Acheter quelque chose de déjà utilisé et abîmé, et appeler ça du vintage trouvé en brocante parce que l'on adore chiner », c'est un truc de riche. Et si Scarlett fait désormais partie de ce gratin-là, et qu'elle en joue les codes, elle n'a pas oublié la petite fille fauchée qu'elle a été. Plus jeune, elle récupérait des affaires dans les poubelles ou les meubles abandonnés dans la rue, ses habits provenaient d'association qui faisait des donations ou des charity shops du coin. Ce n'était pas trendy : c'était de la survie. Scarlett est donc toujours particulièrement agacée quand elle voit des gens aisés se romancer le charme de la seconde-main. Elle est fière, elle, de pouvoir acheter des choses neuves, et lève les yeux au ciel face aux gens qui prétendent ne pas être matérialiste : il faut vraiment n'avoir jamais manqué de rien pour prétendre n'avoir besoin que de peu.

Alors lorsque Scarlett a entendu parler de cette brocante, dédiée en plus aux exs en tout genre, elle a levé les yeux au ciel et n'a eu aucune envie de s'y rendre. Les sentimentalités des gens ne l'intéressent pas, leurs vieux objets encore moins. Scarlett tolère, à la limite, les antiquités, les vraies, celles sélectionnées par des spécialistes, vendues à des ventes aux enchères, des choses avec une vraie valeur. Pas les fonds de tiroir des gens qui pleurent encore leurs divorces.

Mais Scarlett a accepté d’y aller simplement parce que Ruben lui a demandé, ce qui l’agace encore plus dans le fond : pourquoi fait-elle quelque chose qu’elle n’aime pas simplement pour lui faire plaisir ? Elle lui jette un coup d’oeil en coin, se demande si elle a pris en pitié sa mine déconfite permanente de ces dernières semaines, ou si c’est sur lui, finalement, qu’elle a un crush - et non Sloane, comme il l’affirme - parce que pourquoi diable accepterait-elle de s'infliger ça ?

Pire encore, elle a accepté d'y aller pour être confronter à un Ruben qui traîne des pieds, met de la mauvaise volonté dans tout ce qu'ils font, critique les objets des stands, la météo, le monde présent. Et cela ne fait qu'augmenter l'agacement de Scarlett, comme si une éléctricité commençait à brûler dans l'air, entre eux, jusqu'à que finalement, alors que Ruben pousse un nouveau soupir dramatique, elle décide de mettre le doigt dans la prise : « Bon, tu vas faire la tronche encore longtemps ? » Sa langue claque contre son palais. « Je croyais qu'on était là pour te changer les idées, tu pourrais faire un effort. »

@Ruben Hartfield  

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@scarlett bridgers

lieu: gallery of broken hearts, brisbane together - event de juillet.
(c): whtvrgifs (gif), luleaby (codage).

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« Bon, tu vas faire la tronche encore longtemps ? » Relevant son regard de l’objet qu’il tenait entre ses mains - il ne prêtait même plus attention aux choses qu’il regardait ou celles qu’il laissait de côté, il se contentait simplement d’émettre une critique sur la couleur et sur la forme avant de reposer le dit-objet en recevant un regard noir de la part du propriétaire du stand -, Ruben haussa un sourcil en direction de Scarlett. Serrant les mâchoires, il haussa vaguement les épaules. « Je fais pas la tronche. » A d’autres, à d’autres: lui qui avait pourtant un très joli sourire ne l’avait pas montré de ces deux dernières heures et effectivement, cela était plutôt un bon indicateur. « Je croyais qu'on était là pour te changer les idées, tu pourrais faire un effort. » Levant les yeux au ciel, il se déplaça d’un pas ou deux pour s’arrêter sur d’autres objets qui se trouvaient sur la table d’à côté. « Je suis au max des efforts là. » Mais elle avait malheureusement raison: il n’en faisait pas, en réalité.

Ce n’était pas tant que Ruben n’était pas content d’être là aujourd’hui, ou que la compagnie de Scarlett le dérangeait - au contraire, elle était une des rares personnes qu’il tolérait sans mal ces derniers mois -, mais c’était surtout qu’il s’était levé du mauvais pied et que n’importe quelle personne à ses côtés aurait eu le droit à la même soupe à la grimace. Attrapant une boite à bijoux, il l’ouvrit en regardant ce qu’elle contenait. « Tu penses qu’elle pourrait revendre ses bagues ? » Il y avait une pointe de sarcasme dans sa voix alors que cette idée ne l’amusait pas du tout - et surtout, il n’y avait pas pensé jusqu’aujourd’hui. Là où pour lui il était évident qu’il gardait son alliance précieusement, à son annuaire lorsqu’il n’était pas à l’hôpital et autour de son cou lorsque c’était le cas, Nina n’avait pas autant de raisons de le faire e son côté. Et si donc elle se décidait à vendre les deux anneaux qui la liait à Ruben pour se débarrasser du rappel quotidien que son mari était un idiot doublé d’une enflure ? Remuer ces pensées là dans son esprit ajouta une couche de mauvaise humeur sur le visage de Ruben, qui laissa presque retomber sans ménagement la boite à bijoux sur la table avant de poser son regard sur Scarlett, un brin de trop dans le défi. « T’es pas obligée de rester, tu sais, si t’en as marre de moi. » Après tout, les autres avaient déjà pris la tangente, elle pouvait se permettre de cheminer dans la même direction si c’était quelque-chose qui l’enchantait. C’était là que la bêtise humaine était à son paroxysme, en revanche, parce-que si elle décidait de réellement l’abandonner là Ruben ne saurait pas la laisser faire et surtout ne saurait pas supporter que ça puisse être le cas: il avait besoin qu’au moins une personne ne soit pas à lui tourner le dos.

