fait penser ça ? Crois-moi que je suis bien célibataire, très célibataire même. Enfin, toi aussi, je suppose - j’espère. Tu n’as pas précisé, sur l’appli. Mais s’il y a quelqu’un d’autre, j’aimerais le savoir. » - « Très célibataire, vraiment ? Depuis combien de temps ? » Il ne remet pas en question ses mots, loin de là, mais il semble plutôt comprendre qu’il fait face à un homme dont la vie amoureuse prend la forme d’un désert. L’analyse se base uniquement sur ses mots, sa connaissance de Jesse étant inexistante. Si erreur il y a, il ne peut s’en prendre qu’à lui-même et à sa façon de dire les choses. « Soyons clairs et honnêtes dès le départ. » Il sait qu’il ne sera jamais totalement transparent avec lui mais cela ne l’empêche pas de le laisser croire à Jesse, face à qui il hoche la tête avec docilité. « Ca changerait quelque chose si j’étais pas célibataire ? » A nouveau, déjà, sa tête se penche légèrement pour analyser la réponse de l’homme face à lui. « Je trouve ça intéressant de connaître les limites de la morale de chacun. » Sous-entendu qu’il n’est pas en couple, qu’il pose simplement la question, et qu’il évite tout bonnement de répondre noir sur blanc - déformation professionnelle. « J’étais fiancé il y a encore quelques mois. » C’est ce que dit la version officielle, c’est ce qu’il répète en annihilant tout sourire : il ne l’est plus, il doit être triste, il doit penser à Cassie et à l’amour de sa vie qu’il a perdu. Il ne peut pas se permettre de préciser que sa première et seule véritable histoire date de plusieurs années déjà et que Cassie n’était qu’une couverture. Ce secret ira jusque dans sa tombe avec lui. « Libre comme l’air maintenant, tu peux être tranquille. » Il montre ses deux mains face à lui, vides de toute alliance. « Et toi ? C’est quoi l’histoire ? » Histoire, non-histoire, il peut tout accepter.

« Très célibataire, vraiment ? Depuis combien de temps ? »
« … deux ans. » Outch. « Si on ne compte que les relations sérieuses. »
Même en ajoutant les relations qui n’entraient pas dans sa définition du couple… on partait sur une période de plus d’un an de relative abstinence, aussi subite que volontaire. Depuis Bran, il avait ouvert les yeux sur un certain nombre de choses quant à son rapport aux relations et aux hommes. Ça piquait.
« Bah ouais. » répondit-il du tac au tac car ça lui paraissait évident. « Ça voudrait dire que soit, tu es infidèle. Soit, tu fais dans le couple libre, le polyamour, la polygamie, peu importe comment tu veux l’appeler. Tu fais ce que tu veux hein, je ne juge pas, mais moi c’est pas mon truc. Je préfère l’exclusivité. »
Ambrose lui dit avoir été fiancé quelques mois auparavant, mais lui assurait ne plus l’être. Jesse acquiesça. Il n’était pas sûr que ça soit une information nouvelle pour lui. Il l’avait certainement déjà vu passer quelque part. Il n’appréciait que très moyennement ce moove de la part d’Ambrose. Vue le contexte, il aurait pu être précis et personnel. Alors, quand la question de sa dernière relation fut posée, Jesse prit le temps de réfléchir en faisant du tapping du bout des doigts sur la table, et faisant tressauter sa jambe. Si Ambrose ne daignait pas être très transparent ou plus ouvert que ça avec lui, il n’avait pas à l’être non plus.
« Je sortais avec un gars qui était encore dans le placard qui voulait que notre relation soit secrète. Et ça ne me convenait pas, je ne voyais pas mon futur comme ça. Je n’en suis pas particulièrement fier, mais je lui ai dit que soit il faisait quelque chose, soit je me cassais. »
Il laissait de côté de nombreux détails qui ne le peignaient pas sous la meilleure des lumières. Il avait parfaitement conscience que ça aurait fait tâche, surtout quand on le mettait en écho avec son engagement associatif.

