@Scarlett Bridgers

(museums, juin) Il savait qu’il ne serait pas à sa place dans une soirée du genre mais il a tout de même fini par accepter de s’y rendre, pour faire plaisir à son ami autant que pour simplement sortir de chez lui et de sa douce zone de confort. Swann agit comme le monde avait arrêté de tourner alors qu’ils en sont terriblement loin et qu’il est pourtant le premier à le savoir, mais en l’absence de Rory dans son quotidien il en vient de nouveau à douter que tout ça puisse en valoir la peine. Il n’est pas parti pour toujours, il n’y a rien de définitif, et dans un “très bientôt” qu’il ne peut pas quantifier, lui et Robin reviendront à la maison pour qu’ils retrouvent tous ensemble leur vie de famille. En attendant, ce n’est pas le cas et il ronge son frein, repensant à une erreur qui partait pourtant d’un bon sentiment et qui a très largement suffit pour tout détruire entre eux.

Ses pas suivent ceux d’Alistair partout où il se rend, ce qui ne l’empêche pas d’accrocher ses mots à une discussion adjacente quand il en a l’occasion. Tout le monde a à la bouche le monde de l’acting, du cinéma, de tout ce qui se rapproche du petit comme du grand écran et cela ne fait que remuer le couteau dans la plaie. Il n’y a rien de surprenant là-dedans: son ami l’avait prévenu du thème, lui-même issu du monde du cinéma. Ce même monde dans lequel Swann a mis un pied lorsqu’il travaillait en tant que kiné sur les plateaux, raison pour laquelle il reconnaît des visages familiers. Sa vie auprès de Rory lui permet d’en reconnaître d’autres, dont il a entendu parler pour une raison ou pour une autre. Autant de personnes qui le reconnaissent à son tour, lui demandant où se trouve son mari alors qu’ils ont tant donné pour habitude de n’apparaître que l’un auprès de l’autre. Aujourd’hui, et depuis plusieurs jours déjà, Rory est aux Etats-Unis, à son tour occupé à travailler pour ne pas se rendre fou. « Hey, t’es le mari de Rory Craine. » Ces mots ne peuvent évidemment être adressés qu’à sa personne, par quelqu’un dont l’haleine sent la fin de soirée largement entamée. Peu importe l’heure qu’il est réellement, Swann est déjà assuré d’une chose: il a pris de l’avance sur les verres d’alcool. « Je dois rejoindre mon ami, je suis désolé. » Il rétorque aussi poliment que brièvement, conscient qu’entamer une discussion avec une personne aussi curieuse et alcoolisée ne saurait mener à rien de bon.  « Hm, hm. Attends, je travaille pour le Herald. » Il ne manquait donc plus que ça ; un journaliste. Lui faisant dos, Swann ferme longuement ses paupières, déjà fatigué par cet échange. « J’ai vraiment pas le temps pour ça. » Il continue son chemin sans objectif véritable, sans même savoir avec qui il pourrait mimer l’urgence d’une conversation pour se défaire de cet homme avec qui il ne veut rien avoir à faire.

Son issue de secours correspond à la pire idée qu’il aurait pu avoir, il le sait bien, et pourtant elle représente paradoxalement la chose la plus rassurante pour lui dans les alentours, si bien qu’il attrape un verre sur un plateau présenté sur son chemin pour finalement le proposer à Scarlett, sa propre gorge plus sèche que jamais. Ce n’est pas le bon moment, ce n’est pas le bon moyen non plus et il lui en veut toujours autant d’avoir eu des mots particulièrement difficiles à son égard mais il pense tout de même que s’il y a une personne pour jouer le jeu de la discussion, ça reste son amie d’enfance. « Hey, j’avais promis de te rejoindre. » Il force le sourire en même temps que le mensonge, particulièrement mauvais sur l’instant. Sans doute assez pour que le journaliste, toujours collé à ses baskets, commence à émettre des soupçons à son tour. « L’agente de votre mari est au courant pour l’adoption ? Vous pouvez me confirmez ? Ce sera une fille ou un garçon ? Ce n’est pas trop tôt depuis l’arrivée de Robin ? Et où est Rory Craine ? » Elle sait qui il est mais Scar, elle, ne saurait savoir à son tour de quelle adoption il est question. Swann lui-même n’avait pas anticipé qu’une telle information aurait pu fuiter, raison pour laquelle son visage devient plus que jamais livide et son regard, lui, devient dangereusement vitreux. Il savait faire semblant jusque là mais parler de l’adoption (qui n’aura jamais lieu) est bien trop lui demander. Il est encore trop tôt.

Un gala, un énième gala. C’est le mois de Juin, alors celui-ci sera pour une cause queer, un foyer pour jeune lgtq+, une association qui protège leur santé mentale, quelque chose qui fait beau sur le flyer et le post instagram. Une cause qu’on pourra brandir pour dire que l’on est acteur du changement ou une connerie dans le genre, qui aidera les ultra-riches à dormir la nuit, apaisés par leur générosité et leur ouverture d’esprit. Scarlett se plie au jeu, elle en connaît les règles, Tried & True a fait une donation aussi, ça ira sur leur rapport d’impact positif de 2024, ça fera bien dans une présentation Powerpoint. Elle a aussi invité plusieurs personnes de son carnet d’adresse, des clients qui auraient bien besoin de maintenir - ou redorer - une image dorée. Glissant d’un groupe à l’autre, Scarlett règne suprême sur le lieu, veillant à ne jamais se mettre trop en avant - elle est l’agente, la femme de l’ombre, même si ce n’est pas toujours évident d’être discrètre lorsque l’on porte une robe en satin rouge foncé, assortie à ses cheveux fraîchement coloré. Elle est dans son élément, en contrôle, il lui suffit de prétendre ne pas avoir remarqué que Swann est là, à quelques mètres. Leurs regards ne se sont pas croisés, et elle se demande s’il l’ignore ou ne l’a pas encore remarqué. Elle est surprise - et agacée de l’être - de sa présence ici, surtout que Rory n’est pas ici, lui. Qu’est-ce que Swann fait donc ici ? Elle serre la machoire, détourne le regard et son attention, décide de continuer sa soirée comme si de rien était. Ils n’auront qu’à s’ignorer poliment, ça leur réussira bien.

Sauf que Swann a l’air d’avoir une autre idée en tête : il fonce vers elle, vers à la main, un sourire faux vissé sur ses lèvres. « Hey, j’avais promis de te rejoindre. » Scarlett n’a pas le temps de réagir, de s’étonner, elle remarque très vite que Swann n’est pas seul, et qu’un jeune homme, un rouquin aux joues rougies par l’alcool. « L’agente de votre mari est au courant pour l’adoption ? Vous pouvez me confirmez ? Ce sera une fille ou un garçon ? Ce n’est pas trop tôt depuis l’arrivée de Robin ? Et où est Rory Craine ? » Scarlett se remercie d’être réactive, car l’enchaînement de ces phrases pourraient la prendre de court - ses yeux s’écarquillent très légèrement vers Swann, puis son visage se recompose complètement, l’armure se réinstallant, et elle plante son regard dans celui du journaliste et éclate de rire. « L’adoption ? » Elle a un mouvement de tête, comme si elle chassait une pensée ridicule. « Vous ne seriez pas plutôt en train de penser à l’adoption en cours par Murray Barlett et son conjoint ? » Elle penche la tête, joue l’air suspect. « Mais non, je- » « Vous confondez souvent les couples, ou seulement ceux homosexuels ? » La carte est posée, l’accusation posée, c’est grossier, trop gros, juste assez pour instaurer un doute, et que le visage du journaliste se décompose un peu - pas autant que celui de Swann, que Scarlett aimerait secouer pour qu’il fasse bonne figure. « Vous travaillez pour quel magazine ? » Elle demande séchèment. « Euh, le Herald. » L’aura de Scarlett est assez puissant pour que le journaliste baisse presque les yeux, et elle savoure sa position malgré le glissant de la situation. « Et vous pensez que c’est une bonne image pour l’Herald de sous-entendre que vous avez accès à des informations sur une prétendue adoption, et donc à des documents confidentiels ? » Elle plisse les yeux, et tapote du bout des doigts l’avant-bras du jeune homme, d’un geste dédaigneux. « Allons, bon, levez le pied sur le champagne et retravaillez votre approche journalistique. »


