wintry midnight dissonance
@Izan Da Silva

Début février 2024 - Sydney

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Assis sur le trottoir devant l'hôtel de luxe duquel il venait de sortir, Shaun déboutonna deux boutons de sa chemise, ayant l'impression de suffoquer face à la chaleur de l'été sydnéen malgré l'heure très tardive. Il passa sa main sur sa mâchoire douloureuse avant de la glisser sur sa pommette déjà rougie puis sa lèvre inférieure enflée, mais intacte. Bon, au moins, il n'aurait pas besoin d'aller aux urgences pour des points, même s'il sentait déjà que les hématomes sur son visage ne seraient pas beaux à voir dans les jours à venir. Ce qui aurait dû être une simple soirée lucrative s'était rapidement transformée en déversement de haine et il n'avait même pas réussi à anticiper ça. L'homme avec qui il avait eu rendez-vous ce soir, un nouveau riche propre sur lui et plutôt jeune par rapport à ses clients habituel, l'avait entrainé dans sa chambre -jusqu'ici rien d'anormal- mais une fois l'acte commis, il avait brusquement changé d'attitude en l'insultant d'abord puis en devenant rapidement violent. Son client avait finit par lui jeter l'enveloppe de billets qui tarifait leur soirée, alors que Shaun était à terre, puis l'escort avait quitté les lieux sans un mot. A ce récent souvenir, il grimaça de douleur en se relevant, mettant une main dans sa poche pour serrer l'enveloppe contenant ses 2 500 dollars. Il savait déjà où ce moment allait loger dans sa mémoire : il irait se cacher dans un coin, avec beaucoup d'autres, comme s'il ne l'avait jamais vécu, comme si ce n'était pas vraiment lui qui avait été dans cette chambre d'hôtel. Il sentit ensuite une pulsion familière monter en lui. Une envie, un besoin presque viscérale d'oublier, de se perdre. Ses pas le guidèrent vers le casino le plus proche et alors qu'il franchissait les grandes portes principales et que les lumières vives et le son des roulettes arrivaient jusqu'à lui, il poussa un soupir d'aise en fermant les yeux. Ouais, il allait dépenser jusqu'au dernier centime de l'argent qu'il venait de gagner, il noierait sa honte et sa douleur dans l'alcool et le jeu. Il se fit ensuite une promesse silencieuse, presque superstitieuse, celle qu'il se faisait à chaque fois qu'il sentait l'adrénaline d'un casino remplir ses veines ou qu'il débutait une partie de poker dans des soirées à la légalité légère : *Si je remporte gros, j'arrête tout*. Les heures passèrent dans un flou d'alcool, de jetons et de mises. Shaun jouait avec frénésie, misant gros à chaque main, ne prêtant pas attention aux regards inquiets des croupiers qui l'observaient perdre pied. Chaque verre qu'il avalait, chaque jeton qu'il perdait ou qu'il gagnait, semblait effacer les souvenirs de cette soirée mais renforçait également son comportement autodestructeur. Il était incapable de s'arrêter. Fatalement, Shaun finit par perdre son dernier jeton et la chute fut terrible. Il se leva subitement, renversant son énième verre et titubant sur la personne à sa gauche, s'en servant pour tenir debout. Il pointa du doigt le croupier en face de lui -ou la croupière ? Il n'arrivait même plus à savoir- en l'insultant, l'incriminant de tricheries et réclamant qu'on lui rende son argent. La sécurité ne tarda pas à arriver et on le jeta dehors sans ménagement, par une porte menant sur l'arrière du casino. Se redressant de tout son haut, il épousseta son costume et marcha d'un pas se voulant assuré vers les vigiles avant de plaquer ses deux paumes sur le torse de l'un d'entre eux pour le pousser en arrière. Il se prit une droite qui le fit tomber au sol et sa lèvre inférieure, déjà fragilisée, se fendit. « Connard ! » hurla Shaun avant cracher par terre le sang qui arrivait dans sa bouche, lui laissant un arrière goût métallique. « C'est la dernière fois qu'on te voit ici, t'as compris ? » lui lança un des deux gars de la sécurité avant de refermer les portes derrière lui, laissant Shaun seul, assis au sol. Il s'allongea en étoile sur le bitume de la petite rue déserte, qui desservait l'arrière du casino mais aussi l'arrière d'un grand hôtel de luxe, de l'autre côté de la chaussée. Il se mit à fixer d'un regard vide le ciel nocturne et vacillant. La réalité de sa situation le frappa de plein fouet. Il était seul, blessé, toujours endetté, sans avenir, sans but. Les larmes qu'il avait retenues toute la soirée commencèrent à couler silencieusement sur ses joues.