« … deux ans. » Il hoche la tête. Il ne trouve pas cette durée si terrible, même s’il n’a jamais passé deux années complètes en tant que célibataire pour autant. Peu importe, ce n’est pas ce qui le fait davantage réfléchir sur l’instant. « Si on ne compte que les relations sérieuses. » Le sourire d’Ambrose s’élargit face à l’absence de pudeur de la part de Jesse. Il l’envie sans doute un peu sur ce point, lui qui s’interdit de parler de sa vie amoureuse et sexuelle aussi librement - sans doute parce qu’il y aurait bien trop à juger et qu’il souhaite s’en préserver autant que possible. « Je demandais pour les relations sérieuses. » Il confirme simplement, sans chercher à en savoir davantage sur les autres auxquelles Jesse pourrait penser. Il sait que cela ne le regarde pas et le respecte, autant qu’il voudrait qu’on respecte sa propre vie privée.

Après qu’il lui ait tendu la main, Jesse attrape le bras tout entier, ce qui fait une fois de plus sourire Ambrose tel un scientifique fou observant son objet d’experimentation, son cobaye. « Ça voudrait dire que soit, tu es infidèle. Soit, tu fais dans le couple libre, le polyamour, la polygamie, peu importe comment tu veux l’appeler. Tu fais ce que tu veux hein, je ne juge pas, mais moi c’est pas mon truc. Je préfère l’exclusivité. » - « Tout ça ? » Il ironise dans sa demande, sans chercher à cacher un seul instant son amusement de toute l’analyse du brun. « Je suis célibataire. Tu peux m’enlever toutes ces étiquettes. » Il est fou amoureux de Ruben, il s’intéresse chaque jour un peu plus à Mavis, mais ce n’est pas sa question. Est-il officiellement en couple ? Non. Il est donc bien célibataire, et il ne se rapproche pas d’un quelconque poly - quoi que ce soit.

Quand Jesse lui résume dans les grandes lignes sa dernière histoire d’amour, et surtout la fin de cette dernière, Ambrose cesse de s’amuser un instant. « C’est ce que tu dis aux gens de l’association ? De s’assumer, sinon tout le monde autour d’eux va se casser ? » Sûrement pas, non, mais il cherche à son niveau à lui faire comprendre qu’il y avait sûrement un bon millier de meilleures façon de réagir face à ce souhait de se protéger et de rester dans une bulle. « Ca a duré combien de temps ? » Puisqu’il est donc célibataire depuis deux ans suite à cette histoire, Ambrose espère bien que cet homme a fait battre son coeur pendant longtemps, pour que ce soit au moins une bonne excuse. « Tu le regrettes pas ? » Est-il toujours dans le placard, cet homme ?

Ambrose affichait constamment un petit sourire que Jesse avait du mal à interprétrer. Un sourire pouvait vouloir dire beaucoup de choses. Il supposait que ce n’était pas un mauvais signe. Pourtant, il n’aurait su l’expliquer, ce sourire ne lui inspirait pas quelque chose de très positif. Ambrose lui assura être célibataire. Ses fiançailles n’avaient donc pas abouti en un mariage. Jesse acquiesça, se demandant néanmoins ce qui avait mis fin à cette relation. Ambrose ne lui laissa pas l’occasion de poser la question, l’interrogeant sur sa dernière relation.
Jesse eut conscience qu’il fallait peut-être qu’il soit prudent dans ses paroles pour ne pas que son rendez-vous se fasse de fausses idées sur lui. Il ne voulait pas mentir non plus. Il avait juste commis quelques erreurs qui ne le définissaient pas aujourd’hui. Mais il comprit rapidement que même malgré ses précautions, la réaction d’Ambrose n’était pas très positive. Il avait perdu son sourire, et fit une remarque qui piqua beaucoup le costumier.
« J’ai dit que je n’étais pas fier. » souligna-t-il, un peu irrité. « Et j’avais mes raisons. Il n’y avait pas que la question du coming out. »
De nombreuses raisons. Jesse trouvait ça injuste qu’Ambrose juge son acte aussi hâtivement. Il était persuadé que s’il voyait le personnage qu’était Bran, il n’aurait pas été aussi ferme dans sa condamnation. Quoique il aurait aussi été capable de lui reprocher d’être sorti avec cet homme en premier lieu, en bon moralisateur qu’il semblait être.
« Deux ans. »
« Tu le regrettes pas ? »
« Je regrette la façon dont ça s’est fait. Mais non. Je pense qu’il a beaucoup de problèmes à régler avant de se relancer dans une relation avec un homme. »
Entre temps, Bran s'était fait salement outé par un magazine. Jesse se demandait s'il allait réussir à dissiper la rumeur, assumer ou quoi.
« Et toi ? Pourquoi tu n’es plus fiancé ? Que s’est-il passé ? »
Jesse espérait presque que Ambrose ait aussi des choses à se reprocher, dont il n’était pas fier. Allons, il était dans la politique. Il avait forcément des choses à se reprocher. Jesse estimait déjà qu’Ambrose manquait de franchise.

