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let’s get out of this town

@diego gutiérrez & nina

lieu: ethiopie

La chaleur est écrasante, elle a beau avoir relevé ses cheveux blonds dans un chignon, quelques mèches lui collent à la nuque. Son débardeur est marqué par des taches de transpiration, sa peau blanchie par la crème solaire qu’elle ne cesse de s’appliquer à intervalle régulier pour ne pas finir avec la peau brûlée par le soleil qui tape à longueur de journée. Elle avait imaginé pouvoir s’adapter rapidement, après tout, en Australie aussi, ils connaissent des chaleurs extrêmes. Pourtant, tout est diamétralement différent dans ce village d’Éthiopie. La chaleur, l’humidité ambiante, les gens qui les accueillent et les situations de vie précaires réunies dans cet hôpital du bout du monde. Aujourd’hui, Nina se charge des bébés du village. Certains démontrent les signes de quelques pathologies inquiétantes et, si la barrière de la langue rend les échanges complexes avec les parents, Nina ne se défait jamais de son sourire rassurant. Travailler en binôme avec Diego s’avère être une expérience inédite, un challenge de chaque jour, mais qui est venu marquer un tournant non négligeable au sein de leur amitié. Ils se comprennent en un coup d’œil, ils sont capables d’agir vite et bien pour le bien-être des habitants. Les journées s’enchaînent, mais ne se ressemblent jamais. Tout est particulièrement intense, si Nina se sentait épuisée à Brisbane, elle réalise s’être plainte d’un petit rien face à ce que les gens de ce village ont dû traverser. L’expérience la rend plus humble, l’aide à se déconnecter des tracas annexes pour mieux se recentrer sur ce qu’elle sait faire de mieux : soigner des petits humains.

Le soir venu, l’hôpital se transforme. On oublie les larmes de la journée, les tensions des diagnostiques, le manque de matériel et les inégalités. Les lits accueillent des enfants de tous les âges et les infirmières locales préparent un repas à base de riz, de manioc et de quelques épices du coin. Comme toujours, Nina vient s’asseoir auprès de Diego. Ils sont les deux seuls blancs, l’attraction du moment. Comme depuis quelques soirs déjà, Sima, une petite fille de huit ans, vient se coller aux jambes de Diego. « Je crois qu’elle t’aime vraiment beaucoup. » Mais son ami ne l’écoute pas. Il est comme ça depuis quelques jours, la tête dans les nuages. Elle l’observe un instant, il semble être parti à mille kilomètres de là, plus loin encore, sûrement dans leur terre natale. « Eh. » D’un coup de coude, elle le ramène parmi eux, dans cet hôpital délabré où la fraîcheur de la nuit commence à s’installer. C’est à Sima qu’elle sourit alors qu’elle pointe Diego du doigt, avant de poser ce dernier sur sa propre tempe, pour démontrer le geste d’un fou. « Il est un peu zinzin, tu trouves pas ? » Elle n’est pas certaine que la petite la comprenne, mais en tout cas, elle récolte un éclat de rire et un sourire qui vient la réchauffer, comme à chaque fois que l’un des enfants lui en offre un. La gamine reste à sa place, assise contre la jambe de Diego, alors que Nina attrape le regard de son ami. « On est parti pour ne plus penser à Brisbane, je te rappelle. » À quoi est-ce qu’il pouvait bien penser surtout ? Elle ne l’a jamais vu aussi distrait.

Le voyage ressemblait maintenant plus à une punition qu’à une réelle opportunité de calmer son esprit tourmenté mais il était entré dans l’avion bien plus apaisé qu’il ne l’aurait pensé alors il refusait d’accorder trop d’importance à ce point de vue. S’il s’était attendu à partir avec bien plus de doutes, Diego savait qu’il avait déjà passé la partie la plus compliquée parce qu’il refusait de s’attarder sur des regrets infondés. Le fait que tout aille déjà bien mieux allait lui permettre d’être totalement impliqué dans ce qu’il allait entreprendre, de partir avec la seule volonté de s’enrichir d’une expérience unique et il était devenu rare qu’il réussisse à penser rien que pour lui. Sans se soucier de l’avis du monde extérieur. Alors même si rester à Brisbane lui semblait être la manière la plus évidente pour aller mieux, il gardait en tête l’idée de se raccrocher à son métier, de se prouver qu’il était encore capable d’être utile. Et petit à petit, la culpabilité de la façon dont il voyait ce voyage s’était transformé en une volonté de faire tout ce dont il était capable pour être utile, le rendant extrêmement efficace. Nina et lui s’accordaient sur le même tempo et si le rythme qu’ils s’infligeaient était extrêmement difficile à suivre, les sourires et les remerciements suffisaient à leur faire oublier tout sentiment négatif.

Il s’en voulait de tant penser à ce moment où il pourrait retrouver son téléphone pour un bref échange de messages, mais il donnait assez au cours de la journée pour s’autoriser à être distrait durant le repas du soir. C’était sa façon de conjuguer avec la fatigue et la difficulté de ses journées et il se félicitait de réussir à le faire de manière bien plus saine que quelques semaines auparavant. Comme à son habitude, l’une des petites filles du village l’avait retrouvé et il l’avait accueillie avec un léger sourire avant de poursuivre son repas en silence, le regard fixé sur l’horizon et sur la promesse d’un futur bien plus stable de retour en Australie. « Je crois qu’elle t’aime vraiment beaucoup. » Diego avait parfaitement entendu le commentaire de Nina mais s’était autorisé à le laisser sans réponse pour profiter encore de ce sentiment de plénitude que seule la vraie fatigue lui permettait de s’accorder. « Eh. » Le coup de coude de Nina l’avait fait réagir, mais c’était surtout les éclats de rire de Sima qui l’avait sorti de ses pensées. Un rayon de soleil à la nuit tombée. « Il est un peu zinzin, tu trouves pas ? » Il avait secoué la tête de manière exagérée, levant les yeux au ciel pour la faire rire de nouveau. Sima ne les quittait pas des yeux, et dans ses yeux d’enfants, ils ressemblaient sûrement au couple parfait et l’idée l’amusait. « On est parti pour ne plus penser à Brisbane, je te rappelle. » « Qui t’a dit que je pensais à Brisbane ? » avait-il répondu en gardant un instant le regard perdu dans le vide avant de se décider à le diriger vers Nina avec un sourire discret mais sincère. « Elle me fait tellement penser à Maria. Elle était exactement comme ça, toujours à éclater de rire sans forcément de raison. » Ses doigts étaient venus trouver les tresses de la petite fille qui s’apaisait à chaque fois qu’il s’occupait d’elle, lui en pensant qu’il savait toujours être un grand frère exemplaire. Nina savait qu’il avait signé un pacte avec lui-même, celui d’en parler un peu plus, de dire les choses comme elles lui venaient pour ne plus s’enfermer avec ses propres démons. Sima lui rappelait Maria, mais sans qu’aucune tristesse ne le frappe, il ne ressentait qu’une profonde nostalgie et une empathie décuplée pour la petite fille qui avait dû sentir cette connexion avec le médecin. « J’ai parlé aux médecins locaux et ils m’ont donné des antibiotiques qui devraient aider sa sœur, c’est bactérien. » Sima était peut-être aussi proche de lui car il était le médecin en charge de soigner sa petite soeur et il trouvait juste de partager la bonne nouvelle avec Nina après une journée éprouvante. « Ca faisait longtemps que je m’étais pas senti aussi utile, tu sais. » Et il la remerciait, en quelques sortes, d’être à ses côtés.

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@diego gutiérrez & nina

Elle n’arrive pas à comprendre Diego depuis leur arrivée. La journée, il se donne à 100%, il est le médecin qu’elle connaît, celui qui donne toute son attention aux patients et qui s’arrachera les cheveux pendant des heures pour tenter de trouver une solution. Mais dès qu’il était temps de dîner et de s’accorder une heure ou deux de détente avant de sombrer sur leur lit de camp, il devenait distant. Elle l’a vu plusieurs fois avec son téléphone, malgré le réseau approximatif, il lui arrive trop régulièrement de sourire à son écran tel un adolescent. Elle, qui a carrément éteint son téléphone dès l’instant où leur avion s’était posé en Éthiopie, elle eu le temps de l’observer en silence. Il est ailleurs Diego, pas vraiment disponible en dehors du travail, et elle ne sait comment interagir avec lui. Et ce soir, même la petite Sima semble ne pas pouvoir le tirer de ses pensées. Est-ce qu’elle devrait s’inquiéter ?

