Le week-end avait été loin d’être parfait mais il avait eu le mérite d’exister et c’était tout ce dont elle avait besoin. Greta savait pertinemment que lorsqu’elle avait accepté de leur donner une seconde chance, elle ouvrait également la porte à tout un tas de déceptions. La bonne nouvelle était que les bons moments passés avec Arthur étaient assez forts pour venir balayer les autres en un instant, et juste comme ça, ils trouvaient une sorte d’équilibre. Pourtant, elle avait une espèce d’intuition lui laissant penser qu’à trop profiter elle s’aveuglerait et s’empêcherait de voir arriver le pire. C’était sûrement le fait d’être pour une fois celle sur qui les problèmes semblaient ricocher alors qu'elle en était au centre il y a encore quelques mois, comme si il lui était impossible de connaître le vrai bonheur sans un minimum de turbulences. Et il y avait les autres, comme Kendall par exemple, le meilleur ami d’Arthur qui était endeuillé pour la seconde fois parce qu’après son père, il avait perdu sa petite-amie. Et si la malchance étaient en train de faire le tour de ses relations pour revenir s’abattre sur elle ? Après tout, celle-ci se rapprochait dangereusement d’un Arthur qui pouvait répéter autant de fois qu’il le voulait qu’il gérait au bureau sans que cela ne sonne jamais totalement vrai.

« Tu m’en veux pas de t’avoir traîné là ? J’avais envie d’un cocktail avec vue. » avait-elle annoncé non sans venir poser ses lunettes de soleil sur le sommet de son crâne car elles ne serviraient qu’à maintenir ses cheveux blonds en place. Le geste avait été rendu volontairement exaspérant et elle s’était mise à rire avant de se concentrer sur un Swann dont l’énergie semblait étrangement éloignée de la sienne. « Tu vas bien ? » Swann avait immédiatement arqué un sourcil tant la question n’avait plus lieu d’être entre les deux amis. Ils se connaissaient trop pour ce genre de banalités et pourtant, elles étaient si nécessaires que les oublier donnait l’impression à Greta d’être passé à côté de quelque chose. « Je sais on se demande pas ça d’habitude mais Arthur m’a dit que Rory s’était absenté et je me demandais juste. » C’était bien la seule chose qu’Arthur avait accepté de lui dire concernant ses échanges avec Swann : ceux que Greta avait avec lui lui étaient racontés brièvement en omettant chaque partie où il était cité, et il en faisait de même. C’était probablement pour le mieux et ce même si Swann réussissait l’exploit de ne jamais être autre chose que neutre au milieu de toutes ces discussions. Et pour une fois, Greta estimait qu’il était temps que son ami en soit au centre et non pas un simple spectateur commentant les moindres détails d’une histoire certes naissante mais qui avait déjà eu lieu par le passé.

« Tu m’en veux pas de t’avoir traîné là ? J’avais envie d’un cocktail avec vue. » Cela lui rappelle ses années étudiantes et tous ces soirs passés à trouver de nouveaux bars dans une ville qui lui paraissait être en éternelle expansion sur ce point. Il n’en veut pas à Greta et bien loin de là ; simplement, de son côté, il se contente de prendre une option sans alcool, à peu près certain que le mélange ne lui apporterait rien de bon avec l’état actuel de la chimie de son cerveau. Il a passé l’âge de croire que l’alcool peut régler le moindre problème et, surtout, il a passé l’âge de suivre ses amis par simple effet de groupe. Par dessus tout, il sait que Greta ne sera pas celle à le forcer à outrance et coûte que coûte sur ce point. « J’aime bien cet endroit. » est une réponse vague qui couvre tous les points, même s’il n’aime pas particulièrement cet endroit: il n’en pense pas grand chose, en réalité, et peu importe. « Tu vas bien ? » Il redresse vivement le regard, comme le ferait un gamin pris sur le vif en train de faire une bêtise. Par habitude dans ces moments, il se demande ce qu’il a fait de mal et ce qui a pu le trahir, parce qu’il comprend aisément que ce ne sont pas des mots en l’air avancés par politesse. Elle est inquiète pour lui et en retour, il déteste cette idée. Plus que tout, il déteste qu’elle ait raison de s’en faire.