Ruben hausse les épaules, la mine sombre, décidé à jouer à fond la carte du poète maudit qui pourrait pleurer à tout instant, et la colère s’empile dans l’estomac de Scarlett qui essaie de reporter son attention sur les objets - moches et abîmés ! - du stand sur lequel ils sont arrêtés. Est-ce que Ruben est seulement intéressé par quoi que ce soit ici, ou est-ce qu’il est venu pour faire une démonstration de dramaturge en public ? « Je fais pas la tronche. » Scarlett serre les dents et inspire, parce que le ton revêche de Ben lui donne envie de le secouer. « Je suis au max des efforts là. » Elle ferme les yeux une demie-seconde, et songe que si elle croyait en Dieu, elle lui demanderait probablement un peu de patience pour tenir cet après-midi. « Ben, si je voulais gérer un adolescent qui fait sa crise, je construirais une machine à remonter le temps pour avoir un gamin à 15 ans. Arrête de te comporter comme un enfant », elle ordonne, avec l’impression certaine que tout ce qu’elle dit rentre par une oreille de Ben et sort par l’autre.

Il est trop occupé à regarder les objets comme un naufragé à la recherche d’une bouée de sauvetage. « Tu penses qu’elle pourrait revendre ses bagues ? » Il faut un instant à Scarlett pour comprendre de quoi Ruben parle, et elle plisse les yeux, les rouages de son cerveau mettant quelques indices ensemble. « Ne me dis pas que t’es venu ici pour ça ? » Elle demande, perplexe, mais l’attitude de Ruben le trahit. « Ruben ! » Elle s’exclame, perdant de plus en plus patience. « Nina peut faire ce qu’elle veut de ses bagues », elle réplique. « Je comprendais qu’elle veuille les vendre, peut-être pour se payer quelques séances de thérapie, ou un massage, ou un voyage trèèèès loin de toi, par exemple », elle suggère, avec un ton sarcastique. Elle est sincère, pourtant : si elle ne juge pas Ruben d’avoir trompé sa femme, elle considère que Nina a le droit d’avoir la réaction qui lui chante à la situation.

Mais Ruben ne semble pas vouloir plaisanter, comme ils peuvent le faire ensemble parfois, s’envoyant des piques mutuellement pour briser la tension. Non, à la place, il a décidé d’être insupportable, aujourd’hui, et de la défier, trémollo dans la voix : « T’es pas obligée de rester, tu sais, si t’en as marre de moi. » Scarlett le regarde, les yeux écarquillés, sentant que c’est la goutte de trop : elle ne sait même pas pourquoi elle est si gentille avec cet imbécile, elle qui ne prend habituellement soin que d’elle-même, et c’est ça qu’il lui offre en retour ? Une attitude de chouineur ?! « Mais t’es sérieux là ? » Elle demande froidement. « Tu vas vraiment me faire ton numéro de mal-aimé ? » C’est ridicule, Ruben est un adulte de 32 ans, pas une gamine de 13 ans sur un skyblog. « Vraiment, arrête ton numéro de victime là, t’as 32 ans », elle doit vraiment se mordre la langue pour ne pas lui dire qu’il est pitoyable, « t’as fait des choix et t’as merdé, maintenant tu pourrais faire un effort pour remonter la pente, y a pire dans la vie qu’un potentiel divorce et c’est pas en jouant au martyr que ça va t’aider. »


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Rien que le silence qu’elle laissa quelque peu planer, la façon dont elle ferma les yeux et le ton qu’elle avait accordé à sa première phrase aurait du mettre la puce à l’oreille de Ruben: c’était un reproche qu’elle lui faisait. Pas un lourd, plein de sens mais un petit assez bien placé pour se faire entendre normalement - mais il était tant borné dans son attitude et dans ses pensées qu’il ne s’en était pas aperçu. « Ben, si je voulais gérer un adolescent qui fait sa crise, je construirais une machine à remonter le temps pour avoir un gamin à 15 ans. Arrête de te comporter comme un enfant » Il grogna quelque peu, ne sachant vraiment si c’était par principe ou réellement par rapport à ses paroles qu’il le faisait; parce-que, d’ordinaire, il n’appréciait pas être traité comme un enfant et c’était pourtant ce qu’elle faisait là.

« Ne me dis pas que t’es venu ici pour ça ? » Il releva rapidement son regard vers elle - peut-être un peu trop pour être convainquant dans ses prochaines paroles. « Non. » Et dans la foulée, il rabaissa les yeux, faisant comme si de rien n’était alors que chaque parcelle de son expression faciale l’avait trahi bien avant qu’il ne se mette à dire quoi que ce soit. « Ruben ! » Il leva les yeux au ciel - là, il percevait sans mal son jugement. « Nina peut faire ce qu’elle veut de ses bagues. Je comprendrais qu’elle veuille les vendre, peut-être pour se payer quelques séances de thérapie, ou un massage, ou un voyage trèèèès loin de toi, par exemple » - « Si j’ai besoin de me sentir mieux, j’ai qu’à te demander apparemment. » C’était une façon très polie et détournée de lui dire qu’il l’emmerdait - mais n’étant pas dans son vocabulaire, il s’en passa. Bien sur qu’il se doutait qu’elle pouvait bien faire ce qu’elle voulait des bagues qu’il lui avait acheté, mais la question n’était pas celle là: le ferait-elle ? L’avait-elle envisagé seulement ? Lui savait qu’il s’accrochait à la sienne comme un naufragé s’accrocherait à une bouée, mais Nina et lui ne se trouvaient pas à la même place. Peut-être que Scarlett avait raison - au moins sur un point sur lequel il rebondit: « Et elle est déjà en voyage loin de moi, alors peut-être que je vais chercher à voir si elle a pas vendu l’une de ses bagues oui. »

