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@Jayden Holmes   • août 2024

Exposer chez Aubrey est déjà un accomplissement qu’elle n’attendait pas, et Meï est restée sur son petit nuage quelques jours après son entrevue avec la belle blonde, avant que celle-ci ne lui annonce qu’un acheteur avait demandé à la rencontrer après avoir craqué sur l’un de ses tableaux ; en entendant ces mots être prononcés dans le combiné du téléphone, la petite rêveuse n’avait pas su quoi répondre pendant quelques secondes, tout d’abord atterrée de cette nouvelle inespérée, qui l’avait néanmoins remplit d’une joie qu’elle s’est empressée de partager avec sa meilleure amie, Monsieur Billy et, bien entendu, Lincoln — le dernier ayant moins le choix que les deux autres. N’ayant guère l’habitude de ces rencontres avec les personnes qui achètent ses peintures, la brune a passé une bonne partie de la matinée à essayer des tenues sous l’oeil grandement observateur de Lani, statuant finalement sur un ensemble confortable mais élégant, attachant ses cheveux en un chignon déstructuré avant d’embarquer dans le taxi venu la chercher pour la conduire à la galerie, en ayant l’impression que son coeur tente de s’extirper de sa cage thoracique pour bondir sur le siège vide à côté du sien. ’’C’est encore loin ?’’ qu’elle demande en passant machinalement ses mains de chaque côté de son visage, faisant confiance à ses doigts pour déceler le moindre défaut dans son apparence ; c’est qu’elle veut faire bonne impression, celle qui franchit l’entrée de la galerie en ayant l’impression que mille paires d’yeux se braquent aussitôt sur elle. Se sachant à l’avance, elle use de sa canne pour rejoindre une petite salle où elle peut abandonner ses affaires dans un coin, avant d’attraper une bouteille d’eau pour en boire une longue gorgée… Et s’il la trouve inintéressante ? Ou s’il est déçu de la personne qu’elle est ? Elle ne sait pas trop ce qu’il attend de cette rencontre, le client fortuné dont on ne lui a pas communiqué le nom - elle se rend compte également qu’elle n’a pas demandé, même si elle a compris qu’elle ne devait pas l’ébruiter. En attendant qu’il arrive, elle s’installe dans un fauteuil en prenant une fine inspiration, tâchant de calmer ses appréhensions et son stress avant de faire sa connaissance… Mais qu’est-ce qui pourrait mal se passer ?

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@Maeve Wang   • août 2024

« Microbe ? Tu es là ? Dis, tu peux garder Joe pour moi ? J’ai une intervention et la baby-sitter est malade. Microbe ? » Jayden, enfoui dans son dressing, relève la tête et sort du placard avant de crier pour que son frère, au rez-de-chaussée, puisse l’entendre. « Pas de souci, je suis à l’étage, mais elle devra sortir avec moi, j’ai un rendez-vous ! » Une tornade brune aux cheveux bouclés déboule alors dans la chambre en criant : « TONTON !! On va voir Izan ? » Jayden accueille sa nièce avec un sourire avant de la couvrir de baisers. « Non, on ne va pas voir Izan. J’ai rendez-vous avec une dame. » Troy arrive à son tour et se laisse tomber sur le lit, attrapant sa fille pour permettre à son frère de finir de s’habiller. « Une dame… Tu ne serais pas en train de faire la plus grosse erreur de ta vie ? » Enfilant une chemise blanche basique qu’il rentre dans son jean, Jayden lève les yeux au ciel. « Ce n’est pas un rendez-vous, je vais simplement lui acheter un tableau. »

Troy semble à la fois rassuré et déçu, mais il n’a pas le temps de faire la morale à son frère. Après avoir embrassé le haut de sa tête, décoiffé ses boucles et ajusté sa tenue, il part, laissant sa fille et son frère à leurs occupations. « C’est qui la dame qu’on va voir, tonton ? » demande la petite fille en serrant la main de son oncle alors qu’ils marchent en ville. « C’est une dame qui fait de la peinture. Une artiste. » Les yeux de la petite s’illuminent, elle imagine Raiponce, sa princesse favorite, qui, elle aussi, fait de la peinture. « Tonton, je veux être artiste moi aussi quand je serai grande ! » Jayden rit légèrement avant de répondre : « Tu ne veux pas devenir ninja ? » dit-il en entrant dans la galerie où le rendez-vous doit avoir lieu. « Si, mais je peux être ninja et artiste ! »

L’acteur secoue la tête, amusé par l’idée d’une peintre ninja. Quoi qu’elle décide de faire, elle pourrait toujours compter sur son oncle, sa tante et son père pour être ses premiers fans. Jayden sent qu’on l’observe, mais il ne dit rien, se concentrant sur sa nièce qui babille en regardant les œuvres d’art autour d’eux. Il soulève sa nièce dans ses bras, la connaissant trop bien pour risquer de retrouver les œuvres couvertes de traces de doigts, et finit par repérer son rendez-vous. Il s’approche de la femme en souriant. « Mademoiselle Wang ? » demande-t-il en lui tendant la main, tenant sa nièce sur son bras gauche. Il n’avait pas été informé des problèmes de vue de l’artiste. Joe se penche un peu en avant : « Bon’jour m’adame ! Tonton, il vient acheter un tableau de toi ! » L’Anglais sourit, adressant un regard à sa nièce pour lui indiquer de ne pas crier. « Ma chérie, on t’entend très bien. » Il dépose la petite fille sur un fauteuil et lui glisse un carnet de coloriage dans les mains, qu’il avait emporté dans un sac à bandoulière pour l’occuper. « Ne mets pas de crayons sur le fauteuil. »

Jayden prend enfin place en face de la jeune femme et l’observe en silence un instant. « Je voulais vous féliciter, vos œuvres… sont vraiment magnifiques. Elles me touchent profondément. Il y a quelque chose de doux et de reposant qui s’en dégage ; je suis resté fasciné devant votre tableau pendant de longues minutes. » Il n’a aucune honte à l’admettre, son œuvre avait parlé à son âme, signe d’un grand artiste. « Je tenais absolument à vous rencontrer pour vous exprimer toute l’admiration que j’ai pour votre travail. » Joe, qui balance ses pieds dans le vide en coloriant, relève la tête : « Mon tonton aussi il fait de la peinture, mais il ne veut pas me montrer ! » Jayden rougit furieusement et regarde sa nièce. « Je… ne fais pas de peinture. Finis ton coloriage. »

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@Jayden Holmes   • août 2024

