La discussion m’avait mise dans une colère explosive si bien que Sam, mon agente, avait essayé de rétropédaler, de s’excuser, jusqu’à que je sorte de la pièce en furie, dans un geste théâtrale qui me rappelait mes crises d’adolescente. Ce n’était pas professionnel, je le savais, mais bon, n’était-ce pas ce qu’on me reprochait, de toute façon ?! Je sais que c’est compliqué, en ce moment, mais ta chargée de pr s’inquiète que tu te laisses aller sur le tournage et que tu acquiers une réputation d’être difficile sur un set, m’avait dit Sam, avec la voix de celle qui a révisé la phrase en avance, pour être sûre d’utiliser les bons mots. J’étais hors de moi. Depuis des années, on n’avait que des éloges à me faire, j’étais l’actrice du moment, j’étais sympa avec les équipes et mes co-stars, drôle en interview, je générais du clic en ligne, et oui, j’étais parfois tout feu tout flamme, et j’avais définitivement tweeté deux trois trucs que je n’aurais pas dû, mais j’étais loin d’être une starlette ingérable. Mais parce que je n’avais pas le courage ou l’envie de sourire depuis trois semaines, parce que j’avais le cœur en miettes, soudain, c’était la fin du monde ?!

En plus, j’essayais, putain. J’essayais vraiment. Je me tenais durant le tournage, je bossais mes scènes et mon texte, j’étais gentille avec Dina, dont c’était un peu le retour à l’écran, et j’essayais d’être correcte avec Margot. Pour Mac, bon, c’était autre chose. Mais je faisais comme je pouvais ! Alors oui, je quittais parfois dramatiquement le set une fois la scène terminée pour aller pleurer dans mon trailer, et je voyais bien que tout le monde me regardait comme si j’étais une bombe à retardement. Et ils avaient raison. J’en étais une. Et j’étais décidemment en train d’imploser.

On venait de terminer une scène particulièrement compliquée, où il fallait absolument se positionner au bon endroit pour que l’éclairage soit parfait, provoquant un agacement certain de la part de tout le monde. J’avais tout fait pour ne pas me mettre à crier, et maintenant, je n’avais qu’une envie, retourner me cacher. Je marchai d’un pas vif vers mon trailer, mon nez fourré dans mon téléphone, si bien que je manquais de la rater : mon regard attrapa sa silhouette alors qu’on manquait presque de se rentrer dedans.

« Eh ! Bookstore girl ! » M’exclamai-je, oubliant tout à coup d’être rochon, trop amusée par la coïncidence, un sourire étirant enfin mes lèvres. « Mais qu’est-ce que tu fais là ? Attends, ne me dis pas, tu bosses sur ce set ?! »

@Spencer Blackwell

Si un jour on t’avait dit que tu foutrais les pieds sur un set de cinéma, tu te serais sûrement mise à rire sans jamais y croire. (Ou alors ça aurait été pour vendre des pochons aux acteurs et faire le meilleur bénéfice de ta vie.) Seulement t’es là en train de trainer pas loin des caravanes, un petit badge avec la mention “guest” autour du cou et qui offre un accès limité à l’endroit, ça déconne pas avec la sécurité, surtout s’il y a du beau monde qui traine dans le coin.
Bien loin d’en avoir quelque chose à faire, tu te contentes de scroller sur ton téléphone en ne dépassant pas les limites autorisées et en attendant ta fiancée comme si c’était le messie. T’es si peu concentrée sur ce qui se passe autour de toi qu’elle pourrait être juste à côté que tu ne l’aurais même pas repérée, il te faut d’ailleurs un moment avant de réaliser qu’on est venu te parler. Vivement, tu redresses la tête en regardant aux alentours, papillonnant des yeux un instant en apercevant la meuf de la librairie. Un sourire amusé vient se dessiner sur ton visage alors que tu lâches un « oh, hey ! » un peu jovial, visiblement ravie à l’idée de ne plus avoir à patienter toute seule dans ton coin. « Ah, non, pas moi, » que tu ricanes en secouant la tête. Quelle drôle d’idée, même. T’es clairement pas suffisamment à l’aise en société pour imaginer travailler sur un projet pareil et t’en sortir convenablement. Même les boulots de derrière la caméra c’est sans doute trop demandeur pour toi, t’es pas assez rigoureuse pour ce genre de carrière. « J’attends ma femme, » fiancée, toujours, mais ça viendra en temps voulu. Et puis la sonorité est quand même sacrément appréciable, alors autant commencer à s’y habituer dès maintenant, non ? « Elle devrait pas tarder, on est supposées aller manger pas loin. » C’est qu’avec vos emplois du temps respectifs, c’est parfois compliqué de juste vous retrouver en tête à tête alors chaque opportunité est bonne à prendre. « D’ailleurs encore merci pour les bouquins, elle a beaucoup aimé. » Tu l’as déjà remerciée la dernière fois, mais maintenant qu’il y a un retour à faire sur les recommandations de livres, c’est le moment ou jamais. « Et toi alors, tu bosses ici ? » Contrairement à toi, elle n’a pas de badge qui pendouille, il est donc facile d’imaginer qu’elle fait partie des équipes régulières du set. Peut-être qu'elle est maquilleuse ou consultante, voire même carrément actrice, ça serait dingue. « C'est marrant, je m'attendais pas à retomber sur toi en dehors de la librairie. » Voire même pas du tout, c'est une sacrée grande ville.