@Swann Craine  

Il entend les mots, il entend les questions, mais il n’a aucune capacité à y répondre décemment. Il y a tout un training, il y a toute une attitude et il y a surtout tout un secret à cultiver. Autant d’éléments qui lui ont été partagés, autant de choses qu’il sait pour vivre avec une personnalité publique. Pourtant, jamais l’attention n’avait été focalisée sur lui et, surtout, jamais il n’avait eu à se demander comment y répondre en l’absence totale de Rory - parce que là réside justement la cause d’une telle curiosité: ils sont connus pour être inséparables. Aujourd’hui, Swann est à une fête où il n’a pas sa place, une fête où son mari se serait bien plus immiscé dans la foule. Une fête où rien ne peut passer inaperçu, et surtout pas la gêne immense sur son visage qui le fait se rapprocher de Scarlett pour qu’elle lui vienne en aide d’une façon singulière. De toute évidence, il n’en a pas la force. « L’adoption ? » Elle n’était pas au courant, elle non plus. Et pourtant elle donne le change, son amie qui aurait tous les talents d’actrice du monde pour à son tour apparaître devant les écrans et non plus oeuvrer dans l’ombre. « Vous ne seriez pas plutôt en train de penser à l’adoption en cours par Murray Barlett et son conjoint ? » Tout le monde sait qu’ils ont acheté leur adoption, eux. Même Swann le sait, si bien que confondre les deux couples aurait été impossible. « Mais non, je- » Il tente, se noie dans un verre d’eau. « Vous confondez souvent les couples, ou seulement ceux homosexuels ? » L’homme se veut soudainement bien moins loquace face à la répartie aussi injuste que nécessaire de Scarlett. Ils savent tous les trois qu’il ne faisait pas erreur, mais peu importe. Parfois, Swann comprend que la fin puisse en justifier les moyens et tel est le cas présentement. Il ne sera pas traité d’homophobe ou de conservateur en dehors du cercle de cette petite discussion, tout ira bien pour le journaliste dont l’anglais n’arrive pas à vouloir du mal ou même une vengeance, parce qu’il ne fait lui aussi que son travail après tout. « Allons, bon, levez le pied sur le champagne et retravaillez votre approche journalistique. » L’anglais pose son regard sur l’homme battant en retraite, toujours aussi muet et toujours aussi livide de son côté. Cette discussion lui donne envie de vomir, pour les stratégiques journalistiques autant que pour tout le reste. « Si j’ai pu y avoir accès, c’est que je suis pas le seul. » Il n’a pas dit son dernier mot, il s’agite une dernière fois avant sa mort, tel un réflexe corporel. « Tout le monde va savoir qu’une procédure d’adoption a été entamée. » Est-ce que c’est une menace ? Il ne veut pas le savoir, il jure qu’il ne veut pas en entendre parler. « Vous devez faire erreur. » Il s’agit de Murray, ils lui ont pourtant bien dit, non ? Il tente de garder une attitude impassible pour ne pas foutre en l’air tous les efforts de Scarlett mais force est de constater qu’il n’a pas sa force mentale. Il ne donne pas aussi bien le change que la professionnelle du genre.

Ce n’est que lorsque l’homme finit par leur tourner définitivement le dos, sans pour autant avoir abandonné son objectif, que Swann se permet de fermer les yeux et souffler longuement - une attitude de faible selon Scarlett, sans doute. C’est peut-être ce qu’il est, après tout. « On peut lui proposer de l’argent pour qu’il se taise ? » Il demande dans un murmure, son visage se tournant doucement en direction de l’agente de son mari. Elle sait sans doute très bien qu’elle était en train de nier une vérité, ce n’est pas une surprise. Ce que Swann désire, c’est que cette vérité ne s’ébruite pas, pour lui autant que pour son mari. A cela, il ne connaît que l’argent comme réponse facile. « Ça doit pas se savoir. » Il insiste, plus désolé que jamais de l’avoir soudainement mêlée à une histoire qu’elle aurait sans doute pu et dû apprendre autrement. « Je voulais pas faire mauvaise presse. » S’il est allée la voir elle, c’est parce qu’il savait qu’elle saurait gérer cette situation autant qu’il savait en être lui-même parfaitement incapable. En d’autres termes, il s’excuse.

Scarlett sait que son charisme la porte dans les conversations, impose sa présence, et elle est contente, ce soir, de pouvoir occuper l’espace pour deux personnes, face à Swann qui semble littéralement disparaître dans son costume, le teint livide. Elle a un tas de questions qui piquent le bout de ses lèvres et les rouages de son cerveau, mais elle doit agir vite, tenter le tout pour le tout, le bluff, même si elle sent que sa défense est bancale. Elle sait agir sur le vif, pourtant, mais il lui manque trop d’informations, et sans toutes les cartes en main, elle se retrouve à se glisser dans le moindre interstice, essayant de semer le doute et le trouble chez ce journaliste. « Si j’ai pu y avoir accès, c’est que je suis pas le seul. » Scarlett lève un sourcil, outrée par le comportement de cet homme qui semble bien décidé à faire le malin jusqu’au bout. « Tout le monde va savoir qu’une procédure d’adoption a été entamée. » « Vous devez faire erreur. » Scarlett a envie de secouer Swann parce qu’il n’est absolument pas convaincant - il a réussi à lui cacher s’ouvrir les veines et vouloir se foutre en l’air pendant des mois alors qu’ils étaient ados, où est passé son talent pour le cinéma ? pense Scarlett sans beaucoup de douceur. « C’est une menace ? » Elle demande d’un ton froid, faisant un pas pour se mettre à hauteur du journaliste, une domination physique qu’elle appuie d’un regard glacial. « Si le Herald veut encore travailler avec un seul de mes clients, je vous conseille de descendre d’un ton », elle prévient sèchement.

Le journaliste finit par s’éloigner, et Scarlett le fixe, laissant quelques secondes de répit à Swann dans un geste plus généreux qu’elle ne voudrait l’admettre. Lorsqu’elle se tourne à nouveau vers lui, il a les yeux fermés, et pousse le soupir d’un homme qui a la fatigue d’un monde sur les épaules. « On peut lui proposer de l’argent pour qu’il se taise ? »« Il m’a donné l’impression d’être un crétin qui préfère avoir raison qu’avoir de l’argent », elle relève, malheureusement sincère. « Ça doit pas se savoir. » Scarlett a une foule de questions, qui pourraient se résumer assez simplement par : savoir quoi ? « Je voulais pas faire mauvaise presse. » Elle a un mouvement de la main. « Je connais le rédacteur en chef du Herald, je peux tenir la situation avec eux. Mais il faudra peut-être attaquer en justice l’agence d’adoption si elle laisse vraiment traîner ses papiers pour tous les journalistes fouineurs d’Australie. » Une façon de dire qu’elle ne peut pas non plus contenir une situation si celle-ci s’étend à plusieurs journaux.