Le silence est aussi pesant que l’attente, puisque la demoiselle a le loisir de se faire une panoplie de scénarios qui sont tous plus ou moins stressants, même si elle s’efforce de travailler son sourire et sa posture pour qu’ils restent détendus même si, dans les faits, on sent bien que l’exercice est nouveau pour elle, et qu’elle n’est pas franchement à l’aise dans cette situation. Mains jointes sur ses cuisses, dos droit (ou elle essaye de le maintenir ainsi), nuque légèrement inclinée sur le côté et sourire affable, elle sursaute presque en entendant des pas qui se rapprochent, se formulant l’idée saugrenue qu’elle n’est pas prête ; à quoi, c’est une excellente question. « Mademoiselle Wang ? » lissant machinalement les plis de sa jupe, elle se redresse sur ses jambes en élargissant son sourire, se rendant rapidement compte qu’il y a deux personnes qui s’avancent en sa direction ; elle n’a pas été prévenue que son client serait accompagné mais, cela ne la dérange pas vraiment, supposant simplement qu’il s’agit de la femme de ce dernier, jusqu’à ce qu’une voix juvénile se fasse entendre, en attendrissant considérablement ses traits « Bon’jour m’adame ! Tonton, il vient acheter un tableau de toi ! » puisqu’elle n’a pas pu voir la main qui lui était tendue, elle s’est légèrement penchée en direction de la petite fille, en s’aidant de l’écho de sa voix qui lui permet de la localiser dans son environnement, pour lui dire avec douceur ’’Il est gentil, tonton, de te mener avec lui. Tu veux boire quelque chose ?’’ - « Ma chérie, on t’entend très bien. » elle se redresse en regardant devant elle, sans véritablement englober la présence de ses interlocuteurs dans son champ de vision ; d’ailleurs, ils doivent se rendre compte qu’elle ne les regarde pas franchement en face, ni même qu’elle suit leurs mouvements lors de leurs déplacements, pour la simple et bonne raison que cela lui est tout bonnement impossible. «Je voulais vous féliciter, vos œuvres… sont vraiment magnifiques. Elles me touchent profondément. Il y a quelque chose de doux et de reposant qui s’en dégage ; je suis resté fasciné devant votre tableau pendant de longues minutes.» les mots la touchent en plein coeur, puisque l’éloge qui lui est faite vient lui conférer un sentiment de légitimer dans le monde des artistes ; il n’y a rien de plus beau que d’entendre que son art parle, se forme en un langage que seuls les plus sensibles, ceux qui ont les émotions en écho, qui peuvent le comprendre. « Je tenais absolument à vous rencontrer pour vous exprimer toute l’admiration que j’ai pour votre travail. » - ’’Ça me touche énormément…’’ nul besoin de le préciser puisque l’émotion brute est lisible sur son visage, si bien qu’elle peine à déglutir en essayant de maintenir son masque de façade, redoutant que les larmes bienheureuses qui menacent de couler sur ses joues ne ternissent sa crédibilité face à l’homme qu’elle ne connaît pas. ’’Excusez-moi, je suis un peu trop sensible…’’ sans tourner son menton vers la table d’appoint, elle fait tâtonner sa main jusqu’à rencontrer la boite de mouchoirs, en dérobant un pour venir le tamponner sous ses paupières rendues humides. ’’Je suis heureuse d’entendre que mon art touche. C’est toute la raison qui me pousse à peindre ; pour des rencontres comme la notre. Merci d’avoir fait cette démarche…’’ marquant un temps d’arrêt, elle passe la pointe de sa langue sur ses lèvres avant de reposer sa main sur ses cuisses. ’’Excusez-moi, on ne m’a pas communiqué votre prénom ? À moins que vous souhaitiez rester anonyme ?’’ elle le demande en croyant qu’il sait pour son handicap — bien qu’il doit l’avoir compris depuis le temps, avant d’être happée par la révélation faite par la petite fille trop bavarde. « Mon tonton aussi il fait de la peinture, mais il ne veut pas me montrer ! » elle entend presque la gêne qui s’installe dans le coeur de l’inconnu, mais cela la fait sourire avec un amusement mêlé d’attendrissement ’’Ah oui ?’’ - « Je… ne fais pas de peinture. Finis ton coloriage. » elle entend le frottement de la mine du crayon contre le papier alors, appuyant son bras sur l’accoudoir de son fauteuil, elle tente d’orienter son visage en direction de peintre qui ne veut pas se révéler comme tel, essayant alors de l’encourager : ’’Il ne faut pas être modeste ni gêné. Vu votre sensibilité, je suis sûre que vos oeuvres sont très belles… Vous exposez ?’’ Maeve ne sait toujours pas qui il est et, si elle n’est pas décidée à percer le secret obstinément, elle est néanmoins curieuse d’en apprendre plus à son sujet. ’’Enfin, vous êtes libre de garder le secret sur tout ce qui vous concerne…’’

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@Maeve Wang   • août 2024

« J’veux du lait avec de la fraise ! » s'exclama la petite fille d'une voix exigeante. Un simple regard de son oncle la poussa à ajouter, à contrecœur, un « S’il te plaît, madame » tout en faisant la moue. Jayden esquissa un léger sourire, secouant la tête avec amusement. « De l’eau ira très bien s’il n’y a ni lait ni fraise. Joe a tendance à croire qu’on est à son service, » dit-il d’une voix posée, où perçait cependant un petit air coupable. Il savait bien pourquoi sa nièce se comportait ainsi : c’était à cause de lui, bien sûr. Jayden adorait gâter Joe, la traitant comme la princesse qu’il lui faisait croire qu’elle était. Joe, les yeux curieux et vifs, observa attentivement la dame qui se trouvait en face d’elle et de son oncle. Jayden, anticipant une remarque potentiellement maladroite, intercepta son regard. Il la connaissait trop bien pour ne pas deviner ce qu’elle s’apprêtait à dire - probablement quelque chose à propos du handicap de la jeune femme en face d’elle. Elle n’avait que cinq ans, et à cet âge, on a tendance à pointer du doigt ce qui différencie les autres sans réaliser que cela peut blesser. Avec un geste discret, il lui fit signe de se taire, détournant son attention vers autre chose.

Mais tandis qu’il pensait avoir évité un incident, il fut surpris de voir des larmes monter aux yeux de la jeune femme. Peut-être ses compliments, qu'il pensait innocents, avaient-ils touché une corde sensible. Ne voulant pas la laisser ainsi, il poussa discrètement une boîte de mouchoirs du bout des doigts vers sa main. Un sourire tendre éclaira son visage, bien qu’il se dit qu’elle ne le verrait probablement pas. « Votre art prouve votre sensibilité, » murmura-t-il avec douceur. « Ne vous excusez jamais de ressentir quelque chose. Ne vous excusez jamais pour vos larmes. Ce sont les mots que votre cœur ne peut pas prononcer. » Ces mots étaient sincères, bien qu’il les prononce pour elle autant que pour lui-même. Il s’interdisait de pleurer, ayant appris à la dure que les larmes ne faisaient qu’empirer les choses. Mais pour elle, sa sensibilité était ce qui rendait son travail si beau. Il espérait de tout cœur qu’elle n’aurait jamais honte de ce qu’elle était.

L'ambiance dans la galerie était feutrée, propice à la discussion et à la discrétion. Les murs étaient couverts d'œuvres d'art, baignées dans une lumière douce qui semblait suspendre le temps. Ils étaient presque seuls, seuls quelques murmures flottaient dans l'air, comme un écho lointain. Joe, qui s’ennuyait des conversations des adultes, s’était plongée dans son propre monde. Elle dessinait avec ses pastels, créant un arc-en-ciel de couleurs sur la feuille blanche, concentrée et insouciante, tandis que son oncle observait la scène avec une affection mêlée de mélancolie. La question de l’artiste lui fit relever les yeux vers elle. « Pardon, je n’ai pas pensé à me présenter… Jayden. Mais la plupart des personnes que je connais m’appellent Jay. » Joe, à ces mots, releva la tête. « Papa, il l’appelle Microbe. » L’oncle poussa un soupir à fendre l’âme. « Et vous n’avez plus de secret avec les enfants… » Joe sembla très fière d’avoir apporté sa pierre à la conversation et reprit son œuvre de plus belle.

Sa voix se fit plus grave, trahissant son malaise suite à l'évocation de ses tableaux. « Non… Non, je ne… C’est juste pour moi. Vous êtes bien placée pour savoir que parfois, dans l’art… on en dévoile plus sur nous que sur le monde qu’on prend en modèle. Et de toute façon, je n’ai pas de réel talent. » Il joua avec sa montre, laissant un petit silence s’installer. « Depuis combien de temps faites-vous de la peinture ? » demanda-t-il, espérant recentrer la conversation sur elle et éviter qu’on ne se penche trop sur lui.

