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let’s get out of this town

@diego gutiérrez & nina

lieu: ethiopie

La chaleur est écrasante, elle a beau avoir relevé ses cheveux blonds dans un chignon, quelques mèches lui collent à la nuque. Son débardeur est marqué par des taches de transpiration, sa peau blanchie par la crème solaire qu’elle ne cesse de s’appliquer à intervalle régulier pour ne pas finir avec la peau brûlée par le soleil qui tape à longueur de journée. Elle avait imaginé pouvoir s’adapter rapidement, après tout, en Australie aussi, ils connaissent des chaleurs extrêmes. Pourtant, tout est diamétralement différent dans ce village d’Éthiopie. La chaleur, l’humidité ambiante, les gens qui les accueillent et les situations de vie précaires réunies dans cet hôpital du bout du monde. Aujourd’hui, Nina se charge des bébés du village. Certains démontrent les signes de quelques pathologies inquiétantes et, si la barrière de la langue rend les échanges complexes avec les parents, Nina ne se défait jamais de son sourire rassurant. Travailler en binôme avec Diego s’avère être une expérience inédite, un challenge de chaque jour, mais qui est venu marquer un tournant non négligeable au sein de leur amitié. Ils se comprennent en un coup d’œil, ils sont capables d’agir vite et bien pour le bien-être des habitants. Les journées s’enchaînent, mais ne se ressemblent jamais. Tout est particulièrement intense, si Nina se sentait épuisée à Brisbane, elle réalise s’être plainte d’un petit rien face à ce que les gens de ce village ont dû traverser. L’expérience la rend plus humble, l’aide à se déconnecter des tracas annexes pour mieux se recentrer sur ce qu’elle sait faire de mieux : soigner des petits humains.

Le soir venu, l’hôpital se transforme. On oublie les larmes de la journée, les tensions des diagnostiques, le manque de matériel et les inégalités. Les lits accueillent des enfants de tous les âges et les infirmières locales préparent un repas à base de riz, de manioc et de quelques épices du coin. Comme toujours, Nina vient s’asseoir auprès de Diego. Ils sont les deux seuls blancs, l’attraction du moment. Comme depuis quelques soirs déjà, Sima, une petite fille de huit ans, vient se coller aux jambes de Diego. « Je crois qu’elle t’aime vraiment beaucoup. » Mais son ami ne l’écoute pas. Il est comme ça depuis quelques jours, la tête dans les nuages. Elle l’observe un instant, il semble être parti à mille kilomètres de là, plus loin encore, sûrement dans leur terre natale. « Eh. » D’un coup de coude, elle le ramène parmi eux, dans cet hôpital délabré où la fraîcheur de la nuit commence à s’installer. C’est à Sima qu’elle sourit alors qu’elle pointe Diego du doigt, avant de poser ce dernier sur sa propre tempe, pour démontrer le geste d’un fou. « Il est un peu zinzin, tu trouves pas ? » Elle n’est pas certaine que la petite la comprenne, mais en tout cas, elle récolte un éclat de rire et un sourire qui vient la réchauffer, comme à chaque fois que l’un des enfants lui en offre un. La gamine reste à sa place, assise contre la jambe de Diego, alors que Nina attrape le regard de son ami. « On est parti pour ne plus penser à Brisbane, je te rappelle. » À quoi est-ce qu’il pouvait bien penser surtout ? Elle ne l’a jamais vu aussi distrait.