Elle regarde Swann, son visage, commence à faire les calculs dans sa tête. « Le problème, ce n’est pas que les gens sachent que vous voulez adopter un deuxième enfant, pas vrai ? » Elle demande, une sorte de question rhétorique : pourquoi réagir ainsi, Rory et Swann n’ont jamais caché Robin, et même s’ils voulaient être discrets sur un deuxième enfant, cela n’explique pas l’air épuisé de Swann. « Lequel d’entre vous a changé d’avis ? » Elle questionne, son intuition et ses capacités d’analyse parlant à sa place.


@Swann Craine  

De toute évidence, elle est bien plus à même de gérer la situation qu’il ne l’est, et ce n’est pas un rôle que Swann aurait à cœur d’échanger avec elle. Scarlett est taillée pour ce rôle alors que lui, au contraire, est taillé pour tout le contraire. Cet univers n’est pas le sien, il l’a toujours dit et tout le monde l’a toujours cru sur ce point. « Si le Herald veut encore travailler avec un seul de mes clients, je vous conseille de descendre d’un ton » Il serait le premier à vouloir lui reprocher d’abuser de son pouvoir et son influence pour faire flancher les plus petits poissons du milieu, mais pas en cet instant. Pas alors qu’il est question de dévoiler à outrance sa vie de famille, sa vie de couple et, de façon plus simple, sa vie privée. Cela ne reste que lui et Rory et il est déjà bien assez en colère rien qu’à l’idée d’anticiper qu’il va devoir à Scarlett des explications sur un sujet qui n’aurait jamais dû le regarder en premier lieu. Il lui fait confiance, là n’est pas le problème, mais il préfère garder son petit îlot privé à lui et rien qu’à lui. La dernière fois où il s’est laissé aller à des confessions à Scarlett, ça a mal terminé.

« Il m’a donné l’impression d’être un crétin qui préfère avoir raison qu’avoir de l’argent » Ce n’est pas l’impression qu’il en a gardé, pensant sincèrement que cet homme met sur un pied d’égalité la gloire et la fortune, mais il ne cherche pas à faire davantage entendre sa vision des choses. Elle est l’experte, quitte à se répéter, et il préfère encore ne pas tomber dans le cercle infernal de l’idée que tout peut avoir un prix et surtout le silence. Si l’affaire venait à se savoir, ils auraient bien plus encore à y perdre. « Je connais le rédacteur en chef du Herald, je peux tenir la situation avec eux. Mais il faudra peut-être attaquer en justice l’agence d’adoption si elle laisse vraiment traîner ses papiers pour tous les journalistes fouineurs d’Australie. » Il hoche la tête malgré lui. L’envie d’avoir à nouveau une discussion avec l’agence ne l’enchante pas le moins du monde mais il prendra évidemment la peine de les rappeler, pour le bien de leur famille. « Je ferai le nécessaire avec l’agence. » Cela n’a pas à devenir une affaire de Scarlett, non parce qu’il ne veut pas le lui confier, mais bien parce qu’il refuse de lui ajouter une telle charge sur les épaules alors qu’elle était supposée passer une soirée simple, à récolter quelques numéros et contacts du milieu. Rien de plus, rien de moins. Malgré tout, il ne dit rien au sujet du mot qu’elle pourrait toucher au rédacteur en chef du Herald, ce qui serait une véritable aubaine pour eux. Ne pas le lui demander directement suffit à ne pas attiser sa culpabilité au sujet des avantages sociaux.

« Le problème, ce n’est pas que les gens sachent que vous voulez adopter un deuxième enfant, pas vrai ? » Il ne dit rien, son propre regard se posant sur le profil de Scarlett sans ciller plus qu’il ne l’a déjà fait. Quoiqu’il dise, elle comprendra la vérité par elle-même, et c’est sans doute bien mieux si elle a toutes les pièces du puzzle en main. « Lequel d’entre vous a changé d’avis ? » - « J’ai entamé la procédure d’adoption sans son accord. » Il ne s’abaissera pas à dire que Rory est celui qui a changé d’avis et donc celui sur qui la faute doit retomber : ce n’est pas la façon dont les choses se sont passées. « C’était supposé rester entre lui et moi. » Et eux deux, juste eux deux. Pas une seule personne supplémentaire, et ce peu importe à quel point ils estiment tous deux Scarlett pour des raisons différentes. « S’ils apprennent que Rory est aux Etats-Unis à cause de ça… » Ce serait assurément la fin de lui. Il ne supporterait pas que les journaux les assurent déjà séparés, argumentant autour des plateaux télé autour du débat “pourquoi les mariages d’acteurs ne durent pas ?” et faisant un méli-mélo entre la popularité de Rory et son orientation sexuelle - la leur, d’orientation sexuelle. « Vois avec lui si tu veux. Je sais que tu veux plus rien avoir à faire avec moi, donc si tu veux gérer ça, vois avec lui. » Qu’il finit par annoncer, comme s’il venait de se remémorer leur dernière discussion. Il lève une main en l’air en signe d’abandon anticipé. « On en a parlé à personne. » Lui ne l’a pas fait de son côté pour sûr, et il pense que Rory a à son tour adopté une attitude similaire.

Scarlett déteste voir Swann dans cet état. Pas seulement parce qu’elle n’a jamais aimé être face à des gens en position de vulnérabilité, voire de faiblesse, mais surtout parce que c’est de Swann dont il s’agit. Elle se souvient trop bien d’eux, adolescents, et s’il était capable de dévoiler ses émotions beaucoup plus facilement qu’elle, il avait toujours cette aura, ce calme, quelque chose d’une ancre à laquelle on peut s’accrocher. Mais cette perception a valsé le jour où elle a vu ses cicatrices, et ce soir, elle est de nouveau confrontée à toute la sensibilité qui bouillonne à la surface de Swann. Scarlett a pourtant besoin qu’il soit comme elle : fort, imperturbable. Parce que leurs vies n’ont pas été faciles, mais ils ont réussi, ils vont bien, maintenant. N’est-ce pas ? « J’ai entamé la procédure d’adoption sans son accord. » Scarlett lève un sourcil, surprise. Le couple de Rory et Swann fait parti de ceux qui prêchent la communication et la bienveillance à tout bout de champ - une apparente osmose et gentillesse qui agacent les gens comme Scarlett. « C’était supposé rester entre lui et moi. » Scarlett ne peut pas lui dire qu’elle va l’oublier, faire comme si de rien était. Ce n’est pas son genre, et la situation s’est clairement envenimée, est tombée dans l’oreille de gens qui n’auraient rien dû savoir. « S’ils apprennent que Rory est aux Etats-Unis à cause de ça… » Scarlett essaie de ne pas avoir l’air surprise, et pourtant, ce n’est en effet pas ce à quoi elle s’attendait. « La meilleure façon d’éviter que ça se sache, c’est de le rejoindre et d’avoir l’air d’une famille soudée », répond Scarlett, toujours pragmatique, son métier jamais bien loin. Mais elle devine bien au visage de Swann que cette possibilité n’est pas à imaginer.