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@Jayden Holmes   • août 2024

« J’veux du lait avec de la fraise ! » les lèvres de la peintre s’arrondissent sous la surprise de la demande abrupte, mais également (et surtout) sur la certitude qu’il n’y a rien de tout cela dans les locaux. Même le « S’il te plaît, madame » venu adoucir le manque de politesse ne fait pas apparaître la fameuse boisson comme par miracle, et Maeve tapote ses doigts sur ses genoux en cherchant comment formuler le refus, qui n’est pas vraiment de son ressort — il va falloir qu’elle pense à en acheter pour les prochaines visites de ses clients, peut-être ? « De l’eau ira très bien s’il n’y a ni lait ni fraise. Joe a tendance à croire qu’on est à son service, » relevant machinalement son menton sans poser ses yeux sur le visage de son interlocuteur, elle se redresse en pinçant sa lèvre inférieure, visiblement gênée de ne pas pouvoir satisfaire la demande de la petite princesse ’’J’ai du jus de pomme… Est-ce que ça ira ?’’ essayant de vendre cette option avec un petit sourire chaleureux : si la proposition convient à Joe, Maeve récupère sa canne blanche posée à côté d’elle afin de se diriger vers le frigo blanc positionné à côté du plan de travail et, en sort trois petites briques à l’emballage vert et blanc, avant de revenir le chemin en sens inverse pour reprendre sa place, sinon, elle s’assoit directement dans son siège en lissant de nouveau les plis de sa jupe. Ne pas stresser. Ne pas stresser. Mais difficile de contenir le flot d’émotions qui passent tout près de son coeur lorsque le client fait son éloge ; pour une jeune artiste comme elle, qui a longtemps cru que son handicap l’empêcherait de vivre de sa passion, c’est presque inespéré. « Votre art prouve votre sensibilité, » elle hoche son menton de haut en bas tout en continuant à tamponner le dessous de ses yeux avec son mouchoir, rassurée d’entendre que son interlocuteur ne se moque pas d’elle « Ne vous excusez jamais de ressentir quelque chose. Ne vous excusez jamais pour vos larmes. Ce sont les mots que votre cœur ne peut pas prononcer. » c’est très beau, ce qu’il vient de dire, et elle presse ses lèvres l’une contre l’autre en prenant une fine inspiration, ne pouvant pas résister à l’envie de lui communiquer ’’Vous êtes un vrai poète.’’ qui est dit sans ironie aucune, puisque sa phrase prouve qu’il manie les mots avec éloquence. Un écrivain ? Un journaliste ? Les hypothèses se succèdent dans sa tête, puisqu’elle n’a aucune idée de l’identité de l’homme qui se tient devant elle. « Pardon, je n’ai pas pensé à me présenter… Jayden. Mais la plupart des personnes que je connais m’appellent Jay. » - « Papa, il l’appelle Microbe. » elle sourit avec amusement et douceur quand il soupire bruyamment, même si elle fait fonctionner ses méninges à toutes vitesse ; Jayden… Ce nom ne lui évoque personne en particulier, principalement parce qu’elle ne regarde pas la télévision et qu’elle ne va jamais au cinéma — les films ne sont jamais en audiodescription, là-bas, alors elle n’est pas aidée pour reconnaître la voix de son client, Meï. « Et vous n’avez plus de secret avec les enfants… » - ’’Elle est adorable, alors on lui pardonne.’’ Meï trouve tout le monde adorable, c’est une constante chez elle : même les gens qu’elle ne connaît pas, oui. Mais la petite fille dit des choses hautement intéressantes, outre le surnom alloué à son oncle, puisqu’elle fait savoir que ce dernier peint également, ce qui pousse la brunette à se montrer bien curieuse à son égard, forcément « Non… Non, je ne… C’est juste pour moi. Vous êtes bien placée pour savoir que parfois, dans l’art… on en dévoile plus sur nous que sur le monde qu’on prend en modèle. Et de toute façon, je n’ai pas de réel talent. » elle entend un tintement aigüe qu’elle n’identifie pas tout à fait, et elle perd un peu de son sourire face à la dévalorisation de l’homme qui lui fait face. Elle connaît ça, Meï. Et sans trop savoir pourquoi ni comment, elle a l’impression qu’ils ont quelques douleurs en écho : est-ce que, lui aussi, a été élevé par quelqu’un qui l’a brisé ? Un peu troublée, elle ne réagit pas tout de suite et hausse un sourcil quand il reprend la parole, comme s’il venait de l’extirper de ses pensées « Depuis combien de temps faites-vous de la peinture ? » il détourne la conversation, elle le sait, mais elle n’a pas le coeur à le mettre aux pieds du mur ; elle ne veut pas le faire fuir, ni même remuer le couteau dans une plaie qui, visiblement, continue de saigner. ’’Depuis mon adolescence. Après être devenue aveugle, en réalité… Cela peut paraître paradoxal, je sais. Mais c’est ma façon de maintenir le lien avec le monde, votre monde… Celui que je ne peux pas voir. Il fait toujours nuit chez moi, mais j’essaie de mettre de la couleur dans mes peintures… J’imagine que ça compense.’’ elle esquisse un petit sourire complice en joignant ses deux mains autour de son genou, en regardant quelque part entre les deux fauteuils des Holmes. ’’Ma mémoire me fait parfois défaut, alors il y a des objets qui n’ont pas la bonne forme, dans mes tableaux…’’ émettant un petit rire amusé envers sa propre personne, elle fronce le milieu de son nez avant de déclarer, avec une douceur presque maternelle : ’’L’art, c’est subjectif. Tout le monde a du talent : il suffit d’avoir le bon public.’’

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@Maeve Wang   • août 2024

La demande de Joe mit Jay un peu mal à l'aise. Il acceptait qu'elle se comporte comme une petite reine avec lui, mais il n'appréciait guère qu'elle adopte la même attitude en public. D'un simple coup d’œil, il lui fit subtilement comprendre son mécontentement. Joe n'était pas une enfant méchante ; c'était une petite fille bien élevée, respectueuse et gentille. Cependant, dès qu'elle se retrouvait avec son oncle, elle avait tendance à oublier les bonnes manières inculquées par ses parents. Elle savait qu'avec Jay, le moindre de ses caprices serait exaucé, ce qui la poussait à se montrer plus exigeante que d'habitude. Jay savait qu'il devait changer. Sa nièce n'avait que cinq ans, et elle ne faisait que profiter de la liberté qu'on lui accordait. Il s'en voudrait profondément si, en grandissant, elle finissait par se transformer en une petite peste à cause de lui. Heureusement, Joe se calma rapidement, et la promesse d'un jus de pomme sembla parfaitement lui convenir, comblant ainsi l'absence du lait à la fraise qu'elle réclamait.

Alors qu'il observait l'artiste se lever et partir à la recherche de jus de pomme, malgré sa canne blanche et son handicap, il ne put s'empêcher d'admirer sa détermination et sa force intérieure. Cette femme, qui se déplaçait avec une élégance assurée malgré ses défis quotidiens, incarnait le genre de courage tranquille qui inspire les autres sans un mot. Elle était un exemple vivant de résilience et d'indépendance. Jayden, qui trouvait parfois sa vie compliquée, ne pouvait s'empêcher de relativiser ses propres soucis en la voyant. Cette jeune femme paraissait parfaitement heureuse et épanouie, dégageant une énergie positive qui l'impressionnait. Jay se pencha pour attraper une brique de jus sur la table en bois, que Maeve était partie chercher. Avec soin, il planta la paille dans l’emballage en carton, puis tendit la boisson à sa nièce. Joe attrapa la brique avec un sourire et, après un "merci" poli, tira sur la paille avec plaisir. Il répéta le geste pour l'artiste, non pas en raison de son handicap, car il était persuadé qu'elle pouvait se débrouiller seule, mais simplement par galanterie. Ses mouvements étaient fluides, un mélange d'assurance et de délicatesse, tandis qu'il tendait la boisson à la jeune femme. Enfin, il attrapa sa propre brique et prit une petite gorgée de jus, le sucre explosant dans sa bouche. La saveur douce et fruitée envahit son palais, une sensation agréable qui ajouta une touche de douceur à ce moment déjà paisible.

"Elle est adorable, alors on lui pardonne." Jayden fit une petite moue et tira de nouveau sur sa paille. "Attendez que ce soit vos secrets qu’elle dévoile devant des inconnus et on verra si elle est toujours aussi charmante." dit-il en lançant un coup d’œil à sa nièce, qui sirotait son jus de pomme en balançant ses petits pieds dans le vide. Il l'écouta parler de son art et de comment elle arrivait à peindre malgré son handicap. "Vos tableaux parlent avec autre chose que la vraisemblance. Ce n’est pas ce que je recherche forcément dans l’art. La vraie vie, je cherche plutôt à la fuir. Et je ne sais pas, il y a quelque chose qui me parle dans vos œuvres, les couleurs, les formes…" Il termina sa brique de jus et joua avec la paille. "Hum… Mes peintures… ne sont pas faites pour être vues. Ce n'est pas un métier, je ne veux pas gagner ma vie avec. Certains écrivent un journal. Moi, je peins."