« Qui t’a dit que je pensais à Brisbane ? » Elle eut envie de rire, mais préfère lever les yeux au ciel. « C’est écrit partout sur ta tronche. » Elle hésite encore à lui demander qui pouvait bien lui écrire de manière aussi récurrente. Habituellement, il aurait répliqué sans attendre, mais une fois encore, son regard se perd dans le vide et cela la déstabilise. Qu’est-ce qui t’arrive, Diego ? « Elle me fait tellement penser à Maria. Elle était exactement comme ça, toujours à éclater de rire sans forcément de raison. » Son cœur se serre à la mention de la petite sœur de son amie. Elle n’avait pas pensé à cela. Au fait que la petite demoiselle qui colle Diego depuis leur arrivée est en réalité du même âge que Maria. Sans un mot, elle laisse ses doigts glisser sur l’avant-bras de Diego. Un simple signe de soutien tandis que les mots lui manquent. « Tu sais y faire avec elle. » Et la petite lui rend bien à coup de grand sourire et d’une confiance qui dépasse les barrières de la langue. Une chose est sûre, elle allait sûrement chercher à s’incruster dans leur petite maison de fortune ce soir. Et Nina aura bien du mal à la mettre à la porte. « J’ai parlé aux médecins locaux et ils m’ont donné des antibiotiques qui devraient aider sa sœur, c’est bactérien. » - « C’est super, elle sera rapidement sur pied alors. » Et Sima retrouvera sa sœur, les deux fillettes étant apparemment orphelines. « Demain, j’aurais besoin de toi pour le petit garçon qui est arrivé aujourd’hui. » Il était apeuré et sûrement avec un sérieux problème cardiaque que Nina a bien du mal à définir.

« Ça faisait longtemps que je m’étais pas senti aussi utile, tu sais. » Elle lève les yeux vers lui, souriant quelque peu. « C’est exactement pour ce genre de chose que j’ai choisi ce métier. » Sauver des vies, se sentir utile, savoir que leurs actions feront la différence pour ces gens. « Même si on a des allures d’Indiana Jones. » Ici, la douche n’existe pas vraiment, elle a relevé ses cheveux dans un chignon depuis des jours, ils ont des traces de bronzage et des pantalons cargos. « On forme un sacré duo, non ? » Elle aimait ce qu’il advient de leur amitié, ici, à l’autre bout du monde.

Il n’y avait pas le temps de trop réfléchir sur le terrain, et c’était exactement ce dont Diego avait besoin, il ne pouvait que l’admettre malgré son envie de retrouver tout ce qui lui permettait de garder la raison. Son appartement, sa famille. Son chien. Et Mateo. « C’est écrit partout sur ta tronche. » « Alors tu devrais arrêter de me mater, Sterling. » Il avait ajouté une légère tape sur la cuisse de son amie avant de lui accorder un sourire triomphant : son égo et son humour étaient de retour, et elle n’avait aucune raison de s’inquiéter. « Je pensais laisser des problèmes là-bas, mais j’ai quitté des choses qui me manquent. » Et il avait haussé les épaules parce qu’il n’était pas nécéssaire de s’épancher sur un sujet qu’il avait déjà abordé avec bien trop de monde, sans même réellement savoir où il se situait au milieu de tout cela. Mieux valait se raccrocher à ce qu’il pouvait contrôler, comme le sort de Sima et sa sœur. « Tu sais y faire avec elle. » Le sourire de Diego était presque imperceptible. Il s’agissait de mots simples et pourtant, ils avaient une signification toute particulière pour lui. S’ils étaient de ceux que l’on prononçait juste comme ça, ceux qui étaient faciles à dire car préfabriqués, Diego était également conscient que Nina ne les prononçait pas simplement pour s’assurer de briser le silence. Elle pensait chacune de ses paroles, et si elle n’en mesurait peut-être pas toute l’ampleur, elle était sincère. On les lui avait déjà dit, plusieurs fois, mais c’était en ces terres éloignées qu’il choisissait d’y croire : il était un bon médecin et, par extension, un bon grand frère, tenant même le rôle pour une durée éphémère si le cadre s’y prêtait.

« C’est super, elle sera rapidement sur pied alors. » Il aurait adoré que Sima comprenne l’échange que Nina et lui étaient en train d’avoir, mais son pouce levé et son sourire suffisaient à rassurer la petite fille. Elles étaient proches, et voir la force des liens familiaux lui donnait un sentiment de déjà-vu mais également une forme de nostalgie parce qu’il n’était pas sûr de ce qu’il adviendrait de sa relation avec Cesar. « Demain, j’aurais besoin de toi pour le petit garçon qui est arrivé aujourd’hui. » « Bien sûr. » Ils étaient là pour ça et il n’aurait même pas eu besoin de répondre pour que Nina soit assurée de sa présence pour l’aider mais il la voyait tiquer et ne souhaitait pas lui donner davantage de raison de s’inquiéter. Il n’y avait aucune raison de le faire car pour la première fois depuis des semaines, des mois, Diego était distrait pour une raison positive. Et être ici, à être un médecin généraliste plus qu’un oncologue, le laissait encore plus facilement échapper aux difficultés qu’il connaissait à Brisbane. En attendant, il pouvait se raccrocher à ce sentiment d’être utile, presque indispensable, alors que la liste des cas sur lesquels ils avaient mis un diagnostic et un traitement ne cessait de s’allonger. « C’est exactement pour ce genre de chose que j’ai choisi ce métier. » Elle avait toute son attention, cette fois, et il avait encore réussi à sourire face à cette affirmation. « Pourquoi j’ai l’impression que tu me dis ça avec une idée derrière la tête ?» Le rassurer, notamment, parce qu’elle n’avait probablement pas oublié ce que Ruben lui avait dit à son sujet. « Même si on a des allures d’Indiana Jones. » Diego s’était mis à rire, jettant un oeil à sa propre allure tout en cherchant à replacer ses mèches rebelles qui n’avaient que faire de son mouvement de la main. « On forme un sacré duo, non ? »  « Ouais et tu pourras te vanter d’être l’une des rares à m’avoir vu aussi… négligé. » Son air de dégoût était évidemment exagéré, parce que si sa coquetterie n’était plus à prouver, il l’oubliait volontiers dans le feu de l’action et au milieu d’un village accueillant et où tous les problèmes semblaient futiles. « Merci, Nina. D’être venue et d’avoir toujours été là, aussi. » Elle n’était pas de ceux qui acceptaient les confidences autour d’un feu de camp et pourtant, devant son sourire et son comportement apaisé de ces derniers jours, il s’y autorisait.

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« Alors tu devrais arrêter de me mater, Sterling. »
« Mais comment résister… »

Et de son meilleur jeu d’actrice, elle lui adresse un regard perdu, souligné par le papillonnement de ses cils. Il la bouscule et elle éclate de rire, ce qui amène alors en écho le rire de Sima. Elle ne comprend rien à ce qu’ils racontent, mais elle s’amuse tout de même de leurs actions. Ils lui offrent la parfaite distraction et même si elle ne fait pas partie intégrante de leur conversation, elle refuse de s’éloigner de plus de quelques centimètres de celui qu’elle semble avoir désigné comme son ange gardien. « Je pensais laisser des problèmes là-bas, mais j’ai quitté des choses qui me manquent. » À ces mots, Nina relève la tête. Ils sont partis pour les mêmes raisons, qu’importe si Diego n’a rien partagé avec elle. Ils sont partis pour s’éloigner de ce qui les affectait à Brisbane, mais il faut croire que Diego n’a pas su viser juste sur l’identification de ses problèmes. Et elle a vu à quel point il s’acharnait pour avoir quelques barres de réseaux quand elle n’a pas touché à son téléphone depuis leur arrivée. « Elle s’appelle comment ? » Qui est l’heureuse élue qui donne envie à Diego de rentrer plus vite que prévu ?