Non, Swann semble dépassé par la situation. Une part de Scarlett comprend : il n’a pas choisi d’être acteur, lui, d’être dans l'œil du grand public. Mais une autre part d’elle est moins tendre, considère que Swann est au courant des conséquences d’aimer quelqu’un comme Rory. Il aurait pu rompre, épouser quelqu’un d’anonyme. « Vois avec lui si tu veux. Je sais que tu veux plus rien avoir à faire avec moi, donc si tu veux gérer ça, vois avec lui. » Scarlett se retient de lever les yeux au ciel, parce qu’elle n’aime pas ce ton dramatique, le geste las de Swann. « Je n’ai jamais dit ça, j’ai juste dit que tu étais un imbécile », et un menteur, elle manque d’ajouter, mais le visage fatigué de Swann la retient. Et elle est légèrement de mauvaise foi, elle le sait : on ne peut pas dire que leur dernière conversation donnait l’impression qu’elle voulait revoir Swann. Pour autant, elle ne croit pas lui avoir dit qu’elle ne voulait plus rien à voir avec lui. « On en a parlé à personne. » Elle hoche la tête, sa façon à elle de faire comprendre qu’elle saisit l’importance de l’information. Elle est assez pudique et secrète pour comprendre qu’être mise dans la confidence, même accidentellement, est une chose sacrée. « Tu lui en veux ? » Elle demande, sans se soucier de rentrer dans le vif du sujet - c’est déjà trop tard, au fond.  « Tu veux qu’on sorte prendre l’air ? » Elle ajoute, en faisant un signe vers la terrasse où quelques personnes fument ou discutent. « Pour que tu reprennes contenance », elle précise, « t’as un peu une sale tête ». Toujours aussi douce, Scarlett.

@Swann Craine  

Il sait que lui et Scarlett évoluent dans des mondes différents, il le sait bien, et pourtant parfois il aimerait qu’ils puissent oublier tout ça pour se concentrer uniquement sur leur amitié sincère et sur des réactions qu’il jugerait normales. Ainsi, la réponse de son amie, bien qu’anticipée et attendue, n’a rien de normale. « La meilleure façon d’éviter que ça se sache, c’est de le rejoindre et d’avoir l’air d’une famille soudée. » Il le sait, mais ce n’est pas pour autant que cela peut devenir réalité. Il sait à quoi ressemble un monde idéal, et il sait surtout que son quotidien s’en détache bien plus qu’il ne s’en rapproche récemment, à son plus grand malheur. « On jouera pas à ce jeu-là. » Jamais il n’aurait pu penser que donner le change d’un couple heureux serait une comédie, et cela ne contribue qu’à lui faire davantage mal au cœur encore. Pourtant, il est intransigeant sur son idée : il ne jouera pas au jeu du paraître parce que c’est la bonne chose à faire et il ne mentira pas devant les caméras. Ils ont besoin de temps pour aller mieux et dès que tel sera le cas, ils seront honnêtes face à tout le monde. Avant ça, ils ne mentiront pas, et il sait qu’il n’a pas besoin d’obtenir l’avis de Rory sur ce point pour qu’ils soient sur la même longueur d’onde - même si, ironiquement, il en pensait tout autant sur le sujet de la paternité. Quoiqu’il en soit, il n’est pas là pour recevoir des conseils de relations publiques, ou des conseils tout court par ailleurs. Simplement, toute la situation lui a échappée.

« Je n’ai jamais dit ça, j’ai juste dit que tu étais un imbécile » Et une petite chose fragile ; sauf que les aigles ne volent pas avec les pigeons, n’est-ce pas ? Il n’a pas assez de force pour se montrer rancunier, et n’en a de toute façon aucune envie, mais il n’en pense pas moins. Swann sait devoir une fière chandelle à Scarlett, qui plus est, et il serait particulièrement égoïste que de lui en tenir rigueur à cet instant alors qu’elle vient de lui tendre la main. « Tu lui en veux ? » Il prend une inspiration plus large, uniquement pour retarder le moment de sa réponse. « Oui. » Il n’aurait jamais cru une telle idée possible, mais s’il est honnête, il lui en veut bel et bien, même alors qu’il est au clair sur l’idée que Rory a pris la bonne décision pour leur couple. Son propre désir, sans doute issu d’un caprice, fait qu’il lui en veut de ne pas avoir voulu agrandir leur famille, qui avait tout pour être parfaite. « Tu veux qu’on sorte prendre l’air ? » Il hoche la tête sans même y réfléchir à deux fois. « Pour que tu reprennes contenance. T’as un peu une sale tête » - « Toujours les bons mots, Scar, y’a pas à dire. » Il bougonne, pas sérieusement en colère pour autant. Il a besoin d’air, lui-même s’en rend compte.

« A quel point j’ai pas été convaincant ? » L’air frais s’engouffre dans ses poumons en même temps qu’il expire ces quelques mots, tentant comme à son habitude d’en tirer un brin d’humour là où il peine pourtant à en trouver. « Merci. » D’avoir été là, d’avoir speak up, de ne pas l’avoir abandonné. Rien ne l’y obligeait, et ils le savent tous les deux. « On pensait tous les deux que ça allait pas t’impacter, cette histoire. » Parce que Rory en a tout aussi peu parlé que lui, il s’explique. Ils l’ont tenue à l’écart en pensant bien faire, non par amour certain du secret. « Ça va se régler. » Avant qu’elle n’ait besoin d’intervenir, voilà surtout ce qu’il sous-entend à travers ces mots. « Toi ? » Il demande, après avoir tapé contre un cailloux imaginaire. « Ça va ? » Ca ne peut pas être pire que lui, non ? La comparaison devrait profiter à Scarlett.

« On jouera pas à ce jeu-là. » Scarlett ne sait pas ce qui la retient de lever les yeux au ciel - un sursaut de loyauté, peut-être, ou le visage épuisé de Swann. Mais elle n'en pense pas moins, au fond, et voudrait lui répondre que s'ils ne voulaient pas jouer à ce jeu-là, lui et Rory, il ne fallait pas devenir acteur et mari d'acteur. Scarlett a toujours manqué de patience pour les gens qui semblent découvrir l'envers du décor de la célébrité comme s'ils ne connaissaient pas le contrat qu'ils avaient signé, comme si on ne les avait jamais prévenus du coup de leur ambition. Mais les gens pensent savoir, tenir, puis sont vite dépassés. Ils atterrissent dans le bureau de Scarlett, qui les brosse dans le sens du poil.

Mais Rory et Swann n'ont pas prévenu Scarlett. Ils ont pensé réussir à gérer leur vie privée et leur mariage, loin des regards curieux. Ils avaient tort, de toute évidence. Et Swann, malgré son amour dégoulinant pour son mari, semble tout à coup épuisé par tout ça. Épuisé, et en colère. « Oui. » Il confirme sa rancœur, avec une honnêteté qui toucherait presque Scarlett, qui perçoit combien l'aveu lui coûte. C'est peut-être pour ça qu'elle lui propose de sortir, de prendre l'air, parce qu'il semble étouffer dans son costar, au milieu de ce gala. Pourtant, Scarlett s'est promis d'éviter Swann jusqu'à nouvel ordre. Elle ne sait pas exactement ce qui l'anime, en cet instant. Elle réagit instinctivement à la mine morose de Swann. « Toujours les bons mots, Scar, y’a pas à dire. » Elle hausse les épaules, essaie de ne pas relever à quel point c'est facile pour Swann de lui donner un surnom, surnom que bien peu s'autorise à employer. Elle est Bridgers, elle est Scarlett. « De rien », elle répond avec son sarcasme anglais que Swann comprend plus que personne.