L’humour n’étant toujours pas de mise, et le peu de paroles échangées entre eux ayant tendance à renfrogner encore davantage Ruben, ce n’était qu’une question de temps avant que Scarlett ne perde patience de son côté - son côté lucide comprenait que ce soit le cas, d’ailleurs, mais ce n’était pas celui étant majoritairement décisionnaire en cet instant. « Mais t’es sérieux là ? Tu vas vraiment me faire ton numéro de mal-aimé ? » Le bout de son index gratta une tâche invisible sur la table du stand devant lequel ils se tenaient. « Vraiment, arrête ton numéro de victime là, t’as 32 ans. » Et un début de calvitie qui semblait inquiéter tout le monde, surement lié à cet âge là justement. « T’as fait des choix et t’as merdé, maintenant tu pourrais faire un effort pour remonter la pente, y a pire dans la vie qu’un potentiel divorce et c’est pas en jouant au martyr que ça va t’aider. » - « C’est pas en me grondant comme un enfant que ça va m’aider non plus. » Bien sur qu’il continuait sur la même lancée, parce-qu’il était borné et surtout qu’il était blessé; pas par le comportement de Scarlett qu’il considérait en réalité comme justifié mais trop fier pour l’admettre, mais par les retombées de ses propres actions qu’il aurait du voir venir mais avait préféré occulter autant de temps que possible. « Et puis tu dis ça comme si c’était facile, que ça pouvait se faire en un claquement de doigts. » Il eut un petit rire, très amer bien sur, en remontant son regard vers elle. « Et c’est pas qu’un potentiel divorce, c’est aussi toute la déchéance qui s’en viendra après et c’est ça qui fait mal à imaginer, Scarlett. » Parce-que perdre Nina lui était inimaginable, mais perdre tout ce qu’ils avaient à deux et au fil des années construit était tout autant impensable. « Et je vois pas pire que ça en ce moment, honnêtement. Donc sauf si t’as un super contre-exemple à me donner, tu pourrais au moins ne pas m’enfoncer dans ma peine, si tu comptes pas m’abandonner à ton tour. » Bien sur que son regard suppliait malgré tout S’il te plait ne m’abandonne pas toi aussi mais qu’il ne le formulerait pas.

La conversation a pris un tournant glissant, Scarlett le voit bien, elle se sent plus agacée que de raison, et elle ne sait même pas pourquoi ; peut-être l’ambiance vide-grenier et babioles qu’elle déteste, ou le regard de chien battu de Ruben qui a l’air d’avoir perdu toute sa famille dans un crash d’avion alors qu’il ne fait que vivre les conséquences de ses actes. Elle doit serrer la mâchoire pour ne pas le traiter d’hypocrite. « Si j’ai besoin de me sentir mieux, j’ai qu’à te demander apparemment. » Scarlett lève les yeux au ciel. « Pitié, Ruben, ça fait des semaines que je t’écoute te plaindre, désolée de passer une seconde au tough love, tu vas survivre tu crois ? » Elle ironise, parce qu’elle a besoin que Ruben sorte la tête de son guidon cinq secondes et se rende compte du ridicule de la situation.

« Et elle est déjà en voyage loin de moi, alors peut-être que je vais chercher à voir si elle a pas vendu l’une de ses bagues oui. » Scarlett secoue la tête, et doit se concentrer pour ne pas lâcher un tant mieux pour Nina de circonstance qui serait franchement mérité. Elle a subi la tromperie de Ruben pendant deux ans, avec deux personnes différentes, elle mérite bien de changer d’air ; et si Scarlett ne le dira jamais à haute voix non plus, elle est persuadée que Nina devrait divorcer de Ruben. Il l’a trahie et ridiculisée en la trompant ainsi, elle serait bien bête de le reprendre - elle était assez belle, jeune et intelligence pour trouver quelqu’un d’autre en un claquement de doigts.

Mais Ruben préférait se complaire dans son rôle de mari au coeur désolé, semblant oublier un instant qu’il s’était mis lui-même dans cette situation. « C’est pas en me grondant comme un enfant que ça va m’aider non plus. » Il ne prenait pas ses responsabilités, achevant de crisper Scarlett. « Apprend à savoir dormir seul avant de me demander de ne pas te traiter comme un enfant », elle réplique, une pique basse, même pour elle, mais elle sent que la colère monte, sans même qu’elle ne la maîtrise, et elle commence à moins contrôler ses mots.