Étre dans la lune semblait être un trait de sa personnalité, jamais pour les mêmes raisons, mais toujours un peu malgré tout. Nina n’allait pas le juger pour cela, pas ici. Elle en avait presque laissé ses préjugés à l’aéroport. Ici, elle n’est personne d’autre que le médecin. Celle qui écoute, qui analyse et qui soigne. Pour la première fois depuis ce qui lui paraît avoir été des mois, Nina se donne à nouveau corps et âme pour son métier. Il n’est plus question de son mariage, même si son alliance et sa bague de fiançailles trônent toujours fièrement autour de son cou. Ce sera une analyse pour plus tard. Elle pense à Ruben, tous les jours. Elle aimerait lui montrer tout ce qu’elle fait ici, elle aimerait lui dire qu’il devrait se lancer dans une aventure aussi humble à son tour, mais les souvenirs de sa trahison ne sont jamais loin et lorsqu’elle envoie un message, c’est simplement parce qu’elle sait qu’il se rendrait malade à n’avoir aucune nouvelle d’elle. En attendant, elle est heureuse d’avoir retrouvé ses sentiments d’utilité et d’être à la bonne place. « Pourquoi j’ai l’impression que tu me dis ça avec une idée derrière la tête ? » Un sourire étire ses lèvres. « Parce que tu avais besoin de te rappeler pourquoi tu fais ça, toi aussi. » Il avait un peu oublié, c’était laissé distraire par des souvenirs et ses propres émotions. « Diego, on a besoin de gens comme toi en pédiatrie. » Que ce soit dans le service normal ou en onco-hématologie, ce n’est pas le nerf de la guerre. « Ils te font confiance parce que tu sais prendre le temps, tu les écoutes même quand ils n’ont rien à dire et surtout, tu ne fais pas d’eux des êtres qui ne sont pas capables de comprendre ce qui leur arrive. » Combien de fois s’était-elle mordu les lèvres jusqu’au sang lors de ses études quand un pédiatre passait son temps à parler aux parents, mais jamais au véritable patient. Cela lui avait d’ailleurs valu un avertissement, le jour où elle s’était avancée pour parler directement à l’enfant alors que le médecin ne déblatérait qu’un charabia qui le terrorisait.

« Ouais, et tu pourras te vanter d’être l’une des rares à m’avoir vu aussi… négligé. » Cette fois, elle ne peut s’empêcher de rire. « Si tu dis à quelqu’un que je me suis pas lavé les cheveux depuis une semaine, je balance des photos de toi. » La menace se veut maigre, il a les mêmes preuves dans son téléphone. Ils essayent de documenter un peu leur voyage, de garder en mémoire les visages de ceux qu’ils ont croisé ici. Et c’est tellement nouveau pour certains, qu’ils veulent tous apparaître sur les photos avec les médecins. Nina a désormais une collection complète de selfies avec tous ceux qu’elle a pu côtoyer ici et un bon nombre, incluant Diego également. « Merci, Nina. D’être venue et d’avoir toujours été là, aussi. » Sa main glisse sur le genou de Diego pour l’enserrer de ses doigts dans un remerciement silencieux. « C’est plutôt toi qui m’aide cette fois. » Elle ne l’avouera pas souvent, mais ce n’est que la stricte vérité. Il est celui qui lui avait parlé de ce voyage, celui qui accepte de lui donner toutes les informations quand elle ne lui avait encore rien dit. Il l’avait accueilli les bras ouverts, sans poser de questions.

« Mais comment résister… » Ils avaient ri en coeur et Diego adorait la voir ainsi, rire comme si elle avait réussi à laisser ses problèmes en Australie. Il n’était pas assez naïf pour savoir que tout était aussi simple que cela, mais la simple idée de la voir retrouver le sourire même temporairement participer à le guérir un peu lui aussi. Et alors qu’il n’osait pas la questionner, Nina l’avait pris au dépourvu, lisant parfaitement entre les lignes. « Elle s’appelle comment ? » Elle. C’était peut-être cette mention qui lui avait fait faire un pas en arrière, choisissant finalement de ne pas poursuivre dans ces tentatives de confidences subtiles qu’il avait initiées. « Quoi ? Non mais n’importe quoi, arrête … » Quiconque connaissait la façon qu’il avait de passer une main dans ses cheveux en riant lorsqu’il était nerveux et il n’avait même pas songé à dissimuler ces indices évidents. Avant même qu’il n’ait fini de parler, Nina le regardait déjà, un sourire en coin sur les lèvres, l’un de ses sourcils arqué, alors il avait soupiré. « C’est trop tôt pour en parler. » Même si y penser le faisait sourire plus qu’à l’accoutumée, il ne vivait encore rien qui nécessitait d’être exprimé et ils étaient assez d’accord sur ce point. Le raz de marée s’était déclenché à Brisbane et il souhaitait plus que tout ne pas le voir se propager davantage et ce malgré la bienveillance notoire de son amie.

Nina savait choisir ses mots, adapter son discours et c’était une qualité nécessaire pour exercer sa profession. Mais elle ne choisissait pas toujours de le faire dans sa vie de tous les jours, n’étant pas du genre à retenir ce qu’elle souhaitait réellement dire alors Diego avait tiqué sur cette dernière phrase. « Parce que tu avais besoin de te rappeler pourquoi tu fais ça, toi aussi. » Pour comprendre que faiblir n’était pas une option et que la fatalité n’était pas la seule option. « Diego, on a besoin de gens comme toi en pédiatrie. » Son visage s’était tourné vers Nina car cette fois-ci, elle avait toute son attention. « Ils te font confiance parce que tu sais prendre le temps, tu les écoutes même quand ils n’ont rien à dire et surtout, tu ne fais pas d’eux des êtres qui ne sont pas capables de comprendre ce qui leur arrive. » Il se souvenait du nombre de fois où il avait répondu je sais à ce genre d’affirmations, parce qu’il avait toujours adoré montrer une forme d’arrogance, surtout auprès de ceux occupant déjà le poste qu’il convoitait. Diego n’était pas connu pour apprécier les ordres ou même les conseils s’ils venaient des mauvaises personnes, et pourtant il était arrivé à une étape de sa carrière où il en avait grandement besoin. Encore plus lorsqu’ils venaient de quelqu’un comme Nina, chirurgienne qu’il admirait beaucoup pour son travail. « C’est surtout pour eux que j’ai voulu faire ce métier. » Il incluait évidemment Maria dans ces mots, et c’était bien là le cœur du problème. « C’est difficile, au quotidien, cette impression d'injustice et d’être impuissant mais je m’en veux, d’avoir douté. » Pour ne pas dire s’être écroulé littéralement, un passage brièvement évoqué avec Nina puisque Ruben n’avait pas su rester discret - c’était extrêmement ironique. Il espérait qu’elle ait été épargnée du cas particulier qui l’avait amené à sombrer pour de bon et qui était en lien direct avec sa question sur une hypothétique relation amoureuse. « Il y en a tellement, des enfants comme Sima qui attendent que je passe du temps avec eux. » Il souriait en parlant et en songeant à ses patients avec qui il passait du temps, parce que cela faisait partie intégrante de son rôle selon lui. C’était ce que permettait ce voyage, retrouver les bases d’un métier qui demandait de nombreux sacrifices mais était extrêmement gratifiant. « Si tu dis à quelqu’un que je me suis pas lavé les cheveux depuis une semaine, je balance des photos de toi. » Il avait éclaté de rire devant cette révélation qu’il avait oubliée, l’importance étant ailleurs et Nina avait participé à ce qu’il le réalise. « C’est plutôt toi qui m’aide cette fois. » Ils sortiraient plus forts de cette expérience, leur amitié atteignant un tournant. « Ils vont nous manquer, hin ? » avait-il lancé presque négligemment, ses doigts toujours agrippés à la tresse d’une Sima qui était évidemment la première à laquelle il avait pensé en prononçant ses mots. Et il en aurait été de même si elle n’avait pas été juste là, devant lui. « Après ça, j'oublierai jamais la chance que j’ai de pouvoir recroiser les enfants que j’ai sauvés. » Une manière positive d'évoquer son rôle, parce qu'il savait que bientôt, ils ne verraient plus tous les enfants qui auront fait partie de son quotidien durant un mois entier. Une promesse, alors qu’il gardait en lui toutes les questions qu’il n’avait pas encore osé poser à Nina depuis leur arrivée : comment elle allait, si elle pensait encore à Ruben et si elle réussirait à affronter l’épreuve qui l’attendrait à leur retour.