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@Jayden Holmes   • août 2024 • tableau

Ne pouvant pas observer la satisfaction de la petite fille lorsqu’on lui offre la brique de jus de fruit, Maeve se rassure en entendant le petit « merci » qui s’extirpe des lèvres de Joe, détendant ses épaules avant de les redresser en même temps qu’elle réanime son sourire suave. En sentant le carton froid effleurer sa propre main, elle lève légèrement le menton et, ouvrant sa paume pour s’en saisir, elle tâche d’orienter son visage vers le corps qu’elle devine être devant elle, un peu sur sa gauche, afin de lui adresser un ’’Merci beaucoup.’’ qui est sincère, puisque la jeune femme n’a pas suffisamment de mauvaise augure en son coeur pour entrevoir une quelconque pitié en ce geste élégant, ne se sentant nullement diminuée ou infantiliser. Entourant sa boisson de ses deux mains, elle l’approche de ses lèvres pour en boire une petite gorgée avant de le reposer sur la table basse devant elle, avec toutes les précautions du monde pour ne pas le renverser ; heureusement, elle connaît suffisamment cette salle pour se repérer sans trop de difficulté. « Attendez que ce soit vos secrets qu’elle dévoile devant des inconnus et on verra si elle est toujours aussi charmante. » elle rentre ses épaules vers l’intérieur en riant de bon coeur à sa remarque, qui ne la fait pas changer d’avis : les enfants sont porteurs d’une flamme qu’on les oblige à perdre en grandissant, mais elle espère que Joe saura conserver la sienne. La conversation dévie ensuite sur la raison de cette entrevue, et l’artiste est tant heureuse de pouvoir échanger avec quelqu’un qui apprécie ses productions qu’elle ne perd nullement son sourire, puisque son interlocuteur parle avec grande douceur et la met en confiance, lui apparaissant comme quelqu’un de profondément sensible et doté d’une bonté d’âme qui se fait rare, de nos jours. « Vos tableaux parlent avec autre chose que la vraisemblance. Ce n’est pas ce que je recherche forcément dans l’art. La vraie vie, je cherche plutôt à la fuir. Et je ne sais pas, il y a quelque chose qui me parle dans vos œuvres, les couleurs, les formes… » fuir la vraie vie lui fait rouler ses lèvres l’une contre l’autre avec un mélange de compréhension et de compassion, puisque si elle est capable d’entrevoir ce besoin de se libérer des affres de la réalité, son âme charitable ne peut que s’émouvoir de l’entendre formuler un mal-être à demi-mots. Qu’est-ce qui l’opprime à ce point, Jay ? Il fuit la réalité et trouve un refuge dans l’art, mais ne souhaite pas qu’on visite son havre de paix… Cela peut sembler être un instinct de protection visant à conserver sa quiétude durement acquise mais, sans trop savoir pourquoi, Maeve a l’impression qu’il y a autre chose, mais quoi ? « Hum… Mes peintures… ne sont pas faites pour être vues. Ce n'est pas un métier, je ne veux pas gagner ma vie avec. Certains écrivent un journal. Moi, je peins. » - ’’Je comprends. L’art est un langage… Et l’avantage est qu’il traverse les barrières des langues de notre monde. C’est accessible à tout le monde, c’est ça qui est beau.’’ ne sachant pas si elle peut se risquer à emprunter ce chemin, elle grimace d’hésitation avant de demander, sans perdre son aura de bienveillance qui est tout à fait naturel : ’’Puis-je vous demander ce que vous faîtes dans la vie, Jayden ? parce qu’elle ne peut s’empêcher de penser que ce besoin de fuite est motivé par l’inconfort de son travail actuel, mais peut-être qu’elle se trompe, Maeve ? D’ailleurs, il ne va peut-être même pas vouloir répondre à sa question ?

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@Maeve Wang   • août 2024

L’acteur ne savait pas si c’était le calme apaisant de la galerie ou la douceur qui émanait de la jeune femme, mais il se sentait étrangement à l’aise en sa présence. La pièce était baignée d'une lumière douce, tamisée par les grandes fenêtres qui laissaient entrer les rayons du soleil. Les murs étaient ornés de tableaux, chacun racontant une histoire, mais c’était la tranquillité du lieu qui semblait le plus marquant. La galerie, habituellement un espace de contemplation silencieuse, dégageait une sérénité qui l’enveloppait. La jeune femme se tenait là, à ses côtés, son sourire léger et ses gestes mesurés contribuant à cette atmosphère apaisante. Ses yeux, pourtant aveugles, brillaient d'une bienveillance naturelle, et elle semblait parfaitement à l’aise dans cet environnement, presque en symbiose avec les œuvres qui les entouraient. Sa présence, à la fois discrète et rassurante, apaisait les nerfs tendus de l’acteur. Pour une fois, ce n’était pas son angoisse qui dominait, mais un sentiment de calme qui l'envahissait progressivement. Il pouvait enfin respirer sans cette boule d’anxiété qui lui oppressait la poitrine, et c'était une sensation agréablement nouvelle.
Il la regarda discrètement, assise dans son fauteuil, devant les œuvres. Il y avait quelque chose de profondément apaisant dans sa sérénité, quelque chose qui le faisait se sentir plus léger. Ses propres pensées, habituellement chaotiques, semblaient s'accorder avec l'ambiance de la galerie et la quiétude de la jeune femme. C’était comme si, juste pour un moment, le poids de ses inquiétudes avait été suspendu. Une bouffée de gratitude l’envahit, reconnaissant pour cette trêve inattendue dans la bataille constante qu’il menait contre ses propres démons intérieurs. Il laissa échapper un léger soupir de contentement, profitant de cette accalmie. La tranquillité qui l’entourait et l’aura bienveillante de la jeune femme étaient comme un baume pour son esprit fatigué. Ce moment de paix, aussi éphémère soit-il, était une parenthèse précieuse dans le tumulte de sa vie. Joe semblait tout à son aise aussi et maintenant qu’elle avait eut son jus, elle avait repris son dessin en chantonnant pour elle-même une chanson apprise à l’école.

À la question de l’artiste, il pencha la tête sur le côté, avant de répondre, calmement, d’habitude cette interrogation le mettait mal à l’aise, il avait peur des réactions, mais avec Maeve, il se sentait en sécurité. “Je suis acteur.” Il ne s’épancha pas sur le sujet, il n’en avait ni le besoin, ni l’envie. “Mais ce n’est pas pour parler de moi que je suis là. J’aimerais vous acheter un tableau… Si vous êtes d’accord bien évidement.” Il sourit. “ Peut-être deux si un autre me tape dans l’oeil.” Il avait justement deux murs qu’il trouvait bien vide chez lui. “Et vous pourrez peut-être me parler de l’œuvre dont je suis tombé amoureux.

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@Jayden Holmes   • août 2024 • tableau

Rencontrer de nouvelles personnes n’est jamais un exercice évident pour Maeve, sans que l’on puisse remettre cet inconfort social sur le dos de son handicap, dont elle a hérité au cours de son adolescence. Mal-à-l’aise avec les autres, la petite rêveuse l’est depuis son plus jeune âge, peut-être parce que sa relation primaire, celle qui aurait dû être épanouissante et sécurisante, a été sabotée par ceux qui ont échoué à être des parents : comment accorder sa confiance à autrui quand ceux qui sont censés nous élever avec amour et bienveillance tente de nous empoisonner ? Elle aurait pu choisir le chemin aigre de la haine brandit au nez de tous mais, ayant su conserver sa douceur et sa compassion, deux choses dont elle a été privée, la brune ne peut pas voir l’homme qui se tient présentement devant elle mais, d’une certaine manière, elle le ressent. C’est un inexplicable instinct qui s’est développé chez la jeune femme puisque, sans savoir comment le décrire ou même le formuler, elle ressent comme une forme de profonde tristesse chez lui, le spectre de la mélancolie si viscéralement accrochée à son âme que, même dans ses silences, elle l’entend pleurer. Elle a connu, elle aussi, la peur des parents hargneux qui frappent sans discernement, elle a connu les pleurs ravalés, les cris étouffés, les coups qui pleuvent, les hématomes qu’on cache, la honte qu’on accueille, la douleur qu’on éteint… Est-ce qu’il y a un écho particulier entre eux ? Est-ce leurs enfants intérieurs qui se regardent en ayant l’impression d’un reflet ? C’est la première fois qu’elle ressent cela et, ne sachant pas quoi en faire, elle se contente de froncer brièvement ses sourcils avant de sourire à nouveau, comme pour ne pas qu’on devine ses questionnements intérieurs.