« Et puis tu dis ça comme si c’était facile, que ça pouvait se faire en un claquement de doigts. » « Je n’ai jamais dit ça », elle réplique, agacée par sa propre phrase, son ton défensif, l’espèce de dispute de gamins qu’ils sont en train d’avoir, à coup de j’ai pas dit tu as dit que j’ai dit que. « Et c’est pas qu’un potentiel divorce, c’est aussi toute la déchéance qui s’en viendra après et c’est ça qui fait mal à imaginer, Scarlett. » Il se comporte encore une fois comme si cette déchéance lui tombe dessus mystérieusement. « Et tu crois pas qu’il aurait fallu l’imaginer quand tu as choisi de la tromper ? » Elle lui demande, avec une forme d’ironie, mais elle sait que Ruben est trop pris dans son tourbillon pour le saisir. Il va lui répondre honnêtement, se trouver une nouvelle excuse. « Et je vois pas pire que ça en ce moment, honnêtement. Donc sauf si t’as un super contre-exemple à me donner, tu pourrais au moins ne pas m’enfoncer dans ma peine, si tu comptes pas m’abandonner à ton tour. » Scarlett se redresse, tellement choquée par la phrase qu’il vient de prononcer qu’elle se demande si elle n’est pas en train d’avoir un épisode dissociatif où elle n’est pas dans la réalité. Elle cligne des yeux, fixe Ruben, un goût métallique collée dans son palais. « T’es sérieusement en train de me dire que tu n’imagines rien de pire qu’un divorce ? » Elle répète, d’une voix basse, lointaine ; la colère commence à monter comme l’explosion d’un volcan. « Mais tu te rends compte de ce que tu dis ? T’es pas censé être neurochir ? Voir des gens malades ou mourants toute la journée ça te fait pas dire qu’il y a plus important dans la vie qu’un putain de papier de divorce à signer ? Tu te dis pas que ça pourrait être pire si Nina se retrouvait avec une tumeur au cerveau ou que l’un des 26 amants se fassent renverser par une voiture ? T’as si peu d’empathie que ça ?! » Son ton commence à monter. « T’es pas une victime, Ruben, TU as trompé Nina. Et t’as le droit d’être dégouté mais c’est pas en chouinant que tu vas aller mieux, et oui, ça va pas se faire en un claquement de doigts, mais tu vas t’en remettre, parce que newsflash Ruben, les gens survivent aux merdes qui leur arrivent, peu importe ce qu’un IRM dit d’ailleurs », elle commence à s’écarter du sujet, malgré elle, et réalise avec horreur que la discussion comporte beaucoup plus de couches qu’elle ne pensait, et que c’est peut-être pour ça qu’elle est dans cet état. « mais les gens s’en remettent en ayant de l’avant, et pas en se comportant comme des martyrs, putain », elle s’énerve et commence à s’éloigner du stand avec humeur, mal à l’aise à l’idée qu’on l’entende dire ces choses-là en public.


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« Pitié, Ruben, ça fait des semaines que je t’écoute te plaindre, désolée de passer une seconde au tough love, tu vas survivre tu crois ? » A ses yeux, il ne se baignait pas tant que ça - mais en réalité, il ne se plaignait qu’auprès de Scarlett et c’était peut-être pour ça que de son côté, il avait l’impression de ne pas exagérer de l’exercice et qu’elle, du sien, n’en pouvait plus de l’entendre. C’était le problème principal de cette situation: il ne s’ouvrait pas tant sur la question, la honte le prenant assez rapidement à la gorge pour ne plus le lâcher par la suite, si bien qu’il ne discutait librement avec si peu de personnes que bien des choses retombaient sur Scarlett qui, elle, suivait les aventures depuis un bout de temps désormais.

« Apprend à savoir dormir seul avant de me demander de ne pas te traiter comme un enfant » Il grogna entre ses dents sa réplique. « Je sais dormir seul. » Il savait, mais avec peine et efforts qu’il n’était pas prêt à fournir la majeure partie du temps.; d’où le fait qu’il préférait chercher compagne plutôt que d’affronter la solitude.

« Je n’ai jamais dit ça » C’était tout comme. « Et tu crois pas qu’il aurait fallu l’imaginer quand tu as choisi de la tromper ? » C’était le résultat qui importait, là - n’écoutait-elle donc pas ce qu’il disait ?

En réalité, Ruben aurait pu continuer longtemps à avancer dans cette direction, se laissant entrainer par ses propres émotions et l’envie de libérer ces dernières en les exposant à la vue restreinte que représentait Scarlett, si cette dernière n’avait pas eu la réaction qu’elle avait présentement. « T’es sérieusement en train de me dire que tu n’imagines rien de pire qu’un divorce ? » Elle avait gardé un certain calme dans sa voix depuis le début de leur conversation, mais elle y avait ajouté ici et là quelques pointes de sarcasme ou autre. Là, sa voix était dénuée de tout ça et c’était ce qui avait fait relever le regard de Ben vers elle - et rien que là, il savait qu’il avait ouvert une mauvaise porte et qu’il allait passer un sale quart d’heure. Oh, il lui en voudrait sur le moment bien sur - il venait de lui demander de ne pas le traiter comme un enfant -, mais à distance il se rendrait compte qu’elle avait eu raison de réagir de la sorte. « Mais tu te rends compte de ce que tu dis ? T’es pas censé être neurochir ? Voir des gens malades ou mourants toute la journée ça te fait pas dire qu’il y a plus important dans la vie qu’un putain de papier de divorce à signer ? Tu te dis pas que ça pourrait être pire si Nina se retrouvait avec une tumeur au cerveau ou que l’un des 26 amants se fassent renverser par une voiture ? T’as si peu d’empathie que ça ?! » Deux, pas vingt-six, voyons. « T’es pas une victime, Ruben, TU as trompé Nina. Et t’as le droit d’être dégouté mais c’est pas en chouinant que tu vas aller mieux, et oui, ça va pas se faire en un claquement de doigts, mais tu vas t’en remettre, parce que newsflash Ruben, les gens survivent aux merdes qui leur arrivent, peu importe ce qu’un IRM dit d’ailleurs » Même lui haussa un sourcil quelque peu surpris ici - mais pas pour toutes ses erreurs à lui qu’elle pointait parfaitement du doigt, avec une justesse et une sincérité qu’il méritait. Il n’eut pas le temps de répliquer, qu’elle le faisait déjà de son côté à ses propres paroles. « Mais les gens s’en remettent en ayant de l’avant, et pas en se comportant comme des martyrs, putain » Et elle s’en alla, avançant sans lui, s’éloignant de la source qui la faisait sortir de ses gonds - lui, en l’occurence et au cas où ce n’était pas assez explicite.