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« Quoi ? Non mais n’importe quoi, arrête… » Si elle avait eu un appareil photo sous la main, elle se serait empressée d’immortaliser l’air outré de Diego. Elle connait la moindre de ses moues, a souvent été témoin de son meilleur acting, mais elle n’allait pas tomber dans le piège de son faux air offusqué. Elle sait que quelque chose se trame, il ne passerait pas son temps à sourire à son téléphone comme un adolescent niais si ce n’était pas le cas. La panique semble s’enclencher dans le regard de son ami, comme s’il venait de se faire prendre la main dans le sac, alors qu’il ne fait rien pour être discret depuis leur arrivée sur le camp. « C’est trop tôt pour en parler. » Fronçant les sourcils, elle l’observe un instant, espérant qu’il poursuit son explication, mais de sa part, elle n’obtiendra qu’un lourd silence entaché d’un énième sourire niais. « Hmm… Si tu le dis. » Elle n’insiste pas, il est encore tôt, ils auront le temps lorsque les oreilles de Sima ne traîneront plus dans le coin.

À l’autre bout du monde, tout se veut un peu différent. Personne n’est là pour les observer, ils ne sont que deux médecins venus filer un coup de main. Il n’est pas question d’être le meilleur, de gagner des prix ou de publier quoi que ce soit. Dans ce village coupé du monde, il n’est plus que question de médecine. La vraie, celle qu’ils ont choisie en s’engageant dans leurs études et celle qui rythme la moindre de leurs décisions quotidiennes. Ils sont fatigués, mais il serait difficile de ne pas voir les sourires qui traînent sur leurs lèvres, malgré les difficultés et les injustices dont ils sont témoins depuis des jours. « C’est surtout pour eux que j’ai voulu faire ce métier. » Les enfants, de manière générale, sa sœur en priorité. Nina avait jugé Diego par le passé, le trouvant trop dans l’affect, incapable de faire la part des choses. Elle a bien revu sa copie depuis et encore plus depuis qu’ils sont ici. « C’est difficile, au quotidien, cette impression d'injustice et d’être impuissant, mais je m’en veux, d’avoir douté. » Ils ont tous connu ce sentiment d’injustice, d’autant plus qu’il n’y a rien de raisonnable dans le fait de voir un enfant mourir. Elle sait qu’il a eu besoin de craquer, que rien n’a été simple pour lui avant leur départ, mais elle voit les évolutions et sa détermination qui reprend vie. « Il y en a tellement, des enfants comme Sima qui attendent que je passe du temps avec eux. » Il est rarissime que Nina rassure les autres sur leur capacité. Elle s’est entraînée à être celle qui écrase les autres, qui ne veut le meilleur que pour elle-même, mais la dynamique est différente avec Diego. « Maintenant que tu as eu le déclic, il reste plus qu’à faire. » Et parce que ce n’est pas d’eux que d’avoir des conversations aussi posées, elle s’empresse d’ajouter. « Tu seras jamais aussi bon que moi, mais… Tu peux prétendre à mieux. » Et ses paroles s’accompagnent, malgré tout, d’un léger clin d’œil, pour la forme. 

« Ils vont nous manquer, hin ? » N’importe qui d’autre aurait approuvé, mais pas Nina. « On est pas là pour s’attacher. » Elle note chaque sourire, retient chaque éclat de rire, mais refuse de se laisser aller à une affection plus grande que celle qu’elle maintient en surface. Elle ne reverra jamais ces enfants et aura probablement bien du mal à avoir de leur nouvelle. C’est ce qu’on leur apprend en médecine, à ne pas s’attacher, à ne pas mêler l’affect. « Après ça, j'oublierai jamais la chance que j’ai de pouvoir recroiser les enfants que j’ai sauvés. » Ils sont encore jeunes tous les deux, mais Nina n’oubliera jamais la fois où sa tutrice avait eu la visite d’un enfant qu’elle avait sauvé par le passé, devenu un jeune homme d’une vingtaine d’années en bonne santé. On leur dit souvent de ne pas se prendre pour Dieu, mais il y avait quelque chose de parfaitement grisant dans le fait de pouvoir sauver une vie, de faire la différence. « On prendra des photos d’eux. » Ne pas s’attacher ne voulait pas dire oublier. « Des fois, je me dis qu’eux aussi, ils nous oublient pas. » Elle pouvait voir dans le regard de la petite Sima, qu’elle aura toujours un souvenir de cet homme blanc qui était venu dans son village pour soigner sa sœur. Et c’est dans ces moments-là que leur métier prend véritablement un sens, qu’importe l’impuissance ressentie parfois, qu’importe les heures à se faire du mal, pour trouver une solution, pour créer le meilleur traitement. Un sourire se dessine sur ses lèvres alors que Sima vient toucher une mèche de ses cheveux blonds. « Je vais aller jeter un œil sur tout le monde avant qu’ils dorment. » Nina prétend n’avoir aucune véritable affection pour tous ces gamins, mais elle se soucie de chacun d’entre eux et met un point d’honneur à les voir s’endormir apaisés tous les soirs.

La nuit est véritablement tombée lorsqu’elle retrouve Diego assis devant le petit bâtiment en chaume qui leur sert de dortoir. Il a son téléphone à la main, mais le réseau est introuvable aujourd’hui et cela se voit sur son visage. Il est déçu, presque comme un adolescent à qui l’on aurait retiré ses privilèges, ne pouvant communiquer avec son crush du moment. « Diego Gutiérrez va falloir cracher le morceau. » Sans trop de grâce, elle se laisse tomber à ses côtés alors qu’il lui adresse un énième regard offusqué. « Quoi ? » Pourquoi est-ce qu’il joue autant les prudes alors qu’ils ont toujours eu l’habitude de discuter de tout ensemble ? « Mon mari me fait cocu avec la moitié de Brisbane, tu peux au moins m’accorder ça pour me changer les idées ! » C’est petit d’ainsi utiliser les déboires de son propre mariage, mais aujourd’hui, Nina préfère en rire, juste ce soir, pour dédramatiser et surtout pour que Diego lui dise ce qu’il cache dans son fichu téléphone.