@Marceline Griffiths

La fille de la librairie n'étais pas exactement un visage familier - je ne connaissais même pas son prénom - mais cela me faisait plaisir de la croiser là, simplement de voir quelqu'un avec qui je partageais un bon souvenir de vie, même si bref. J'avais besoin de la moindre chose positive, à ce stade, et surtout tout ce qui pouvait me sortir la tête de ma situation actuelle. Quelqu'un qui ne me connaissait pas et n'avait qu'une vague impression positive sur moi, c'était rafraichissant et rassurant.  La blonde me souriait, et secoua la tête pour m'indiquer qu'elle ne travaillait pas ici. « Ah, non, pas moi », elle eut un rire comme si l'idée était incongrue.« J’attends ma femme. » Mon visage s'illumina, un réflexe dès que j'entendais une femme mentionner être en couple ou mariée avec une autre femme ; mais mon coeur se contracta tout de même désagréablement dans ma poitrine. Ah oui, elle était mariée. Et moi, j'étais encore une imbécile au coeur brisée. Super. « Elle devrait pas tarder, on est supposées aller manger pas loin. » « Oh, un lunch date, trop cool ! » Soupirai-je avec un enthousiasme un peu amer. Je mangeais souvent dans mon trailer pour pouvoir pleurer en paix. « D’ailleurs encore merci pour les bouquins, elle a beaucoup aimé. » Cette fois-ci, mon sourire fût sincère « Mais avec plaisir ! C'est ça, la solidarité queer », plaisantai-je avec un sourire.

Je me rendais bien compte que j'étais moins bavarde que d'habitude, mon répondant légèrement en berne ces dernières semaines. Heureusement, ce fût la jeune fille qui continua la conversation en rebondissant : « Et toi alors, tu bosses ici ? » J'hochai la tête avec en sourire, ne précisant pas, parce que tout à coup, je n'avais pas envie qu'elle sache que j'étais actrice, qu'elle se comporte différemment avec moi, j'avais juste besoin d'une interaction normale où je n'étais pas Marceline la star, ni Marcel la tornade du set. « C'est marrant, je m'attendais pas à retomber sur toi en dehors de la librairie. » J'eus un rire « Clairement, j'suis trop contente, j'adore que le hasard te remette sur mon chemin pour que j'ai le fin mot de cette histoire et savoir ce que ta femme a pensé des livres », répliquai-je. « Mais d'ailleurs je pourrais peut-être lui demander son avis directement, à l'occasion. Je dois la connaître si elle bosse sur le set, c'est qui ? » Demandai-je avec un grand sourire, naïve que j'étais.