Le voyage ressemblait maintenant plus à une punition qu’à une réelle opportunité de calmer son esprit tourmenté mais il était entré dans l’avion bien plus apaisé qu’il ne l’aurait pensé alors il refusait d’accorder trop d’importance à ce point de vue. S’il s’était attendu à partir avec bien plus de doutes, Diego savait qu’il avait déjà passé la partie la plus compliquée parce qu’il refusait de s’attarder sur des regrets infondés. Le fait que tout aille déjà bien mieux allait lui permettre d’être totalement impliqué dans ce qu’il allait entreprendre, de partir avec la seule volonté de s’enrichir d’une expérience unique et il était devenu rare qu’il réussisse à penser rien que pour lui. Sans se soucier de l’avis du monde extérieur. Alors même si rester à Brisbane lui semblait être la manière la plus évidente pour aller mieux, il gardait en tête l’idée de se raccrocher à son métier, de se prouver qu’il était encore capable d’être utile. Et petit à petit, la culpabilité de la façon dont il voyait ce voyage s’était transformé en une volonté de faire tout ce dont il était capable pour être utile, le rendant extrêmement efficace. Nina et lui s’accordaient sur le même tempo et si le rythme qu’ils s’infligeaient était extrêmement difficile à suivre, les sourires et les remerciements suffisaient à leur faire oublier tout sentiment négatif.

Il s’en voulait de tant penser à ce moment où il pourrait retrouver son téléphone pour un bref échange de messages, mais il donnait assez au cours de la journée pour s’autoriser à être distrait durant le repas du soir. C’était sa façon de conjuguer avec la fatigue et la difficulté de ses journées et il se félicitait de réussir à le faire de manière bien plus saine que quelques semaines auparavant. Comme à son habitude, l’une des petites filles du village l’avait retrouvé et il l’avait accueillie avec un léger sourire avant de poursuivre son repas en silence, le regard fixé sur l’horizon et sur la promesse d’un futur bien plus stable de retour en Australie. « Je crois qu’elle t’aime vraiment beaucoup. » Diego avait parfaitement entendu le commentaire de Nina mais s’était autorisé à le laisser sans réponse pour profiter encore de ce sentiment de plénitude que seule la vraie fatigue lui permettait de s’accorder. « Eh. » Le coup de coude de Nina l’avait fait réagir, mais c’était surtout les éclats de rire de Sima qui l’avait sorti de ses pensées. Un rayon de soleil à la nuit tombée. « Il est un peu zinzin, tu trouves pas ? » Il avait secoué la tête de manière exagérée, levant les yeux au ciel pour la faire rire de nouveau. Sima ne les quittait pas des yeux, et dans ses yeux d’enfants, ils ressemblaient sûrement au couple parfait et l’idée l’amusait. « On est parti pour ne plus penser à Brisbane, je te rappelle. » « Qui t’a dit que je pensais à Brisbane ? » avait-il répondu en gardant un instant le regard perdu dans le vide avant de se décider à le diriger vers Nina avec un sourire discret mais sincère. « Elle me fait tellement penser à Maria. Elle était exactement comme ça, toujours à éclater de rire sans forcément de raison. » Ses doigts étaient venus trouver les tresses de la petite fille qui s’apaisait à chaque fois qu’il s’occupait d’elle, lui en pensant qu’il savait toujours être un grand frère exemplaire. Nina savait qu’il avait signé un pacte avec lui-même, celui d’en parler un peu plus, de dire les choses comme elles lui venaient pour ne plus s’enfermer avec ses propres démons. Sima lui rappelait Maria, mais sans qu’aucune tristesse ne le frappe, il ne ressentait qu’une profonde nostalgie et une empathie décuplée pour la petite fille qui avait dû sentir cette connexion avec le médecin. « J’ai parlé aux médecins locaux et ils m’ont donné des antibiotiques qui devraient aider sa sœur, c’est bactérien. » Sima était peut-être aussi proche de lui car il était le médecin en charge de soigner sa petite soeur et il trouvait juste de partager la bonne nouvelle avec Nina après une journée éprouvante. « Ca faisait longtemps que je m’étais pas senti aussi utile, tu sais. » Et il la remerciait, en quelques sortes, d’être à ses côtés.