Difficile pour lui de réaliser qu’il laissait paraître tous ces signes capables de montrer à quel point il comptait pour lui. Ils ne s’en étaient pas fait la promesse mais implicitement, ils avaient décidé de ne pas nommer ce qu’ils vivaient et d’en rester détachés. Et il était presque ironique que cette décision ait été prise pour couver un Diego peu sûr de pouvoir gérer ses sentiments quand celui-ci était finalement en train de sombrer. Mateo ne lui en voudrait pas, s’il taisait son comportement, s’il restait discret alors même qu’il mourrait d’envie de parler de tout cela. Ici avec Nina, au bout du monde, l’exercice semblait d’ailleurs bien plus facile et il aurait été tentant de se laisser porter mais il y avait encore trop en jeu, alors le mexicain tentait d’échapper à l’interrogatoire. « Hmm… Si tu le dis. » Et finalement, il n’était même plus sûr que ces indices glissés ici et là, à grand renforts de sourires niais et d’intérêt trop poussé pour son téléphone, n’étaient pas une façon de se libérer d’un poids. Il ne pouvait pas s’en empêcher, mais son manque de discrétion amènerait probablement à dire la vérité et inconsciemment, il en avait peut-être besoin. Ravi d’avoir su échapper à la curiosité de la blonde, il s’était concentré sur une discussion bien moins futile. « Maintenant que tu as eu le déclic, il reste plus qu’à faire. » A son retour, il serait une meilleure version de lui-même, il s’en faisait le serment. « Tu seras jamais aussi bon que moi, mais… Tu peux prétendre à mieux. » Il avait éclaté de rire, difficile de comparer deux domaines bien distincts, mais ici, ils redevenaient parfois de simples médecins et son égo ne réussissait pas à tenter de détrôner une titulaire, une amie. « Effectivement si tu me demandes d’opérer … Chacun son domaine, Sterling. » Il y avait quelque chose de provocant dans cette façon d’appuyer sur le nom de famille de Nina, qu’elle avait eu la présence d’esprit de ne pas changer. Mais il en resterait là, ils étaient loin de leurs problèmes et le médecin ne remuerait pas le couteau dans la plaie. Pourtant, il était important de lui rappeler sa valeur, la vraie, celle qu’elle avait acquis loin très loin de Ruben. Et en ce sens, il lui laissait volontiers se vanter de ses talents : elle en avait besoin et, surtout, il était impossible de les lui retirer. Mais les qualités que Nina possédaient pour le métier pouvaient parfois s’apparenter à des défauts, un manque d’empathie, qui était en fait une carapace qu’elle se forgeait. « On est pas là pour s’attacher. » avait-elle répondu, comme pour le mettre en garde et continuer de partager un peu de ce savoir qu’elle possédait et qu’il n’avait plus que quelques mois pour obtenir. « On prendra des photos d’eux. » Son téléphone en était déjà plein, et il avait une idée derrière la tête, qu’il n’était pas certain que Nina verrait d’un bon oeil. Mais si ses conseils étaient précieux, il mettait également un point d’honneur à devenir le médecin qu’il souhaitait être, même si cela était en contradiction avec son besoin de se détacher mentalement. « Des fois, je me dis qu’eux aussi, ils nous oublient pas. » « Ca peut pas être à sens unique. Et Sima, je suis sûr qu’elle m’oubliera pas. » avait-il lancé en accordant un sourire complice à la petite fille qui, une fois encore, semblait parfaitement comprendre ce qu’il en était. « J’ai décidé de la parrainer. Et j’espère avoir l’occasion de revenir la voir. » La bonne action ne pouvait pas s’arrêter là, il voulait la faire durer, parce qu’il réalisait de jour en jour le bien que cela lui faisait.

« Je vais aller jeter un œil sur tout le monde avant qu’ils dorment. » Son sourire était venu confirmer qu’il la remerciait de s’en charger, pour cette fois. Bien sûr que ce laps de temps seul avait été utilisé pour tenter de le contacter, sans succès, et la frustration devait se lire sur son visage. « Diego Gutiérrez va falloir cracher le morceau. » Levant les yeux vers elle comme un enfant que l’on aurait grondé, il l’avait suivie du regard alors qu’elle s’était laissée tomber à côté de lui, visiblement fatiguée. « Quoi ? » Malgré tout, elle laissait paraître ce côté volcanique qui amusait autant qu’il déstabilisait. « Mon mari me fait cocu avec la moitié de Brisbane, tu peux au moins m’accorder ça pour me changer les idées ! » Il avait à peine retenu son rire. Ce n’était pas tant que la situation l’amusait, mais que l’attitude de Nina qui avait décidé de ne pas mâcher ses mots et de présenter les choses telles qu’elles étaient l’avait surpris. Comme si elle était redevenue elle-même en un claquement de doigt, et le constat était rafraîchissant. Pourtant, Diego avait fermé les yeux en prenant une grande inspiration, réfléchissant à la meilleure option. Dire la vérité et dévoiler trop tôt un jeu qu’il n’était pas sûr de gagner et qui balayait ses principes ou offrir quelque chose de plus nuancé. « C’est pas beau de jouer là-dessus, j’ai plus le choix maintenant. » Les coudes appuyés sur ses cuisses, il avait tourné le visage vers elle pour lui sourire, comme pour effacer la culpabilité de lui laisser penser qu’elle obtiendrait toute la vérité quand elle n’en aurait qu’un infime pourcentage. « J’ai pas menti quand je disais que c’était trop tôt pour en parler. Je vois quelqu’un, c’est sympa, mais je me fais pas d’illusions. » Il avait haussé les épaules, depuis quand avait-il perdu sa confiance en lui à ce point ? C’était un mélange entre l'oppression ressentie au travail et la bataille interne qui se jouait à cause de ses sentiments. Diego n’était plus sûr de lui, et c’était bien là ce qui le dérangeait. « C’est le genre de personne totalement opposé à moi, fêtard, pas décidé à se poser, rien de très Diego Gutiérrez. »  Il avait trouvé un moyen détourné de se permettre d’utiliser les adjectifs au masculin sans pour autant avoir l’impression de révéler l’intégralité de ce secret qui n’aurait finalement pas dû en être un. Ce n’était pas des autres qu’il avait peur, surtout pas de Nina, mais plutôt de lui et de ses craintes encore trop présentes concernant Mateo. Bombant presque le torse en se redressant, il tentait de retrouver de sa superbe pour ne pas éveiller davantage les soupçons de son amie. « Mais ça fait du bien. » Son haussement d’épaules et ses mots étaient en totale opposition avec ce qu’il ressentait réellement à l’intérieur et qui prenait plus d’ampleur au fur et à mesure où il en parlait. Et tout cela le terrifiait.

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« Effectivement, si tu me demandes d’opérer… Chacun son domaine, Sterling. » Au sens propre du terme, ils n’évoluent pas strictement dans le même monde, il est certain, mais si Nina a pour habitude de déprécier ceux qui ne manient pas le scalpel, ce n’est pas le cas avec Diego. « T’aurais pu faire un excellent chirurgien. » Elle n’en doute pas et ce ne sont pas des compliments qu’elle distribue à la légère. « Mais après, on aurait été obligé de se livrer une compétition sans limites… J’aurais fini par te bouffer. » À ce jeu-là, elle était clairement meilleure que lui. Diego est bien trop… Connecter à ses émotions ? Humaniste ? Elle n’en sait trop rien, mais elle n’a pas réellement envie de connaître une autre version que celle qui évolue sous ses yeux depuis qu’ils sont arrivés dans ce village. Leur différence devient évidente à la seule manière qu’ils ont de parler des enfants. Diego c’est déjà profondément attaché à certains, elle le voit. Tandis que Nina s’efforce de les tenir à distance, sans pour autant ne jamais se défaire de son sourire rassurant. « Ça peut pas être à sens unique. Et Sima, je suis sûre qu’elle m’oubliera pas. » La petite demoiselle n’a pas décollé de ses côtés et Nina redoute le moment où on devra l’arracher des bras de Diego. « Sima c’est une exception. » Qu’elle plaisante en souriant à la petite fille qui ne comprend rien de tout ce qu’ils disent et qui pourtant ne cesse de leur sourire sans arrêt. « J’ai décidé de la parrainer. Et j’espère avoir l’occasion de revenir la voir. » - « Toi aussi, tu sais qu’on finira par revenir ? » Elle a ressenti cela également. Ils ont tellement donné ces derniers jours, il sera trop difficile de laisser ce village derrière eux sans vouloir suivre les évolutions et les guérisons. « Il faut que l’on présente un projet plus complet de parrainage à l’administration. » Nina a déjà tout un tas d’idées en tête et elle espère que Diego voudra s’associer à elle pour cela. En plus d’être excellent pour leur image, cela leur permettrait de conserver un lien avec cet endroit.