« J’ai dit que je n’étais pas fier. » Ambrose souffle doucement, sans doute lui-même agacé par le ton de Jesse, lui aussi agacé. Il a l’impression qu’ils perdent tous les deux leur temps et il déteste cette idée. Il aimerait être de ceux capables de tourner court aux discussions pour aller au fond des choses, proposer un détour par les toilettes et peut-être même annoncer avoir une capote dans son portefeuille. Il pourrait, mais il ne le fera pas, à commencer parce qu’il n’en a aucune envie et qu’il pressent aisément que l’homme face à lui en ressent tout aussi peu le désir. « Et j’avais mes raisons. Il n’y avait pas que la question du coming out. » Mais il comprend qu’il y avait donc de ça. Face à la réponse catégorique de Jesse, et à son propre manque d’intérêt quant à la réponse exhaustive, il n’ajoute rien. « Je vois. » Et ainsi, il s’en désintéresse.

« Deux ans. Je regrette la façon dont ça s’est fait. Mais non. Je pense qu’il a beaucoup de problèmes à régler avant de se relancer dans une relation avec un homme. » Deux ans. Il n’a jamais connu de relation aussi longue lui-même, ce qui le pousse à prendre une gorgée supplémentaire pour cacher un embarras doublé d’une certaine colère. Il aurait tout pour avoir une longue relation, il le sait. Ce n’est pas son amant qui devrait l’en empêcher, merde. « Tu penses à un autre homme ou à toi ? » Est-ce qu’il veut que son ex règle sesdits problèmes avant de se lancer dans une nouvelle relation avec lui, ou est-ce qu’il vient de louper le cocher éternellement ? Il a beau ne connaître ni l’un ni l’autre, la réponse semble soudainement intéresser Ambrose. Du moins, au coeur de tout ce qu’ils ont pu se dire, il s’agit là d’un point qui l’intéresse un minimum. « Et toi ? Pourquoi tu n’es plus fiancé ? Que s’est-il passé ? » - « On t’a jamais dit que les questions sur les ex étaient pas conseillées pour un premier date ? » Il se fout de la gueule du monde, il le sait, mais c’est sûrement parce qu’il apporte peu d’importance à cette soirée et encore moins sur sa possible issue. « On se connait depuis une vie, mais on a fini par comprendre qu’on était pas faits pour vivre une vie ensemble pour autant. On est allés trop vite. » Le discours est connu, appris, répété. Il ajoute toujours une certaine tristesse dans sa voix sans en faire trop ; il ne se détache pas trop non plus parce qu’il est supposé avoir perdu l’amour de sa vie. Une idée à la con. « On est en train de perdre notre temps là, hm ? » Avec leurs histoires passées qui ne mènent à rien, avec leur discussion qui ne mènera jamais où que ce soit non plus. Ils feraient mieux de rentrer chez eux, hm ?