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@diego gutiérrez & nina

Elle n’arrive pas à comprendre Diego depuis leur arrivée. La journée, il se donne à 100%, il est le médecin qu’elle connaît, celui qui donne toute son attention aux patients et qui s’arrachera les cheveux pendant des heures pour tenter de trouver une solution. Mais dès qu’il était temps de dîner et de s’accorder une heure ou deux de détente avant de sombrer sur leur lit de camp, il devenait distant. Elle l’a vu plusieurs fois avec son téléphone, malgré le réseau approximatif, il lui arrive trop régulièrement de sourire à son écran tel un adolescent. Elle, qui a carrément éteint son téléphone dès l’instant où leur avion s’était posé en Éthiopie, elle eu le temps de l’observer en silence. Il est ailleurs Diego, pas vraiment disponible en dehors du travail, et elle ne sait comment interagir avec lui. Et ce soir, même la petite Sima semble ne pas pouvoir le tirer de ses pensées. Est-ce qu’elle devrait s’inquiéter ?

« Qui t’a dit que je pensais à Brisbane ? » Elle eut envie de rire, mais préfère lever les yeux au ciel. « C’est écrit partout sur ta tronche. » Elle hésite encore à lui demander qui pouvait bien lui écrire de manière aussi récurrente. Habituellement, il aurait répliqué sans attendre, mais une fois encore, son regard se perd dans le vide et cela la déstabilise. Qu’est-ce qui t’arrive, Diego ? « Elle me fait tellement penser à Maria. Elle était exactement comme ça, toujours à éclater de rire sans forcément de raison. » Son cœur se serre à la mention de la petite sœur de son amie. Elle n’avait pas pensé à cela. Au fait que la petite demoiselle qui colle Diego depuis leur arrivée est en réalité du même âge que Maria. Sans un mot, elle laisse ses doigts glisser sur l’avant-bras de Diego. Un simple signe de soutien tandis que les mots lui manquent. « Tu sais y faire avec elle. » Et la petite lui rend bien à coup de grand sourire et d’une confiance qui dépasse les barrières de la langue. Une chose est sûre, elle allait sûrement chercher à s’incruster dans leur petite maison de fortune ce soir. Et Nina aura bien du mal à la mettre à la porte. « J’ai parlé aux médecins locaux et ils m’ont donné des antibiotiques qui devraient aider sa sœur, c’est bactérien. » - « C’est super, elle sera rapidement sur pied alors. » Et Sima retrouvera sa sœur, les deux fillettes étant apparemment orphelines. « Demain, j’aurais besoin de toi pour le petit garçon qui est arrivé aujourd’hui. » Il était apeuré et sûrement avec un sérieux problème cardiaque que Nina a bien du mal à définir.

« Ça faisait longtemps que je m’étais pas senti aussi utile, tu sais. » Elle lève les yeux vers lui, souriant quelque peu. « C’est exactement pour ce genre de chose que j’ai choisi ce métier. » Sauver des vies, se sentir utile, savoir que leurs actions feront la différence pour ces gens. « Même si on a des allures d’Indiana Jones. » Ici, la douche n’existe pas vraiment, elle a relevé ses cheveux dans un chignon depuis des jours, ils ont des traces de bronzage et des pantalons cargos. « On forme un sacré duo, non ? » Elle aimait ce qu’il advient de leur amitié, ici, à l’autre bout du monde.