Elle rejoint à nouveau Diego après s’être assurée que tous leurs petits pensionnaires étaient dans leur lit, prêts à dormir. Elle est épuisée, mais à trouver son ami devant leur cabane avec son air de petit garçon frustré, elle sait qu’une conversation s’impose. Il va jouer l’autruche, elle le sait, mais peut-être que se retrouver à la belle étoile sans personne aux alentours l’aidera à s’ouvrir un peu. Cela, ou son humour sans faille. « C’est pas beau de jouer là-dessus, j’ai plus le choix maintenant. » - « Avoue, c’était quand même drôle. » Si les traits de son visage communiquent un véritable amusement, ses doigts qui viennent faire tourner son alliance, eux, trahissent un peu ses pensées. Elle n’a pas pensé à Ruben depuis plusieurs jours et ce simple constat la trouble. Mais ce soir, elle n’a clairement pas l’intention de parler d’elle. Son attention toute entière se dévoue à Diego. « J’ai pas menti quand je disais que c’était trop tôt pour en parler. Je vois quelqu’un, c’est sympa, mais je me fais pas d’illusions. C’est le genre de personne totalement opposé à moi, fêtard, pas décidé à se poser, rien de très Diego Gutiérrez. » Elle l’écoute sans faire de remarque, observe chacune de ses mimiques et ce tic constant qu’il a pris de laisser son doigt glisser sur l’écran de son téléphone, probablement dans l’attente d’un message. « Mais ça fait du bien. » C’est vrai qu’il transpire le bonheur à parler comme ça. Est-ce que tout son entourage s’est décidé à la prendre pour une idiote ces derniers temps ? « Tu me prends vraiment pour une cruche ? » Qu’elle marmonne sans jamais détourner son regard du sien. « C’est pas ton genre de juste voir quelqu’un comme ça… » Diego avec un coup d’un soir ? Non, elle n’achète pas. « Tu l’aimes ? » Elle n’est clairement pas la mieux placée pour parler d’amour ces derniers temps, mais quelque chose lui fait dire que Diego est possiblement en train de paniquer. « C’est pas aussi affreux que ça en à l’air tu sais… D’aimer quelqu’un. » Si cela l’était. L’amour vous pousse à vous défaire de vos barrières, pour faire confiance aveuglément à quelqu’un d’autre. Et Nina se trouve ravie du résultat… Mais elle ne peut pas réellement dire cela à Diego et, avant que son histoire s’écroule, Nina était véritablement amoureuse. Elle n’a jamais été une très grande romantique, mais avec Ruben, elle pensait vivre une belle histoire. Et puis, Nina a envie d'en savoir plus, désormais. « Pourquoi tu paniques ? » Il va nier, elle le sait, mais il est tombé sur plus têtu que lui, c’est dommage !

Difficile pour tous les deux de s’imaginer un jour devoir refermer cette parenthèse qui leur avait fait tellement de bien, leur avait apporté tout ce dont ils avaient besoin de plus encore. Alors ils laissaient s’éterniser les discussions, comme si se coucher toujours plus tard retarderait l’inévitable départ. Mais ce soir, le sujet abordé était nouveau, parce que s’ils avaient pratiqué tout au long du séjour, Diego n’avait pas encore pris le temps de s’exprimer sur sa toute nouvelle position face à son métier. Il avait été désabusé, son deuil se mélangeant à sa fatigue physique et mentale jusqu’à le faire tomber et il était ravi de pouvoir partager la façon dont il était en train de se relever avec Nina. « T’aurais pu faire un excellent chirurgien. » Il avait haussé les épaules : si cela avait été sa vocation alors il aurait probablement travaillé aussi dur qu’il l’avait fait pour en arriver là aujourd’hui. Mais sa spécialité n’avait évidemment pas été choisie à la légère, alors il continuerait de s’y atteler avec l’acharnement dont il avait toujours fait preuve. Avec cette même connexion qu’il trouvait nécessaire de créer avec ses patients, avec cette façon de faire qui était la sienne et qu’il n’en pouvait plus d’attendre de pouvoir mettre en pratique sans que plus personne ne vienne la lui reprocher. « Mais après, on aurait été obligé de se livrer une compétition sans limites… J’aurais fini par te bouffer. » Bien sûr qu’il tairait la façon dont il percevait parfois ses conseils comme de véritables ordres, il ne lui en voulait pas de vouloir être la meilleure dans un domaine où il n’y avait pas de place pour les doutes et surtout pas pour l’erreur. « Sima c’est une exception. » Son sourire était un peu plus triste, alors que ses yeux s’étaient levés vers le ciel pour laisser cette pensée pour Maria le traverser sans pour autant le submerger. A la place, il avait pris une inspiration avant d’indiquer sa prochaine étape. « Toi aussi, tu sais qu’on finira par revenir ? » Il en était convaincu. « Il faut que l’on présente un projet plus complet de parrainage à l’administration. » « Pour Sima j’ai vu avec les équipes sur place, mais tu sais que je te suivrai là-bas aussi. » Parce qu’il ferait à peu près n’importe quoi pour les enfants et pour l’hommage qu’il avait le sentiment de rendre à sa petite soeur de cette façon.

Une Nina bien plus apaisée que lors de son départ l’avait rejoint après son tour de garde, le prenant au dépourvu avec une plaisanteire qu’il n’aurait même jamais envisagé faire. « Avoue, c’était quand même drôle. » Le sentiment était doux-amer, et ce également parce que cela n’effaçait pas les questions de Nina. Diego était nerveux, l’ensemble des sentiments qu’il avait refoulé refaisant surface alors que son pouce traçait des cercles sur l’écran de son téléphone. « Tu me prends vraiment pour une cruche ? » Il s’apprêtait à riposter alors qu’il s’était trouvé extrêmement sincère mais déjà Nina avait continué, ses yeux plantés dans les siens. « C’est pas ton genre de juste voir quelqu’un comme ça… » « Je fais plein de trucs qui sont pas mon genre en ce moment. » Il l’avait dit, Mateo était tout sauf similaire à lui, et rien que le fait de le fréquenter le sortait de sa zone de confort. Il avait bu de l’alcool à un mariage, il mentait à ses proches et tout un tas d’autres choses qui étaient finalement bien plus éloignées de sa personnalité que le simple fait de fréquenter un homme. « Tu l’aimes ? » Sa première réaction avait été de presque s’étouffer suite à cette demande que Nina avait faite sans détour, comme elle en avait l’habitude. Puis il avait réfléchi. « Tu sais qu’il y a tout un monde entre juste coucher avec quelqu’un et l’aimer ? » Un monde où il se situerait assez aisément, sans jamais préciser qu’il n’avait pourtant pas franchi la première étape. Se frottant le visage pour éloigner les pensées en train de le troubler, les questions qu’il avait juré à Mateo de ne plus poser, il avait repris. « Mais c’est marrant, j’aurais l’impression de mentir, que je dise oui ou non. » Voilà qui résumait à peu près parfaitement où il en était. Dans un immense flou, noyé entre des sentiments contre lesquels il avait tant lutté qu’il lui était aujourd’hui impossible de continuer à essayer d’y renoncer et une volonté de maintenir un équilibre qu’il savait fragile entre eux. Parce qu’il pouvait dire oui ici, au milieu de nul part, sans que cela ne mette en péril sa relation, mais même en Ethiopie, Diego n’était pas décidé à aller au-delà des limites que Mateo et lui s’étaient fixées. Mais dire non semblait tout aussi faux dans un contexte ou l’ensemble de ses pensées étaient dirigées vers lui. « C’est pas aussi affreux que ça en à l’air tu sais… D’aimer quelqu’un. » C’était un déchirement d’entendre ces mots-là venant de celle qui aurait eu toutes les raisons du monde de ne plus croire en l’amour et de lui conseiller de se protéger du mieux qu’il le pouvait. Alors peut-être que c’était sa meilleure chance de laisser tomber les dernières de ses barrières, même si cela ne mènerait pas à une histoire similaire à celle qu’était celle de Nina et Ruben, en apparence. « Pourquoi tu paniques ? » « J’ai jamais vraiment pensé à tout ça depuis mon ex. Me poser, avoir une vie de couple. Je me rends compte que j’ai toujours pensé uniquement au boulot, à ma famille au mieux. » Ce n’était pas la réponse attendue, mais celle-ci était tout aussi importante. « Et ça me fait du bien tout ça, ça m’a obligé à voir plus loin que les murs de l’hôpital. Mais comme tu l’as dit je fais pas les choses juste comme ça, si je dois vivre un truc, j’ai besoin de le vivre à fond, et toutes les conditions nécessaires sont pas réunies pour ça. » Même s'ils étaient sur la même longueur d'onde et qu'ils parvenaient à avoir une discussion qui chasserait ses doutes quant à ce qu'ils vivaient, un avenir à deux était inconcevable, pour tout un tas de raisons qu'il n'était pas toujours certains de pouvoir expliquer. Et c'était terrifiant, de s'autoriser l'interdit, de songer à l'idée de tomber dans le vide sans réellement savoir si cela mènerait à quelque chose. « Je crois que … Je crois que j’ai peur de tomber amoureux et de réaliser que c’était pas réciproque, que c’était qu’un flirt débile. » Parmi toutes ses craintes, il avait peur de ne pas être assez.