L'air est frais, dehors, agréable. Une odeur de cigare flotte, se fond dans l'obscurité. « A quel point j’ai pas été convaincant ? » Elle penche la tête, fait mine de réfléchir. « Si je te réponds sincèrement, tu vas me dire toujours les bons mots, Scar », elle imite la voix de Swann, son accent, ce qui lui arracherait presque un rire malgré la situation. Elle le ravale, secoue la tête.  « Merci. » Elle ne regarde pas Swann dans les yeux, quand il prononce ces deux syllabes. « J'enverrais la note à Rory », elle plaisante. Elle se demande si Swann croit toujours à ce qu'il a dit, la dernière fois, quand ils se sont disputés : qu'elle ne pense qu'à son client, au fond.

« On pensait tous les deux que ça allait pas t’impacter, cette histoire. » Impacter n’est pas vraiment le bon mot, pense-t-elle : ce n’est que son métier, elle est préparée à tout, c’est le but. Ses clients ne la préviennent généralement pas à l’avance qu’ils vont se retrouver dans un scandale ou une rumeur. « Je sais gérer les imprévus. » Et elle fera ce pour quoi Rory la paie, du mieux qu’elle le peut. Si lui et Swann acceptent de coopérer, aussi. « Ça va se régler. » Elle se demande à quel point il y croit, s’il le dit pour elle, ou pour lui-même. « Toi ? » Ah, nous y voilà, se dit-elle. La gentillesse légendaire de Swann ne l’aurait jamais laissé s’arrêter là sans demander des nouvelles à Scarlett. « Ça va ? » Elle contemple la question. Elle n’a pas l’habitude de se demander si elle veut répondre honnêtement, habituée à son rôle parfaitement exécuté. Elle ne sait pas vraiment quelle est la réponse honnête non plus.  « Oui, ça va. » Elle marque une pause.  « Un peu… Fatiguée. » Elle retient presque son souffle. Elle ne parlera pas des absences, des épisodes, comme elle les appelle. Mais c’est une sensation nouvelle, que d’admettre à voix haute une demi-faiblesse. De le dire devant Swann, qu’elle tient pourtant responsable : c’est depuis qu’il est revenu dans cette vie que tout ça a commencé. Elle hausse les épaules, chasse le moment. Elle sait, au fond, que c’est plus compliqué que ça. Qu’elle cherche un coupable parce que c’est plus simple. « C’est sérieux, la dispute, avec Rory ? Son voyage aux Etat-Unis, c’est une pause ? » Elle demande, parce qu’elle ne sait pas demander frontalement à Swann s’il va bien, ne sait pas dire qu’elle s’inquiète pour lui, elle qui a préféré le juger, la dernière fois.


@Swann Craine  

Il est prêt à faire des efforts, ce n’est pas une nouveauté. Il en fait depuis qu’il vit avec Rory et qu’il a accepté un quotidien qui ne le rend pas toujours heureux, notamment alors que la popularité de son mari devrait donner le droit à des inconnus de scruter leur quotidien et à d’autres encore de le commenter et le juger. Il connaît ce point, il a appris à vivre avec et il continue d’apprendre à ne pas le laisser gagner trop d’importance. Ce sont des efforts qu’il fait en toute conscience et dont il ne regrette rien ; cela n’a aussi rien à voir avec ce que Scarlett lui demande de faire, à jouer au couple parfait face aux caméras alors que cela ne représente en rien l’état actuel de leur relation. Pourtant, Swann rêverait plus que jamais que cela soit la réalité, raison pour laquelle il éprouve finalement le besoin de prendre l’air pour échapper à l’instant présent et toucher du bout des doigts l’idée de normalité. Comme si lui et Scarlett sortaient prendre l’air, deux amis qu’ils sont depuis toujours et presque. Comme si. « Si je te réponds sincèrement, tu vas me dire toujours les bons mots, Scar. » Ils ne devraient pas, mais ces mots lui font échapper un rictus amusé. Il n’a pas été convaincant à ne point, alors. Au fond, il n’éprouve aucune surprise, bien conscient que jamais il n’aurait sa place face aux caméras, et ce même si Rory faisait des mains et des pieds pour lui. Il n’a aucun talent pour une telle chose. « J'enverrais la note à Rory. » Cette remarque le fait moins sourire que la précédente, de toute évidence. Sans doute que la mention de son mari y est pour quelque chose, ou alors peut-être que le simple lien fait avec leur dernière discussion et dispute en date suffit à cela. Il ne saurait le dire. « Je t’en prie. » Amuse-toi est ce qu’il se retient d’ajouter, conscient que ses mots seraient trop plein d’une amertume qu’elle ne mérite pas. Ni elle, ni personne. Ce n’est pas parce qu’il ne supporte pas son reflet dans la glace qu’elle devrait payer pour ça.

« Oui, ça va. » La réponse est bien connue, si bien qu’il insiste davantage de son regard posée sur la brune, comme pour lui demander muettement de lui répondre sincèrement plutôt que par habitude. Il peut entendre qu’elle ne va pas bien si tel est le cas, même alors qu’il ne lui souhaiterait jamais. « Un peu… Fatiguée. » Comme il s’y attendait, tout n’est pas si rose au paradis. Sans bonheur, il hoche simplement la tête. « Aujourd’hui ou de façon générale ? » Swann anticipe déjà qu’elle ne voudra pas lui répondre, trop occupée à préserver sa cage dorée, mais il tente tout de même d’en savoir un peu plus et, par la même occasion, de savoir à quelle échelle positionner le souci qu’il se fait pour elle. « C’est sérieux, la dispute, avec Rory ? Son voyage aux Etat-Unis, c’est une pause ? » Ses inquiétudes lui sont renvoyées de plein fouet, lui qui pensait naïvement le sujet derrière eux, comme on pourrait oublier une conversation sans importance et, surtout, sans conséquences. Il se pince la lèvre avant même de répondre, n’ayant ironiquement jamais réfléchi à ces points. Il se contente de survivre au jour le jour, et Swann jure que c’était déjà pas si mal. « Je lui ai dit qu’on devrait prendre un peu d’espace. Et tant qu’à faire, qu’il devrait en profiter pour travailler. » Alors oui, c’est sérieux. Plus sérieux qu’il ne veut le croire lui-même, au point où il n’ose pas énoncer à voix haute la conclusion pourtant plutôt évidente. Lui et son mari sont dans une passe difficile et il existe certains jours où il se déteste de croire qu’ils n’en ressortiront pas encore plus forts. « Je pensais que j’allais m’en vouloir après un jour ou deux et que je le rejoindrais. Je sais pas, quelque chose du genre. » Ce n’est même pas qu’il n’arrive pas à s’excuser, parce qu’il comprend aujourd’hui qu’il a mal agi et qu’il ne se cherche pas des circonstances atténuantes, mais c’est bien qu’il en est venu à se demander si cela en valait vraiment la peine ; si, peut-être, Rory ne ferait pas mieux de se trouver sa bonne personne avec qui il pourrait partager dans son intégralité sa vie de personnalité publique. L’idée lui brise le cœur, évidemment, mais il trouve au moins un point positif dans le possible bonheur de la personne qu’il aime le plus au monde. « Me fais pas un discours sur qui ira ta loyauté en cas de nécessité. » Il sait, ils n’ont pas besoin d’en discuter davantage. Rory la paie, Swann le dégoûte. « J’aurais aimé avoir ton avis sur ça. Pas de pro. Juste… » Juste d’elle. De la jeune femme qu’il a connu il y a une vie de ça et qu’il a à un moment donné aimé un peu plus qu’une amie. De la jeune femme qu’il continue d’estimer particulièrement aujourd’hui, bien plus pour ce qu’elle a un jour représenté plutôt que ce qu’elle représente aujourd’hui aujourd’hui hypothétiquement.