Il n’y avait pas le temps de trop réfléchir sur le terrain, et c’était exactement ce dont Diego avait besoin, il ne pouvait que l’admettre malgré son envie de retrouver tout ce qui lui permettait de garder la raison. Son appartement, sa famille. Son chien. Et Mateo. « C’est écrit partout sur ta tronche. » « Alors tu devrais arrêter de me mater, Sterling. » Il avait ajouté une légère tape sur la cuisse de son amie avant de lui accorder un sourire triomphant : son égo et son humour étaient de retour, et elle n’avait aucune raison de s’inquiéter. « Je pensais laisser des problèmes là-bas, mais j’ai quitté des choses qui me manquent. » Et il avait haussé les épaules parce qu’il n’était pas nécéssaire de s’épancher sur un sujet qu’il avait déjà abordé avec bien trop de monde, sans même réellement savoir où il se situait au milieu de tout cela. Mieux valait se raccrocher à ce qu’il pouvait contrôler, comme le sort de Sima et sa sœur. « Tu sais y faire avec elle. » Le sourire de Diego était presque imperceptible. Il s’agissait de mots simples et pourtant, ils avaient une signification toute particulière pour lui. S’ils étaient de ceux que l’on prononçait juste comme ça, ceux qui étaient faciles à dire car préfabriqués, Diego était également conscient que Nina ne les prononçait pas simplement pour s’assurer de briser le silence. Elle pensait chacune de ses paroles, et si elle n’en mesurait peut-être pas toute l’ampleur, elle était sincère. On les lui avait déjà dit, plusieurs fois, mais c’était en ces terres éloignées qu’il choisissait d’y croire : il était un bon médecin et, par extension, un bon grand frère, tenant même le rôle pour une durée éphémère si le cadre s’y prêtait.

« C’est super, elle sera rapidement sur pied alors. » Il aurait adoré que Sima comprenne l’échange que Nina et lui étaient en train d’avoir, mais son pouce levé et son sourire suffisaient à rassurer la petite fille. Elles étaient proches, et voir la force des liens familiaux lui donnait un sentiment de déjà-vu mais également une forme de nostalgie parce qu’il n’était pas sûr de ce qu’il adviendrait de sa relation avec Cesar. « Demain, j’aurais besoin de toi pour le petit garçon qui est arrivé aujourd’hui. » « Bien sûr. » Ils étaient là pour ça et il n’aurait même pas eu besoin de répondre pour que Nina soit assurée de sa présence pour l’aider mais il la voyait tiquer et ne souhaitait pas lui donner davantage de raison de s’inquiéter. Il n’y avait aucune raison de le faire car pour la première fois depuis des semaines, des mois, Diego était distrait pour une raison positive. Et être ici, à être un médecin généraliste plus qu’un oncologue, le laissait encore plus facilement échapper aux difficultés qu’il connaissait à Brisbane. En attendant, il pouvait se raccrocher à ce sentiment d’être utile, presque indispensable, alors que la liste des cas sur lesquels ils avaient mis un diagnostic et un traitement ne cessait de s’allonger. « C’est exactement pour ce genre de chose que j’ai choisi ce métier. » Elle avait toute son attention, cette fois, et il avait encore réussi à sourire face à cette affirmation. « Pourquoi j’ai l’impression que tu me dis ça avec une idée derrière la tête ?» Le rassurer, notamment, parce qu’elle n’avait probablement pas oublié ce que Ruben lui avait dit à son sujet. « Même si on a des allures d’Indiana Jones. » Diego s’était mis à rire, jettant un oeil à sa propre allure tout en cherchant à replacer ses mèches rebelles qui n’avaient que faire de son mouvement de la main. « On forme un sacré duo, non ? »  « Ouais et tu pourras te vanter d’être l’une des rares à m’avoir vu aussi… négligé. » Son air de dégoût était évidemment exagéré, parce que si sa coquetterie n’était plus à prouver, il l’oubliait volontiers dans le feu de l’action et au milieu d’un village accueillant et où tous les problèmes semblaient futiles. « Merci, Nina. D’être venue et d’avoir toujours été là, aussi. » Elle n’était pas de ceux qui acceptaient les confidences autour d’un feu de camp et pourtant, devant son sourire et son comportement apaisé de ces derniers jours, il s’y autorisait.