@Spencer Blackwell

L’apparition presque providentielle de la grande blonde de la librairie te sauve d’une attente infernale dans un lieu considéré comme hostile par ta petite personne. Pour dire, tu préférerais largement être en train de patienter au beau milieu du bush australien, en plein soleil que de potentiellement venir à croiser Margot et tout ce qui pourrait en découler. Bon, peut-être que t’exagères un peu le trait, la dernière rencontre avec elle c’était un savant mélange de regards en biais et d’ignorance complète ; à peu de chose près, ça ressemblait à la relation que vous aviez à l’époque où Mac et elle sortaient ensemble et que tu crevais de jalousie dans ton coin sans pour autant l’assumer. Probablement les interactions les plus pacifiques et chill que vous aurez jamais, finalement. Dans tout ça, le truc qui te fait le plus chier c’est qu’elle puisse le faire payer à ta fiancée d’une façon ou d’une autre. Retour sur l’inconnue de la librairie à qui tu adresses un sourire en acquiesçant, « au moins je saurai vers qui me tourner la prochaine fois que je veux acheter un livre. » Enfin ça, ça implique que tu retournes dans le même endroit, au même moment qu’elle, et c’est sans doute peu probable que ça arrive à nouveau (à moins qu’elle ne passe sa vie là-bas, ce qui n’est pas impossible non plus.)
Drôle de coïncidence, vu qu’elle bosse également ici. Dur à dire ce qu’elle y fait, peut-être qu’elle est consultante ou maquilleuse ou peu importe, elle n’en parle pas et tu ne presses pas non plus. A la place, tu soulignes le fait que la surprise de la recroiser dans un tel endroit est amusante, sous-entendu, pas forcément désagréable. « Heu… Techniquement elle bosse pas sur le set. Pas vraiment. » Elle y est pas directement impliquée en soit, et au bout d'un moment elle finira par ne plus avoir à venir vu que son rôle aura atteint sa limite, « fin elle est chargée de comm dans la maison d’édition, du coup elle traîne surtout avec l’autrice du bouquin ? » Toi t’y comprends pas grand chose à tout ça, c’est pas nouveau. T’en connais le minimum syndical parce qu’elle t’en a parlé brièvement par souci de transparence et t’as pas cherché à en savoir beaucoup plus, bien peu désireuse à l’idée d’entendre parler de Margot ou de tu ne sais trop qui encore. Et puis faut le dire, t’es pas franchement sereine à l’idée d’être dans les parages. T’es même presque étonnée qu’on t’ait refilé un pass et que y ait pas eu ta tête affichée dans un coin avec la mention persona non grata inscrite en gros à côté. « Du coup j’sais pas si ça te dira quelque chose mais son nom c’est Mac ? » question posée tout à fait innocemment.

@Marceline Griffiths

oups:

C’était une production d’une histoire avec des thèmes queers, forcément, beaucoup de gens de l’équipe l’étaient, je n’étais pas surprise d’apprendre qu’une de mes collègues était mariée à une autre femme - j’en étais même ravie. J’étais arrivée à un moment de ma carrière où je pouvais même littéralement mettre dans mon contrat une clause autour de la diversité des équipes, et j’étais ravie d’utiliser ce levier. Il faisait peut-être froncer des sourcils certains producteurs un peu vieux jeux, et je n’étais pas naïve quant à l’état de l’industrie du cinéma, mais je me disais que ça évoluait un peu. Et puis, si beaucoup d’acteurs queers ne voulaient pas être type-castée, j’étais personnellement plus que ravie d’aller dans des projets où je jouais des personnages queers, c’était devenu la majorité de mes rôles de cinéma et j’en étais fière. Tant pis si ça me coûtait d’autres opportunités. « Heu… Techniquement elle bosse pas sur le set. Pas vraiment. » Je levais un sourcil, curieuse, m’imaginant que peut-être la jeune femme mystère devait bosser à la production, ou quelque chose du genre. J’étais, en cet instant, à mille lieux d’imaginer la suite de la conversation.

« fin elle est chargée de comm dans la maison d’édition, du coup elle traîne surtout avec l’autrice du bouquin ? »

Mon coeur se décrocha et rebondit dans ma poitrine, provoquant un drôle de bruit entre mes côtes. Je clignais des yeux, essayant de me dire que j’avais mal compris, ou qu’il y avait une autre chargée de comm que je n’avais pas encore rencontré, parce que ce n’était pas possible, non, putain, non…

« Du coup j’sais pas si ça te dira quelque chose mais son nom c’est Mac ? »

Mac. Evidemment. J’eus un espèce de rire étranglé.

« T’es Spencer ? » Demandai-je bêtement, parce que oui, de toute évidence, c’était Spencer, et je continuais à avoir un espèce de rire bizarre, comme si j’avais une espèce de crise de nerf, mon ton avait été sec, agacé, parce que ce n’était pas possible, comment est-ce que c’était possible ?! « Mais depuis quand vous êtes mariées ? Je croyais que c’était juste des fiancailles » Ajoutai-je, parce que Mac m’avait parlé d’être fiancée, pas mariée, pas qu’elle devait exactement me tenir au courant de ça. Je voyais sur le visage de Spencer qu’elle comprenait rien à la tournure de la conversation, et ça m’agaçait encore plus. « Mais comment tu m’as pas reconnue ? » M’étonnai-je, plus énervée que je ne l’aurais voulu, parce que comment est-ce que Spencer ne pouvait pas me remettre alors que j’étais probablement l’ex de Mac dont elle avait dû voir le visage le plus souvent, vu le nombre de billboards avec ma tronche. « Enfin elle m’a dit que tu savais qui j’étais, et qu’on allait bosser ensemble, mais elle m’a peut-être menti, ça serait pas la première fois », ironisai-je. « Je suis Marceline. Tu sais, l’ex pour qui elle n’a pas voulu quitter Margot ? Juste avant qu’elle ne quitte Margot pour toi ? » hahahahahahahaa!!!!!!!