« Je sais on se demande pas ça d’habitude mais Arthur m’a dit que Rory s’était absenté et je me demandais juste. » Il inspire rapidement et bloque sa respiration plus longtemps que de raison. De toute évidence, il n’avait pas anticipé que ses amis de longue date feraient un transfert d’informations. Il est bien trop habitué à faire le pigeon entre eux pour arriver à sincèrement penser qu’il leur arrive de réellement discuter, parfois ; et surtout de discuter de lui. « Il est aux Etats Unis pour travailler. » C’est le mensonge qu’il pourrait donner à tout le monde, lequel n’est pas foncièrement un mensonge: Rory est vraiment aux Etats-Unis ; Rory en profite réellement pour se concentrer sur sa carrière. Malgré tout, ceux qui les connaissent assez savent que jamais il n’aurait choisi sa carrière au détriment de leur couple devenu mariage. Swann inspire une nouvelle fois, plus discrètement. Désormais, son regard préfère lorgner sur les coins abîmés de la table et les fausses rainures du bois. « On… a eu un différend. » Des mots qu’il n’a sûrement jamais partagés au sujet de son couple, non parce qu’il les a gardés pour lui mais bien parce qu’ils ne sont jamais en désaccord sur rien en temps normal. « Je lui ai dit de prendre Robin avec lui. » Il ne s’étale pas sur les raisons à cela pour le moment et ne le fera pas tant que Greta ne lui demande pas, si jamais elle compte le faire.

Les mots suivants sont difficiles à prononcer. Ils le sont déjà à imaginer, mais les statuer à voix haute relève encore d’un niveau différent. Un niveau qui brise littéralement le cœur de Swann, à un point qu’il n’arrive pas à cacher face à son amie. Ses mots sont bas pour que personne autour d’eux ne puisse les entendre. « Je sais pas s’il va revenir. » Et sans lui, il en revient déjà à penser que la vie ne vaut pas toujours la peine d’être vécue, cette vieille idée qu’il pensait avoir repoussé tel un vieux démon. La voilà qui revient et hante ses pensées sans qu’il ne lui ait rien demandé.

« J’aime bien cet endroit. » Son sourire avait été de courte durée, alors qu’elle avait décidé de crever l’abcès immédiatement sans même en considérer l’importance. Greta lui avait laissé l’opportunité de répondre à sa question qui avait soulevé tout un tas de comportements signifiant son malaise avant de reprendre pour lui expliquer ce qui l’avait amenée à la poser. Et avec ces nouvelles informations, Swann pouvait comprendre les raisons qui poussaient son amie à être inquiète, quand bien même Arthur ne lui avait rien livré de plus - à ce sujet, ils se comprenaient en un échange de regard, Swann se confiait différemment à l’un et à l’autre. « Il est aux Etats Unis pour travailler. » Pinçant les lèvres, Greta avait brièvement levé le menton pour accueillir une nouvelle qui n’expliquait pas le regard fuyant et perdu de Swann. Le serveur avait amené leurs verres, éloignant Swann des pensées dans lesquelles il s’était plongé, s’empêchant de répondre. Ils avaient reçu les verres avec un rapide sourire avant de se recentrer sur la discussion. « On… a eu un différend. » Greta avait eu un mouvement de recul, venant s’adosser pour prendre le temps d’accepter ce qui venait d’être dit. Cétait une nouveauté, et c’était probablement parce que les disputes entre Rory et Swann étaient inexistantes que sa première réponse avait été un oh étonné et désolé. « Je lui ai dit de prendre Robin avec lui. » « Quoi ? Mais pourquoi ? » Elle n’avait pas pris le temps de réfléchir à cette réponse-là parce que lorsqu’il s’agissait de Robin, elle savait que tout était bien trop sérieux.

Il n’avait pas envie d’en parler, il avait accepté cette sortie pour ne pas y penser, mais ce n’était pas le genre de soucis que l’on dissimulait sous le tapis. « Je sais pas s’il va revenir. » Cette affirmation n’était aucunement recevable : ils étaient le couple que Greta regardait en rêvant secrètement d’une histoire similaire, le couple qui lui donnait envie de croire à une histoire même impossible. Et si ce modèle là craquelait, elle n’était pas convaincue de pouvoir trouver les mots pour réconforter son ami. « C’est si grave que ça ? Vous ne parlez plus du tout ? » Maintenir le contact, même à distance, pour tenter d’apaiser les choses en profitant de ce recul qu’ils étaient obligés de prendre. La discussion avait pris un tournant compliqué bien plus vite que la blonde n’aurait pu l’anticiper mais il n’y avait pas de place pour les non-dits lorsque les sentiments de l’anglais se lisaient si clairement sur son visage et dans son attitude. « Swann… Vous vous êtes disputés à propos de quoi ? » Elle avait prononcé son prénom dans une volonté de l’empêcher de se perdre dans un silence qui était une habitude chez lui mais qui serait absolument mal venu à ce moment précis. Greta ne demandait jamais les détails, simplement les faits qui l’aideraient à comprendre et à être présente. « Tu sais que tu peux venir à la maison si jamais être seul chez toi est trop pesant. » Une offre qui semblait n’être que de la politesse quand Greta s’inquiétait pourtant réellement de ce qu’il adviendrait de Swann si sa relation était réellement mise en péril.