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L’environnement se prête à des discussions, il n’existe aucune distraction dans ce coin perdu du monde. Nina est attentive à tout ce que Diego lui raconte et surtout à tout ce qu’il s’efforce de ne pas lui dire. Elle interprète le moindre de ses rictus, les années jouant en sa faveur. Ils se connaissent assez pour qu’elle comprenne qu’il est sur la retenue, qu’il n’a pas l’intention d’être particulièrement honnête avec elle. À Brisbane, elle s’en serait vexée, choisissant de le laisser seul dans ses réflexions. Ici, elle n’a aucun endroit où s’échapper pour bouder et, surtout, l’urgence de passer à autre chose n’est pas la même. Elle a pris le temps de penser à sa propre histoire, elle a fait le tri sur ce qu’elle se devait de faire en rentrant à Brisbane. Nina a pensé à elle et maintenant, elle aimerait donner à Diego la possibilité de penser un peu à lui. Elle sait qu’il peut le faire sans son aide, mais elle le voit se perdre parfois, le regard dans le vide et des traits venant creuser une certaine inquiétude sur son visage. Ils ont le temps, personne ne viendra les interrompre, personne ne pourra entendre ce qu’ils se disent. « Je fais plein de trucs qui sont pas mon genre en ce moment. » Venir ici est pourtant bien son genre, elle n’en doute pas, maintenant qu’elle a eu l’occasion de le voir à l’action. Mais elle acquiesce, ne cherchant pas à le contredire, ce serait bien inutile. 

Elle a entendu tout ce qu’il a dit, elle a interprété entre les lignes et désormais elle cherche à remplir les blancs. Il n’est pas question de marcher sur des œufs ou de tourner autour du pot, ça ne lui ressemble pas, il ne sera pas tant surpris. Juste un peu. « Tu sais qu’il y a tout un monde entre juste coucher avec quelqu’un et l’aimer ? » Elle éclate de rire avant de hausser des épaules. « Mais toi, tu couches pas avec la première venue. » Ce n’est pas une question, pas même une hésitation. Diego n’est pas du genre à avoir des coups d’un soir, elle l’imagine mal collectionner les conquêtes ou se glisser entre des draps sans que cela ne veuille un minimum dire quelque chose pour lui. « Et tu passerais pas tes soirées à l’autre bout du monde à espérer un message si c’était juste un coup comme ça. » Il est investi, elle l’a deviné depuis la première soirée qu’ils ont passé dans le campement. Et probablement qu’elle a visé juste au final. « Mais c’est marrant, j’aurais l’impression de mentir, que je dise oui ou non. » Elle lève un sourcil curieux et tourne la tête en direction de son ami. Il a l’air songeur, mais sans que cela ne lui donne un air torturé. Il ne lui dira pas non et pourtant ne s’aventurera pas à en dire plus, elle ne lui en voudra pas. C’est déjà beaucoup. « Ça fait longtemps ? » Elle préfère taire le fait qu’elle s’interroge sur la raison qui la retenue de lui en parler avant. Peut-être qu’il estime qu’ils n’ont jamais été assez proches pour cela.

Il doit penser qu’elle est bien mal placée pour lui donner des conseils, qu’elle devrait probablement s’interroger sur la chute de son mariage plutôt que de vouloir en savoir plus sur sa vie privée. Mais s’occuper de Diego, c’est la possibilité de ne pas réellement penser à son mari et au fait que, malgré la trahison et la colère qu’elle ressent, il lui manque. « J’ai jamais vraiment pensé à tout ça depuis mon ex. Me poser, avoir une vie de couple. Je me rends compte que j’ai toujours pensé uniquement au boulot, à ma famille au mieux. » Elle ne va pas lui reprocher quand elle n’a fait que prioriser sa carrière depuis l’obtention de son diplôme. C’est le métier qui veut cela, ils doivent se sacrifier pour les autres. « Et ça me fait du bien tout ça, ça m’a obligé à voir plus loin que les murs de l’hôpital. Mais comme tu l’as dit, je fais pas les choses juste comme ça, si je dois vivre un truc, j’ai besoin de le vivre à fond, et toutes les conditions nécessaires sont pas réunies pour ça. Je crois que… Je crois que j’ai peur de tomber amoureux et de réaliser que c’était pas réciproque, que c’était qu’un flirt débile. » Oh. Elle serait d’avis de lui dire de se protéger, d’avoir un peu de garde, de laisser son cœur à distance, mais c’est sa propre histoire qui parlerait pour elle. Comme il semblerait que Nina n’ait plus aucun filtre ce soir, elle enchaîne directement avec la question qui pop dans un coin de son esprit. « Attends, c’est une patiente ? » Il n’aurait tout de même pas fait ce genre d’erreur ? Elle l’observe un instant alors qu’il tourne la tête vers elle à toute vitesse. « Quoi ?! Tu parles de conditions qui sont pas réunies, tu sais à quel point ce serait débile et contre la déontologie, hein ? » Il n’a quand même pas fait une erreur de débutant. « Ce serait quoi sinon le problème ? C’est une délinquante ? » Elle rit, mais c’est l’absence de réaction chez Diego qui commence à l’inquiéter. « Diego, tu m’inquiètes là. »

Le soleil et les enfants couchés, le moment était devenu plus propice aux confidences, et s’il avait souhaité éviter le sujet, Diego aurait dû s’assurer d’être bien plus discret. Il ne pouvait pas faire autrement que de se laisser porter par ce doux sentiment d’être sur la même longueur d’ondes que quelqu’un d’autre, et il n’avait pas pu tout cacher à une Nina qui le questionnait avec insistance mais toujours avec bienveillance. « Mais toi, tu couches pas avec la première venue. » « Merci d’admettre que je suis un mec bien. » Ou du moins, sa version d’un mec bien, parce qu’il n’était effectivement pas dans ses habitudes de se laisser aller juste pour un soir, pas parce que cela le dérangeait mais parce qu’il en était incapable. « Et tu passerais pas tes soirées à l’autre bout du monde à espérer un message si c’était juste un coup comme ça. » Cela faisait bien longtemps qu’il n’avait plus fait face à l’aplomb d’une Nina qui n’hésitait pas à faire en sorte que sa curiosité soit entièrement nourrie. Sa première réaction avait été de rire, puis il avait haussé les épaules, reprenant ses propos précédents. « C’est bien ce que je disais, on se situe entre deux. » Impossible d’admettre qu’il était amoureux, c’était trop tôt et contraire à tous ses autres principes, ceux qui naissaient de toutes leurs incertitudes concernant leur relation. Pourtant, ils étaient bel et bien quelque chose, et son amie en avait vu les preuves. « Ça me fait du bien, alors ouais j’en suis à sourire bêtement devant mon téléphone. » Un sourire qu’il avait reproduit pour l’accorder à Nina qui lui accorderait au moins le fait qu’il avait mérité cela après tant de moments de doutes. « Ça fait longtemps ? » Là aussi, il était difficile de répondre de manière simple, parce que l’histoire avait débuté il y a longtemps et s’était poursuivie avec un peu plus d’ardeur il y a un peu moins longtemps. Les doutes devaient se lire sur son visage, assez pour que Nina fronce les sourcils, attendant des réponses qui tardaient à arriver. « En fait … oui. On s’est rencontrés il y a quatre ans, on s’est revus en début d’année et … Tu crois au destin, toi ? » Il détestait cette version de lui-même qu’il était devenu autant qu’il l’adorait, il était plus spontané, plus détendu, seulement pas encore assez pour être entièrement honnête avec une Nina qui s’imaginait mille scénarios.