@Spencer Blackwell

L’ambiance jusqu’alors légère change drastiquement à la seconde où tu lâches le prénom de ta fiancée. La blonde face à toi lâche un petit rire à la con que tu n’interprètes pas. Son sourire s’est évaporé, tout son corps est soudainement tendu et tu te demandes à quel moment t’as gaffé et sur quel sujet. La réponse ne tarde pas, vu qu’elle demande la confirmation de ton prénom et tout ce que t’arrives à faire, c’est bégayer un « heu… oui ? » un peu paumé alors qu’elle enchaîne sur ton statut marital. Quoi, elle est vexée de pas avoir reçu de carton d’invitation ou ça se passe comment ? Y a encore trois secondes elle parlait de queer solidarity et maintenant elle a l’air de carrément mal prendre un terme employé plutôt qu’un autre. « Bein c’est l’étape suivante quoi… » que tu marmonnes toujours sans comprendre d’où vient ce revirement si soudain. « Mais comment tu m’as pas reconnue ? » Confuse, tu clignes des yeux en cherchant si tu es supposée la connaître, si peut-être tu l’as déjà croisée ailleurs qu’à la librairie, peut-être il y a des années de ça, genre une pauvre pigeonne que t’aurais arnaquée ou délestée de quelque centaines de dollars pour pouvoir aller te payer un fix ou un vieux sandwich triangle bien trop cher et un peu dégueu. « J’te dois de l’argent ou… » à peu de chose près, on pourrait croire que t’es en train de te foutre de sa gueule alors que promis, c’est pas le cas. Visiblement pas, elle revient sur Mac, sur le fait qu’elle est supposée t’en avoir parlé, que t’étais censée être au courant et qu’elle a probablement encore menti. Mais de quoi elle cause et pourquoi elle le fait aussi vite, ça n’a aucun sens, et surtout ça t’agace de l’entendre traîter ta meuf de menteuse. Tu lui dirais bien de ralentir, de te laisser deux minutes pour rassembler tes idées et relier les points. Marceline, donc, pour qui Margot n’a pas été quittée contrairement à toi et ton absence de réaction immédiate tranche avec l’agitation dont fait preuve la grande blonde.
« Attends, attends, » ça y est, tu crois avoir compris, et si c’est pas ça vraiment, tu vois pas, « c’est toi la meuf de Netflix, là ? » Tu demande sans être certaine de ta déduction. En même temps avec un prénom aussi long, c’est pas étonnant que t’aies pas retenu. Et puis,  « si c’est ça, oui, j’suis au courant… Désolée de pas avoir mené l’enquête pour savoir qui t’étais et à quoi tu ressemblais, hein. » Tu mentirais si tu disais que t’as pas été curieuse, mais t’es pas du genre à aller stalker les ex de ta copine. « Toi par contre t’as l’air d’en connaître un rayon sur moi. » La vraie question, c’est de savoir quoi et de qui ça vient, parce que si c’est Margot qui lui a parlé de toi, le portrait risque d’être un peu salé. Lèvres pincées, tu viens te gratter la joue en jetant un coup d’oeil aux alentours, priant pour que quelqu’un, n’importe qui arrive et vienne à ta rescousse. A ce stade, tu serais même contente de voir l’autrice débarquer, c’est dire. « Du coup enchantée, j’imagine. » Dieu que la situation est embarrassante.

@Marceline Griffiths  

Je n’étais pas sûre de comprendre pourquoi le premier réflexe de Spencer était d’imaginer qu’elle me devait de l’argent, mais je n’avais pas le temps de m’attarder sur la réflexion, trop retournée par la révélation que la blonde sympa de la librairie n’était autre qu’une fille sur laquelle je m’étais arrachée les cheveux plus d’une fois ; d’abord quand j’étais avec Mac, et que je réparais son coeur toujours amer de la trahison de son ancienne meilleure amie, puis quand nous avions rompu et que j’avais appris plus tard qu’elle et Spencer s’étaient mise ensemble, oui, que Mac avait rompu avec Margot pour quelqu’un, un quelqu’un qui n’était pas moi, apparemment. Je l’avais encore amer, dans l’arrière de la gorge, comme une gamine qui n’a pas accepté qu’on refuse de jouer avec elle à la cour de récré. Si ma relation avec Andy n’avait pas explosé, il y a quelques semaines, peut-être que je n’en serais pas là, que je rirais de la coïncidence. Mais j’étais trop malheureuse, en colère contre moi, contre le monde entier.