Sans même y penser, il serre et desserre ses premières phalanges autour de la balle en mousse qu’il tient dans sa paume droite, soulageant ses doigts engourdis après l’effort d’une soirée passée à valser sur les touches blanches et noires. En réalité, l’exercice prolongé de son instrument lui occasionne surtout une gêne au niveau du petit doigt et de l’annulaire, une douleur qui irradie jusqu’à son poignet même s’il tente de ne pas trop grimacer en sortant du taxi qui le reconduit à son hôtel, en compagnie de son assistante, qui hérite de la balle souple. ’’Qu’on soit d’accord : j’veux pas te voir trainer au bar. Tu montes dans ta chambre et tu dors, demain on doit se lever à l’aube.’’ il est tenté de répondre un « oui maman » mais il sait que Lynda n’est pas d’humeur à plaisanter, surtout pas après que leur vol pour rentrer à Brisbane ait été annulé à la dernière minute, et qu’ils soient donc obligés de faire le futur trajet retour en voiture, perdant un temps précieux d’après celle qui organise leur agenda. ’’J’ai soif.’’ pour toute réponse, elle fouille dans son immense sac-à-main pour en ressortir une bouteille d’eau qu’elle lui flanque contre le torse sans même le regarder. ’’J’appelle Ash et je monte me coucher, promis.’’ daignant enfin lever les yeux vers lui pour le jauger avec méfiance, comme si elle redoutait qu’il lui serve simplement ce qu’elle souhaite entendre pour avoir la paix, elle remonte finalement la anse de son sac sur son épaule en prenant une fine inspiration, étant peut-être trop usée par la fatigue et les voyages pour se battre contre le musicien qui, debout sur le trottoir, attend sagement qu’elle décampe. ’’Il y a intérêt.’’ la menace est proférée juste avant qu’elle ne s’éloigne pour regagner l’intérieur de l’hôtel, et le pianiste effectue quelques pas sur le bitume en essayant de joindre son compagnon, en vain. Izan se souvient parfaitement de la représentation de l’anglais avec son groupe, ce soir, mais il avait espéré pouvoir entendre sa voix avant de dormir puisque, cela ne fait que quelques jours qu’ils sont séparés mais son homme lui manque déjà. Faisant une petite moue déçue, donc, il cale sa bouteille d’eau entre son coude plié et ses côtés, marchant sans réel but tout en écrivant un sms au guitariste avant d’être interrompu dans sa rédaction par des éclats de voix qui proviennent de l’autre côté de la chaussée. Discernant à peine la scène de violence qui se déroule sous ses yeux, puisque les silhouettes sont discrètement éclairées par un lampadaire qui diffuse sa lumière avec avarice, Izan ne peut ignorer la présence de l’homme allongé, qui ne bouge pas, dans l’indifférence de ceux qui sont retournés à l’intérieur du casino. Le pianiste n’a pas une charité émérite mais, il n’est pas égoïste au point de tourner les talons avec désinvolture face à un homme ayant possiblement fait un malaise après avoir subi des poings hargneux ; soupirant, il range alors son téléphone dans sa poche — sans avoir achevé son message à son compagnon, traversant la ruelle pour atteindre celui qui contemple le ciel d’un oeil hagard. ’’Ben dis donc, ils vous ont pas loupé…’’ qu’il fait remarquer pour manifester sa présence, se tenant debout à côté de lui, le menton légèrement penché sur le côté. L’état amoché de l’inconnu le surprend puisque, il semble avoir bien plus de blessures que le coup porté quelques minutes plus tôt. ’’Mauvaise soirée ?’’ il le demande d’un ton léger, presque sous une forme rhétorique, en tendant l’une de ses mains pour l’aider à se relever, n’ayant pas franchement l’intention de le laisser à son triste sort.