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« Alors tu devrais arrêter de me mater, Sterling. »
« Mais comment résister… »

Et de son meilleur jeu d’actrice, elle lui adresse un regard perdu, souligné par le papillonnement de ses cils. Il la bouscule et elle éclate de rire, ce qui amène alors en écho le rire de Sima. Elle ne comprend rien à ce qu’ils racontent, mais elle s’amuse tout de même de leurs actions. Ils lui offrent la parfaite distraction et même si elle ne fait pas partie intégrante de leur conversation, elle refuse de s’éloigner de plus de quelques centimètres de celui qu’elle semble avoir désigné comme son ange gardien. « Je pensais laisser des problèmes là-bas, mais j’ai quitté des choses qui me manquent. » À ces mots, Nina relève la tête. Ils sont partis pour les mêmes raisons, qu’importe si Diego n’a rien partagé avec elle. Ils sont partis pour s’éloigner de ce qui les affectait à Brisbane, mais il faut croire que Diego n’a pas su viser juste sur l’identification de ses problèmes. Et elle a vu à quel point il s’acharnait pour avoir quelques barres de réseaux quand elle n’a pas touché à son téléphone depuis leur arrivée. « Elle s’appelle comment ? » Qui est l’heureuse élue qui donne envie à Diego de rentrer plus vite que prévu ?

Étre dans la lune semblait être un trait de sa personnalité, jamais pour les mêmes raisons, mais toujours un peu malgré tout. Nina n’allait pas le juger pour cela, pas ici. Elle en avait presque laissé ses préjugés à l’aéroport. Ici, elle n’est personne d’autre que le médecin. Celle qui écoute, qui analyse et qui soigne. Pour la première fois depuis ce qui lui paraît avoir été des mois, Nina se donne à nouveau corps et âme pour son métier. Il n’est plus question de son mariage, même si son alliance et sa bague de fiançailles trônent toujours fièrement autour de son cou. Ce sera une analyse pour plus tard. Elle pense à Ruben, tous les jours. Elle aimerait lui montrer tout ce qu’elle fait ici, elle aimerait lui dire qu’il devrait se lancer dans une aventure aussi humble à son tour, mais les souvenirs de sa trahison ne sont jamais loin et lorsqu’elle envoie un message, c’est simplement parce qu’elle sait qu’il se rendrait malade à n’avoir aucune nouvelle d’elle. En attendant, elle est heureuse d’avoir retrouvé ses sentiments d’utilité et d’être à la bonne place. « Pourquoi j’ai l’impression que tu me dis ça avec une idée derrière la tête ? » Un sourire étire ses lèvres. « Parce que tu avais besoin de te rappeler pourquoi tu fais ça, toi aussi. » Il avait un peu oublié, c’était laissé distraire par des souvenirs et ses propres émotions. « Diego, on a besoin de gens comme toi en pédiatrie. » Que ce soit dans le service normal ou en onco-hématologie, ce n’est pas le nerf de la guerre. « Ils te font confiance parce que tu sais prendre le temps, tu les écoutes même quand ils n’ont rien à dire et surtout, tu ne fais pas d’eux des êtres qui ne sont pas capables de comprendre ce qui leur arrive. » Combien de fois s’était-elle mordu les lèvres jusqu’au sang lors de ses études quand un pédiatre passait son temps à parler aux parents, mais jamais au véritable patient. Cela lui avait d’ailleurs valu un avertissement, le jour où elle s’était avancée pour parler directement à l’enfant alors que le médecin ne déblatérait qu’un charabia qui le terrorisait.

« Ouais, et tu pourras te vanter d’être l’une des rares à m’avoir vu aussi… négligé. » Cette fois, elle ne peut s’empêcher de rire. « Si tu dis à quelqu’un que je me suis pas lavé les cheveux depuis une semaine, je balance des photos de toi. » La menace se veut maigre, il a les mêmes preuves dans son téléphone. Ils essayent de documenter un peu leur voyage, de garder en mémoire les visages de ceux qu’ils ont croisé ici. Et c’est tellement nouveau pour certains, qu’ils veulent tous apparaître sur les photos avec les médecins. Nina a désormais une collection complète de selfies avec tous ceux qu’elle a pu côtoyer ici et un bon nombre, incluant Diego également. « Merci, Nina. D’être venue et d’avoir toujours été là, aussi. » Sa main glisse sur le genou de Diego pour l’enserrer de ses doigts dans un remerciement silencieux. « C’est plutôt toi qui m’aide cette fois. » Elle ne l’avouera pas souvent, mais ce n’est que la stricte vérité. Il est celui qui lui avait parlé de ce voyage, celui qui accepte de lui donner toutes les informations quand elle ne lui avait encore rien dit. Il l’avait accueilli les bras ouverts, sans poser de questions.