Il fallut un moment à Spencer avant qu’elle ne comprenne ce qui était en train de se passer. « Attends, attends, c’est toi la meuf de Netflix, là ? » Mon visage rouge devint blême, et je sentis que mes traits se contorsionnaient en un rictus peu flatteur. LA MEUF DE NETFLIX ???? « J’ai un prénom. » Et un golden globers de la meilleure actrice, au passage, pétasse, non mais sérieusement, la meuf de Netflix ?!!!

« Si c’est ça, oui, j’suis au courant… Désolée de pas avoir mené l’enquête pour savoir qui t’étais et à quoi tu ressemblais, hein. » Ah, super, elle faisait partie de ces meufs stables et cools qui ne passaient pas des heures sur instagram ou LinkedIn ou reddit à la recherche de la tête d’une inconnue. Ce n’était pas la peine de s’en vanter !! Mon dieu, je savais que j’avais l’air ridicule à m’énerver ainsi, c’était humiliant et ça me mettait encore plus en colère, je ne savais pas quoi faire de toutes ces émotions insupportables. J’étais prise au piège : moi qui me plaignais toujours de me faire reconnaître, de perdre mon anonymat, voilà que je me plaignais que Spencer ne me remette pas. Mais en même temps, putain : j’étais une actrice sur des billboards dans la rue. Jamais elle n’avait vu ma tête ?! Voulu faire le lien ?! Aaaah. « Toi par contre t’as l’air d’en connaître un rayon sur moi. » Je n’arrivais pas à savoir si c’était une question, une affirmation, si ça inquiétait Spencer, tout ce que je savais, c’est qu’elle n’avait pas l’air ravie de la conversation. Tant mieux, on était deux, au moins. « Mac m’a parlé de toi, quand on était ensemble. » Je me mordis la langue pour ne pas rajouter : tu sais, à l’époque où c’était horrible entre vous parce que tu l’avais abandonnée ??? « J’avais retenu ton prénom, personnellement », pas comme d’autre, hm, hm, « et je bosse avec elle, maintenant, alors oui, elle m’a dit que vous étiez fiancées. » Je serrai les dents. « Félicitations. » Les félicitations les plus glaciales que j’avais pu donner. C’était débile, en plus, il y a deux mois, quand Mac m’en avait parlé, j’avais un peu souri, parce qu’à l’époque, je m’apprêtais à avouer mes sentiments à Andy, et j’étais pleine d’espoir. Maintenant, j’étais juste pleine d’amertume.

Spencer avait l’air de vouloir disparaître, j’aurais presque pu avoir un peu de pitié, si je n’avais pas été coincée dans mon drôle de rôle de méchante ex. « Du coup enchantée, j’imagine. » Je fis un mouvement de la tête, un espèce de hmmhmm oui, oui. « Je suppose qu’on était destiné à se croiser sur le set, de toute façon », dis-je avec un espèce de fatalisme étrange.