crédits/omibutt

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@Izan Da Silva

Début février 2024 - Sydney

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Shaun cligna des yeux, sa vision complètement floue par l’alcool et les quelques larmes qui continuaient d’arriver sans qu’il puisse les retenir. Il entendit des pas se rapprocher de lui, dans le silence de la ruelle qui régnait maintenant que les portes du casino s’était refermées sur lui, mais ne tourna pas la tête pour observer qui venait troubler son moment de solitude. Il ne perçu d’ailleurs pas vraiment les premiers mots que l’inconnu semblait lui adresser, comme s’il était encore déconnecté de la réalité, trop absorbé par le ciel sans étoile au dessus de sa tête. En revanche, il capta parfaitement la question qui suivie, le sortant de sa torpeur et lui arrachant un léger rictus qui souleva ses côtes endolories. Il grimaça sous le coup puis tourna enfin la tête vers l’étranger qui lui tendait une main, sentant un filet de sang couler le long de son menton. Fixant la main tendue, il hésita un instant. Une partie de lui voulait l’ignorer et rester allongé jusqu'à ce que le Monde disparaisse ou qu’on vienne le déloger de force. Mais quelque chose dans la voix de l’inconnu -peut-être était-ce de la compassion ?- le poussa à agir. Avec un grognement de douleur, il saisit la main de l’homme et se hissa maladroitement sur ses pieds, manquant de trébucher face au monde qui tanguait autour de lui, puis s'agrippa maladroitement à lui le temps de retrouver un semblant d'équilibre. Après quelques secondes, il parvint enfin à se tenir droit sans support, bien que toujours un peu chancelant. Son corps lui faisait un mal de chien, un rappel cruel des événements de la soirée. « Mauvaise soirée, ouais, on va dire ça. » finit-il par marmonner d’une voix rauque avant d’essuyer, d'un revers de la main, le sang qui avait coulé de sa bouche un peu plus tôt. Shaun observa l'inconnu en plissant les yeux, essayant de le jauger. Était-ce juste un bon samaritain ? Ou quelqu’un qui allait profiter de sa faiblesse ? Dans son état, il était bien incapable de déterminer quoique ce soit mais une vague de paranoïa le submergea subitement, mêlée à une profonde lassitude globale. « Pourquoi tu m'aides, en fait ? J’ai rien à te donner en échange. » demanda-t-il brusquement, méfiant. Il recula d'un pas, ce qui le fit de nouveau tanguer légèrement, puis se mit à tâter ses poches, confirmant ce qu’il savait déjà : vides. Tout l’argent qu’il avait gagné ce soir était bel et bien parti en fumée. L’ironie de la situation le frappa et il laissa échapper un rire sans joie qui se transforma en quinte de toux, lui arrachant les côtes. C’était toujours pareil. Gagner, perdre, recommencer. Un cycle sans fin dont il ne savait pas comment s’échapper. Il soupira, les bras ballants, puis redressa ses yeux vers l’étranger. « Tu sais quoi ? » les mots s’échappèrent sans qu’il puisse les retenir, l’alcool faisant son travail de sérum de vérité. « J’étais censé être quelqu’un. Avoir une vie. Une vraie vie. Et maintenant… Maintenant j’suis quoi ? Un déchet qu’on jette dehors comme une merde… ». Il ferma les yeux, les souvenirs de sa vie d’avant l’assaillant par vague. Cette époque où il avait des rêves, des ambitions, où il avait l’impression que le monde lui appartenait, était bel et bien derrière lui, semblant provenir d'une autre vie, à un autre lui. Comme s’il n’existait plus. Ses pensées allèrent directement vers son père et ce qu’il penserait s'il le voyait maintenant. Cette idée lui tordit l'estomac. Il l'avait tellement déçu. Il les avait tous tellement déçus - sa mère, sa sœur, ses anciens amis. Peut-être était-ce mieux comme ça, finalement, peut-être qu’il méritait cette vie. Après tout, c'était lui qui avait fait tous les choix qui l’avaient amenés jusqu’à ce moment, lui qui continuait à faire les mêmes choix chaque jour. Il sentit les larmes monter à nouveau mais les ravala rageusement. Non, il n’allait pas pleurer devant un homme qu’il ne connaissait même pas. « T'as pas une clope ? » demanda-t-il soudainement, changeant encore une fois d’attitude et de sujet. Il ne fumait même pas, mais il avait subitement besoin de quelque chose, n’importe quoi, pour occuper ses mains, pour se distraire de la tempête qui faisait rage dans sa tête.