Ok, ce date avait sans doute été une mauvaise idée. Jesse le voyait, maintenant. Mais il était ce qu’il était : il essayait d’être optimiste. Le rendez-vous avait mal commencé : il ne pouvait que s’améliorer. Peut-être pas dans l’immédiat, parce qu’Ambrose continuait encore à l’agacer.
« Tu penses à un autre homme ou à toi ? » l’interrogea-t-il.
« … A un autre homme. » répondit fermement Jesse, comme si c’était évident, avec néanmoins une demi-seconde de latence.
Cette satanée demi-seconde n’avait pas eu lieu d’être. Et voilà qu’Ambrose allait croire qu’il avait un peu hésiter. Il fit le choix stratégique de détourner son attention en l’interrogeant sur sa propre ancienne relation. La réponse était très déceptive, et ne répondait pas à grand-chose.
« Ah ouais, il me semble déjà avoir entendu ça. »
De la bouche de n’importe quelle célébrité divorcée d’une autre célébrité expliquant les raisons de la séparation, à quelques subtilités près.
« On est en train de perdre notre temps là, hm ? »
Fallait bien qu’un d’eux le dise. Jesse se reposa contre le dossier de son assise, en croisant les bras, tirant distraitement sur les bouts de ses manches. Sa jambe n’avait pas fini de tressauter.
« … Je ne sais pas. Peut-être. »
L’idée que ce rendez-vous s’arrête lui déplaisait. Ce n’était pas qu’Ambrose lui plaisait particulièrement et qu’il espérait quelque chose avec lui. Oh ça, non ! Tout ça lui laissait surtout un arrière-goût amer : celui de l’échec. Il n’avait pas réussi à plaire à Ambrose, même pas assez pour qu’il lui propose un rapport intime furtif. Ils n’avaient pas non plus eu beaucoup de temps pour parler de plein de choses.
« Mais dis-moi… pourquoi tu m’as invité ? On dirait que t’avais pas envie d’être ici. Ok je suis arrivé un peu en retard, mais ça ne peut pas être que ça. »
Il voulait comprendre.

« … A un autre homme. » Ambrose hausse les épaules, ayant définitivement abandonné toute idée de bien-paraître face à Jesse. Sans doute parce qu’il a maintenant compris qu’il n’a rien à y gagner, et surtout encore moins à y perdre. Il hoche la tête dans le vide, notamment parce que faire la psychologie d’inconnus avec qui il n’interragira sûrement jamais n’est pas dans son dessein de la soirée. Maintenant qu’il comprend que la conclusion ne sera jamais semblable à ce à quoi il aurait pu initialement espérer, son attention décline vitesse grand V.

Jesse reprend simplement. « Ah ouais, il me semble déjà avoir entendu ça. » L’excuse est simple, rapide, toute trouvée. Ambrose reconnaît lui-même aisément qu’il n’a pas fait d’efforts sur ce point, si bien qu’il n’en fait pas davantage à essayer de trouver une parade. Ils sont allés trop vite ; et dans le fond ce n’est qu’un demi mensonge. Il se contente simplement de ne pas couvrir toute la vérité. « J’en suis pas etonné. Une erreur commune de notre siècle. » Avant, sûrement, tout était différent. Avant, aussi, tout était fait de mariage forcé, si bien que le politicien n’est pas un adepte du “c’était mieux avant”. Il se contente de dire que c’était différent, avant.

Et si Jesse se contente de répondre aux questions d’Ambrose et souligner la faiblesse de ses arguments, ce dernier ne sait jouer ce jeu davantage de temps, raison pour laquelle il en vient déjà statuer ce qui lui semble être l’évidence même: cette discussion est une perte de temps pour tous les deux. Ils devraient s’en sauvegarder. « … Je ne sais pas. Peut-être. » Ambrose le sait de son côté, à n’en pas douter. « Mais dis-moi… pourquoi tu m’as invité ? On dirait que t’avais pas envie d’être ici. Ok je suis arrivé un peu en retard, mais ça ne peut pas être que ça. » Une seconde fois, déjà, il hausse les épaules. « Je pense que j’en attendais autre chose. » Plus. Mieux. Ou Ruben, tout simplement. Peut-être même Mavis, maintenant qu’il s’est habitué avec goût à la présence de la jeune femme à ses côtés. Il avait sans doute l’espoir que n’importe qui pourrait être son équivalent, mais force est de constater que la réponse est non. « Et je pense que toi aussi, pas besoin de se mentir. » Il n’est pas rancunier. Pas sur ce point en particulier, du moins. Au contraire, il préfère se dire qu’à avoir cette discussion maintenant, il leur sauve du temps à tous les deux. « Je te souhaite une bonne soirée, hm ? » Il ne semble pas vouloir prendre les devants, si bien qu’Ambrose n’hésite pas à le faire par lui-même et à annoncer la fin de cette pseudo discussion, et surtout de ce pseudo date.