@Spencer Blackwell

Y a quelque chose dans la façon dont son visage se tord qui te fait comprendre que t’as peut-être dépassé les bornes sans même le vouloir. D’abord, tu crains de l’avoir vexée en ne la reconnaissant pas, et puis tu te rappelles que jusqu’à ce qu’elle fasse le lien, ça n’avait pas l’air de la déranger plus que ça. Rapide calcul dans un coin de ton crâne : le problème de l’équation, c’est donc bien toi. « Bein… J’y connais rien en films non plus. » Que ça soit en termes de musique, en littérature ou en cinéma, t’es zéro, vraiment pas le genre de meuf qu’on veut dans son équipe lors d’un quizz de pop culture. Dieu sait que Mac a essayé, pourtant, tu comptes plus le nombre d’oeuvres qu’elle a essayé de te faire voir, écouter ou lire, et vraiment, ça t’intéresse si peu que t’as jamais rien emmagasiné de ce côté là. Partant de ce postulat là, tu ne t’intéresses que peu (pas du tout) à tous les potins people, pour toi, c’est vraiment un monde à part. « Du coup j’ai pas retenu. » Le pire dans tout ça, c’est que tu n’essaies même pas de te montrer insolente. A une époque peut-être que ça aurait été le cas, sûrement, même, mais aujourd’hui… C’est pas que tu t’en fiches, mais pas loin.
« Mac m’a parlé de toi, quand on était ensemble. » Un peu malgré toi, tu tiques, ne sachant pas vraiment où te mettre. « Ah… Ouais. » Bien sûr, qu’elle a parlé de toi qui venait de revenir après plus de deux ans de silence, des retrouvailles houleuses avec trois grammes dans le sang un soir de nouvel an et s’il y a beaucoup de flous de cette soirée, tu te rappelles parfaitement les larmes dans ses yeux et la voix étranglée sous le coup de l’émotion. « T’as pas dû avoir le meilleur portrait, à l’époque… » Pour le coup, t’es vraiment curieuse de savoir en quoi ont consisté les discussions ayant ta petite personne comme sujet principal. Ce qu’elle a dit, en quels termes, à quel point elle était triste ou en colère et est-ce que quelque part il reste toujours des résidus de cette rancœur mais qu’elle préfère te les épargner ? Pauvre sourire à la con, tes mains viennent disparaître dans le fond de tes poches pour éviter de te tordre les doigts comme une gamine qu’on est en train de rabrouer parce qu’elle a fait une connerie. Tu sais, t’en as conscience, t’essayes toujours de passer à autre chose et de ne pas trop t’en vouloir, mais c’est peine perdue. Lèvres pincées, tu t’éclaircis la gorge avant de reprendre, « écoute, heu- » non, y a rien à faire, son prénom ne te revient décidément pas, tout ce que tu peux faire c'est éviter de l'appeler Machine et de la faire imploser sur place. « Pour c’que ça vaut, je suis désolée que ça se soit passé comme ça. » Tu pourrais sortir les excuses du type “je savais pas que t’étais là, toi aussi”, “tu la connais pas comme moi”, “tu sais pas à quel point on en a chié pour en arriver là” ou peu importe quel motif à peu près valable dans ton esprit, y a probablement rien qui te dédouanerait à ses yeux. Dommage, t’as envie de dire, t’étais presque contente à l’idée d’avoir rencontré une meuf un peu sympa qui te connaisse pas d’avant. « Enfin si ça peut te rassurer, j’attendrai dehors la prochaine fois. Je viens pas pour foutre une sale ambiance. » T’as ni l’envie ni l’énergie de gérer des rencontres régulières avec elle ou Margot et t’imagines que c’est pareil de l’autre côté.

@Marceline Griffiths

J’ai un mauvais pressentiment, c’est vraiment une phrase de loser qui vient remplir un plothole avec du béton pas du tout subtil pour justifier qu’un personnage se rue pile dans le guêpier, généralement, et j’aime ni la fainéantise, ni les losers. Pourtant, c’est dur de trouver une raison à ce mal de ventre (non poussée par la narrative) qui me chuchote que quelque chose qui pue est en train de se passer et que je vais me le prendre en pleine face. Maintenant que j’y pense, j’aurais aussi pu blâmer Marceline, laquelle nous faisait vivre chaque mouvement de l’opus 58 d’Elektra comme si on était sur place, entre le rire fort, les larmes encore plus fortes, et la discrétion légendaire d’un tuba wagnérien pour accompagner le tout. Les semaines compliquées s’enchaînaient sans qu’on ne sache les distinguer, sur le plateau, et si j’étais maintenant reléguée au rôle de la responsable de comm’ qui passe de temps en temps, fait un pouce en l’air et se barre après inspection des travaux, je redoutais quand même chaque jour où je devais m’y rendre et envisageais dès la veille au soir de courir toute nue sous la pluie pour attraper froid et devoir malencontreusement décaler ma venue. La seule chose qui m’en empêchait, outre ma conscience professionnelle immaculée, c’était la fâcheuse conscience que si Marceline était dans tous ses états, c’était en partie de ma faute. A ça, elle répondrait sûrement non, mais même pas à 5% si je lui demandais, avant de me dire que le monde ne tournait pas autour de moi et qu’après plus de deux ans, il serait temps de passer à autre chose. Mais je savais que bosser avec son ex, c’était jamais facile : je bossais avec trois exs, j’étais donc un peu une experte dans ce sujet, ainsi que celui de me compliquer la vie.
Je badge à la sortie du set, clope entre les lèvres et prête à choper Spencer sur le passage pour m’en aller en courant sans regarder en arrière, et j’ai le malheur de relever la tête juste pour tomber sur ma fiancée toute penaude et sur mon ex (+/-5%) remontée comme jamais, chacune visiblement aussi confuse l’une que l’autre. C’est bien la seule chose qu’elles partagent, parce que le silence vient nous étouffer en un temps record et je me sens obligée de dire « coucou », un frisson chaud me cueillant la nuque comme pour y souffler que si, finalement, c’est bien moi, la loser. Un ange passe et si Marceline avait des lasers à la place des yeux, il serait mort troué dans tous les sens. « Ça fait longtemps que tu m’attends ? » Toute expérimentée sois-je en matière d’exs au boulot, poser la main sur le bras de ma fiancée et lui embrasser la joue devant l’une d’elle n’est pas moins bizarre (sinon un peu révoltant d’une certaine manière). « Vous vous êtes croisées, du coup ! Bah Spence-Marceline, Marceline-Spence. » Je déclare ça avec le sourire contracté d’un robot qui a déjà pété huit ou neuf faisceaux. Personnellement, je pense en avoir pété plus en tant qu’humaine.