La surprise est aisément visible dans le regard de Greta lorsqu’il lui apprend dans un premier temps que le couple a connu un différend mais elle l’est d’autant plus lorsqu’il lui fait comprendre qu’il a demandé à ce que Robin reste auprès de Rory. « Quoi ? Mais pourquoi ? » Il se gratte la joue avec son épaule, sans doute un tic nerveux dont il ne connaît lui-même pas la source, ni même sûrement l‘existence. Elle pose la question à cause d’un souci sincère, il le sait bien, mais il sait aussi que les mots de Greta ont voyagé plus vite que sa pensée tant elle peut se douter que le pourquoi n’a rien de positif. « C’est si grave que ça ? Vous ne parlez plus du tout ? » Une telle idée lui aurait paru impensable il n’y a pas si longtemps encore, tout comme le simple fait de la statuer à voix haute lui tord l’estomac et la rend réelle. « Si, un peu. » Le premier mot arrive rapidement. Les deux seconds sont plus difficiles à avouer. Il a du mal à accepter l’idée que lui et son mari en sont réduits à un “un peu” qui ne fait toujours aucun sens à ses yeux. Ils ne se sont jamais contentés de se parler un peu depuis le jour où ils se sont rencontrés, cela n’a jamais été dans leur façon de faire, encore moins dans leurs habitudes. « Mais Robin est mieux avec lui pour le moment. » Parce que Swann ne connaît pas ses limites en temps normal et qu’il a du mal à accepter l’idée qu’il a justement des limites, mais tout est différent dès qu’il prend la casquette de père. Il réfléchit différemment lorsqu’il s’agit de Robin et, pour son bien-être, il comprend justement qu’il n’est pas la meilleure chose qui puisse lui arriver pour le moment.

« Swann… Vous vous êtes disputés à propos de quoi ? » Il repasse lentement une main dans ses cheveux, comme si dégager ses mèches allait pouvoir l’aider à y voir plus clair. « Je voulais qu’on adopte à nouveau et lui se sentait pas prêt. » C’est beaucoup et c’est peu de choses à la fois. C’est un différend, certes, mais un différend qui n’en aurait que brièvement eu le nom s’ils avaient su en discuter avant qu’il ne soit trop tard - et sur ce point, Swann sait que la faute lui incombe totalement et il l’accepte bien malgré lui. « C’est con, je sais, ça aurait jamais dû prendre ce genre de proportions. » S’il avait été capable de parler à Rory, jamais ils n’auraient dû en venir à de telles extrémités, jamais il n’aurait non plus ressenti le besoin de lui demander d’aller vivre à l’autre bout du foutu globe. « J’ai jamais connu de disputes de couple. Même avant lui… j’ai jamais vraiment connu ça. » Il a toujours courbé l’échine, il s’est toujours plié en quatre pour faire plaisir. Il n’a jamais trouvé nécessaire de se battre pour avoir raison sur un sujet ou sur un autre, et il n’a jamais été du genre à titiller la patience de l’autre non plus. Jusqu’à maintenant. « Il a voulu en discuter mais je savais pas quoi lui dire. » Ironique, sans doute, pour celui qui met autant de son temps et son énergie à jouer le conseiller conjugal, pour Greta et Arthur autant que pour tous ses proches.

« Tu sais que tu peux venir à la maison si jamais être seul chez toi est trop pesant. » L’offre le prend de court, sans doute parce qu’il ne s’était pas attendu à avoir l’air aussi pitoyable, mais elle est d’une forme rare de bienveillance. « Tu me préviens si jamais Arthur vient passer un coup de tête avant quand même, hm ? » La proposition est acceptée, bien sûr qu’elle est acceptée. Ce n’est pas une offre à laquelle il s’attendait, ou même qu’il aurait pensé un seul instant à demander, mais maintenant qu’elle est statuée de la bouche de Greta, il ne peut se résoudre à la refuser. Il est un être sociable et, surtout, il est quelqu’un qui supporte mal le combo de la solitude et des tourments ressassés ; la présence d’une amie à ses côtés l’aidera au moins à penser à autre chose. « T’es vraiment sûre, G ? » Une seconde affirmation est nécessaire pour qu’il n’ait pas l’impression d’imposer sa présence. « Tu sais que je veux pas déranger. » Et puisqu’il sait que certains proposent des idées avec l’impression qu’elles ne seront jamais acceptées, un double consentement n’est pas de trop. « Je viendrai une fois de temps en temps. » Il ne compte pas élire domicile chez elle. Greta a sa vie, son quotidien, ses propres amies (et sa propre relation avec Arthur dont il est certain de ne pas tout vouloir connaître) ; elle a toute une vie dans laquelle il n’a aucun droit de s’imposer. « Si un jour on avait su que tu serais celle à me consoler. » Il ajoute en reniflant un brin. « Je t’ai pas demandé comment toi tu allais. » Ca continue d’être important, même si lui ne va pas bien.