Le silence les avait regagné après un long monologue a tenter d’exposer les raisons de son incapacité à réellement se projeter, et la façon dont Nina avait interprété les choses l’avait pris de court. « Attends, c’est une patiente ? » Il s’était tourné d’un geste brusque vers elle, ouvrant de gros yeux. « Quoi ?! Tu parles de conditions qui sont pas réunies, tu sais à quel point ce serait débile et contre la déontologie, hein ? » « Mais qu’est-ce que tu vas t’imaginer ? Mes patients ont dix-sept ans maximum, je te rappelle ! » Il avait été obligé de rire en coeur avec Nina, qui prêchait le faux pour connaître la vérité. « Ce serait quoi sinon le problème ? C’est une délinquante ? » Diego continuait à secouer la tête, cherchant un moyen de se tirer de cette impasse, l’information qui manquait à NIna lui brûlant les lèvres. Lui dire serait un énième pas en avant, et pourtant, il était persuadé qu’il était encore bien trop tôt. « Diego, tu m’inquiètes là. » Posant sa main sur son épaule pour la rassurer, il avait poursuivi. « C’est ni une patiente, ni une délinquante ni quoique ce soit qui justifierait que tu t’inquiètes. Je suis juste prudent, j’ai raison non ? » C’était presque maladroit de le lui demander à elle mais il savait qu’elle était en mesure de comprendre qu’il avance pas à pas, sans brûler les étapes. « C’est déjà compliqué et j’ai l’impression que trop en parler pourrait porter malheur. » Il s’était mis à rire de lui-même. « Je te jure que j’avais pas prévu de devenir aussi cringe, tu peux te moquer, j’accepte avec plaisir et je te promets que je t’en dirai plus quand le moment sera venu. » C’était une promesse, parce qu’il était prêt à continuer de faire en sorte que ces liens indéfectibles qu’ils avaient tissés en Ethiopie se resserrent toujours un peu plus.

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@diego gutiérrez & nina

« Merci d’admettre que je suis un mec bien. » Son rire se mêle à celui de Diego. Elle évitera de lui faire remarquer que son jugement sur l’intégrité des hommes est quelque peu à revoir au vu des derniers évènements survenus dans sa vie personnelle. Certes, son appréciation de Ruben fut complètement faussée, mais Nina espère encore ne pas se tromper en admettant que Diego est quelqu’un de droit dans ses bottes et surtout un amant fidèle. Et puis, il n’est pas question de remettre en cause son intégrité, mais plutôt de connaître le niveau de débauche qu’il semble être en train de vivre avec une personne dont il garde l’identité affreusement secrète. Bien sûr qu’elle est curieuse, et bien sûr qu’elle espère trouver un moyen de lui faire cracher le morceau. « C’est bien ce que je disais, on se situe entre deux. » C’est plus fort qu’elle, Nina lève les yeux au ciel. Un comportement qui se produit, étrangement, dès qu’elle se trouve en compagnie de Diego. « Un entre deux qui n’existe que pour les indécis et ceux qui n’osent jamais rien. » Il faut qu’il ose Diego l’éternel introverti qui espère pouvoir passer entre le mur et l’affiche sans que personne ne le remarque jamais. Parfois, elle jure, elle voudrait simplement le secouer pour qu’il s’autorise à vivre pleinement au lieu de regarder les années défilées. « Ça me fait du bien, alors ouais j’en suis à sourire bêtement devant mon téléphone. » - « T’es niais, mais c’est mignon. » Elle n’a jamais été du genre mielleux, mais une part d’elle comprend ce genre de sensation, les sentiments qu’il semble décrire à demi-mots. Elle s’efforce de ne pas trop se moquer, de ne pas rire de sa timidité, parce qu’elle sait que Diego se refermera comme une huître sinon, et ce n’est pas l’idée. « En fait… oui. On s’est rencontrés il y a quatre ans, on s’est revus en début d’année et… Tu crois au destin, toi ? » Un instant, elle observe les traits de son ami qu’elle trouve étonnamment apaisés. Les cernes ne sont que le témoin de leur fatigue physique, mais quelque chose chez Diego a subtilement changé ces derniers temps. Et c’est bien pour cela, qu’elle marque une hésitation avant de répondre à sa question. « J’y croyais. » Elle pensait sincèrement que son histoire avec Ruben avait quelque chose de mêlé avec le destin. « Et ce qui m’est arrivé, ne devrait pas t’empêcher d’y croire. » Il s’agit de son histoire, des infidélités de Ruben et de ses propres erreurs. Diego peut encore croire au Destin, surtout après avoir retrouvé cette personne. « Je vais le dire qu’une fois, mais… Je l’aime bien ce Diego un peu amoureux. » Un peu, sinon il va lui faire un malaise, si elle insiste sur ce terme. Elle le sait, elle se moque juste un peu de lui. « Juste un conseil… Parle lui. » La communication, ce qui avait manqué dans son couple aux moments les plus critiques. « Même si c’est la guerre, même si vous êtes pas d’accord sur un truc. Les silences, ça empoisonne un couple. » 

Et comme Diego s’efforce à ne surtout pas trop en dire sur l’identité de son coup de cœur, elle est bien obligée de réfléchir par elle-même. Le souci avec Nina, c’est que son imagination se veut parfois légèrement débordante. Ou peut-être parce que désormais elle envisagera forcément la pire des situations pour ne plus avoir à tomber de haut. Accuser Diego d’avoir le bégin pour une patiente n’était probablement pas le meilleur chemin à suivre, mais il faut dire que l’idée l’amuse grandement désormais. « Mais qu’est-ce que tu vas t’imaginer ? Mes patients ont dix-sept ans maximum, je te rappelle ! » - « Roh bah la mère d’une patiente, c’est pareil hein ! » Est-ce que c’est le cas ? Le syndrome de l’infirmier, il est tombé pour une femme esseulée face à la maladie de son enfant ? Est-ce qu’elle devrait lui rappeler que cela n’a rien d’éthique ? « C’est ni une patiente, ni une délinquante ni quoique ce soit qui justifierait que tu t’inquiètes. Je suis juste prudent, j’ai raison, non ? » Elle hausse les épaules. « Probablement. » Et puis ajoute dans un sourire malicieux. « T’as peur que j’aille dire des bêtises sur toi ? » Elle l’embête constamment, leur relation est basée exclusivement sur l’idée de rendre l’autre chèvre, mais jamais elle n’irait faire une chose pareille. Et elle espère qu’il la connaît assez pour savoir où la limite se situe pour elle. « C’est déjà compliqué et j’ai l’impression que trop en parler pourrait porter malheur. » Voilà qu’il est superstitieux désormais. « Tu veux qu’on demande à la mamie du village une petite poupée vaudou, hop un petit filtre d’amour ou je sais pas. » Bien sûr, qu’elle tourne cela à la dérision pour qu’il arrête d’autant se prendre au sérieux et qu’il réalise qu’à trop se mettre des barrières, il finira par passer à côté de quelque chose de beau. « Je te jure que j’avais pas prévu de devenir aussi cringe, tu peux te moquer, j’accepte avec plaisir et je te promets que je t’en dirai plus quand le moment sera venu. » Elle secoue la tête et fini par venir se coller contre lui, liant leurs bras. « Je me moque juste parce que je sais pas faire autrement avec toi, c’est ta tête aussi. » Elle rit légèrement avant de relever les yeux vers son ami. « Juste une chose, Diego. » Et pour marquer ses propos, elle fronce légèrement les sourcils. « Passe pas à côté d’une belle histoire simplement parce que t’as peur. Jette toi dans le vide. » Parfois cela fait cruellement mal, mais parfois… La chute libre en vaut véritablement le coup.