meeting you was a nice accident

@Aubrey Thornhill • août 2024

Ce rendez-vous, Maeve l’a autant attendue qu’appréhendé. Il faut dire qu’elle n’y croyait pas vraiment lorsque la propriétaire de la galerie l’a appelée pour convenir d’un rendez-vous ; elle a d’abord cru à une mauvaise blague — un de ces canulars grotesques que les adolescents font au téléphone lorsqu’ils s’ennuient, avant de franchement envisager la possibilité que Aubrey s’était trompée de personne. Mais c’est bien sa propre silhouette qui franchit les deux portes de la galerie en ce début d’après-midi, avec de larges minutes d’avance sur le rendez-vous organisé quelques jours plus tôt ; retenant sa respiration, mordillant l’intérieur de sa joue et ayant l’étrange sensation d’être l’imposteur qui débarque là où il ne devrait pas, Maeve n’ose d’abord pas s’avancer, se tenant tout près de la sortie comme si elle hésitait à faire demi-tour, puisqu’elle ne se sent pas vraiment légitime de l’intérêt qu’on lui porte. Lani ne pouvant pas l’accompagner — à son plus grand désespoir, c’est seule qu’elle se tient dans un coin de la vaste salle qu’elle devine être lumineuse, puisque les néons suspendus au plafond attirent irrémédiablement son attention, l’obligeant à lever parfois le menton comme si elle s’attendait à découvrir les contours de quelque chose ayant réussi à percer la nuit de sa vision, mais la nuit reste désespérément obscure. ’’Euh… Bonjour ?’’ se hasarde-t-elle à demander d’une toute petite voix fluette, avant de mordre le coin de sa lèvre de la même façon que si elle s’était rendue compte de son manque d’assurance tout à fait criant, et qu’elle pressentait déjà que ce n’était pas le meilleur moyen de faire bonne impression. Alors elle redresse ses épaules en resserrant ses petits doigts autour du cadre de sa peinture soigneusement emballée, tâchant de se donner un peu de contenance pour ne pas paraître totalement à la ramasse, puisqu’elle la veut, cette place d’exposition. Se doutant que sa première manifestation n’a pas été entendue, elle appuie son tableau contre le mur derrière elle en avançant de quelques pas à l’aide de sa canne, désireuse de ne pas percuter un objet de trop grande valeur, et encore moins la propriétaire des lieux. ’’Il y a quelqu’un ?’’ qu’elle demande en se penchant légèrement sur le côté, dans un réflexe tout à fait inconscient puisque, dans cette posture ou une autre, elle n’est pas capable de voir si quelqu’un se dirige vers elle : en revanche, elle peut l’entendre arriver…

crédits/Corné Eksteen