Sauf qu’avec Ruben, la paix - la vraie, complète - n’existerait que lorsqu’il aurait rendu son dernier souffle; alors il se mit à lui emboiter le pas, restant désormais proche d’elle pour continuer cette conversation à voix basse. Autant pour son sujet à lui que le sien, il savait que c’était mieux ainsi. « Donc t’utilises la carte de ton cerveau abimé que quand ça t’arrange, c’est ça ? » Elle lui avait interdit d’en parler, elle qui ne désirait pas l’entendre être mentionné. Et maintenant quand elle voulait prouver un point, elle remettait en avant cette partie là qu’elle refusait de mettre en lumière quand il lui proposait d’en parler ? « D’accord, je l’ai mérité. Qu’elle m’abandonne autant que ton petit discours là. » L’une de ses mains montrait en arrière alors qu’il continuait d’avancer à sa hauteur. « Et c’est pas parce-que je vois des gens malades ou à moitié mourant toute la journée que j’ai pas le droit de m’apitoyer sur mon propre sort, quand même. Sinon quoi, tant que je suis pas en train de mourir j’ai pas le droit de me plaindre, c’est ça ? » S’il suivait son raisonnement, c’était vers cette finalité là qu’ils tendaient. S’il n’était pas de mauvais poils comme c’était le cas aujourd’hui, il aurait compris où elle voulait en venir - encore une fois, ceci n’étant pas le cas… Accélérant quelque peu ses pas pour passer devant Scarlett et lui barrer la route, les bras désormais croisé sur son torse et le regard aux sourcils froncés, il releva son menton dans sa direction. « Qu’est-ce qu’est pire qu’un divorce, dis moi, puisque t’as l’air bien partie aujourd’hui. » C’était elle qui avait abordé le sujet, après tout, non lui: il pouvait se permettre de pousser cela l’empêchait de se plaindre et en plus il n’avait pas besoin de confronter toutes les vérités qu’elle lui avait craché au visage comme ça. C’était un bon plan.

Les disputes n’ont jamais fait peur à Scarlett, qui fait rarement demi-tour face à un conflit, qu’il soit professionnel ou personnel. Mais elle a organisé sa vie pour n’avoir jamais à être touchée un peu trop près, ni à risquer de sortir de ses gonds. La dernière fois qu’elle a senti qu’elle perdait pieds, c’était à la plage, avec Swann, et c’était la première fois depuis des années qu’elle se sentait ainsi ; elle en conclut qu’elle a bien raison de rester sur ses gardes et d’être pudique, car elle perd pied dès qu’on s’approche trop près d’un sujet sensible. Ruben décide de la suivre, ce qui l’agace encore plus, elle a envie de crier comme enfant qu’on la laisse tranquille - des mots qu’elle n’a jamais prononcés, puisque sa mère ne s’est jamais intéressée à elle assez longtemps pour que Scarlett veuille la fuir. « Donc t’utilises la carte de ton cerveau abimé que quand ça t’arrange, c’est ça ? » « Mon cerveau n’est PAS abîmé ! » Elle s’exclame, faisant sursauter une jeune feme qui les dépasse. Scarlett reprend d’une voix basse. « Et je n’utilise pas une carte, tu ne comprends rien », elle s’énerve, parce qu’elle n’a même pas envie de s’expliquer, ou que Ruben s’excuse, elle veut juste partir, arrêter de sentir son sang qui bat dans ses tempes.

Mais Ruben est un nuisible, une tique que Scarlett ne pourra pas décrocher : si elle tire, les pinces resteront accrochées dans sa peau. « D’accord, je l’ai mérité. Qu’elle m’abandonne autant que ton petit discours là. » Ruben qui assume un instant avoir merdé ? Scarlett secoue la tête, se retient de répliquer qu’elle assiste à un miracle. « Et c’est pas parce-que je vois des gens malades ou à moitié mourant toute la journée que j’ai pas le droit de m’apitoyer sur mon propre sort, quand même. Sinon quoi, tant que je suis pas en train de mourir j’ai pas le droit de me plaindre, c’est ça ? » « Non, mais ça pourrait te donner un peu de recul, putain », elle réplique, parce que c’est lui qui est en train d’insinuer qu’il n’y a rien de pire qu’un divorce. Manque de chance pour lui, Scarlett n’a jamais eu beaucoup de considération pour l’amour romantique, il se plaint vraiment à la mauvaise personne ; ça, et le fait qu’elle déteste les gens qui chouinent pour des choses dont ils sont responsables, sans parler du fait qu’elle est énervée contre elle-même d’être si tolérante envers Ruben. Depuis quand est-ce qu’elle héberge des gens chez elle parce qu’ils ont ruiné leur mariage et ne savent pas où aller ?!