« Mais comment résister… » Ils avaient ri en coeur et Diego adorait la voir ainsi, rire comme si elle avait réussi à laisser ses problèmes en Australie. Il n’était pas assez naïf pour savoir que tout était aussi simple que cela, mais la simple idée de la voir retrouver le sourire même temporairement participer à le guérir un peu lui aussi. Et alors qu’il n’osait pas la questionner, Nina l’avait pris au dépourvu, lisant parfaitement entre les lignes. « Elle s’appelle comment ? » Elle. C’était peut-être cette mention qui lui avait fait faire un pas en arrière, choisissant finalement de ne pas poursuivre dans ces tentatives de confidences subtiles qu’il avait initiées. « Quoi ? Non mais n’importe quoi, arrête … » Quiconque connaissait la façon qu’il avait de passer une main dans ses cheveux en riant lorsqu’il était nerveux et il n’avait même pas songé à dissimuler ces indices évidents. Avant même qu’il n’ait fini de parler, Nina le regardait déjà, un sourire en coin sur les lèvres, l’un de ses sourcils arqué, alors il avait soupiré. « C’est trop tôt pour en parler. » Même si y penser le faisait sourire plus qu’à l’accoutumée, il ne vivait encore rien qui nécessitait d’être exprimé et ils étaient assez d’accord sur ce point. Le raz de marée s’était déclenché à Brisbane et il souhaitait plus que tout ne pas le voir se propager davantage et ce malgré la bienveillance notoire de son amie.

Nina savait choisir ses mots, adapter son discours et c’était une qualité nécessaire pour exercer sa profession. Mais elle ne choisissait pas toujours de le faire dans sa vie de tous les jours, n’étant pas du genre à retenir ce qu’elle souhaitait réellement dire alors Diego avait tiqué sur cette dernière phrase. « Parce que tu avais besoin de te rappeler pourquoi tu fais ça, toi aussi. » Pour comprendre que faiblir n’était pas une option et que la fatalité n’était pas la seule option. « Diego, on a besoin de gens comme toi en pédiatrie. » Son visage s’était tourné vers Nina car cette fois-ci, elle avait toute son attention. « Ils te font confiance parce que tu sais prendre le temps, tu les écoutes même quand ils n’ont rien à dire et surtout, tu ne fais pas d’eux des êtres qui ne sont pas capables de comprendre ce qui leur arrive. » Il se souvenait du nombre de fois où il avait répondu je sais à ce genre d’affirmations, parce qu’il avait toujours adoré montrer une forme d’arrogance, surtout auprès de ceux occupant déjà le poste qu’il convoitait. Diego n’était pas connu pour apprécier les ordres ou même les conseils s’ils venaient des mauvaises personnes, et pourtant il était arrivé à une étape de sa carrière où il en avait grandement besoin. Encore plus lorsqu’ils venaient de quelqu’un comme Nina, chirurgienne qu’il admirait beaucoup pour son travail. « C’est surtout pour eux que j’ai voulu faire ce métier. » Il incluait évidemment Maria dans ces mots, et c’était bien là le cœur du problème. « C’est difficile, au quotidien, cette impression d'injustice et d’être impuissant mais je m’en veux, d’avoir douté. » Pour ne pas dire s’être écroulé littéralement, un passage brièvement évoqué avec Nina puisque Ruben n’avait pas su rester discret - c’était extrêmement ironique. Il espérait qu’elle ait été épargnée du cas particulier qui l’avait amené à sombrer pour de bon et qui était en lien direct avec sa question sur une hypothétique relation amoureuse. « Il y en a tellement, des enfants comme Sima qui attendent que je passe du temps avec eux. » Il souriait en parlant et en songeant à ses patients avec qui il passait du temps, parce que cela faisait partie intégrante de son rôle selon lui. C’était ce que permettait ce voyage, retrouver les bases d’un métier qui demandait de nombreux sacrifices mais était extrêmement gratifiant. « Si tu dis à quelqu’un que je me suis pas lavé les cheveux depuis une semaine, je balance des photos de toi. » Il avait éclaté de rire devant cette révélation qu’il avait oubliée, l’importance étant ailleurs et Nina avait participé à ce qu’il le réalise. « C’est plutôt toi qui m’aide cette fois. » Ils sortiraient plus forts de cette expérience, leur amitié atteignant un tournant. « Ils vont nous manquer, hin ? » avait-il lancé presque négligemment, ses doigts toujours agrippés à la tresse d’une Sima qui était évidemment la première à laquelle il avait pensé en prononçant ses mots. Et il en aurait été de même si elle n’avait pas été juste là, devant lui. « Après ça, j'oublierai jamais la chance que j’ai de pouvoir recroiser les enfants que j’ai sauvés. » Une manière positive d'évoquer son rôle, parce qu'il savait que bientôt, ils ne verraient plus tous les enfants qui auront fait partie de son quotidien durant un mois entier. Une promesse, alors qu’il gardait en lui toutes les questions qu’il n’avait pas encore osé poser à Nina depuis leur arrivée : comment elle allait, si elle pensait encore à Ruben et si elle réussirait à affronter l’épreuve qui l’attendrait à leur retour.