« Je suis acteur. » faire semblant, n’est-ce pas ce que cela implique ? Fuir dans la vie de quelqu’un d’autre pour quelqu’un d’autre, se perdre dans un rôle, au hasard, au gré des déguisements qui nous recouvrent, sans distinction et sans hésitation, puisque être n’importe qui est plus facile qu’être soi, pas vrai ? ’’Alors, on se cache tous les deux. Moi derrière mes peintures, vous derrière vos rôles.’’ qui ne sonne point comme un reproche puisqu’elle lui accorde un sourire de grande douceur, en resserrant instinctivement ses deux mains autour de son genou plié. « Mais ce n’est pas pour parler de moi que je suis là. J’aimerais vous acheter un tableau… Si vous êtes d’accord bien évidement. » elle a entendu son sourire en fin de phrase, puisque le ton de sa voix s’est imperceptiblement égayée « Peut-être deux si un autre me tape dans l’oeil. » - ’’Ce serait un plaisir et honneur.’’ hasardant sa main jusqu’à rencontrer sa canne, elle se redresse en invitant son interlocuteur à en faire de même, ne voulant pas que la fillette se sente obligée d’abandonner ses coloriages. ’’On reste dans les parages, ne t’inquiète pas.’’ il ne faudrait pas qu’elle prenne peur en croyant que son oncle a disparu, même si Maeve entame une petite marche dans la galerie en s’assurant qu’il la suit dans son périple. « Et vous pourrez peut-être me parler de l’œuvre dont je suis tombé amoureux. » replaçant correctement une mèche de ses cheveux derrière son oreille, elle hoche son menton de haut en bas avant de répondre : ’’Oui, bien sûr… Je dois vous avouer qu’il m’a été inspiré par Ophelia, le tableau de John Everett Millais. J’en suis tombée amoureuse, à l’époque.’’ se doutant que son interlocuteur ne va pas comprendre comment elle peut avoir vu ce tableau, elle précise en tournant son buste vers lui : ’’C’était avant de perdre la vue, bien sûr.’’ esquissant un petit sourire pour signifier que ce n’est pas un sujet tabou et qu’elle a appris à vivre avec elle, elle poursuit : ’’Mais je voulais une version moins édulcorée, plus mélancolique…’’ elle hésite à rajouter « plus poétique » mais elle sait que c’est subjectif, et qu’elle ne peut décemment pas apposer un tel nom sur ses oeuvres sans paraître narcissique, ce qu’elle n’est évidemment pas. ’’Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans ce tableau, dites-moi ?’’

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@Maeve Wang   • août 2024

’’Alors, on se cache tous les deux. Moi derrière mes peintures, vous derrière vos rôles.’’
Ces mots, plus que n’importe quelle autre remarque qu’on lui avait faite sur son métier ou sa vie, résonnèrent en lui. Ils traversèrent ses os comme une onde profonde, se faufilèrent dans sa chair, jusqu’à atteindre son cœur. Il resta immobile un instant, abasourdi par la justesse de cette observation, avant de sourire doucement. Elle, qui n’avait pas d’yeux pour le voir, avait pourtant décelé la vérité la plus intime de son être, bien plus rapidement que n’importe qui d’autre. Comme si, dans son obscurité, elle possédait une vision intérieure que lui-même n’avait jamais osé affronter. Ses doigts tremblèrent légèrement en repensant à cette phrase, chaque mot devenant plus clair, plus incisif. Comment une personne privée de la vue pouvait-elle comprendre à ce point ce que tant d'autres échouaient à percevoir ? Saint-Exupéry avait raison, pensa-t-il : "On ne voit bien qu'avec le cœur, l'essentiel est invisible pour les yeux."

Il sentit une chaleur nouvelle l’envahir, celle de l’humilité et de la vulnérabilité, comme s’il avait été démasqué, dépouillé de ses artifices. Lui, toujours si maître de ses rôles, capable de se transformer à volonté pour se fondre dans n’importe quel personnage, réalisait qu’il s’était aussi caché à lui-même. Et elle, sans même voir ses toiles, ses masques, avait compris. Il la regarda, assise là, calme, paisible, comme si le monde autour d’elle n’avait pas la même importance. Elle souriait d’un sourire léger, presque imperceptible, comme si elle connaissait déjà la fin de cette conversation, de cette quête intérieure. Elle ne cherchait pas à voir, parce qu’elle avait déjà tout compris. Il n’ajouta rien, préférant ne pas rebondir là dessus. Il n’était pas venu faire une introspection de sa personnalité.

"Ce serait un plaisir et un honneur. On reste dans les parages, ne t’inquiète pas."
Jayden trouva touchante la façon dont elle s’adressait à sa nièce, avec une tendresse naturelle et une douceur presque maternelle. Son ton était calme, rassurant, comme une mélodie familière qui apaisait instantanément.  Joe, petite tête brune aux boucles rebelles, leva brièvement les yeux vers les adultes, plissant légèrement le front, comme si elle pesait dans son esprit la pertinence de les suivre. Après une seconde d'hésitation, elle décida que leurs discussions d'adultes n'étaient pas à la hauteur de l’univers qu’elle était en train de créer. Sans un mot, elle retourna à son œuvre, penchée avec concentration sur son papier. Les pastels glissèrent entre ses doigts, s'écrasant avec vigueur sur la feuille blanche, remplissant l’espace d’un arc-en-ciel éclatant. Chaque couleur semblait jaillir avec une énergie nouvelle, comme si Joe capturait un monde entier, son monde, dans ces traits colorés. Jayden, les bras croisés, regarda avec amusement l'intensité avec laquelle elle s’immergeait dans son travail. Il pouvait presque sentir la passion vibrer dans l’air autour d’elle, un mélange de candeur et de créativité sans limites. Le bruit doux des pastels frottant le papier était rythmé par ses gestes rapides et décidés, tandis que la page prenait vie sous ses mains, transformant la blancheur immaculée en un tableau de couleurs vives et éclatantes. “Sois sage, et pas de pastel sur les fauteuils minimoys.” Joe marmonna quelque chose, mais son oncle sourit et suivit donc l’artiste.

Une fois devant le tableau, il posa son regard sur la toile et resta immobile un moment, comme si le temps s'était figé. Il écoutait avec attention, absorbant chaque détail, chaque nuance de couleur. L'inspiration qui l'avait saisi dès le premier regard se confirmait à présent dans ses pensées, et il sourit légèrement en hochant la tête.
"Oui, j'avais cru reconnaître. Hamlet est pour moi une grande source d'inspiration aussi. Je ne suis pas anglais pour rien."
Il laissa échapper un petit rire, mais son ton était empreint de gravité, presque solennel. Un long silence suivit ses paroles, alors qu'il continuait de scruter la scène représentée sur la toile. Son regard se fixa sur cette main blanche et fine qui émergeait de l’eau tranquille, immobile et pourtant si vivante. La peinture semblait presque organique, tellement palpable qu’il aurait pu sentir la fraîcheur glacée de l’eau, entendre le bourdonnement des insectes tournoyant autour du point d’eau.

