hey sister, do you still believe in love ?

@Nieves del Pino   ◈ août 2024

S’il avait prévu de partir à l’autre bout du monde afin de remettre de l’ordre dans sa tête, dans son coeur et dans sa vie, le programme a largement été revu à la baisse lorsque ses vacances avec Asher se sont transformées en lune de miel écourtée par leur deuxième rupture. En son coeur, la douleur de l’échec côtoie la colère, l’humiliation et la rancoeur, mais aussi cette forme d’introspection particulièrement cruelle qui, même lorsqu’on essuie une bravade, tend à nous faire croire qu’on mérite ce qu’on nous inflige ; s’il s’insurge de la blessure qu’on lui a causé, parfois, il laisse cette petite voix perfide gagner, s’octroyant la condamnation d’être responsable du malheur qu’il a récolté, et dont les ronces et mauvaises herbes continuent de pousser à l’intérieur de lui. Après tout, sa mère lui a suffisamment répété, lorsqu’il était gamin, qu’il était particulièrement ingérable, insupportable et infernal alors peut-être qu’elle avait raison, la madone, et qu’Izan n’est tout simplement pas le genre de personne qu’il est facile d’aimer, et qu’il n’est appréciable que lorsqu’il est derrière un piano, faisant résonner la voix de l’instrument plutôt que la sienne ?

Dans ces circonstances, il devrait être largement soulagé de remettre les pieds dans la ville qui lui est familière mais, entre les souvenirs de son couple disloqué par les trahisons et sa famille qui le torpille dans la presse en espérant ainsi réduire sa carrière en miettes, il lui est difficile de considérer Brisbane comme un terrain suffisamment neutre pour qu’il ne se sente pas mal-à-l’aise à chaque coin de rue. Son appartement ayant une mémoire tout aussi vivace que la sienne, la boite de ses souvenirs s’ouvre chaque fois qu’il a l’impression d’entendre le rire de son ex-compagnon dans le salon, son parfum qui flotte dans l’atmosphère de sa chambre ou encore sa silhouette qui fuit dans le couloir ; les fantômes amoureux sont sacrément doués lorsqu’il s’agit de hanter l’autre, vous savez. Et pensant échapper à ces démons invisibles qui marchent dans ses pas, c’est dans le logement de Nieves qu’il trouve un refuge puisque, avec elle, c’est différent. Nieves sait à quel point, enfant déjà, il a été placé sous cloche pour servir des ambitions qui n’étaient pas les siennes, à quel point sa mère s’est acharnée, non pas avec une tendresse maternelle mais avec une ambition intéressée, de le pousser à enchaîner les concours et les entraînements pour parfaire sa technique, tout en lui faisant cruellement redouter l’échec auquel il n’avait pas droit. Est-ce si étonnant que, devenu adulte, il ne puisse admettre la défaite ? ’’Est-ce que t’as des bonbons ?’’ qu’il demande en décalant sa nuque sur la cuisse de la demoiselle, tournant un peu son menton en sa direction pour poser un regard curieusement apaisé sur son visage harmonieux, ayant l’impression d’être en compagnie de l’une de rares personnes qui ne lui demandera jamais de se justifier ou de changer. Parce qu’il ne fait pas exprès, Izan, d’être comme ça, et que son caractère irrévérencieux et excessif n’est pas soumis à condition, ce n’est pas un tissu dont on peut teindre la surface pour l’adoucir : il est excessif dans ses émotions et ses réactions, et tous ses efforts ne seront jamais suffisants à le remodeler. ’’Est-ce que tu crois qu’il y a quelque chose qui cloche avec moi ? Ou chez moi, peut-être ?’’ il le demande en passant une main dans ses boucles brunes pour les repousser en arrière, sans quitter sa position allongée, l’arrière de son crâne logé sur les cuisses de son amie, en attendant une réponse qui vise à le rassurer, même s’il sait que Nieves ne fera pas dans la délicatesse avec lui et, justement, c’est ce qu’il souhaite. La vérité, pour une fois.

crédits/sethake