Mais Ruben ne semble pas décidé à la laisser tranquille, il la double et lui bloque la route, bras croisés, un air suffisant sur son visage qu’elle a envie de claquer. « Qu’est-ce qu’est pire qu’un divorce, dis moi, puisque t’as l’air bien partie aujourd’hui. » C’est la mauvaise phrase, peut-être celle de trop, et Scarlett sent que le rouge lui monte aux joues, pas de honte, non, mais bien de colère. « Quoi, tu veux savoir mes problèmes pour te réconforter ?! » Son accent anglais, enterré par des années en Australie, ressort toujours un peu plus quand elle est énervée. Ruben, malgré son air bougon, la regarde avec ses yeux pétillants, parce que tout ça l’amuse, au fond, et c’est ça qui l’énerve plus que tout, elle a envie de le secouer, de le faire taire. « Crois-moi bien qu’il y a pire qu’un putain de divorce, oui », elle réplique, essaie de partir, mais Ruben la suit, lui barre la route à nouveau, elle a l’impression d’être dans une dispute ridicule d’adolescents. « T’es même pas capable de prendre du recul sur ta situation alors que tu bosses dans un hôpital, quoi, tu veux que je te fasse chialer avec mes histoires d'enfance de merde, de mère de merde ? » Elle commence, surprise elle-même des mots qui jaillissent d’entre ses lèvres. Tout à coup, c’est comme un robinet qu’on a ouvert à fond, et qu’on ne plus refermer. « A quoi ça va t’avancer, hein ? De savoir que j’ai grandi en faisant les poubelles pour bouffer un dîner parce qu'on avait pas un rond et que ma mère était trop occupée à prendre des rails et des pilules ? Quoi, ça t’aide à prendre du recul ? Ou t’as besoin que je te raconte comment l’un de ses énièmes connards de petit-copains m’a agressé quand j’étais gamine et que personne ne m’a crue, même pas la police ? C’est bon, tu vas signer tes putains de papier de divorce sans chialer maintenant ou tu veux des détails ? » Elle débite, hors d’elle. Elle fait un pas vers Ruben, lève un doigt vers lui, comme si elle grondait un gamin. « Je suis pas une putain de leçon pour que les imbéciles comme toi comprennent que la vie est parfois merdique, je suis pas une sob story. »


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« Mon cerveau n’est PAS abîmé ! » Il écarquilla quelque peu les yeux: une réaction bien vive et un brin de trop spontanée pour quelqu’un qui prétendait que ce n’était pas le cas, justement; se rendait-elle compte que si Ruben n’avait pas été conscient qu’elle se trouvait dans un certain déni concernant ce sujet, la façon dont elle venait de s’adresser à lui la vendait ?  Il vit dans son regard, autant que dans sa façon de reprendre son comportement, qu’elle se rendait compte que c’était de trop poussé comme manière d’interagir présentement. « Et je n’utilise pas une carte, tu ne comprends rien » Il fit une petite moue, pas tout à fait convaincu par le maigre argumentaire qu’elle lui présentait. « Ca y ressemble beaucoup pourtant. » Et avait-elle oublié entre temps qu’il était bien trop têtu et sur de lui, la majorité du temps, et que le contredire n’était pas suffisant ?

« Non, mais ça pourrait te donner un peu de recul, putain » - « Les sujets sont même pas comparables. » Il pourrait éventuellement prendre du recul, effectivement; mais cela reviendrait à mettre sur une balance, de chaque côté, deux situations qui n’étaient pas compatibles sur cette dernière et il ne trouvait pas là que c’était quelque-chose de juste à effectuer. Oui, il n’était pas en train de mourir, mais il se consumait à petit feu de l’intérieur et même lui n’était pas capable de s’en apercevoir.

« Quoi, tu veux savoir mes problèmes pour te réconforter ?! » - « C’est toi qui prétends connaitre des problèmes pires que ça. » - « Crois-moi bien qu’il y a pire qu’un putain de divorce, oui » - « Alors je t’écoute. »

Il entendait parfaitement son accent qui changeait d’air chantant, quand elle s’énervait de la sorte; ce n’était pas la première fois qu’il en était témoin, elle avait déjà effectué ce changement sans s’en rendre compte lorsqu’ils s’étaient retrouvés à être en désaccord sur le même sujet qui était actuellement mis sur la table. Si Ruben n’avait pas connu ses origines, il les aurait découvert sans mal aujourd’hui tant elles ne pouvaient pas être masquées dans sa façon de parler. Ce n’était pas tant ça, le soucis sur lequel il cherchait à mettre le doigt, mais bien quelque-chose de bien plus complexe et ancré dans l’être même de Scarlett, puisqu’il l’avait vu sur l’imagerie qu'il avait fait de son cerveau. Il savait que c’était là, il savait que c’était d’une certaine manière intégré à son psychique et à son physique, mais qu’elle n’avait pas envie que cela se voit - pour quelconque raison qu’elle pourrait oser déblatérer. Alors de la voir à un point pouvant faire pencher la balance d’un côté ou de l’autre, peut-être que Ruben força quelque peu le trait pour voir de quel côté elle finirait par tomber; elle verrait surement que son regard revêtait une lueur particulière mais ce n’était pas d’amusement, ce n’était pas à cause d’une certaine anticipation malsaine: c’était le docteur Hartfield qui prenait le dessus, dans cette situation, et qui se tenait prêt à percevoir le moindre symptôme qu’elle oserait lui mettre sous le nez.