@Spencer Blackwell @Marceline Griffiths

« T’as pas dû avoir le meilleur portrait, à l’époque… » C’était un sacré euphémisme, ouais, et je devais me retenir pour ne pas pousser un soupir ou un sifflement entre mes dents. Ca ne m’arrangeait pas du tout, cette histoire, j’avais prévu de détester Spencer par principe, pas de l’avoir trouvé cool dans une librairie et ensuite vaguement attachante à appeler Mac sa femme, putain. « On peut dire ça comme ça, oui », je répondis simplement, avec un petit sentiment de supériorité qui ne durera que quelques minutes, mais qui me faisait du bien. J’avais envie que Spencer soit dans ses petites souliers, qu’elle se sente un peu stupide, parce que c’était moi qui me sentait conne, au fond. Le cœur en mille morceaux pour une énième fois, la starlette qui pleurait sur le set, pendant que Mac filait le parfait amour avec Spencer. Mais en cet instant, c’était Spencer qui avait les mains dans les poches, qui devait se refaire une réputation, après tout ce que j’avais entendu sur elle.  « écoute, heu- » Elle bredouilla, cherchant ses mots - ou mon prénom ?! « Pour c’que ça vaut, je suis désolée que ça se soit passé comme ça. » Dans un autre contexte, j’aurais pu l’entendre, l’accepter, peut-être même en rire. Si j’avais Andy qui m’attendait à la sortie du set aussi, par exemple. Mais à la place, je me contentais de toiser Spencer sans rien dire, parce que je n’avais rien à dire, en vérité. Rien d’autre que je voudrais être mature et heureuse pour vous mais je vous déteste comme je déteste toutes les putains de couples de meufs qui sont heureuses. « Enfin si ça peut te rassurer, j’attendrai dehors la prochaine fois. Je viens pas pour foutre une sale ambiance. » « J’vais pas te bannir du set », répliquai-je, un peu agacée qu’elle m’imagine aussi gamine, même si c’était effectivement ce que j’étais en train de lui montrer.

Je m’apprêtai à essayer de trouver de ma superbe, de peut-être essayer de jouer la meuf cool, finalement, mais c’était peine perdue : Mac débarqua de l’autre bout du couloir, et la voir arriver à notre hauteur, embrasser la joue de Spencer avec une familiarité aussi mignonne que déplaisante. « Vous vous êtes croisées, du coup ! Bah Spence-Marceline, Marceline-Spence. » J’avais envie de pleurer. C’était stupide, j’étais stupide, mais je ne pouvais pas m’empêcher de sentir ma gorge se serrer, parce que je me sentais ridicule, minuscule, aussi chiante que dramatique, et pourtant, une petite voix de gamine en moi avait envie de demander pourquoi ça tombe sur moi et de fondre en larmes. J’inspirai, essayant au moins de redevenir désagréable et imposante, avec mon regard qui foudroyait. Mais le cœur n’y était pas vraiment, au fond. « On s’était déjà croisé, en fait », dis-je d’une voix un peu éteinte. « Apparemment, t’as kiffé mes recos lecture. De rien, du coup », je fis un sourire pincé. Je me tournai à nouveau vers Spencer, ignorant brièvement Mac. « Peut-être qu’elle », geste vers Mac, « t’a dit que j’étais caractérielle, ou chiante sur ce set, j’en sais rien, mais t’inquiète, je suis une adulte, je sais me tenir. Tu m’as juste prise de court. » Je redressai un peu mes épaules, passai ma main dans mes cheveux. « Profitez bien du lunch date, et on se recroisera, je suppose. » Je me tournai cette fois-ci vers Mac - ses grands yeux bruns, son visage un peu constrit par la gêne. « Tu me feras une review détaillé des livres, hmm ? » Sourire en coin, le peu de fierté qui me restait, avant de partir, non sans panache, pour aller manger (pleurer) dans mon trailer.