Elle ne dira pas à Swann qu’elle se sent étrange, ces derniers temps, non. Pourtant, il est probablement la seule personne dans sa vie actuelle qui l’ai déjà vu vulnérable, il y des années de ça. A l’époque, déjà, elle ne partageait pas facilement ses états d'âme. Certains travailleurs sociaux l’avaient vu exploser de temps à autre, sa mère aussi. Mais elle a laissé ces gens-là derrière elle. Elle a abandonné Arabella, est devenue une autre, devenue Scarlett, une femme accomplie, une machine bien huilée, inarrêtable. Swann est le seul à connaître ces deux versions. Et Scarlett a la désagréable impression que ça lui donne trop de pouvoir sur elle. « Aujourd’hui ou de façon générale ? » Elle fait une moue, pas sûre de vouloir vraiment détailler. Mais elle a mis le sujet sur le tapis, il faudrait qu’elle assume. « Ces derniers temps », elle répond alors, un peu cryptique, ni sincère ni menteuse.

Elle préfère retourner au sujet Rory et Swann. Elle est plus curieuse de savoir comment va Swann que de songer à Rory, son image. C’est inhabituel, chez elle, pour qui le travail est toujours le premier réflexe. « Je lui ai dit qu’on devrait prendre un peu d’espace. Et tant qu’à faire, qu’il devrait en profiter pour travailler. » Scarlett hoche la tête. Oui, c’est sérieux, alors, elle le lit entre les lignes. Rory et Swann sont un couple fusionnel, complice, pas du genre à être loin l’un de l’autre, du moins pas volontaire : le travail de Rory l’y oblige, et cela a tendance à agacer les deux hommes. « Je pensais que j’allais m’en vouloir après un jour ou deux et que je le rejoindrais. Je sais pas, quelque chose du genre. » S’en vouloir. Lui, évidemment, plutôt qu’à Rory. C’est tout Swann, ça, il n’a pas changé, toujours à chercher l’excuse pour l’autre. C’est comme ça qu’il a pu supporter Scarlett, pas vrai ? Sa bienveillance, sa douceur, sa grandeur. Des traits qu’on trouve habituellement nobles, et qui agacent Scarlett, parce qu’elle a envie de le secouer, pour le protéger, lui, et pour refuser la tendresse qui lui réserve et qui la brusque, elle qui s’est promise qu’elle pouvait vivre sans. « Il t’en veut, lui ? » Elle demande, pour essayer de cerner la situation. Swann s’en veut, en veut visiblement un peu à Rory aussi. Mais Rory, dans tout ça ?

« Me fais pas un discours sur qui ira ta loyauté en cas de nécessité. » Elle s’apprête à répliquer ne m’oblige pas à te complimenter d’un ton un peu sarcastique, parce qu’en cet instant, elle pense sincèrement que Swann plaisante et lui dit qu’il sait, qu’elle n’a pas besoin de l’expliciter. Mais elle le regarde, son visage dépité, et elle comprend qu’il est complètement à côté de la plaque et pense sincèrement que c’est à Rory qu’elle est loyale. Elle est un peu surprise, prise de court, détourne le regard. Comment peut-il si mal cerner la situation ? « J’aurais aimé avoir ton avis sur ça. Pas de pro. Juste… » Elle est toujours un peu retournée par cette remarque sur la loyauté, et elle ne répond pas immédiatement. Elle rassemble les informations qu’elle a, les pièces incomplètes du puzzle. « Vous aviez déjà parlé d’avoir un autre enfant, pas vrai ? Tu n’aurais jamais lancé une procédure, sinon », elle devine. « Tu voulais lui faire une surprise ? Pourquoi est-ce qu’il a refusé ? » Elle demande, essayant d’avoir plus d’éclairage avant de rendre un jugement. Elle marque une pause, ajoute d’une voix basse : « Ce n’est pas juste le rejet qui pique, c’est la perte de cet enfant que tu pensais accueillir, l’idée que tu t’étais faite de cette nouvelle famille. » Swann est son immense amour qui avait dû déjà s’imaginer tant de choses.

Elle regarde l’horizon, au loin, repense à cette phrase qu’il a dit. Pas besoin d’un discours sur la loyauté. Et Scarlett n’aime ni les discours, ni la loyauté. Mais tout à coup, c’est étrange de mentir à la seule personne qui la connaît. « Ce n’est pas trop mon truc, être loyale, tu le sais », elle commence, le malaise commençant à cogner dans son estomac. « J’ai l’impression d’être redevable, enfermée. La loyauté, ce n’est pas un sentiment que j’aime. » Elle a besoin de savoir qu’elle peut partir quand elle veut. « Mais… » Mais. « Je crois que tu es l’unique personne qui m’ait jamais inspiré ce sentiment. » Elle ne le regarde pas quand elle dit ça. Elle espère presque qu’il ne l’entende pas. Elle hause les épaules. « Sinon pourquoi me serais-je mis dans cet état à l’idée que tu veuilles te… » Elle fait un signe de la main, vers les poignets de Swann. Tu sais, te tuer ?


@Swann Craine  

« Ces derniers temps. » Il sait déjà qu’elle ne voudra pas donner davantage de détails, raison pour laquelle il se contente d’une moue et même temps qu’il hoche la tête. La réponse n’est pas pour le rassurer, évidemment, et il prend mentalement note de ce qu’elle lui rapporte sur l’instant. Il se demande depuis quand elle est fatiguée et, invariablement, il se demande s’il aurait pu éviter qu’elle vive une telle chose si jamais il était resté près d’elle, comme il se l’était juré, comme ce n’est absolument pas arrivé depuis leur dispute. S’ils ont l’occasion de discuter ensemble à nouveau, il prendra le temps d’en apprendre davantage. Pour ce soir, Swann sait qu’il ne peut pas réellement se le permettre parce que leur relation n’est plus ce qu’elle était il y a peu encore, et la confiance entre eux est friable. « Il t’en veut, lui ? » Il a toujours pu lire en lui comme dans un livre ouvert et se retrouve parfaitement interdit face à cette question dont il ne connaît pas la réponse. Son regard trouve celui de Scarlett dans un silence difficile à soutenir. Ses yeux s’écarquillent un brin, sans doute parce qu’il prend conscience du temps qui passe et du silence qu’il leur impose ; silence qui équivaut à une réponse en lui-même. « Je… sais pas. J’imagine que non. » Parce qu’il est égal à lui-même, Rory. Parce qu’il est sans doute en train de remuer ciel et terre pour trouver toutes les excuses et circonstances atténuantes à son mari plutôt que d’accepter l’idée de lui en vouloir, ou même de faire de lui le coupable de cette histoire - alors qu’il serait en son droit. « Tu le connais. » Il finit par souffler, ce qui est sans doute ce qu’il peut dire de mieux pour englober l’amplitude de ses sentiments.