Elle ne mit pas longtemps avant de silencieusement obtempérer. « T’es même pas capable de prendre du recul sur ta situation alors que tu bosses dans un hôpital, quoi, tu veux que je te fasse chialer avec mes histoires d'enfance de merde, de mère de merde ? » La surprise n’était pas qu’elle aille vers ce terrain là - il s’en était douté. C’était plutôt qu’elle se laisse glisser si facilement, finalement, alors qu’il s’attendait à devoir insister encore un instant et un autre pour en arriver là. « A quoi ça va t’avancer, hein ? De savoir que j’ai grandi en faisant les poubelles pour bouffer un dîner parce qu'on avait pas un rond et que ma mère était trop occupée à prendre des rails et des pilules ? Quoi, ça t’aide à prendre du recul ? Ou t’as besoin que je te raconte comment l’un de ses énièmes connards de petit-copains m’a agressé quand j’étais gamine et que personne ne m’a crue, même pas la police ? C’est bon, tu vas signer tes putains de papier de divorce sans chialer maintenant ou tu veux des détails ? » Son doigt était levé dans sa direction, alors qu’elle avançait légèrement, se retrouvant sous son nez, menaçante - il n’avait pas peur, cependant. Il n’était pas téméraire pour un sou, mais Ruben n’avait pas peur de l’attitude de Scarlett en cet instant; il était bien davantage consterné de se rendre compte que tous les scénarios qu’il avait pu imaginer derrière ces silences n’étaient pas que des inventions de son esprit. Au fil des mots qu’elle s’était mise à lui sifflé au nez, les traits de son visage s’étaient détendus, pour se raffermir d’une autre manière, pour s’étirer suite à d’autres émotions ressenties. Il savait qu’elle ne supporterait pas de voir une certaine pitié qu’il ne saurait rejeter de son regard, mais pourtant elle était bien là. Alors oui, effectivement, il y avait bien pire qu’un simple divorce dans la vie - la partie raisonnée de Ben l’avait toujours su, simplement masquée et mise de côté par la partie blessée à l’intérieur de lui -; il ne pensait pas que c’était de ce genre de choses dont elle voulait parler en guise de comparaison à la situation.

« Je suis pas une putain de leçon pour que les imbéciles comme toi comprennent que la vie est parfois merdique, je suis pas une sob story. » Elle n’était rien de tout ça, non. Il se devait de relever quelque-chose cependant: « J’ai horreur qu’on me traite d’imbécile, tu le sais en plus. » - bien plus ici pour décontenancer la demoiselle qui perdait les pédales, ce n’était pas si compliqué de s’en rendre compte. La deuxième chose qu’il fit alors qu’elle s’était rapprochée de lui, et qu’il aurait fait pour d’autres personnes si une situation similaire s’était présentée, fut de passer ses bras autour de Scarlett pour la serrer dans ces derniers. Elle allait détester, il le savait d’avance parce-qu’elle mettait à point d’honneur à le lui répéter encore et encore à chaque fois que l’occasion se présenter; mais il savait aussi que c’était un moyen très efficace et scientifiquement acquis que de serrer un autre être humain dans ses bras lui permettait de se calmer, de ralentir son système nerveux sympathique et de laisser davantage de place au parasympathique pour travailler. Elle allait le repousser, il le savait - il avait cependant plus de force dans les bras qu’elle et n’était pas prêt à la lâcher. Il aurait eu sa soeur face à lui qu’il aurait réagi de la même manière, il aurait eu Nina face à lui qu’il aurait réagi de la même manière. Parce-que si la plupart du temps Ruben était perçu comme cet homme un peu trop confiant et ayant perdu un peu de coeur pour le reste de l’humanité, ce n’était en réalité pas du tout le cas - il perdait simplement l’habitude de le montrer. « T’es pas une leçon non plus. » Apposant un instant sa joue contre le dessus de son crâne, il soupira aussi paisiblement qu’il lui était donné de le faire. « C’était ça, que cachait ton cerveau abimé ? » Elle le détestait déjà probablement, alors il n’avait aucune raison de changer sa façon de répliquer à ses côtés ou de changer son vocabulaire.

Toute cette scène avait au moins eu l’effet escompté par Scarlett lorsqu’elle avait abordé le sujet qu’elle tentait de dissimuler depuis des semaines et des mois désormais: Ruben avait arrêté de se plaindre. Il viendrait préciser que le divorce n’était de toute manière pas de mise pour le moment, mais il le ferait plus tard, quand il saurait si elle était encore apte à l’écouter parler ou non.

Les mots trébuchent et sortent de sa gorge plus vite que Scarlett ne peut les contrôler, une vague qui la prend et la met dans une colère métallique, parce qu’elle ne raconte pas ces choses-là, habituellement, qu’elle déteste qu’on la mette dans cette situation, qu’elle s’y soit mise elle-même. Qu’est-il arrivé pour que Ruben finisse par vivre chez elle, par la connaître assez bien pour appuyer sur tous les boutons qui la font sortir de ses gonds ? Comment est-ce sa vie si bien régie depuis des années semble se compliquer ces derniers mois, Swann, Ruben, Sloane, tout ce qui parasite son quotidien habituellement parfaitement safe. Elle se met en danger, par cette vulnérabilité qu’elle s’autorise tout à coup, et cela lui donne envie de disparaître dans un autre pays. Parce qu’elle déteste la façon dont le visage de Ruben change, au fur et à mesure des mots, elle veut crier, le secouer, lui dire de fermer les yeux, d’arrêter de la regarder, de ne surtout, surtout pas avoir de pitié avec elle, parce qu’elle n’est pas une gamine triste ni une leçon de vie.