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« Quoi ? Non mais n’importe quoi, arrête… » Si elle avait eu un appareil photo sous la main, elle se serait empressée d’immortaliser l’air outré de Diego. Elle connait la moindre de ses moues, a souvent été témoin de son meilleur acting, mais elle n’allait pas tomber dans le piège de son faux air offusqué. Elle sait que quelque chose se trame, il ne passerait pas son temps à sourire à son téléphone comme un adolescent niais si ce n’était pas le cas. La panique semble s’enclencher dans le regard de son ami, comme s’il venait de se faire prendre la main dans le sac, alors qu’il ne fait rien pour être discret depuis leur arrivée sur le camp. « C’est trop tôt pour en parler. » Fronçant les sourcils, elle l’observe un instant, espérant qu’il poursuit son explication, mais de sa part, elle n’obtiendra qu’un lourd silence entaché d’un énième sourire niais. « Hmm… Si tu le dis. » Elle n’insiste pas, il est encore tôt, ils auront le temps lorsque les oreilles de Sima ne traîneront plus dans le coin.

À l’autre bout du monde, tout se veut un peu différent. Personne n’est là pour les observer, ils ne sont que deux médecins venus filer un coup de main. Il n’est pas question d’être le meilleur, de gagner des prix ou de publier quoi que ce soit. Dans ce village coupé du monde, il n’est plus que question de médecine. La vraie, celle qu’ils ont choisie en s’engageant dans leurs études et celle qui rythme la moindre de leurs décisions quotidiennes. Ils sont fatigués, mais il serait difficile de ne pas voir les sourires qui traînent sur leurs lèvres, malgré les difficultés et les injustices dont ils sont témoins depuis des jours. « C’est surtout pour eux que j’ai voulu faire ce métier. » Les enfants, de manière générale, sa sœur en priorité. Nina avait jugé Diego par le passé, le trouvant trop dans l’affect, incapable de faire la part des choses. Elle a bien revu sa copie depuis et encore plus depuis qu’ils sont ici. « C’est difficile, au quotidien, cette impression d'injustice et d’être impuissant, mais je m’en veux, d’avoir douté. » Ils ont tous connu ce sentiment d’injustice, d’autant plus qu’il n’y a rien de raisonnable dans le fait de voir un enfant mourir. Elle sait qu’il a eu besoin de craquer, que rien n’a été simple pour lui avant leur départ, mais elle voit les évolutions et sa détermination qui reprend vie. « Il y en a tellement, des enfants comme Sima qui attendent que je passe du temps avec eux. » Il est rarissime que Nina rassure les autres sur leur capacité. Elle s’est entraînée à être celle qui écrase les autres, qui ne veut le meilleur que pour elle-même, mais la dynamique est différente avec Diego. « Maintenant que tu as eu le déclic, il reste plus qu’à faire. » Et parce que ce n’est pas d’eux que d’avoir des conversations aussi posées, elle s’empresse d’ajouter. « Tu seras jamais aussi bon que moi, mais… Tu peux prétendre à mieux. » Et ses paroles s’accompagnent, malgré tout, d’un léger clin d’œil, pour la forme. 