@Spencer Blackwell @Mac Sutherland

First of all :  outch, secondly : fair point. Y a probablement pas pire sensation que celle de se sentir toute petite face à quelqu’un qu’on ne connaît pas et qui pourtant a l’air d’avoir une idée bien précise de qui tu es. De ton côté, tu as autant d’informations à son sujet et son image se résume à “c’est une meuf droite dans ses bottes, qui a réussi sa vie et qui est appréciée de tous, Mac l’a aimée pendant que t’étais pas là” et si forcément ça vient titiller ta jalousie, ça fait surtout sacrément mal à l’égo de se retrouver face à quelqu’un comme ça. Dans la finalité des choses, c’est pourtant bien toi qui a été choisie et si parfois tu as encore du mal à comprendre pourquoi, tu imagines sans aucun mal l’aversion qu’elle peut te porter.
Dans un contexte pareil, la meilleure chose à faire est encore de baisser les yeux et de demander pardon ; ça tombe bien parce que t’es particulièrement douée pour ça. Moue pincée sur les lèvres, tu bafouilles quelques tentatives d’excuses un peu foireuses, tu ranges tes mains dans le fond de tes poches histoire d’éviter de trahir la nervosité qui grimpe en flèche et t’as bien conscience que tes mots sonnent sans doute un peu creux dans ses oreilles. Ca lui fait une belle jambe, tout ça, mais t’as rien de mieux en stock alors il faudra qu’elle s’en contente. Promis, t’éviteras de t’aventurer autant la prochaine fois que tu mets les pieds dans le coin. « Ouais enfin… Toi peut-être pas, mais t’es pas la seule à avoir une dent contre moi ici. » Vague haussement d’épaules un peu désinvolte, elle n’est sans doute pas sans savoir que d’autres ici ne se gêneraient pas pour te bannir. Ou te faire un croche-pied. Ou les deux. Dans tous les cas, tu ne tiens pas non plus à courir le risque de croiser une ex en colère à chaque virage, alors autant assurer le coup et rendre service à tout le monde par la même occasion.

Encore cinq minutes comme ça et tu commences à shooter dans des cailloux comme une gamine qu’on vient de rabrouer parce qu’elle a sauté à pieds joints dans une flaque. Heureusement pour toi, quelqu’un vient mettre un terme à l’instant gênant, Mac, forcément, et bon sang que t’es soulagée de la voir. En arrivant à votre niveau, elle a l’air à peu près aussi mal à l’aise que vous ne l’êtes mais au moins, tu te sens déjà soulagée de sa présence à tes côtés. Même si le baiser sur la joue laisse une sensation étrange sous les yeux de la grande blonde, tu ne peux retenir ton petit sourire à la con. C’est même pas une question de te montrer insolente face à Marceline, c’est juste que t’es contente de savoir que vous allez bientôt vous en aller. Mac fait de brèves présentations histoire de, Marceline s’empresse de répliquer en précisant que vous vous êtes déjà croisées, ce à quoi tu ne peux qu’ajouter un bête « ouais, on a déjà eu l’occasion de discuter un peu… » un peu pincé. Avec le recul, l’histoire sera un peu drôle à raconter, mais pour maintenant, c’est plus gênant qu’autre chose. Ton regard retourne sur Marceline lorsqu’elle s’adresse à toi et tu te contentes de secouer la tête l’air de dire “elle m’a rien dit de tout ça”, sans pour autant avoir l’opportunité de l’exprimer à haute voix. Elle enchaîne, visiblement prête à prendre congé et cette fois, elle prend tout de même la peine de vous souhaiter un bon date, appréhendant déjà plus ou moins une prochaine rencontre. « Ouais, j’imagine… » Merci, tu voudrais ajouter, mais t’es à peu près certaine que la marque de politesse risquerait d’être mal prise alors tu la garde pour toi. Encore quelques mots et puis elle s’éloigne la tête haute (ou alors elle la lève juste pour essayer de ne pas pleurer, c’est également une possibilité), et tu respires enfin. Ta main encore bloquée dans la poche de ton jean sort et vient chercher celle de ta fiancée. « C’était… Intéressant, » que tu lâches comme un bête constat en jetant un oeil dans sa direction. « Du coup j’ai plein de trucs à dire pendant le repas. » D’un côté ça risque de la faire rire et de l’autre, elle risque surtout de s’insurger que t’aies pas réussi à reconnaître une meuf aussi connue en la croisant à la librairie. Pour ta défense, la lumière était pas extrêmement bonne dans le magasin… (Non pas que ça aurait changé quoi que ce soit de toute façon, mais hé.)



@Mac Sutherland @Marceline Griffiths