Elle ne sait pas ce que Ruben va répondre, et pourtant, sa première phrase la surprend, « J’ai horreur qu’on me traite d’imbécile, tu le sais en plus. », Scarlett le regarde, l’air de dire, sérieusement, c’est tout ce que tu trouves à répondre ?! alors qu’elle déteste l’idée qu’il relève tout ce qu’elle vient de dire. Mais finalement, elle préfère cette phrase au geste que Ruben enclenche, un câlin (!!) dont Scarlett tente de se défaire immédiatement en protestant « Lâche moi ! » entre ses dents, et elle a beau se débattre, Ruben est étonnamment plus musclé qu’il n’y paraît - depuis quand est-il si grand, se demande Scarlett, agacée. « Ruben ! » Elle continue, une anguille prise dans des filets, elle sent son cœur qui s’emballe, parce qu’elle ne veut pas, peut pas, supporter cette tendresse. Pas quand elle n’en a jamais eu et qu’elle s’est racontée qu’elle n’en avait pas besoin. Elle ne sait même pas l’accepter, préfère l’imaginer comme de la pitié, parce que l’affection, la compassion, sont des notions dont elle s’est trop privée. « T’es pas une leçon non plus. » Elle pousse un grognement, elle veut qu’il la lâche, mais elle comprend qu’il est comme des sables mouvants : plus elle se débat, plus il refermera sa prise sur elle. « C’était ça, que cachait ton cerveau abîmé ? » « Il n’est pas abîmé », elle réplique, énervée, « et il n’est pas question de cacher, c’est juste que ça ne regarde que moi », elle siffle entre ses dents serrées. « Maintenant lâche moi ou je hurle », elle menage, tout à fait sérieusement, et ça doit suffir, parce qu’il finit par ouvrir ses bras, et elle s’écarte immédiatement, comme l’impression d’avoir été éléctrocutée, et elle n’arrive pas à le regarder dans les yeux, parce que c’est trop, maintenant, qu’elle ne veut pas qu’il l’observe. Elle a l’impression d’être un petit animal sans défense et elle déteste ça. « Je rentre, ne me suis pas », elle ordonne, lui tournant le dos, « et laisse moi tranquille », elle ajoute, consciente que Ruben sera devant sa porte dans une semaine tout au plus.


@Ruben Hartfield  

you don't get to tell me about sad

@scarlett bridgers

lieu: gallery of broken hearts, brisbane together - event de juillet.
(c): whtvrgifs (gif), luleaby (codage).

***
Sa première réplique eut au moins le don d’avoir l’effet escompté: il vit dans son regard qu’elle ne comprenait pas où il voulait en venir, puisque de toute manière il ne voulait en venir nulle part. C’était là un moyen de râler un instant, un seul - un dernier - avant de laisser toute son attention se focaliser sur la partie de cette discussion qui en avait besoin. Parce-que Scarlett perdait pieds, que le contrôle de la situation lui échappait et que sur ce sujet là ce n’était pas ce à quoi elle était habituée. Plutôt que de lui dire que ce n’était pas grave, qu’elle avait le droit de ne pas garder la face tout le temps et qu’abaisser ses barrières devant des gens en qui elle avait confiance n’était pas une tare au contraire, il glisser ses bras autour d’elle pour la serrer dans ces derniers. Dans la lignée de ses paroles, ce serait là quelque-chose qu’elle n’aurait pas prévu et qui pourrait peut-être lui permettre de ne pas glisser encore davantage dans cet état second de perte d’équilibre qu’elle frôlait de trop près.

Au moins, là, elle eut la réaction qu’il s’attendait à voir arriver. « Lâche moi ! Ruben » Il se serait inquiété d’autant plus si elle s’était laissée aller à ce contact là. « Il n’est pas abîmé et il n’est pas question de cacher, c’est juste que ça ne regarde que moi » Il aurait bien répondu à d’autres à ces affirmations là qu’elle lui accordait, parce-qu’elle avait tendance à oublier que c’était elle qui avait tendu en premier une main vers lui et qu’il n’avait fait que de récolter les morceaux qu’elle avait bien voulu lui accorder. Voir ce qu’il se passait sous cette voute crânienne contre lequel il déposa un baiser affectueux était l’un des privilèges qu’elle lui avait accordé, et il n’était pas de ceux que Ruben prenait à la légère. Si l’instant d’avant, il se trouvait à se plaindre à outrance de sa propre situation, désormais l’église était remise au centre du village et effectivement: il y avait des sujets plus graves et des situations plus inquiétantes que la menace imminente de recevoir des papiers lui adressant un divorce à venir.

« Maintenant lâche moi ou je hurle » Alors il relâcha la maigre emprise qu’il avait apposé sur elle.

Si le regard de Scarlett faisait en sorte de le fuir avec application, celui de Ben cherchait à entrer en contact avec elle en revanche; il ne lui fallut qu’un instant pour comprendre que ce n’était pas quelque-chose qui allait arriver aujourd’hui - les paroles qu’elle prononça à la suite confirmèrent cette partie là. « Je rentre, ne me suis pas et laisse moi tranquille » Il ouvrit la bouche pour finalement claquer des mâchoires, alors qu’elle lui tournait déjà le dos et qu’elle s’éloignait de lui. Ce n’était pas de cette manière là que ces discussions là devraient tourner - c’était son métier, merde, que de discuter de ces choses là et donc c’était dans ses cordes de comprendre ce qui se tramait chez elle - ne le voyait-elle pas ? ne le comprenait-elle pas ? L’idée qu’elle ne souhaite pas demander d’aide ne lui était pas étrangère, mais elle n’avait même pas besoin de formuler la moindre demande là: il se proposait de lui-même. Sans jugement, sans conséquence sur ce qui les unissait à côté. Elle n’avait rien à faire, juste à le laisser travailler. Pourtant, elle refusait catégoriquement et si Ruben était tout à fait conscient qu’il ne pouvait pas la forcer à adhérer aux choses qui étaient pourtant d’une évidence absolue pour lui, il s’inquiétait pour elle. Mais parce-qu’elle était d’abord son amie, il ne la suivrait pas aujourd’hui et la laisserait tranquille au moins pour ce soir. Il reviendrait d’ici à quelques jours comme une fleur, quand sa vague d’émotions à elle serait passée; mais pour le moment il voyait bien que de continuer dans cette direction serait contre-productive.