La scène le happait, et il avait presque l’impression que s’il tendait la main, il pourrait toucher la peau opaline de cette femme, cette figure mystérieuse qui s'enfonçait lentement dans les eaux sombres, comme avalée par l'abîme silencieux."Ce que j’aime ?" Sa voix se fit plus basse, hésitante. Il resta silencieux encore un instant, cherchant ses mots, tentant de mettre des termes précis sur l'émotion puissante qui l’envahissait. Chaque mot semblait peser lourdement dans l'air, comme s'il peinait à traduire ce qu'il ressentait réellement. "Le calme... la plénitude... et la peur, aussi. Celle qu’on ressent au moment fatidique, juste avant de basculer."

Son regard devint lointain, perdu dans une pensée obscure qu’il n’avait pas encore formulée tout haut. "Ce moment de basculement entre la lumière et l'ombre. Je sais ce que c'est que de faire le choix de tout éteindre... De choisir de sombrer sans lutter... Ce moment suspendu, où plus rien ne compte, mis à part l’étreinte de l’obscurité." Il passa une main nerveuse dans ses mèches rebelles, comme pour chasser l’ombre de ses pensées. Son visage était devenu plus grave, ses traits tendus sous le poids des souvenirs que cette peinture réveillait en lui. "Pardon…" dit-il finalement, avec un léger sourire triste. "Ce n’est pas très joyeux, je sais. Mais votre tableau est... cathartique." Il se redressa un peu, comme s’il voulait reprendre le contrôle de ses émotions, mais ses yeux ne quittaient pas la toile, toujours captivé par la beauté sombre et saisissante qui s’en dégageait.

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@Jayden Holmes   • août 2024 • tableau

Il y a quelque chose, dans le ton de sa voix, dans sa manière tout à fait hésitante de formuler les syllabes, dans sa façon de se mouvoir autour d’elle, qui lui indique que son interlocuteur transporte une douleur bien trop vivace en son coeur, et que cette douleur là fait du bruit, beaucoup de bruit. Les sons se bousculent, endoloris, lourds, pesants, noueux. Elle ne peut pas voir son expression, Maeve, elle ne peut pas achever son observation par une quelconque preuve visuelle, puisqu’il n’y a rien de tangible à quoi se raccrocher pour la débusquer dans le décor, la palper et la presser pour la faire disparaître, il n’y a que les lumières que ses yeux parviennent, avec toute la misère du monde, à capter. Alors Maeve ne voit pas sa douleur, mais elle peut l’entendre, et cela est largement suffisant pour qu’elle veuille l’en soulager, au moins pendant quelques secondes, et peut-être peut-elle l’alléger de ce poids en essayant de le partager ? « Oui, j'avais cru reconnaître. Hamlet est pour moi une grande source d'inspiration aussi. Je ne suis pas anglais pour rien. » son petit rire cristallin se mêle à celui de l’homme, et elle attend sagement qu’il achève son propre éclat pour rétorquer, d’un ton amusé ’’Je me disais bien que vous aviez un petit accent…’’ ses lèvres conservant la forme de son précédent sourire, elle penche légèrement sa tempe en sa direction pour préciser : ’’Un très bel accent.’’ elle ne cherche pas à le baratiner sous une quelconque prise de séduction — l’idée ne lui traverse même pas l’esprit et de toute façon les demoiselles ont toujours eu sa préférence, mais elle ne peut s’empêcher de (naïvement) songer qu’un compliment peut être ce dont il a besoin pour sourire, même si c’est pour quelque chose d’aussi insignifiant que sa façon de parler. La brune n’a pas vraiment le loisir de vérifier sa théorie — à savoir, si sa stratégie lui a provoqué un sourire ou non, mais elle se concentre lorsqu’il la questionne davantage sur la peinture qui est le témoin silencieux de leurs échanges. Son tableau. C’est toujours impressionnant de présenter son oeuvre aux yeux d’autrui , sans omettre que les siens ne peuvent pas réellement savoir ce qu’il voit ni comment il réagit à ce qu’il voit, mais elle fait perdurer son sourire pour ne pas perdre la face, ne voulant pas lui communiquer son appréhension , de toute évidence, il en possède suffisamment tout seul. « Ce que j’aime ? » elle hoche son menton positivement en faisant rouler ses lèvres l’une sur l’autre, gardant sa posture pour l’encourager à parler puisqu’il n’y aucun risque qu’elle trouve sa réponse superflue, ayant bien conscience que l’art n’a jamais une seule réponse acceptable « Le calme... la plénitude... et la peur, aussi. Celle qu’on ressent au moment fatidique, juste avant de basculer. » passant la pointe de sa langue sur sa lèvre inférieure, elle renvoie légèrement sa nuque en arrière en se demandant à quel point la sensation qu’il évoque lui est familière ; il semble bien la connaître, cette impression de basculement, tout en redoutant ardemment de découvrir qu’il l’a éprouvé de nombreuses fois. « Ce moment de basculement entre la lumière et l'ombre. Je sais ce que c'est que de faire le choix de tout éteindre... De choisir de sombrer sans lutter... Ce moment suspendu, où plus rien ne compte, mis à part l’étreinte de l’obscurité. » il répond à une question qu’elle n’a pas osé poser, et Maeve accueille la confidence, intime, confidentielle, navrante et dramatique, en courbant le milieu de ses sourcils avec une compassion sincère. Elle se sent privilégiée d’être ainsi l’hôte de telles confessions, même si elle note surtout que l’acteur en parle librement, ce qui la pousse à croire que le sujet n’est peut-être pas si tabou qu’elle le croit. « Pardon… Ce n’est pas très joyeux, je sais. Mais votre tableau est... cathartique. » - ’’On s’excuse toujours quand on dit quelque chose de triste, vous n’avez pas remarqué ? On ne demande jamais pardon quand on annonce quelque chose de joyeux, mais on le fait avec ce qui ne l’est pas.’’ imposant quelques secondes de silence, elle fait glisser le bout de ses doigts sur le pommeau de sa canne en prenant une fine inspiration, poursuivant sa réflexion à voix haute : ’’Je ne crois pas que la tristesse soit plus honteuse que les autres, ou qu’on doive s’excuser. Je suis heureuse que mon tableau vous parle de cette façon, et je suis encore plus heureuse de savoir qu’il va être en votre possession : mon art prend tout son sens, et vos émotions aussi.’’ pivotant légèrement sur ses jambes, elle brandit un sourire de grande douceur en poursuivant, d’une voix qui l’est tout autant : ’’Je suis heureuse que vous soyez revenu dans la lumière, que l’obscurité n’ait pas gagné. Parce que je suis encore plus heureuse d’avoir pu vous rencontrer, aujourd’hui.’’

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@"Maeve Wang"   • août 2024

Il haussa un sourcil en souriant tendrement, une lueur amusée dans le regard. Ses lèvres s’étirèrent avec une douceur presque complice, trahissant un mélange subtil de surprise et de malice. “Vraiment ? Vous avez remarqué mon accent ?” Demanda-t-il, sa voix veloutée teintée d’une légère ironie. “J’ai pourtant tout fait pour le masquer. Les producteurs et réalisateurs préfèrent l’accent américain pour les films, c’est plus passe-partout.” Il haussa légèrement les épaules, comme s’il énonçait une évidence qu’il avait depuis longtemps acceptée, même à contrecœur. Pourtant, une ombre de nostalgie passa dans son regard. Jouer le jeu à la perfection, c’était ce qu’on attendait de lui. Pas de vagues. Pas d’originalité inutile. Mais il savait que cela faisait partie du métier, alors il se conformait. Pourtant, les fans préféraient lorsqu’il laissait percer son accent britannique, ce timbre noble et chaleureux, presque aristocratique. Ce petit quelque chose d’intime, authentique, qui le distinguait du reste des acteurs de l’industrie. Lorsqu’il glissait quelques mots avec son accent naturel en interview, cela déclenchait à coup sûr une tempête de réactions sur les réseaux sociaux.