« Vous aviez déjà parlé d’avoir un autre enfant, pas vrai ? Tu n’aurais jamais lancé une procédure, sinon » Plus ou moins. Il ne lui donne pas raison, il ne lui donne pas tort non plus. Sans doute qu’il se contente simplement de savoir où elle veut en venir avec un préambule du genre. « Tu voulais lui faire une surprise ? Pourquoi est-ce qu’il a refusé ? » Swann allonge son cou pour observer la sortie, s’assurant ainsi qu’il n’y a personne autour d’eux pour écouter ses confessions. La presse people a déjà bien trop de doutes selon lui, il ne veut pas rajouter de l’huile sur le feu. « Parce qu’on peut pas “faire une surprise” avec un enfant. » Ce qui est logique, n’est-ce pas ? Ce qui est d’autant plus logique pour un homme aussi terre à terre que l’est Swann, que l’est Rory aussi. Il n’y a rien de plus évident que ce qu’il vient de statuer, et pourtant cela ne l’a pas empêché d’aller au bout de sa propre idée, aveuglé par l’idée que c’était justement le mieux à faire pour leur couple, pour leur bonheur. « Ce n’est pas juste le rejet qui pique, c’est la perte de cet enfant que tu pensais accueillir, l’idée que tu t’étais faite de cette nouvelle famille. » Il ressent l’émotion remonter jusqu’à ses yeux et renifle pour garder contenance. Il n’aurait pas pu résumer l’idée de la sorte mais Scarlett vise particulièrement juste, il doit bien l’avouer. « On est très heureux avec Robin. J’ai juste l’impression d’être un gamin égoïste. » Parce qu’il est celui qui reste à la maison pour s’occuper d’elle, parce qu’il est celui qui avait l’impression d’avoir besoin de s’occuper davantage pour jouer à la housewife comblé de bonheur. Il n’avait besoin de rien de plus, surtout alors qu’il travaille lui aussi, mais pendant un instant il n’en a pas moins pensé. « Je sais pas si on peut le comprendre sans être parent. » Ce qui n’est pas un reproche à l’égard de Scarlett, tel que tente de le prouver le ton de sa voix qui se veut bas. Simplement, il lui trouve des circonstances atténuantes si jamais elle voulait finir par lui dire qu’il est difficile à suivre et “franchement pas croyable”. Il comprendrait. Elle vit pour son travail ; il vit pour sa famille, et c’est justement cette dernière qui vit à l’autre bout du globe désormais.

« Ce n’est pas trop mon truc, être loyale, tu le sais » Il sait. Encore une fois, il s’attend à lui dire qu’il ne veut pas son discours sur ce point, déjà trop fatigué pour avoir la patience nécessaire sur ce point. Il ne veut pas être irrité à ses côtés. « J’ai l’impression d’être redevable, enfermée. La loyauté, ce n’est pas un sentiment que j’aime. Mais… Je crois que tu es l’unique personne qui m’ait jamais inspiré ce sentiment. » Elle a beau refuser tout contact visuel, cela n’arrête pas Swann dans sa réponse, qui vient aussitôt. « C’est pas un carcan. » La loyauté. Elle n’est pas un carcan. Ce n’est pas parce qu’elle est loyale qu’elle est aussitôt enfermée - ni elle, ni personne. Il s’agit d’un choix, d’un désir, pas d’une nécessité. « Sinon pourquoi me serais-je mis dans cet état à l’idée que tu veuilles te… » Ses poignets sont désignés maladroitement mais il avait sans doute compris avant ce geste, raison pour laquelle il en vient à refermer ses bras contre son torse par instinct de protection. Des tatouages recouvrent ses cicatrices mais lui sait qu’elles sont encore là, non loin. Visibles pour ceux qui feraient l’effort de chercher. « T’as pas besoin d’être loyale si c’est pas le mot que tu veux. » Si le terme la rend mal à l’aise, il ne lui imposera jamais. « Je suis ton ami. T’es la mienne. Même si on se dispute. » Il hausse les épaules, comme le ferait un enfant maladroit en train de faire une déclaration dans la cour de récréation. Il n’a pas de mal à partager son amitié mais il sait que Scarlett est bien moins à l’aise qu’il peut l’être. « Et je suis même pas désolé de te dire que tu vas pas t’en sortir comme ça. » Swann souffle doucement et y ajoute même un sourire : non seulement il va continuer à être son ami, mais aussi il va continuer à exister, parce qu’il n’existe pas un monde dans lequel elle a encore besoin de s’en faire pour lui, pour ses poignets, pour sa vie. « Tu viens manger à la maison, un de ces jours ? » Ils ont beaucoup de choses à se dire et presque autant d’entre elles qui méritent bien mieux que le brouhaha d’une soirée mondaine en fond sonore.

Swann connaît habituellement parfaitement Rory, et pourtant, cette fois-ci, quand Scarlett l’interroge, un silence inhabituel s’installe. Scarlett ne le presse pas pour autant. De tous les défauts qu’elle peut avoir, elle possède quelques qualités, et la patiente est l’une d’elle. Alors elle attend, laisse à Swann le temps de construire ses mots. « Je… sais pas. J’imagine que non. » Elle en conclue qu’ils ne doivent pas trop discuter, en ce moment. La distance géographique est aussi émotionnelle. « Tu le connais. » Scarlett hoche la tête. Oui, elle connaît Rory. Il est aussi doux et aimant que Swann. Et pourtant, Swann est blessé. Rory l’est peut-être aussi. Mais elle ne dit rien. Elle ne veut pas spéculer, empirer l’angoisse et les émotions contradictoires que semblent ressentir Swann. Il doit se débattre avec tant de choses.

Alors elle préfère l’interroger sur le reste, essayer de comprendre ce qui se joue.  « Parce qu’on peut pas “faire une surprise” avec un enfant. » Scarlett a une petite grimace. Oui, c’est vrai, et elle se demande bien ce qui a pu passer dans la tête de Swann, à ce moment-là. Elle sait qu’il ne prend pas la paternité à la légère, comme certaines célébrités le font parfois, à adopter des enfants à la pelle, sans s’en occuper. Il voulait vraiment cet enfant, elle n’en doute pas une seule seconde. C’est ça qui est le plus dur, non ? Perdre ce qu’il a imaginé avec tant de tendresse ? Elle le pointe, factuellement, et elle jurerait que les yeux de Swann brillent, humides, dans l’obscurité qui les entoure. « On est très heureux avec Robin. J’ai juste l’impression d’être un gamin égoïste. » « Ce n’est pas égoïste que de vouloir donner de l’amour à un autre enfant qui n’en a pas », elle répond. Sa voix semble un peu détachée, parce qu’en réalité, le sujet est un peu trop proche de sa propre enfance : combien de fois n’a-t-elle pas rêvé que quelqu’un vienne la chercher, l’adopter, la sortir de l’appartement miteux et l’orbite de sa mère ? « Je sais pas si on peut le comprendre sans être parent. » Scarlett secoue la tête. « Non, je ne pense pas, effectivement », elle admet sans difficulté. Elle est bonne joueuse, Scarlett, admet sa défaite. « Je t’ai toujours imaginé avec pleins d’enfants », elle avoue avec un sourire en coin. Swann est fait pour être père. Sur ça, Scarlett et lui sont bien différents : tous deux sans stabilité familiale, Swann a grandi en opposition, tandis que Scarlett a suivi le moule. Elle ne sera jamais une bonne mère, elle le sait. Elle n’a pas été capable de développer le gène en opposition à sa mère, comme Swann a su le faire, lui.