« Ils vont nous manquer, hin ? » N’importe qui d’autre aurait approuvé, mais pas Nina. « On est pas là pour s’attacher. » Elle note chaque sourire, retient chaque éclat de rire, mais refuse de se laisser aller à une affection plus grande que celle qu’elle maintient en surface. Elle ne reverra jamais ces enfants et aura probablement bien du mal à avoir de leur nouvelle. C’est ce qu’on leur apprend en médecine, à ne pas s’attacher, à ne pas mêler l’affect. « Après ça, j'oublierai jamais la chance que j’ai de pouvoir recroiser les enfants que j’ai sauvés. » Ils sont encore jeunes tous les deux, mais Nina n’oubliera jamais la fois où sa tutrice avait eu la visite d’un enfant qu’elle avait sauvé par le passé, devenu un jeune homme d’une vingtaine d’années en bonne santé. On leur dit souvent de ne pas se prendre pour Dieu, mais il y avait quelque chose de parfaitement grisant dans le fait de pouvoir sauver une vie, de faire la différence. « On prendra des photos d’eux. » Ne pas s’attacher ne voulait pas dire oublier. « Des fois, je me dis qu’eux aussi, ils nous oublient pas. » Elle pouvait voir dans le regard de la petite Sima, qu’elle aura toujours un souvenir de cet homme blanc qui était venu dans son village pour soigner sa sœur. Et c’est dans ces moments-là que leur métier prend véritablement un sens, qu’importe l’impuissance ressentie parfois, qu’importe les heures à se faire du mal, pour trouver une solution, pour créer le meilleur traitement. Un sourire se dessine sur ses lèvres alors que Sima vient toucher une mèche de ses cheveux blonds. « Je vais aller jeter un œil sur tout le monde avant qu’ils dorment. » Nina prétend n’avoir aucune véritable affection pour tous ces gamins, mais elle se soucie de chacun d’entre eux et met un point d’honneur à les voir s’endormir apaisés tous les soirs.

La nuit est véritablement tombée lorsqu’elle retrouve Diego assis devant le petit bâtiment en chaume qui leur sert de dortoir. Il a son téléphone à la main, mais le réseau est introuvable aujourd’hui et cela se voit sur son visage. Il est déçu, presque comme un adolescent à qui l’on aurait retiré ses privilèges, ne pouvant communiquer avec son crush du moment. « Diego Gutiérrez va falloir cracher le morceau. » Sans trop de grâce, elle se laisse tomber à ses côtés alors qu’il lui adresse un énième regard offusqué. « Quoi ? » Pourquoi est-ce qu’il joue autant les prudes alors qu’ils ont toujours eu l’habitude de discuter de tout ensemble ? « Mon mari me fait cocu avec la moitié de Brisbane, tu peux au moins m’accorder ça pour me changer les idées ! » C’est petit d’ainsi utiliser les déboires de son propre mariage, mais aujourd’hui, Nina préfère en rire, juste ce soir, pour dédramatiser et surtout pour que Diego lui dise ce qu’il cache dans son fichu téléphone.