Mais Jayden avait appris à se fondre dans le moule. Masquer cet accent était devenu une seconde nature, un geste quasi mécanique, comme enfiler un costume. Un masque. Ce masque, il le portait avec la même aisance que ses rôles à l’écran. Il savait qu’il devait l’étouffer, ne serait-ce que pour répondre aux exigences du marché. Pourtant, son accent refaisait toujours surface quand il se relâchait, quand la fatigue brouillait sa vigilance ou qu’il oubliait de surveiller ses intonations. C’était une part de lui qu’il ne parvenait jamais complètement à enfermer. Machinalement, il passa une main dans ses cheveux, ébouriffant quelques mèches, l’air pensif. Puis, il croisa son regard – oubliant, l’espace d’un instant, qu’elle était non-voyante. Un sourire, à la fois joueur et sincère, étira doucement le coin de ses lèvres. “C’est drôle, non ? Même quand je fais de mon mieux pour me fondre dans le moule, il finit toujours par ressortir. Comme si je ne pouvais pas totalement m’en défaire…”Son sourire s’adoucit, mais une pointe d’amertume perça dans son regard. Il était fier de son accent, et l’idée de devoir s’américaniser pour décrocher des rôles lui pesait au cœur. Chaque audition était une nouvelle petite concession, un écart supplémentaire qui l’éloignait de son véritable lui. Parfois, il avait même peur que ce "lui-même" devienne une sorte de secret trop bien gardé, enfermé à double tour dans un coin de son âme. Elle l’écoutait en silence, puis répondit avec une douceur désarmante, sa voix comme une caresse. “On s’excuse toujours quand on dit quelque chose de triste, vous n’avez pas remarqué ? On ne demande jamais pardon pour une nouvelle joyeuse, mais on le fait pour ce qui ne l’est pas. Pourtant, je ne crois pas que la tristesse soit plus honteuse qu’une autre émotion, ni qu’on doive s’excuser de la ressentir. Je suis heureuse que mon tableau vous parle ainsi, et encore plus heureuse qu’il soit en votre possession. C’est comme si, enfin, mon art trouvait son sens à travers vos émotions. Je suis également heureuse de savoir que vous êtes revenu dans la lumière… Que l’obscurité n’a pas gagné. Et surtout, je suis vraiment heureuse de vous avoir rencontré aujourd’hui.” Son monologue laissait flotter dans l’air un étrange mélange de douceur et de gravité. Après ses mots, Jayden se sentit déconcerté. Il avait ouvert une partie de lui-même devant elle, alors qu’elle était une inconnue. Une inconnue douce, certes, mais une inconnue malgré tout.

Un léger malaise l’envahit. Il baissa la tête, glissant distraitement un ongle le long de son poignet, ses dents mordillant sa lèvre inférieure dans une tentative de dissimuler son trouble. “Oh… Je ne pense pas qu’on s’excuse par honte”, finit-il par dire, presque à mi-voix. “C’est juste que… Les inconnus n’ont pas toujours le temps de nous écouter parler de nous. Et je suis ici pour vous acheter une toile, pas pour que vous me serviez de psychologue”, ajouta-t-il avec une pointe d’embarras dans la voix. Il détourna le regard vers la toile posée devant eux, s’attardant sur les détails de l’œuvre. Le silence s’étira un instant, avant qu’il ne reprenne, hésitant. “Vous avez vraiment… Je suis désolé de poser cette question, mais… comment faites-vous pour créer des œuvres avec autant de précision et de détails, malgré votre handicap ?” demanda-t-il d’une voix douce, presque timide. Ses doigts effleurèrent la surface du tableau, comme s’il pouvait réellement sentir la texture de la main peinte, prête à surgir de la toile. Il laissa échapper un souffle d’admiration. “On a presque l’impression qu’on pourrait attraper cette main… C’est vraiment magnifique.”

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@Jayden Holmes   • août 2024 • tableau

Évidemment qu’elle l’entend son accent — davantage maintenant qu’il l’a souligné, certes, mais son sourire tangue lorsqu’il avoue que « J’ai pourtant tout fait pour le masquer. Les producteurs et réalisateurs préfèrent l’accent américain pour les films, c’est plus passe-partout. » qui la laisse grandement surprise, puisque la légende populaire veut que l’accent anglais soit plus sexy que l’accent américain — Maeve n’a pas franchement d’avis sur la question, mais son étonnement est lisible sur ses traits puisqu’elle fronce les sourcils en rentrant légèrement le menton, marquant un temps de retrait comme si elle avait un peu du mal à le croire ’’Vraiment ? Je pensais que c’était plutôt l’inverse. Après, ça dépend des rôles j’imagine ?’’ elle n’y connaît rien, Maeve, à tous ces rouages médiatiques qui rognent sur la personnalité des célébrités exposées, mais elle trouve que dans un sens ou dans l’autre, un accent ne devrait pas être camouflé, et que l’acteur vit une terrible injustice ; la négation de son histoire, de toute une partie de ce qu’il est réellement. ’’J’aime beaucoup votre accent, moi.’’ pour ce que ça vaut comme compliment, elle l’assure avec un sourire d’aplomb, qui ne permet nullement de douter de la véracité de ce qu’elle avance. Elle le dit sans arrière-pensée, Maeve, seulement porteur par la douceur naturelle qu’il dégage, ce mélange de grande résilience et de force statique, qui ne peut que la toucher. Peut-être parce qu’elle a l’impression de voir le reflet de quelque chose qu’elle possède également, sans vouloir se l’avouer encore.

Mais cela ne l’empêche pas de tenter d’approcher l’homme par le biais de la douleur, que la société demande généralement de garder secrète, parce que ce n’est pas très reluisant de dire qu’on va mal, personne ne veut l’entendre, personne ne veut le savoir, malgré toutes les campagnes de préventions pour la santé mentale. Aucune célébrité n’annonce publiquement qu’il vit un moment de down ; on le sait après, une fois que les choses vont mieux, comme s’il fallait digérer sa douleur en privé et afficher seulement ce qui est visiblement acceptable pour les autres. Mais peut-être a-t-elle trop parler ? Peut-être a-t-elle été trop loin dans ses propos et l’a heurté ? Elle s’apprête à lui demander pardon pour cette intrusion émotionnelle mais, avant qu’elle puisse formuler le moindre mot, il reprend « Oh… Je ne pense pas qu’on s’excuse par honte » elle arque un sourcil, tant sous la surprise d’entendre sa voix que dans les mots employés, mais elle ne dit rien, trop craintive de commettre un potentiel faux-pas qui ferait définitivement fuir Jayden « C’est juste que… Les inconnus n’ont pas toujours le temps de nous écouter parler de nous. Et je suis ici pour vous acheter une toile, pas pour que vous me serviez de psychologue » elle courbe lentement ses lèvres avec douceur en rejoignant ses deux mains sur le pommeau de sa canne, comprenant qu’il ne faut point en rajouter.

Elle le laisse poursuivre, donc, sur un tout autre sujet, même si elle sent qu’il n’est pas moins gêné dans cette conversation ; elle ne comprend pas tout de suite pourquoi, Maeve, ne pouvant pas se rendre compte que l’attention de l’homme est tournée vers sa peinture. « Vous avez vraiment… Je suis désolé de poser cette question, mais… comment faites-vous pour créer des œuvres avec autant de précision et de détails, malgré votre handicap ? On a presque l’impression qu’on pourrait attraper cette main… C’est vraiment magnifique. » - ’’Oh,’’ à la fois surprise et rassurée, elle relâche la pression autour de ses épaules en soufflant un petit rire, qui lui fait décrocher ses mains l’une de l’autre ’’Passez votre main sur la toile. Pas juste effleurer. Allez-y.’’ elle l’y invite sans craindre de voir son oeuvre être entaché par ce simple contact, mais s’il le fait, Jayden doit sentir que la toile n’est pas parfaitement lisse, bien au contraire. ’’Elle est texturée,’’ commence-t-elle à dire en tendant une de ses mains en espérant croiser sa toile, tout en poursuivant ’’C’est comme ça que je peux me repérer. En réalité, c’est un peu comme le braille : c’est une autre façon de pratiquer la lecture, mais de la toile. Grâce à ça, je peux me repérer sur mon tableau, savoir où j’ai placé telle ou telle forme,’’ pivotant légèrement son buste vers l’homme, elle précise avec un petit sourire : ’’C’est plus difficile pour les couleurs, mais je suis organisée. J’ai pris l’habitude maintenant.’’