C’est peut-être l’émotion qui ondule à la surface de la conversation qui la pousse à être étonnemment sincère, en avouant à demi-mot sa loyauté à Swann. « C’est pas un carcan. » Elle hausse les épaules. Elle l’a toujours vu comme ça, elle. Elle est comme un chat qui a toujours besoin qu’on lui laisse la porte ouverte. Toutes ses relations sont faciles, elle peut les couper d’un coup de ciseau sans aucun regret, sans aucune conséquence.  « T’as pas besoin d’être loyale si c’est pas le mot que tu veux. » Elle a un sourire en coin. Evidemment que Swann joue les conciliants. « Je suis ton ami. T’es la mienne. Même si on se dispute. » Instinctivement, Scarlett a un petit frisson dans le dos. Mais qu’est-ce qu’ils ont les gens à vouloir être mes amis, tout à coup ?! elle pense avec une certaine incrédulité. « Et je suis même pas désolé de te dire que tu vas pas t’en sortir comme ça. » Elle secoue la tête avec un petit rire. « Tu viens manger à la maison, un de ces jours ? » « Bah, maintenant que tu es seul, il faut bien que quelqu’un vienne te tenir un peu compagnie », elle plaisante, essayant de le tourner en blague, comme si elle lui faisait une faveur. Elle a du mal à comprendre comment Swann, qu’elle a littéralement insulté il y a quelques mois, peut se montrer si accueillant. Où est sa colère ? Sa rancœur ? Son intégrité donne à Scarlett le sentiment d’être minuscule. Elle redresse ses épaules, prête à retourner à la soirée, mais au dernier moment, elle se surprend à parler. « Je suppose qu’on te l’a déjà dit un milliard de fois, et que ça doit te fatiguer à la fin, mais ça t’agace pas d’être trop gentil ? » Elle demande. « On ne s’est pas parlé ou vu depuis 15 ans. Je t’ai même pas prévenu que j’étais à Brisbane alors que je savais que tu y étais. Depuis, on s’est vu, quoi, quatre fois, et je t’ai à moitié insulté la dernière fois.. Sans parler de mon caractère », elle a un petit rire jaune. « Je veux dire… » Elle baisse la voix. « Pourquoi est-ce que tu voudrais être ami avec moi ? » Elle voudrait avoir l’air de plaisanter, d’être détachée. Mais elle entend la propre faiblesse dans sa voix, et cela lui donne la nausée.


@Swann Craine  

« Ce n’est pas égoïste que de vouloir donner de l’amour à un autre enfant qui n’en a pas. » Mais ça l’est d’imposer ce choix à un partenaire qui, de son côté, pense que le moment n’est pas encore venu pour agrandir leur famille. Swann sait que ce n’est pas avec Scarlett qu’il doit avoir ce débat, surtout alors qu’ils sont finalement du même avis, mais se contente de ne pas se laisser bercer par ses tentatives pour arrondir les angles. Ils ne méritent pas toujours de l’être, et sur ce point aussi Swann veut être transparent, parce que tous les jours ne méritent pas d’être vécus avec le cœur léger, encore moins après une telle erreur. Il ne se flagellera pas, il n’ira pas aussi loin que Scarlett pourrait le croire, mais il juge encore nécessaire de s’en tenir rigueur, au moins pour ne pas reproduire les mêmes erreurs. « Je t’ai toujours imaginé avec pleins d’enfants » Il esquisse un sourire maladroit, l’image étant loin d’être morte dans son esprit. Il veut encore plein d’enfant et il veut encore les avoir avec son mari, évidemment. Ce qu’il a appris, simplement, c’est qu’il allait devoir se montrer davantage patient pour attendre le bon moment. « Fais attention à ce que tu dis, y’en a au moins un qui finira par t’appeler “tata Scar”. » Il annonce dans un mouvement de tête aux allures de tic nerveux, lui glissant par la même occasion l’idée que leur dispute n’est certainement pas définitive. Scarlett est une bonne personne, une assez bonne personne pour qu’il ait sincèrement hâte et envie de la présenter à ses enfants. Pluriel.

D’une discussion à une autre, il finit par oublier sa rancune envers la jeune femme pour plutôt lui proposer un repas partagé en terrain neutre, ou tout du moins en terrain où ils pourront dire ce qu’ils veulent sans craindre d’être écoutés. « Bah, maintenant que tu es seul, il faut bien que quelqu’un vienne te tenir un peu compagnie » L’excuse est facile, assez pour que cela attise un rire sincère de son côté. Aussi sincère qu’il est sûrement malvenu, parce qu’il pense qu’elle ne s’inquiète pas moins, mais peu importe. « T’as vraiment une grande âme. » Il ironise avec le même sourire en coin, n’annulant pas l’invitation pour autant - il n’y pense pas un seul instant, à ça. « Je suppose qu’on te l’a déjà dit un milliard de fois, et que ça doit te fatiguer à la fin, mais ça t’agace pas d’être trop gentil ? » Swann s’attendait à lui envoyer un message pour préciser le jour du dîner, pas à une relance de leur discussion sous forme de question. L’entreprise de Scarlett l’étonne sans qu’il ne ressente le besoin de cacher cette pensée pour lui, en témoigne le regard qu’il pose sur son amie. « On ne s’est pas parlé ou vu depuis 15 ans. Je t’ai même pas prévenu que j’étais à Brisbane alors que je savais que tu y étais. Depuis, on s’est vu, quoi, quatre fois, et je t’ai à moitié insulté la dernière fois.. Sans parler de mon caractère. Je veux dire… Pourquoi est-ce que tu voudrais être ami avec moi ? » Il n’a que rarement eu l’occasion d’entendre un tel aveu de faiblesse dans le ton même de la voix de Scar, ce qui est sans parler de ses mots en eux-mêmes. « T’as fini Caliméro ? » Elle n’est pas une amie facile à vivre, ni même une personne facile à suivre, mais ce n’est pas pour autant qu’elle ne mérite pas qu’on s’intéresse à elle et qu’on s’en fasse pour elle. Il est loyal, terriblement loyal, et jamais il n’oubliera qu’ils se sont montrés présents l’un pour l’autre il y a quinze ans - qui commencent à tourner en vingt ans, à force de dire “quinze ans”. « J’aime avoir le dernier mot parfois. » Il veut avoir raison sur l’idée qu’ils sont faits pour se retrouver pour de bon et que c’est une bonne chose, parce qu’ils ont autant à s’apporter en tant qu’adultes accomplis que tel était le cas lorsqu’ils étaient des adolescents. Leur vie est diamétralement différente mais cela n’empêche rien. « Et surtout te donner tort. » Il rajoute avec un sourire plus affirmé, loin d’être particulièrement transparent sur cette argumentation. « T’es pas facile tous les jours, mais ça en vaut la peine. » Il faut que ça en vaille la peine. Ce n’est pas le moment pour que sa gentillesse se retourne contre lui.