Il a franchement l’air dans le brouillard, l’inconnu étendu sur le sol, mais rien de vraiment étonnant vu l’état de sa figure marquée par la violence, dont Izan discerne les blessures même dans la pénombre. Le dos courbé, étant légèrement penché au-dessus de lui, l'hispanique tente de capturer son regard mais il vagabonde bien loin de la terre ferme, quelque part entre les astres qui scintillent au-dessus de ses paupières comme des lucioles vagabondes, avant d’atterrir devant le pianiste qui, léger sourire aux lèvres, l’accueille avec un sourcil arqué. Ne le repoussant pas lorsqu’il s’agrippe à lui avec ce qui ressemble à du désespoir, Izan tend sa main libre de l’autre côté de son corps pour prévenir une possible chute, étant néanmoins rassuré de voir qu’il est tout de même capable de tenir sur ses deux jambes — l’inverse l’aurait grandement inquiété, surtout après les coups portés à son encontre. « Mauvaise soirée, ouais, on va dire ça. » il hausse ses sourcils avec une approbation manifeste, qui l’oblige à presser ses lippes l’une contre l’autre, prenant le risque de se détacher de celui qui a l’allure d’un gamin un peu (trop) paumé. « Pourquoi tu m'aides, en fait ? J’ai rien à te donner en échange. » un peu désarçonné par cette réaction aussi soudaine que méfiante, qu’il ne comprend pas vraiment et qui lui fait froncer les sourcils en même temps qu’il recule son menton de quelques degrés, rétorquant un ’’Pour gagner des points pour mon karma ?’’ qui est autant une affirmation qu’une interrogation (si ça existe, il espère vraiment que son altruisme jouera en sa faveur), mais il ne cherche pas à se rapprocher de nouveau de celui qui semble être sous l’effet nocif de l’alcool — un mal qu’il connaît suffisamment même s’il s’en éloigne depuis qu’il est avec son homme. Mais la méfiance ne s’éternise pas sur les traits du blessé, qui s’esclaffe tout à coup dans un rire amer, dont le ricochet provoque une nouvelle onde perplexe au visage du pianiste qui, enfonçant ses mains dans ses poches, se demande ce qu’il doit faire. Il n’a pas la responsabilité légale de ce qu’il pense être un gosse ayant abusé de la bouteille mais, maintenant qu’il l’a trouvé au milieu de la route comme un chat errant, il n’a pas le coeur à simplement tourner les talons pour retrouver le confort de sa suite luxueuse. Il devrait, peut-être. « Tu sais quoi ?  » - ’’Non mais j’vais vite le savoir…’’ il le marmonne d’une voix trop faible pour être entendue, et de toute façon, l’autre a déjà repris la parole sans se soucier de lui « J’étais censé être quelqu’un. Avoir une vie. Une vraie vie. Et maintenant… Maintenant j’suis quoi ? Un déchet qu’on jette dehors comme une merde… » il écarquille les yeux en faisant rouler ses lèvres l’une contre l’autre, un peu dépassé par le récit qui lui est conté ; il n’a pas le mode d’emploi pour gérer ses propres afflictions, alors, celles des autres… ’’Boh, ça va aller…’’ ouais, la phrase bateau qu’on sort quand on ne sait pas quoi dire pour dédramatiser ’’T’es pas le premier à te faire jeter dehors, ni le dernier.’’ parce que c’est bien le noeud du problème, non ? Il ne peut que le supposer, le musicien, puisqu’il n’a pas suffisamment d’informations pour savoir que c’est beaucoup plus profond que cela, et que le mal-être s’étend au-delà de l’humiliation subie ce soir dans ce casino. « T'as pas une clope ? » il sort les mains de ses poches pour montrer ses paumes vides, accompagnant son geste d’un ’’Je ne fume pas.’’ grimaçant d’un air désolé, il prend une fine inspiration avant de réfléchir à toute vitesse, finissant par s’entendre dire ’’Tu devrais rentrer chez toi, t’en as eu assez pour ce soir, non ?’’ ce n’est pas toujours qu’il est la voix de la sagesse, autant en profiter pour l'écouter.

crédits/omibutt