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@"Maeve Wang"   • août 2024

« Pas pour les grosses productions. Il faut qu’on soit le plus lisse possible, que n’importe qui puisse être à notre place. » Jayden passa une main nerveuse dans ses cheveux soigneusement coiffés, le regard se perdant dans le vide. Dans cette industrie, un acteur devait être interchangeable, une simple pièce du puzzle que l’on pouvait aisément remplacer. Si une suite était faite et qu’on voulait changer de tête d’affiche, cela ne poserait aucun problème. Le public n’y verrait que du feu, tant que le nouvel acteur correspondait aux critères stricts imposés par les studios. Certes, certains acteurs parvenaient à se faire connaître pour une particularité physique qui les distinguait, mais ils étaient rares, presque des exceptions. La plupart devaient se contenter de rentrer dans le moule, de devenir des copies conformes de modèles idéalisés. Ils devaient ressembler à une star bien précise, à un archétype immuable. Jayden savait qu’il ne pouvait pas vraiment prendre de recul sur cette question, car lui aussi faisait partie du système. Il le ressentait dans chaque décision qu'il prenait, dans chaque transformation qu’il imposait à son corps. C’était comme un engrenage dont il était à la fois une victime et un rouage. Il était sûrement une partie du problème, puisqu’il acceptait la situation. Il se pliait aux exigences en sculptant toujours plus son physique pour qu’il soit suffisamment beau, suffisamment fort, pour figurer en couverture des magazines. Chaque séance de musculation, chaque repas contrôlé, étaient autant de sacrifices pour répondre aux attentes d’un monde qui glorifiait la perfection artificielle. Mais, au fond, il se demandait si l’industrie pouvait seulement changer. Avait-elle cette capacité ? Rien n’était moins sûr. Elle s’était nourrie de ces illusions depuis trop longtemps, et Jayden n’avait ni la force, ni la volonté de s’attaquer à un problème aussi colossal. Pas maintenant. Il avait déjà assez de soucis à gérer, et mentalement, il se sentait épuisé, incapable de porter un tel fardeau. Laisser les autres se battre pour un idéal, lui se contenterait, pour l’instant, de survivre dans ce système imparfait, en attendant peut-être un jour d’en avoir assez et de tout lâcher.

Cependant, un petit sourire éclaira son visage, invisible pour les yeux de l’artiste, mais il savait qu’elle le sentirait dans le timbre de sa voix. « Merci beaucoup, draling, » dit-il en appuyant sur le "darling" et en faisant ressortir son accent, comme s’il n’avait pas passé des années à le maquiller. La suite de la conversation sombra à nouveau dans l’esprit de Jayden, comme une habitude insidieuse. Ces moments où il se perdait dans ses pensées devenaient de plus en plus fréquents. Parfois, il avait l’impression de se noyer en lui-même, happé par des réflexions qu’il ne parvenait pas toujours à comprendre ou à contrôler. Mais comme à chaque fois, il se reprit vite, sans laisser paraître la moindre gêne. Un sourire léger aux lèvres, il orienta de nouveau la conversation vers l’art de la jeune femme, cherchant à éviter les méandres de ses pensées.
« Oh, passez votre main sur la toile. Pas juste effleurer. Allez-y, » l’encouragea l’artiste, ses yeux pétillant d’un enthousiasme presque enfantin. Jayden la regarda, surpris. On ne touchait jamais une toile dans une galerie, encore moins une œuvre exposée. C'était presque un sacrilège. Mais elle était là, l’artiste elle-même, à l’inciter à le faire. Après tout, si tout se passait bien, il repartirait avec la toile. Alors pourquoi pas ? Il tendit la main, un peu hésitant au début, avant de finalement poser ses doigts sur la surface de la peinture. La texture le surprit immédiatement. Contrairement à ce qu'il avait imaginé, la surface n'était pas lisse. Elle était rugueuse, comme sculptée. Il s'attarda un moment, caressant les reliefs. Pendant qu’il découvrait ces aspérités, la jeune femme lui confia un secret sur son œuvre, ses mots murmurés comme si elle lui livrait une part d’elle-même.

Jayden comprit alors ce qui donnait à la toile cette impression de tangibilité presque troublante. Ce n’était pas simplement la technique ou le choix des couleurs, mais bien cette texture unique, presque vivante, qui semblait tendre la main vers lui. Il avait l’étrange sensation que s'il tirait un peu plus fort, il pourrait réellement attraper la jeune femme représentée sur la toile, l'extirper de l'eau où elle paraissait s'enfoncer, et la ramener dans le monde réel. C’était cette proximité, ce jeu subtil entre l’art et la réalité, qui donnait à l’œuvre sa puissance. « C’est comme ça que je peux me repérer. En réalité, c’est un peu comme le braille : c’est une autre façon de pratiquer la lecture, mais de la toile. Grâce à ça, je peux me repérer sur mon tableau, savoir où j’ai placé telle ou telle forme. C’est plus difficile pour les couleurs, mais je suis organisée. J’ai pris l’habitude maintenant. » Jayden retira sa main alors qu’elle terminait de parler, observant l’artiste et sa toile d’un œil nouveau, un éclat dans les yeux. « Est-ce que… Vous m’apprendriez ? Contre rémunération. Bien entendu. »

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@Jayden Holmes   • août 2024 • tableau

Maeve ne peut pas voir si Jayden saisit son invitation à mieux exploiter la surface du tableau mais, en entendant le crissement distinctif des phalanges qui glissent sur la surface de la toile composée de mille et uns reliefs joints, comparable à un massif montagneux étalé pour transcrire chaque courbe, chaque forme et chaque figure, elle rehausse le coin de ses lèvres en un sourire amusé, partagée entre la fierté de partager sa façon de consommer l’art et la curiosité de savoir ce qu’il en pense. Il ne pouvait pas le savoir avant d’effleurer les inégalités de textures car il est tout bonnement impossible de les détecter à l’oeil nu, et elle le laisse alors faire cette découverte dans un silence presque religieux, qui ne tarit en rien l’expression joviale qu’elle porte.

’’Alors…’’ demande-t-elle en redressant son visage après quelques secondes de mutisme, d’une voix à la fois suffisamment intelligible pour se faire entendre mais aussi assez douce pour ne pas troubler trop brutalement le fil de ses pensées. ’’Est-ce que la légende de la peintre aveugle vient de s’effondrer ?’’ elle souffle un petit rire amusé du fond de sa gorge, en remontant l’une de ses mains jusqu’à son oreille pour replacer correctement quelques boucles brunes derrière son oreille, sans véritablement accorder du crédit à ce qu’elle vient de dire ; du moins, elle n’est pas suffisamment naïve pour ignorer que son handicap tient une place prépondérante dans l’essor de sa carrière, et qu’elle n’aurait peut-être pas cette popularité grandissante si elle n’était pas presque totalement dépourvue de sa vision. « Est-ce que… Vous m’apprendriez ? Contre rémunération. Bien entendu. » un peu surprise de cette demande, Maeve penche son menton sur le côté en espaçant ses lèvres de quelques degrés, sans trop savoir quoi lui répondre de prime car, pour elle, il se complique drôlement la vie ’’Vraiment ? Ce serait plus facile, pour vous, de peindre sur une toile classique…’’ un instant, ses yeux vagabondent entre l’homme à ses côtés et le mur devant elle, mais la réflexion ne dure pas bien longtemps puisque, très vite, elle réaffirme un ’’Ce sera avec plaisir.’’ après tout, il n’y a pas de raison pour que cette technique de peinture soit uniquement destinée à ceux qui ont une déficience visuelle, et elle redresse ses épaules en le prévenant, d’une voix complice : ’’Je ne pense pas être un bon professeur mais je veux bien essayer. Vous n’avez qu’à me laisser vos coordonnées et je vous contacte, ça vous va ?’’

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